Internet et les droits d exploitation des compétitions sportives



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Transcription:

U.F.R. 01 Droit Administration et Secteur Public Master II Droit du Numérique Administration Entreprises Directeur du Master : Monsieur William Gilles Année universitaire 2012 2013 Internet et les droits d exploitation des compétitions sportives Mémoire soutenu par Eric Ollitrault Sous la direction de Monsieur Thomas Saint-Aubin

2

Remerciements Je tiens à remercier Monsieur Thomas Saint-Aubin pour m avoir confié ce travail de recherches, et pour m avoir encadré et orienté. Je remercie également Madame Irène Bouhadana et Monsieur William Gilles pour m avoir choisi comme étudiant dans ce Master 2, et pour m avoir permis de réaliser ce travail. Je remercie les professionnels du monde du sport et de l Internet que j ai eu la chance de rencontrer pour mener à bien ce travail, pour l aide précieuse qu ils m ont apportée : - Monsieur Jacques Lambert, président du comité de pilotage de l Euro 2016 - Monsieur Jérôme Perlemuter, responsable juridique de la Ligue de Football Professionnel - Monsieur Bruno Belgodère, responsable financier de l Union des Clubs Professionnels de Football - Monsieur Victoriano Melero, directeur du cabinet du président de la Fédération Française de Football - Madame Cordelia Flourens, juriste chez Google - Et Monsieur Remi Leclancher, responsable de la chaîne sport et auto/moto chez Dailymotion Enfin, je remercie mes parents et mes amis, pour leurs conseils et leur soutient. 3

Résumé Si le monde sportif constitue un formidable facteur de croissance pour les nouveaux médias et les technologies numériques en particulier, certaines pratiques sur Internet semblent porter atteinte au sport. Elles semblent nuire aux détenteurs de droits d'exploitation audiovisuelle des compétitions sportives, avec le développement du piratage du contenu sportif. Il s'agit d'un problème rencontré également par l'industrie de la culture, mais s'intéresser plus spécialement au domaine du sport revêt un caractère différent. Principalement, parce que l'essence du sport repose sur le direct. Ainsi, à côté du piratage du contenu en différé (images des résumés de matchs, des actions de jeu...) s'est développé le piratage du direct (live), avec le streaming illégal. Par ailleurs, la spécificité du sport, contrairement au domaine culturel, repose sur la place, inédite, que celui-ci peut occuper pour les consommateurs de contenu sportifs, et surtout pour les supporters. Ces derniers sont attachés à leur club, une société de droit privé, comme à la prunelle de leurs yeux. Le développement des paris en ligne sur Internet semble également nuire aux compétitions sportives en affectant leur intégrité. Si le trucage des rencontres sportives a toujours existé, force est de constater que l'ampleur prise par les paris sportifs en ligne ces dernières années remet sérieusement en cause la sincérité des compétitions sportives; en témoigne la découverte récente, aussi bien florissante qu'inquiétante, des liens entre les paris sportifs et la criminalité organisée. La situation est schizophrénique pour les détenteurs des droits comme pour l'etat, tiraillés entre l'envie de voir ces paris sportifs se développer, en ne perdant pas de vue la manne financière conséquente qu'ils représentent, et la nécessité de préserver l'incertitude du résultat final, qui donne tout son sens à la compétition sportive. Après un état des lieux sur la question du piratage du contenu sportif sur Internet d'une part, et des liens entre les paris en ligne et la corruption dans le monde du sport d'autre part, la pertinence des solutions mises en place pour combattre ces fléaux est analysée, aussi bien dans les textes qu'en pratique, avant qu'une réflexion ne soit menée sur les solutions imaginables et envisagées. Le football, sport le plus populaire du monde, sert de ligne directrice pour appuyer cette démonstration. Mots-clés : spectacle sportif, droit d exploitation, streaming, paris en ligne 4

Summary Although the sports world constitutes a formidable growth venue for new media and digital technologies, some practices on the Internet, in particular, appear to be causing serious damage to it. These practices are causing prejudice to those who hold sports competition audiovisual rights, especially with the development of content pirating. This is problem is also encountered in the culture industry but sports, in particular, appears to be reeling from the heaviest blows. This is mainly due to the fact that sports rely so heavily on live broadcasts. Thus, alongside the pirating of delayed content (match summaries, game highlights etc.) live pirating is now being implemented in the form of illegal streaming. In addition, sports is distinct from the cultural domain in that it holds a unique place in the hearts of its consumers as well as its supporters who develop strong attachments to their clubs, essentially private societies, which often become the very apple of their eyes. The development of online betting also seems to be causing damage to sports competitions by undermining their overall integrity. Although the rigging of sports events has always existed, it is evident that the magnitude of online betting has, in these last few years, threatened the sincerity of sports competitions. This has been brought to light recently, as flourishing as it is disturbing, in the uncovering of links between sports gambling and organised crime. The situation is schizophrenic for rights owners as well as for the State, as they are pulled between the desire to see sports betting develop (due to the huge financial windfall they represent) and the need to preserve the uncertainty of the final results which is the main attraction of sports competitions. After a serious examination of the sports content pirating on the Internet, on one hand, and links between online betting and corruption in the sports realm, on the other hand, the pertinence of the solutions implemented to combat these plagues is analysed, in text and in practice, before considering possible solutions and we use football, the most popular sport in the world, as our prime example. Key words : sporting event, right of exploitation, streaming, online betting 5

Sommaire INTRODUCTION PARTIE I : INTERNET : UNE RÉELLE MISE A MAL DES COMPÉTITIONS SPORTIVES? Chapitre I : La mise à mal des droits d'exploitation audiovisuelle par le piratage du contenu sportif Chapitre II : La mise à mal de l'intégrité des compétitions sportives par le développement des paris en ligne PARTIE II : LES ÉVOLUTIONS ENVISAGÉES ET ENVISAGEABLES Chapitre I : Les solutions apportées Chapitre II : Les solutions proposées CONCLUSION 6

INTRODUCTION La médiatisation du sport en général, voir la surmédiatisation de certains sports en particulier est un fait acquis. Peu importe les continents ou les sociétés, le sport est pratiqué et regardé dans le monde entier, et l engouement qu il provoque est intemporel et universel. Comme dans la plupart des sphères de la société, Internet a bouleversé le monde du sport. Internet favorise la visibilité et la réputation des sociétés sportives, mais d un autre côté il paraît affecter les détenteurs de droit dans un sens défavorable (mais néanmoins positif pour les amateurs de sport). En effet, il est aujourd'hui devenu courant pour tout fan de sport de suivre en direct le match de son équipe favorite. Celui-ci peut se faire par le biais de l'écrit digital en direct, qui est légal, mais la pratique qui se révèle intéressante ici est celle du piratage du contenu audiovisuel en direct grâce au streaming et, dans une moindre mesure, le piratage du contenu en différé, avec des internautes qui déposent sur les plateformes de vidéo sur Internet telles YouTube ou Dailymotion des vidéos au contenu protégé (résumés des matchs, des buts, des actions de jeu importantes...), pratiques auxquelles il conviendra de s'intéresser également. Ces techniques sont vivement combattues par les détenteurs de droit, et il sera intéressant de voir quels sont les intérêts en jeu et comment le problème est traité, aussi bien du coté des détenteurs de droit, que du coté des diffuseurs. Dans cette optique, les problèmes de piratage rencontrés par les détenteurs de droits sportifs seront souvent rapprochés de ceux rencontrés par les industries culturelles, afin de disposer d'un point de comparaison, et aussi de distinction. Ainsi, il s'agit d'une problématique affectant la retransmission sportive, mais peu évoquée dans les médias par les détenteurs de droits et les organisateurs des compétitions. En revanche, s'il est un sujet à l'importance médiatique grandissante, c'est celui des paris sportifs. Ici, Internet affecte réellement le monde du sport dans un sens défavorable à tous ses acteurs, avec de nouvelles techniques de trucage de match et de corruption à l'aide des paris en ligne. De nombreux scandales ont éclaté sur ce sujet récemment. Ceci n'est certainement pas révélateur d'une augmentation de la corruption dans le milieu sportif, la corruption étant très certainement consubstantielle au sport, mais c'est en revanche révélateur de l'amélioration des techniques de détection de la corruption. En ce sens, les scandales qui ont pu être exposés 7

dans la presse ne constituent que la partie visible de l'iceberg. Il faudra donc se pencher sur les dernières évolutions législatives en la matière, sans écarter le traitement technique de cette question, qui permettra de révéler toutes les difficultés rencontrées à l'heure actuelle. Après un bref aperçu historique sur l'évolution de la définition du sport, et de l'emballement médiatique qui l'entoure (Section 1), il sera intéressant de constater que ces deux sujets correspondent aux deux droits principaux appartenant à l'organisateur de la compétition sportive, propriétaire du droit d'exploitation de la manifestation sportive: le droit d'exploitation audiovisuelle d'un coté, et le droit au pari de l'autre (Section 2). Section 1 : Le sport : définition, particularités «Le sport, notion dont il faut tenter de définir les contours ( 1), et l'attention au sport, se sont aujourd'hui mondialisés dans un premier temps grâce à la télévision ( 2). 1 : Définition du sport Il est difficile de donner au terme «sport» une définition précise. On pourrait résumer le sport à un ensemble d'exercices, le plus souvent physiques, se pratiquant sous forme de jeux individuels ou collectifs pouvant donner lieu à des compétitions, mais il parait évident qu il représente bien plus que cela. Malgré la rigueur dont doivent faire preuve les juristes dans les termes qu ils emploient, comme la plupart des Etats voisins, l Etat français n a pas pris le risque de le définir, dans aucun texte, et en particulier le Code du sport. «L analyse étymologique du terme reflète d ailleurs toute la difficulté à appréhender sa définition. Le mot sport provient du vocable «desport», qui désignait en ancien français des activités de loisir et d amusement. Ce terme traversera la Manche et s intégrera dans la langue anglaise en devenant d abord «disport», puis «sport», pour définir des pratiques où la brutalité l emporte sur l amusement. Il réapparaîtra en France au XIXe siècle, et son sens s élargira jusque dans les années 1960 pour couvrir toutes les activités physiques et sportives de loisirs et de compétitions 1. Au fil du temps et jusqu à la fin du XXe siècle, les définitions 1 V. R. Thomas, Histoire du sport, Que sais-je, PUF, 1999, p. 15 et s. 8

données intègrent l encadrement institutionnel du sport, tout en restant très générales 1, de sorte que de nos jours, le sport peut se définir comme une activité institutionnalisée mettant en œuvre une ou plusieurs qualités physiques, dont la pratique en compétition se fait sous la tutelle d une fédération 2.» 2 : De la médiatisation du sport Un des aspects les plus importants du sport est évidemment sa médiatisation. A l heure du développement de l Internet et des supports multiples et variés, il ne fait nul doute que les nouvelles technologies accentuent cette médiatisation, en étant tout à la fois source de visibilité et de développement. Avant d être diffusées dans le grand public, les nouvelles technologies (dont certaines n en sont parfois qu au stade de prototype) sont bien souvent adoptées en premier par le monde du sport. Semelles de chaussures imprimées sur ordinateur, vêtements en spray, fibres de carbone, nanomatériaux : les Jeux olympiques de 2012 constituent un formidable exemple en ce sens, et ceux de 2016 ne devraient pas déroger à la règle. Historiquement, le sport a d ailleurs toujours accompagné l essor des nouvelles technologies de l information et de la communication. Dés 1920, le sport fait son apparition à la radio avec les grands commentateurs. Cependant, la forte médiatisation du sport ces dernières années n est évidemment pas indifférente à l évolution des technologies de retransmission télévisée. «La télévision et le sport ne sont pas nés ensemble. Pourtant depuis un demi-siècle, ils grandissent côte à côte», avait d ailleurs déclaré dans les années 1960 Monique Berlioux, ancienne Directrice du Comité International Olympique. «L expérience française confirme en tous points le constat de cette ancienne championne de haut niveau. La télévision prend place officiellement dans nos sociétés le 27 janvier 1926, et les premières émissions de sport pénètrent le champ télévisuel en 1947, mais les caméras ne se rendent pas encore dans les stades. Dés 1948 est réalisé le premier tournage à l extérieur par voie hertzienne d une compétition sportive en direct, l arrivée du tour de France cycliste, la retransmission tentée l année précédente au Théâtre des Champs-Élysées ayant échouée (les techniciens avaient dû recourir à un câble joignant le studio, heureusement 1 Frédéric Buy, Jean-Michel Marmayou, Didier Proracchia, Fabrice Rizzo, Droit du Sport, 2012, p. 16. 2 Romain Gambarelli, «L'influence de la télévision sur le sport et l'organisation d'évènements sportifs», Mémoire universitaire, Institut de Recherche et d'études en Droit de l'information et de la Communication, 2010 9

peu éloigné) 1. D ailleurs, c est tout sauf un hasard si, lorsque le journal télévisé est créé en 1949, il débute la veille du départ du tour et s arrête le 24 juillet, jour de l arrivée à Paris, et suivra par la suite chacune de ses étapes. Cette épreuve représentait un engouement populaire énorme, et jusqu à présent les images étaient uniquement vues aux actualités cinématographiques. En 1952 est diffusée sur le petit écran la première rencontre de football (France Suède). La télévision deviendra vite indispensable au sport. C est au début des années 1960 avec la politique gaulliste et l apparition des médias, que le spectacle sportif va prendre son véritable envol dans la société mondiale industrielle. Les premières chaînes de télévision sportives, dont l objet est la diffusion d épreuves et d informations, apparaissent en 1977. Canal+ se crée en 1984 et reste depuis l un des principaux diffuseurs du sport. En 1992, les Jeux olympiques d Albertville furent l occasion d effectuer la première expérience en Europe de télévision haute définition. C est ainsi que, d années en années, la télévision s empare des différents lieux de rencontres sportives.» De nos jours, le sport, et pas seulement ses grands événements, est un formidable facteur de croissance pour les nouveaux médias et les technologies numériques en particulier, avec des consommateurs prêts à dépenser de plus en plus, en argent et en temps, pour ne rien rater de l'information sportive. À l heure du déploiement en France de la «télévision connectée» (télévision raccordée, directement ou indirectement, à Internet), ce phénomène est loin de s arrêter et prend au contraire beaucoup d ampleur, à la satisfaction des propriétaires de droits d'exploitation de spectacles sportifs. Section 2 : Le droit d'exploitation du spectacle sportif L'hypermédiatisation du sport est donc un phénomène à l'ampleur grandissante. Il convient de se demander dès lors à qui cela profite, autrement dit qui sont les titulaires du droit d exploitation du spectacle sportif ( 1), et quel est le contenu précis de ce droit d'exploitation ( 2). 1 Christian Brochand, «Le Sport Et La Télévision: Un Vieux Couple à Histoires», Communication et langages, 1992 10

1 : Le monopole du droit d'exploitation du spectacle sportif La liste des acteurs pouvant prétendre ou ayant prétendu détenir ce droit est très longue. Il s'agit d'un sujet donnant lieu à de multiples débats et qui est sources de tensions entre ces acteurs. Il faut tout de suite admettre deux exclusions. La première semble évidente : si les joueurs (voir les arbitres) sont effectivement des acteurs sans qui la rencontre sportive n aurait pas lieu, pour autant ceux-ci ne sont pas titulaires de droit de propriété intellectuelle à proprement parler (c est-à-dire d un droit d auteur ou d un droit voisin du droit d auteur sur leurs prestations). Le sportif n est en effet pas qualifié d auteur d une œuvre de l esprit ou d artiste-interprète. Ce dernier doit, pour être qualifié comme tel, exécuter une œuvre de l esprit. Cela permet donc d exclure de cette qualification le sportif, pour lequel ni la jurisprudence, ni la doctrine ne reconnaissent l exécution d une telle œuvre 1. La seconde exclusion est beaucoup moins évidente. Le développement du mouvement sportif a été dépendant à l origine de la seule initiative privée, notamment lors de la création des premières fédérations sportives. Le gouvernement du Front populaire a posé les bases d une administration publique du sport traduisant l implication de l'etat dans le financement et la promotion d une activité considérée comme relevant de l'intérêt général. Par la suite, à la Libération, le sport est devenu une mission de service public dont l'etat déléguait l exercice aux fédérations sportives. Enfin, l'échec des athlètes français aux Jeux olympiques de Rome en 1960 a conduit à un renforcement du Ministère de la Jeunesse et des Sports, à la mise en place d une organisation de la préparation olympique, et à la création du cadre des conseillers techniques et sportifs 2. S'opposant à l'introduction dans le Code du sport du droit au pari des organisateurs et afin d'éviter de payer une redevance aux fédérations sportives organisatrices, certains opérateurs de paris en ligne (par opposition aux paris en «dur», vente physique) ont profité de cette gouvernance du sport par l'etat et du financement public pour émettre la théorie selon laquelle les manifestations sportives seraient des biens publics dont la propriété serait collective. Cette analyse n'a pas été suivie par le Conseil d'état 3. 1 Nadine Dermit-Richard, Johanna Guillaumé, Football et droit, Actes du colloque «Football et droit» organisé à la Faculté de droit de Rouen le 12 octobre 2011, Volume n 2, Décembre 2012 2 Cour des comptes, «l'etat et les fédérations sportives face aux mutations du sport», Rapport public annuel 2009, p. 479 3 CE, 5 e et 4 e sous-sections réunies, 30 mars 2011, n 342142 11

Dans un article à valeur de référence sur le sujet 1, Messieurs Melero et Soiron expliquent que le propriétaire du droit d'exploitation est l organisateur de l événement, comme le dispose l article 18-1 de l ancienne loi du 16 juillet 1984, selon lequel «le droit d exploitation d une manifestation sportive appartient à l organisateur de cet événement, tel qu il est définir aux articles 17 et 18» 2. Ainsi, cet article 18-1 reconnaît, à travers l'affirmation d'un monopole d'exploitation, l'existence d'un droit de propriété sur la manifestation ou la compétition sportive 3. Le droit de propriété adopte la forme d'un monopole d'exploitation dans la mesure où il porte sur une chose incorporelle et qu'il relève de la volonté de conférer à celui qui s'investit dans la création et l'organisation de la manifestation la faculté d'en retirer tous les fruits. «On peut donc considérer qu'un tel monopole d'exploitation appartient à la catégorie des droits voisins du droit d'auteur, avec l'originalité de ne pas être inscrit au Code de la propriété intellectuelle 4. Certains estiment qu'il s'agit d'un droit «voisin des droits voisins» 5. Les droits voisins du droit d'auteur (droit des artistes-interprètes, droit des producteurs culturels) ont été introduits dans la législation française par la loi du 3 juillet 1985 6 et ont été inclus dans le code de propriété intellectuelle par la loi du 1 er juillet 1992 7. Ils ont pour objet la constitution de monopoles intellectuels en contrepartie de l existence positive d un investissement, à titre professionnel. Il s agit donc très précisément de protéger des investissements en accordant un monopole. Or, le droit des producteurs sportifs présente toutes les caractéristiques du droit voisin. Ils rémunèrent un investissement économique, il est organisé comme un véritable droit de propriété intellectuelle (avec des prérogatives particulières d'un côté). Certains se demandent même s'il n'est pas encore plus puissant qu'un droit de propriété réglementé dans le code. Néanmoins, ce sujet est l'objet de nombreux débats, et même si le droit en question ici est très proche d'un droit voisin et que certains auteurs le considèrent comme tel 8, il n'en est pas vraiment un au sens strict. On pourrait penser a priori qu il a pour titulaire le créateur de la compétition sportive, c est-à-dire celui qui a investi financièrement pour lui permettre d exister, et qui a besoin d en retirer des 1 Victoriano Melero, Romain Soiron, «Le Droit D exploitation Du Spectacle Sportif», Décembre 2012 2 Loi n 84-610 du 16 juillet 2004 relative à l organisation et à la promotion des activités physiques et sportives 3 Frédéric Buy, Jean-Michel Marmayou, Didier Proracchia, Fabrice Rizzo, Droit du Sport, 2012, p. 16 4 C. Caron, Droit d'auteur et droits voisins, LexisNexis, 3e éd. 2013, n 634 5 J-M. Bruguière, «Les droits voisins de la propriété littéraire et artistique», Propriété Intellectuelle, 2012, n 43, p. 161 6 Loi n 85-660 du 3 juillet 1985 relative aux droits d'auteur et aux droits des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes et des entreprises de communication audiovisuelle 7 Loi n 92-597 du 1 er juillet 1992 relative au Code de la propriété intellectuelle (partie législative) 8 Christophe Caron, Droit d'auteur et droits voisins, LexisNexis, 2013, p. 589 12

bénéfices 1, donc le producteur. Cependant, il faut rappeler qu en droit de la propriété intellectuelle, seuls les producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes sont titulaires de droits voisins. Contrairement au domaine culturel, dans le monde du sport, les organisateurs peuvent être soit une fédération sportive bénéficiant d une délégation de service public octroyée par l Etat, soit une personne physique ou morale remplissant des conditions prévues par la loi, donc un organisateur privé. En effet, selon l article L. 333-1 du Code du sport, «Les fédérations sportives, ainsi que les organisateurs de manifestations sportives mentionnés à l article L. 331-5, sont propriétaires du droit d'exploitation des manifestations ou compétitions sportives qu'ils organisent». Dès lors, on distingue plus précisément deux types de propriétaires. D un côté, les fédérations sportives, qui organisent les compétitions, et de l autre, les organisations de manifestations sportives définies à l article L. 331-5 du Code du sport». Les fédérations sportives, tout d abord, sont définies comme étant des unions d'associations sportives (régie par la loi de 1901), dont l'objet est de «rassembler les groupements sportifs qui y sont affiliés ainsi que les licenciés, dans le but d'organiser la pratique sportive à travers notamment les compétitions» 2. Certaines se voient octroyer par l Etat une délégation de service public, et sont donc chargées de l exécution d une mission de service public : l organisation de la pratique d une discipline sportive. On distingue au sein de ces fédérations les fédérations unisport (celles organisant la pratique d une seule discipline), multisports (celles permettant de pratiquer différents sports relevant pour leurs règles des fédérations unisports), et les fédérations «affinitaires» (comme l union française des œuvres laïques d éducation physique). Une précision s impose dès lors : ce droit de propriété reconnu aux fédérations a longtemps été discuté. En réalité, aujourd hui, la Fédération Française de Football est la seule Fédération sportive à avoir décidé de transférer ce droit de propriété aux clubs. En effet, la loi du 6 juillet 2000 modifiant la loi du 16 juillet 1984 relative à l organisation et à la promotion des activités physiques et sportives précisait en son article 9. III. qu «A l'exception des fédérations sportives agréées à la date du 16 juillet 1992, seules les fédérations délégataires peuvent utiliser l'appellation «Fédération française de» ou «Fédération nationale de» ainsi que décerner ou faire décerner celle d'«équipe de France de» et de «Champion de France», suivie du nom d'une ou plusieurs disciplines sportives et la faire figurer dans leurs statuts, 1 Fabrice Rizzo, Didier Proracchia, «Propriété Du Spectacle Sportif», 2012 2 http://www.sports.gouv.fr/img/pdf/definitions.pdf Consulté le 09/06/2013 13

contrats, documents ou publicités» 1. La finalité de cet article à l époque était de s opposer à la volonté d appropriation par certains clubs de football professionnels des droits médias du Championnat de France de football professionnel 2, ceux-ci ne pouvant pas en être les titulaires originaires 3. Ce lobbying très intensif de certains clubs pour réclamer le droit d exploitation des matchs, consistait pour eux à mettre en avant toute la difficulté qu ils éprouvaient à attirer des investisseurs, n ayant aucun droit de propriété à leur actif. Ainsi, depuis la loi Lamour du 1 er août 2003, les clubs peuvent se voir céder à titre facultatif le droit d exploitation audiovisuelle 4. À l heure actuelle, seule la Fédération Française de Football en a usé. Il sera nécessaire d approfondir ce point plus loin dans les développements. L article L. 331-5 du Code du sport dispose ensuite que «Toute personne physique ou morale de droit privé, autre que les fédérations sportives, qui organise une manifestation ouverte aux licenciés d'une discipline qui a fait l'objet d'une délégation de pouvoir conformément à l article L. 131-14 et donnant lieu à remise de prix en argent ou en nature dont la valeur excède un montant fixé par arrêté du ministre chargé des sports, doit obtenir l'autorisation de la fédération délégataire concernée». Au final, les titulaires des droits d exploitation des manifestations sportives sont donc toutes des personnes morales, à savoir des fédérations et des ligues professionnelles, d une part, et les investisseurs, qualifiés de «sociétés sportives» par le Code du sport, d autre part. Dès lors, quels sont plus précisément les droits dont sont propriétaires ces personnes morales, qui sont affectés à l heure de l Internet? 2 : Le contenu du droit d'exploitation du spectacle sportif Si certains composants de la manifestation sportive peuvent être protégés au titre du Code de la propriété intellectuelle, et cela surtout par le droit des marques (il en va ainsi s agissant des noms des clubs, des logos, etc.), le spectacle sportif n a pour autant jamais été protégé par le droit d auteur en jurisprudence. 1 Loi n 2000-627 du 6 juillet 2000 modifiant la loi n 84-610 du 16 juillet 1984 relative à l organisation et à la promotion des activités physiques et sportives 2 Victoriano Melero, Romain Soiron, «Le Droit D exploitation Du Spectacle Sportif», Décembre 2012 3 TGI Paris, 14 octobre 1987, CA Paris, 10 février 1992 4 Loi n 2003-708 du 1 er août 2003 relative à l organisation et à la promotion des activités physiques et sportives 14

La Cour de Justice de l Union Européenne a même expressément refusé cette protection dans une affaire de 2011 1. Elle reconnaît que les rencontres sportives ont un «caractère unique» et, qu'à ce titre, chaque État membre est en droit de leur accorder une protection spécifique qui pourrait, à l'instar d'un droit de propriété intellectuelle, justifier, dans son principe, une restriction territoriale. Cependant, la Cour dans son raisonnement apporte une affirmation, lourde de conséquences, selon laquelle «les rencontres sportives ne sauraient être considérées comme des créations intellectuelles qualifiables d'œuvres au sens de la directive sur le droit d'auteur». En effet, pour constituer une œuvre, l'objet en cause doit être original. Or, une rencontre de football est régie par des règles de jeu qui ne laissent selon la Cour «pas de place pour une liberté créative au sens du droit d'auteur», au motif que les règles du jeu excluraient toute liberté créative et donc toute création intellectuelle propre à son auteur. Malgré un arrêt plutôt surprenant rendu quelque temps plus tôt par la cour d appel de Paris (la cour d appel de Paris avait jugé que «la course «La Route du Rhum» doit être regardée comme une œuvre de l'esprit protégeable au titre du droit d auteur») 2, la solution, déjà défendue en droit d'auteur français 3, apparaît comme étant difficilement contestable. «Il en ressort dès lors qu aucun texte ne définit explicitement la nature et le contenu du droit d exploitation des compétitions et manifestations sportives. Le périmètre de ce droit demeure au cœur de toutes les préoccupations, de sorte que deux conceptions du monopole d exploitation s affrontent en jurisprudence 4. Pour les fédérations sportives, une conception extensive du monopole s impose, selon laquelle tous les produits tirés de l exploitation d une compétition, directe ou indirecte, entrent dans son périmètre et donnent lieu à paiement au profit de l organisateur. Autrement dit, ce périmètre devrait s étendre à toute création de valeur dont l un des supports au moins est l événement sportif. Il existe de l'autre côté une conception restrictive, majoritairement soutenue en doctrine, défendant une interprétation raisonnable de l article L. 333-1 du Code du sport, refusant d étendre exagérément le monopole d exploitation. Selon François Alaphilippe, professeur de droit et ancien secrétaire général du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), le droit d exploitation d une rencontre 1 CJUE 4 oct. 2011, Football Association Premier League LTD c/ QC Leisure et Karen Murphy c/ Media Protection Services LTD, C-403/08, AJDA 2011. 2339, chron. M. Aubert, E. Broussy et F. Donnat 2 Cour d'appel de Paris. Pôle 5 Chambre 1 21 septembre 2011. No Rôle : 09/06928 3 C. Caron, Droit d'auteur et droits voisins, Litec, 2 e éd., n 53 et A. et H.-J. Lucas, Traité de propriété littéraire et artistique, 3 e éd., n 55 4 Pierre Dominique Cervetti, «Haro sur le monopole d'exploitation des organisateurs de compétition sportive», Lamy Droit de l'immatériel, n 201391, 2013 15

sportive serait à rattacher à la catégorie des droits intellectuels, puisqu il y aurait derrière cette rencontre sportive une «création de valeur, laquelle doit profiter à celui ou à ceux qui en sont à l origine» 1. Ainsi, le contenu précis du droit d exploitation a été défini principalement par la jurisprudence». En laissant de côté certaines exploitations particulières telles que le parrainage, la billetterie et les services associés, la jurisprudence et la doctrine s'accordent aujourd'hui pour considérer que le droit d'exploitation recouvre le droit d'exploitation audiovisuelle d'un côté, et le droit au pari de l'autre. Il faut donc approfondir ces deux notions. Le premier droit d'exploitation vient tout de suite à l'esprit lorsqu'on pense aux compétitions sportives aujourd'hui, c'est le droit d'exploitation audiovisuelle de l'évènement. La Cour de Cassation, dans un arrêt du 17 mars 2004, avait rappelé que «L organisateur d une manifestation sportive est propriétaire des droits d exploitation de l image de cette manifestation, notamment par diffusion de clichés photographiques réalisés à cette occasion» 2. Cet arrêt rappelle donc le principe selon lequel l exploitant de la manifestation est le seul détenteur de droits. En matière audiovisuelle, il est indiqué que «Toute fédération sportive peut céder aux sociétés sportives, à titre gratuit, la propriété de tout ou partie des droits d'exploitation audiovisuelle des compétitions ou manifestations sportives organisées chaque saison par la ligue professionnelle qu'elle a créée, dès lors que ces sociétés participent à ces compétitions ou manifestations sportives. La cession bénéficie alors à chacune de ces sociétés» (article L. 333-1 alinéa 2). Ainsi, toute forme de diffusion, quel qu en soit le support, ne peut être réalisée qu après autorisation du détenteur de droits. «Il est important de noter que selon les débats parlementaires relatifs à l'article suscité, la notion de droit d'exploitation audiovisuelle doit s'entendre par référence à la définition de «communication au public par voie électronique», à savoir «toute mise à disposition du public ou de catégories de public, par un procédé de télécommunication, de signes, de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature qui n'ont pas le caractère d'une correspondance privée» d'après la loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN) du 21juin 2004 3. L'organisateur est donc propriétaire de tous les éléments de sa manifestation (séquences filmées, photographies, sons, écrits...). Tous les médias sont en principe concernés par les droits d'exploitation audiovisuelle 4. Sont visés en effet les 1 François Alaphilippe, «Retransmission Télé Et Radio Des Événements Sportifs», 2002, p. 1916. 2 Cour de cassation, Ch. Com., 17 mars 2004, n 542 3 Loi n o 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique 4 Gérald Simon, Droit du sport, Thémis droit, 2012, p. 364 16

Le «services de communication au public par voie électronique» qui comprennent, selon l'article 2 de la loi du 30 septembre 1986, l'ensemble des services qui mettent «à disposition du public ou de catégories de public, par un procédé de communication électronique, de signes, de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature qui n'ont pas le caractère d'une correspondance privée» 1. La notion d exploitation audiovisuelle des manifestations ou compétitions sportives recouvre ainsi la diffusion télévisuelle (en intégralité ou par extraits, en direct ou en différé), radiophonique, par Internet, par la téléphonie mobile de troisième génération avec la technologie UMTS et par supports fixes (cassettes vidéo, DVD, ou encore CD-Rom) 2.» «différé» inclue également la notion de «léger différé», il s'agit ici du très léger différé engendré par les délais de transmission, désignant par exemple la seconde d'avance de la radio sur la télé. Le droit de propriété de l'organisateur sur toute forme d'exploitation audiovisuelle de sa compétition est donc absolu 3. Il existe néanmoins une limite, importante à préciser, qui porte sur les droits radiophoniques. En effet, une disposition spéciale du Code du sport adoptée en 2003 précisait que la réalisation et la diffusion par les radios du commentaire oral des manifestations et compétitions sportives échappent au droit d'exploitation audiovisuelle. L'exception est l'achat par la radio RMC des droits radiophoniques de la Coupe du monde de football en 2002 et le lancement la même année par la Ligue de football professionnel d'une procédure d'appel d'offres pour la commercialisation des droits radiophoniques liés aux compétitions qu'elle organise. Le Conseil d'etat, saisi en référé par Radio France et le GIE «Sport libre» constitué pour la circonstance entre les radios contestataires, a souligné l'ambiguïté de la loi, dans sa rédaction de l'époque, quant à la détermination des droits d'exploitation susceptibles d'être cédés et a refusé de se prononcer au fond. Le législateur est venu au secours des requérants et, avant que le juge administratif ait eu le temps de rendre une décision, a modifié le texte litigieux dans un sens leur convenant 4. Mais les autres médias ne bénéficient donc pas de cette exception. L'autre droit d'exploitation de l'organisateur de la manifestation sportive, moins évident, mais dont l'importance est grandissante ces dernières années, est le droit au pari. En effet, jusqu'à l'ouverture des jeux et paris en ligne en 2010, à laquelle il faudra s'intéresser 1 Loi n 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication (Loi Léotard) 2 Fabrice Rizzo, JurisClasseur Communication, Fasc. 4125 : RÉGIME JURIDIQUE DES ÉVÉNEMENTS SPORTIFS, 1er février 2013 3 Victoriano Melero, Romain Soiron, «Le Droit D exploitation Du Spectacle Sportif», Décembre 2012 4 Gérald Simon, Droit du sport, Thémis droit, 2012, p. 364 17

plus loin, l'article L. 333-1 du Code du sport n'englobait que les droits d'exploitation audiovisuelle. La loi du 12 mai 2010 a étendu le champ de ce droit en introduisant un article L. 333-1-1, aux termes duquel «le droit d'exploitation défini au premier alinéa de l'article L. 333-1 inclut le droit de consentir à l'organisation de paris sur les manifestations ou compétitions sportives» 1. «Le droit au pari a été conçu par le législateur comme comprenant deux volets 2. D'une part, il se veut un instrument de responsabilisation juridique des organisateurs d'événements sportifs s'agissant de l'intégrité des compétitions. L'alinéa 5 de l'article L. 333-1-2 du Code du sport indique notamment que le contrat d'organisation de pari «précise les obligations à la charge des opérateurs de paris en ligne en matière de détection et de prévention de la fraude, notamment les modalités d'échange d'informations avec la fédération sportive ou l'organisateur de cette manifestation sportive». L'objectif est donc d'éviter de se retrouver avec des matchs truqués, ou des suspicions de matchs truqués. D'autre part, pour que cette responsabilisation soit concrète, il constitue un instrument de financement du sport et repose sur «une rémunération tenant compte notamment des frais exposés pour la détection et la prévention de la fraude» (Code du sport sport, art. L-333-1-2, al. 6). La commercialisation de ce droit par les fédérations sportives ou les organisateurs de manifestations sportives doit faire l'objet de conventions avec les opérateurs de paris en ligne. Tel que prévu par la loi, le droit au pari s'applique uniquement aux manifestations sportives organisées en France. La liste des sports concernés est disponible sur le site de l'autorité de Régulation des Jeux en Ligne (ARJEL), le gendarme des paris virtuels, et inclut notamment le rugby, le tennis, le football, le baseball ou encore le basketball. Enfin, le droit au pari doit être commercialisé à titre non exclusif, selon une procédure de consultation non discriminatoire ouverte à tous les opérateurs ayant obtenu l'agrément d'opérateur de paris sportifs auprès de l'arjel. Les modalités de commercialisation du droit au pari se distinguent donc de celles des droits d'exploitation audiovisuelle, dont les pouvoirs publics ont autorisé la vente exclusive selon un système de lots et d'enchères.» Après avoir précisé les contours de ces deux droits d'exploitation, majeurs, il est intéressant de les remettre dans leur contexte, à l'heure du développement de l'internet. Le 1 Loi n 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne 2 Benoit Le Bret et Hugues Parmentier, «Le droit au pari - Un nouveau droit d'exploitation des événements sportifs ou un pari sur le droit?», La Semaine Juridique Edition Générale n 27, 4 Juillet 2011, p. 804 18

sport et les nouvelles technologies s'avèrent très souvent être un couple gagnant. Il sera d'ailleurs intéressant de constater que par certains aspects Internet se révèle être très positif pour les détenteurs de droits sportifs, notamment en termes de visibilité de leurs compétitions. Cependant, se sont développées certaines pratiques qui paraissent pernicieuses pour l'environnement sportif, et qui affectent les deux principales composantes du droit d'exploitation de la manifestation sportive. Il s'agit d'une part, du piratage du contenu audiovisuel sportif sur Internet. Celui-ci peut être effectué de deux manières : par le dépôt de vidéos de matchs sur les plateformes d'hébergement de vidéo, dont il faudra analyser le traitement, et avec le streaming, piratage de ce qui fait toute la beauté du sport, le direct (live). D'autre part, si la corruption dans le sport, véritable fléau pour l'intégrité des compétitions sportives, a toujours existé, celle-ci a pris des dimensions inédites ces dernières années, du fait de la mondialisation et des possibilités qu offre Internet. Il en va ainsi également, il faut le reconnaître, du fait de la place inédite que le sport a prise dans nos vies. Mais cette place peut s'amoindrir fortement dès lors qu'est remise en cause l'incertitude pesant autour du résultat final. Ainsi, ces pratiques semblent «mette à mal», aussi bien les détenteurs de droits directement, par la dénaturation de leurs droits d'exploitation audiovisuelle, que les compétitions sportives elles-mêmes, avec le développement des paris sportifs en ligne. Pour mieux appréhender ce phénomène, il est nécessaire de se demander d'abord par quels aspects les compétitions sportives et les droits afférents sont mis à mal (Partie 1), avant de s'intéresser aux solutions mises en œuvre, en pratique ou dans les textes, et les solutions envisageables (Partie 2). 19

PARTIE I : INTERNET : UNE RÉELLE MISE A MAL DES COMPÉTITIONS SPORTIVES? Que l on n apprécie ou pas le sport et l environnement qui l entoure, force est de constater qu il s agit parfois, et notamment pour ce qui est du football, d un véritable phénomène de société, qui revêt une importance aussi bien pour les citoyens, qu une importance politique et économique majeure d une manière plus générale. De cette situation économique découlent des conséquences souvent dommageables au sport en général et au football en particulier, telles que le développement inégal des clubs, la focalisation autour de certaines «stars», le développement de valeurs nuisant à la vision et aux valeurs de ce sport, et surtout la disparition progressive du football des chaînes gratuites. Heureusement, Internet permet de mettre en valeur le sport, sous différents aspects, et notamment concernant le droit à l'information sportive (Chapitre 1). Cependant, il résulte de la situation économique particulière du sport de haut niveau, et des énormes sommes d'argent qui sont en jeu, que de nombreuses mafias se servent des paris en ligne pour gagner beaucoup d'argent, en mettant indéniablement à mal la sincérité de certains matchs (Chapitre 2). 20