TOURNAI. évoqué par la Chanson. Publication des Amis de l'art Wallon WALTHER RAVEZ «1912 -

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Transcription:

WALTHER RAVEZ TOURNAI évoqué par la Chanson. Le Toarnalsien, rossignol de l'europe. Chante en hiver aussi bien qu'en été. AD. LE RAT. Publication des Amis de l'art Wallon «1912 -

Je dédie ce modeste travail, qui est avant tout l'œuvre des autres, aux Tournaisiens et Tournaisiennes habitant l'étranger, afin qu'ils n'oublient point la Sainte-Image de leur Ville, si puissamment, évoquée par les poètes du terroir. W. Ravez.

Nos Cheonq Clotiers n n Loin des vieux Cheonq Clotiers voleontiers on s'rappelle Les esploits qu'on a fets quand on éteot garcheon ; Les voyach's du Juédi aux min's de 1' Citadelle Dû c qu'i fézeot pus noir que dins n' mine au carbeon. On s'souvient voleontiers de cell' fameus' époque Où cliaqu'ein «préteindeot» pour faire s'communieon. Inter deux catéchim's in attindant les moques On batt'lieot, on queureot tout in s'foutant des poques In guis's d'échantilleons pour el' confirmatieon.. Après, chaqu'ein s'in va, pour la vi', ch'est la lutte ; Roulant par-chi, par-là, pour finir comme eine blutte Quand ell' cess' de sintir l'effet du cachireon : EH' reste sans bouger d'ù c' qu'elle fet s'dernier reond. Aies, quand ell' beonne sézeon va finir ses promesses, Qu' dins l'air on sint meonter des odeurs de karmesses : Tournai veot racqueurir réjouis, trieomphants, Ceux qui conserf'tent, là, dins 1' pus parfeond d'leu n'àme L'amour des Cheonq Clotiers, de no vieilp Noter-Dame Qui seonn' Marl'-Peontois's pour fêter ses infants. ADOLPHE WATTIEZ Fondateur du Cabaret Wallon Tournalsien.

SO/RDECHANSONS

Ah! dji v's aime, lingadje di m' [palvèye ; Via wallon, hossès mes orèyes Dusqu'à dièrin djoù di m'vèye. N. DEFRECHEUX. Une claire soirée d'hiver. La gelée avait damé les pavés sur lesquels se réverbérait le pâle cadran de la lune... Mélancoliquement, je poussais mes pas le long' des quais presque déserts. Le silence avait emmailloté la Ville qui reposait doucement. Je marchais au hasard, obéissant aux errances de mon âme que l'ambiance avait envahie d'une tristesse recueillie et je me sentais heureux de cet état morbide qui décompose nos pensées et nous fait, vivre sans heure l'exquise illusion de l'idéal. J e suivais le fil de l'eau dormante et songeuse, quand je fus secoué par le tintement des cloches effeuillant quelques notes plaintives et, me retournant j'aperçus les Cheonq Clotiers et le Beffroi se découpant dans le ciel et y profilant leur masse sombre. Pour la première fois peut-être, j'eus l'intuition de leur grandeur et de leur beauté séculaires. Co bloc immense, élancé, émergeant au delà des toits débandés, qui échelonnaient et entrecroisaient leurs lignes confuses, m'apparut dans toute son ampleur grave et sévère. Oui, c'était bien la personnification même de la ville, et du même coup mon esprit revécut Tournai au plein milieu de son activité et d» sa splendeur... 9

Et je poursuivais ma route, non sans songer un peu à Hughes qui promenait sa mélancolie le long des quais de Bruges, cette autre déchue, cette autre morte... Les réverbères projetaient leurs lueurs blafardes sur la surface des eaux tristes et rêveuses, tandis que la lune jalouse y mirait sa pâleur. A peine rencontrait-on quelques âmes errantes et furtivès traversant les ruelles. O les vieux quais, les vieilles maisons, les vieilles choses... Vieux murs décortiqués et meurtris auxquels le temps a arraché quelques pierres ; vieux quais regardant dans le miroir des eaux leurs lézardes, saignantes comme des plaies ; vieilles maisons aux corniches débordantes que supportent avec fatigue les modifions branlants ; vieilles maisons dont les fenêtres veuves parfois de volets semblent des yeux sans paupières ; vieilles maisons dont la mémoire, comme celle des aïeux, est gonflée de souvenirs et de regrets ; vieilles maisons décrépies et perdues se soutenant à peine et attendant la mort... Malgré moi, je me sentis pénétré d'une profonde tristesse. On eut dit que Tournai, éternisant le deuil de ses défuntes richesses, pleurait tout bas sa peine, et je croyais entendre en la voix plaintive des quelques cloches lassantes, dont les notes monotones s'égouttaient comme des larmes, un glas funèbre sonnant la mort. J'arrivai sur la Grand' Place ; le cadran du Beffroi marquait neuf heures. 10

Déserte ordinairement à cette heure, elle était cette lois traversée par de nombreux passants, qui hâtaient le pas et semblaient se diriger vers un café illuminé jusqu'à l'étage ; de toutes les rues avoisinantes, des groupes montaient, l'allure décidée qui témoignait de la fixité d'un but. J'appris qu'il y avait Cabaret Wallon. J'entrai, oublieux de mes mélancolies et que vis-je, ô Ciel! Une foule délirante exultant sa joie dans une salle immense où l'éblouissante lumière commençait à s'obscurcir des nuages bleutés qui montaient des pipes échauffées. Cette foule levait son verre, acclamait les chanteurs qui, du haut d'un gradin, poussaient un refrain de terroir. Cet te foule : mais toute la psychologie wallonne en elle ' était résumée ; cette joie esbaudissante et ce rire enthousiaste, cette jovialité gauloise et cette truculante gaillardise, n'était-ce point l'image de Ma Ville; ces chants où le sentimentalisme le plus émouvant coudoyait la morale la plus légère bien que la plus honnête, ces couplets satiriques maniant la plus innocente plaisanterie et le plus aimable ridicule, auxquels succédaient les refrains d'allégresse où l'amour du clocher vibrait avec une ardeur aussi sincère que naïve, n'était-ce pas l'âme de Ma Ville, toute gonflée d'orgueil et de fierté, de franchise et de générosité, d'humour et de verve, n'était-ce pas la voix du peuple étalant son génie! Non, Tournai n'était pas mort! car ses chansonniers continuaient la lignée des bardes populaires, descendants des trouvères et des ménestrels qui, depuis le Moyen Age, avec l'esprit propre à leur 11

époque, ont transmis dans leurs couplets l'infrangible et puissante pensée populaire! Non, Tournai n'était pas mort! Car le peuple chantait toujours comme autrefois, car les chansonniers sont les évocateurs conscients ou inconscients de notre ville, et leur voix généreuse se mêlant à la voix des cloches est un éclatant symbole du Présent ressuscitant le Passé!... v 12

TITRES DE GLOIRE

Les villes mortes sont les Basili- [ques du silence. RODENBACH. Cet immense édifice, le plus grand que l'occident ait élevé à la gloire de son Dieu, cette cathédrale où dix siècles avaient passés, y laissant en des alluvions successives, l'histoire de leur foi. de leur idéal, de leur art, lui livrait peu à peu les secrets qu'elle celait en ses flancs vénérables... DES OMBIAUX (Le maugré). La Cathédrale qui perpétue le souvenir des siècles disparus, fut de tout temps le glorieux apanache des Tournaisiens. Brillante attestation du génie des ancêtres, fier témoignage du talent des inspirateurs, suprême symbole de foi et de recueillement, imposante manifestation d'art, grandiose révélatrice de notre splendeur d'an tan, de la richesse de la Ville, les Gheonq Clotiers sont aussi l'auguste incai'nation de dix siècles d'histoire, les impassibles témoins de nos douleurs et de nos espérances, de nos deuils et de nos triomphes ; ils virent la Cité décimée par la peste et la guerre, abritèrent sous leur ombre deux mille cinq cents métiers de draperie, les corporations les plus prospères, les industries les plus florissantes. Quinze rois saluèrent l'antique basilique, immortel ves- 15

tige des siècles qui survivent à eux-mêmes et transmettent à travers les temps destructeurs d'art, le souvenir de leur splendeur. Le peuple entier voue un culte ému à ce gigantesque édifice qui porte au lointain en ses clameurs d'airain la voix de la Cité. Et ne devait-il pas être pour lui le premier chant poussé sur les lèvres des Tournaisiens ; la première note populaire n'était-elle pas destinée à sanctifier la Cathédrale! La première œuvre de Le Ray, qu'il composa en 1838, fut un hymne passionnant évoquant le sol natal, ce sol natal qui s'identifie en Noter-Dame, " notre la Mecque à nous. " ( 1 ) Tournai feseot mes espérances ; Vlà qu'on m'dit, te cleos t'imhêter, Et si te veux des jouissances, Gh'est à Paris qu'i feaut aller ; Là te riras, Là te verras, Tous lés farceux, comédiens, cancheonniers ; Feaut quitternoter-dame,avec sescheonqclotiers IJ prumier qui m'a dit ein' parole Quand j'éteos intré dins Paris, Gha' té V neveu d'mossieudugnole, Comme c' garcheon i' éteot surpris. I' me r' luqueot, T me r' wétieot, (1) Les Cheonq Clotiers. Couplets 1,6, 9, 14. Voyez Chansons tournaisiennes avec airs notée.ti* édition 1907. Vasseur- Delmée. 16

Tout à n'ein queop quand i m'a r'wétié, Ferle : Viv' Noter-Dame, avec ses cheonq clotiers! Ein jour que j'aveos fait ein' course Avec ein' vrai bind' de brigands, Su V coin de V table, j'étale m'bourse, Etj' n'aveos pus qu' sixpièch's cheonq francs.,f dis milv démeons, Feaut d'la raiseon, Me v'ià t'à l'heure à mes derniers deniers, Faudra r'vir' Noter-Dame, avec ses cheonq clotiers! J'ai ceonté l'histoir' de m'voyage ; Ch'est fini, f démettre au pays, Et je n' veux pos d'autre partage. Que de l'heonne bière et des amis ; Et sans malheur, Et d'ein grand cœur, Quand nous aveons ouvré six jours intiers, Nous cant'rons Noter Dame, avec ses cheonq [Clotiers! Près de la Cathédrale se dresse fier et hautain, le beffroi, le plus ancien de Belgique et rare trophée des villes wallonnes Le pouvoir civil auprès du pouvoir religieux : deux forces terribles consacrées par deux merveilleux édifices. La vue seule de cette flèche élancée suffit pour évoquer à nos yeux tout un passé glorieux. Placé à l'angle de la Grand' Place, il a assisté, impassible, aux luttes terribles des métiers contre l'aristocratie, il a vu les Cortèges, les Joutes, les Tournois des 31 Rois, 17

toutes les magnificences. Le Beffroi est le symbole immuable des libertés communales et c'est au son grave et sonore de la gigantesque Bancloqne qu'il jetait l'alarme, annonçait l'ennemi, appelait le peuple à la Halle des Consaux. Je voudrais encore voir l'étendard tournaisien,de gueule au blanc château dressé verticalement sur les quatre clochetons latéraux ; il rappellerait les fleurs de lys que Louis XI nous avait offertes en signe de loyaiité et de dévouement et que les tourriers avaient gardées immaculées... Aux jours d'allégresse, c'est une dégringolade de notes qui s'échappent des abats-sons et viennent s'accrocher aux toits ou se déposer sur les lèvres des passants; échos des vieux chants populaires, ils glissent la joie dans les coeurs et le géant de pierre semble frisonner d'aise. Car il vit, il vit et l'âme de la cité vibre dans sa voix : ses pensées sont les nôtres, nos joies sont communes, nos douleurs sont partagées et quand une affolante carrillonnade secoue les cloches heureuses, quand une pluie de sons cristallins vient frapper les oreilles, bondit ricoche et propage le délire,je crois entendre une voix humaine qui m'exhorte à chanter aussi.. Cette émotion s'était emparée de Joseph Bitte quand il composa la Cloche du Beffroi. (1) Le beffroi tout entier tressaille Lorsque sous le marteau d'airain, La cloche avec sa basse taille Au carillon, sert de refrain. La Kermesse est ouverte, (i) op cit. (musique de Ed. Waucampt) couplets 1 et 6. 18

Tout est bruit, tout est cris La ville hier déserte ) Est aujourd'hui Paris ) Ah! RÉF. Vieux bout-en-train du Beffroi, C'est fête pour tout le monde, Quand ta voix joyeuse et ronde Met la ville en émoi : Sonne, sonne bien, cloche du Beffroi! (BIS) C'est qu'en toi j'aime à reconnaître L'âme, les chants de,nos aïeux! J'insiste et je les vois renaître Puissants, libres et glorieux!! Fier, mon front se relève, Répétez moi souvent Fantômes de mon rêve ) Que je suis votre enfant ) Ah\ Il n'y a pas moins d'ardeur sincère et spontanée dans les couplets par lesquels A. Prayez chante la fierté du Beffroi. (') Tons les matins, in partant pou' l'ouvrache, D' no' vieux bieffreo j'intinds canter les airs ; In l'acoutant, je m'sins rimpli d'corache, Et l'orwêtlant je m'sins dev'nir tout fier. Ch'est ein joli pindant à Noter-Dame, A côté d'li, elle a l'air d'ein grant' sceur, Et malgré mi ein r'frain meonte de m' cœur. (1) A no' Bieffreo. (couplets 1 et 3) Musique d'eug. Landrieu. Recueil Inlusotant, cancheonnes du Cabaret Wallon. 1910. Delcourt-Vasseur. - 19

RJEFR. Du beon vieux temps, cante l'histoire, Et V bieauté D' no' cité, De nos aïeux, cante V mémoire, Leu gaîté, Leu fierté, Et dins V ciel bleu, meonte fier et bin dreot, Tant qu' nous vivreons, nous t'aim'reons, vieux [bieffrco! Et s'i falleot, comme in dix-huit-chint-trinte. Que la Belgique appelle ses soldats, Tournai sareot prouver qui sét s'définte, Et pus qu'jamés les Tournisiens s' reont là! SI les flaminds venl'ient fair' de leu tiête, On ara vit' fet tair' leu rodomeont, I V suffira de faire aller V cloquettc, Pour mett' sur piecltous nos bons vieux Walleonsl C'est le même respect mêlé d'admiration qui fit écrire par François Vernet, l'bancloque ( 1 ) EU' a sonné, awi, cell' beonn' vieîll' cloque, D'pnis cheonq chints ans et hramint bin des feos, In quatorz' chint on t'baptiseot : Bancloque Et on t'pindeot dins nos beon vieux Bieffreo ; Si V f plaiseot d'nous raconter t'n' histoire. On t'acout'reot, cha ch'est ein fet certain, Car t'as sonné bin souvint pou la. gloire ) De c' qui est cher à tout cœur tournisien! ) B s (1) Couplets 1 et 4. Musique de F. Godart. paru dans le Journal : Les Cheonq Clotiers. N 27. 20

ELI' a sonné au moins cheonq chînts Karmesses, L'airain réseonne in ces jours de gaîté. Beon vieux cass' bras qui nous met in liesse, Et ' seon alors est plein d'suavité ; Car ch'est pou l'paix que te t'fais entendre, Et V carilleon, t'campagneon du vieux temps, Jeut V Brabançonne et aussi des airs tendres) Ah! tous les deux, sonnez acor longtemps! ) BIS Et tandis que les cloches égrènent leurs notes, dominant les pyramides des contreforts, personnifiant les Ghildes d'autrefois, les quatre. Hitrlus, scrutent mélancoliquement l'horizon et rêvent aux lointains combats : Nous sommes à quatre, C'est nous les Hurlus. Et gens à se battre, Toujours résolus. Les vieux chants des bardes Disent nos ardeurs, Le son des bombardes Fait vibrer nos cœurs. Nous sommes des hommes de pierre Aux quatre coins du vieux beffroi, De pied en cap armés, en guerre, Quand le tocsin sonnait l'effroi, Ç) Ainsi les deux plus beaux fleurons de notre ville, témoignage de notre glorieux passé, de notre richesse d'an tan, ont été identifiés par des chan- (i) Aug. Debève. Les Quatre Hurlus. (Journal Les Cheonq Clotiers n 10). - 21

sons dont plusieurs détiennent le secret de la popularité. La soif d'autonomie communale qui présida longtemps aux destinées de la politique belge, l'instinct essentiellement particulariste de notre peuple, sont sans doute les plus lointains liniaments du patriotisme localisé qui meut les cœurs Avalions ; car si nous aimons la Belgique, c'est parce que nous aimons avant tout la Wallonie et l'affection que nous portons à la terre wallonne a elle-même sa source dans notre amour du clocher. C'est ainsi que la plupart de nos cités ont trouvé leurs bardes pour en chanter les beautés et, évidemment, l'incontestable supériorité. Namur a son hymne national, Li hia bouquet ; Liège a ses cramignons ; Mons a son Doudou ; demandez à un Framerisous s'il s'est amusé en voyage : L'Allemagne, la Chine, le Pérou, «quée biaux pays, quée beliés villes», vous répondra-t-il, mais E' c' nu'est ni co Fram' ries! Et demandez à Adolphe Delmée le secret des victoires Napoléoniennes, il vous affirmera sans sourciller qu'elles sont dues a la présence des Tournaisiens! Il est vrai que l'histoire elle-même chante nos exploits. Michaud, l'historien français, auteur de l'histoire des Croisades, raconte ce fait : 0 «Les forteresses roulantes qui portent les Croisés s'avancent : trois fois, elles s'attachent aux murs de la Ville Sainte, trois fois elles reculent, incendiées par l'huile bouillante et le feu grégeois (i) Livre II, ch. IV. cité par Leroy, édition des Tournaisiens sont là.) 22

des assiégés. Cette résistance opiniâtre jette le désespoir dans l'âme des Croisés, lorsqu'au milieu du combat, deux chevaliers Tournaisiens, Léthalde et Engelbert, usant d'un stratagème étonnant, surgissent tout-à-coup, habillés en Collets rouges sur la plate-forme delà tour qui porte Godefroid de Bouillon. A cette apparition effrayante, les Sarrasins sont épouvantés et, profitant de ce moment d'effroi, ces hardis stratégistes s'élancent les premiers dans la place, bientôt suivis du chef de la Croisade. Au même instant, d'autres Tournaisiens dont l'histoire a conservé les noms, Bauduin, Belcenserie, Guicher, Derasse, Choquet Po tirât te et Bargibant, ces trois derniers simples musiciens gagistes, pénétrent par la porte d'hérode, sur les pas de Tancrède, duc de la Pouille. Alors, ce cri formidable : «Les Tournaisiens sont là!» vient ranimer le courage des Croisés et bientôt la victoire couronne leurs efforts.» La chanson d'adolphe Belmée a depuis longtemps passé les frontières : ( 1 ) Leray l'a dit, d'dins les guerr' s de la France, Quand V Caporal s'appréteot ùhuquer, S' ertournant su' s' n' officier d'ordonnance : «Dis donc, l'ami, c' qu'on peut héteot qu'mincher?» No n'aid' de camp s'ertournant tout d'ein' traque, R'wétieot an leong et puis diseot comme cha : «Sa Majesté, on peut deonner l'attaque, «On peut qu' mincher, les Tournisiens sont là l» (i) Les Tournaisiens sont là., couplets 1 et 4. Chansons populaires, op. cit. 23

Dix- huit chint trinte éclate et la Belgique Tout d'ein seul heond, à Bruxelles a volé, A pied, à qu'véau, heomm.es posés et pratiques, Autour du Parc, nos gins veont s'imhusquer. Les Brahanceons, in erwéttiant leus faces,' Ont demandé : «Quoi qu' ch'est qu' ces gaillards [là?» Quand V eont su d'quoi, i' eont dit : «Nous [seommes à plache, «Nous seommes sauvés, les Tournisiens seont là!» Le Ray avait d'ailleurs depuis longtemps soutenu que Jésus lui-même était passé par chez nous. Il était en cela resté fidèle à l'opinion émise avec une inébranlable conviction par un annaliste local qui prétendait que Jésus était tournaisien et «s'appelait de son vrai nom Henri, en notre patois IN RI, inscription que nous A r oyons encore de nos jours en tête de tous les Crucifix.» f 1 ) Oui, mes amis, il est bien vrai, ( 2 ) Jésus a passé par Tournai ; Malgré ses dix-huit siècles d'âge, Il était jeune de visage, Portait la blouse comme nous Et des pantalons de pilou. En le voyant mis comme un prolétaire, On n'aurait pas cru qu'il avait Dieu pour père, Qu'il avait le bon Dieu pour père. Il promenait le long des quais, (1) Leroy, op. cit. (2) Couplets 1. 2, 6. Chansons tournaisiennes, op. cit. - 24

Interrogeant les portefaix : Qu'est-ce qu'on dit, qu'est-ce qu'on pense? Est-on charmé de l'existence? Oui, répondaient les vieux grognards, On vit bien quand on a des liards. Mais si vous v'nez sans argent sur la terre, Vous f'rez bien d'aller r'trouver vot' père, Allez-vous-en r'trouver vot' père. En cherchant aventure ailleurs, Il entre chez les Artilleurs ; Voyant au milieu de l'enceinte Chaque Artilleur près de sa pinte : Ces lieux, dit-il, qu'on croit maudits, Sont l'image du Paradis ; En Paradis, on manœuvre le verre Et l'on boit sans cesse à la santé du Père, On boit à la santé du Père. Achille Viart ne poussera pas aussi loin le chauvinisme et l'hyperbole, mais lorsqu'il chante J'aime bin Tournai, l'on sent qu'il aime Tournai par dessus tout au monde et c'est bien souvent avec des larmes dans les yeux que l'on entame ces couplets empreints d'une sincère émotion. ( 1 ) J'aime Tournai, f vous l'assure, Mieux qu'on n'peut s'in douter, Et vraiminl, cha je V jure, Chaque feos que j' deos V quitter, (i) Taime bin Tournai, couplet 'à, chansons populaires op, cit. 25

Je m'sins V cœur tout in larmes, J'ersanne à ein infant, Qui veot s' mère in alarmes Et je m'dis in partant : REFRAIN Te veos, Tournai, qu' t'as V dreot d'été fière, Car t'es bin chère au cœur de tes infants ; Bconne vieille cité, te sés nous plaire, Tes pus p'tits couans pour nous émîtes seont char- [mants! Quand j'pinse à ta, vraimint j' m'inflamme, T'es V ville du meonte que j'veos Vpus volintiers; Et je l'avoue du feond de m' n'âme : Tant que j'vivrai, j'aim'rai les Cheonq Clotiers! Enfin François Vernet, s'inspirant de l'air martial de Caroline, a chanté lui aussi les gloires de la vieille cité nervienne. ( 1 ) PopoV de la Belgique Vouleot l'agrandiss' mint, Pour aller in Afrique, 1' appéll' nos infants; A s' mote qu'i n'aveot qu'eusse Pou' m' ner l'affair' à bien. I dit : ch' n'est pos eine bleusse, F m'feaut des Tournisiens. Rien d'pus naturel, L'premier à l'appel Ch'éteot V Capitaine Crespel! (i) Tournai à travers les âches, couplets 7, 8 et 9. Etren. nés tournaisiennes de 1910. 26

REFRAIN Noter Dame, Noter Dame, Qu'i seont bieaux tes cheonq clotiers! Vieux bieffreo, Toudis dreot, On V raviss' si volintiers! Si dins la politique On fet ein' incursieon, Lihéreanx, catholiques, Ont chaquein leu' portieon, Des neoms très populaires, Car ch'éteot des estras, Des grands parlementaires Damortier et Bara. Si V éteottent ichi Jules, Barthélémy, Gant' reottent avec les amis. Tournai peut se fuir' gloire De ses célébrités : Gallait, peintre d'histoire, U haryteon Noté, Dubois, V violoniste, Dutrieux et Frison, Ilaghe, tous grands artistes, Ont fet notre renom, Et dans le genre gai, Delmée et Leray Personnifient hin Tournai. 27

Nous est avis que peu de villes wallonnes trouvent, dans l'oeuvre de leurs chansonniers, autant de fleurons attestant de leur gloire. C'est vrai qua Tournai, ville d'essence français», en a conservé l'outrancier chauvinisme, et c'est vrai aussi que peu de cités possèdent des annales historiques et artistiques aussi riches que les nôtres. 28 -

AU FIL DES RUES...

Le terroir, source inépuisable de la vitalité d'une race, est aussi le miroir de son âme. J. SOTTIAUX. Quand le Vigneron jadis tintait au haut du Beffroi pour convier les ouvriers au travail, par flots ils descendaient vers les riches manufactures qui portaient au loin le renom de la Cité prospère. Mais toutes ces puissantes industries, une à une, furent frappées de mort : tapisseries, tentures, hautelisses, poteries, faïences, porcelaines, étalent dans les musées et les collections l'image de leur déclin que ternit encore la poussière. Et avec ces industries d'art, sont disparus bien des types tournaisiens. Un seul métier manuel peut-être a laissé dans notre mémoire un souvenir vivace : l'ancien balotil, Ç) bon ouvrier, mais «royal guinseu», traa r aillant trois ou quatre jours et gagnant assez pour faire la bombe le reste de la semaine. Ah! combien ils déroulèrent de «babeines» pour fabriquer des bas et des vareuses! Leur réputation a été consacrée par un refrain dont retentissent encore nos CarnaA^als : (r) Balotil : Las à l'outil. Wizeux, wizeux, Wizeux les halotils... 31

Mais Ad. Prayez a plus poétiquement évoqué l'histoire de ce type populaire tournaisien dans son Vieux Balotil, chanson empreinte d'un esprit d'observation remarquable. (') Alleons, balotil v'ia six heures : F est temps de f mette su' V métier, L' maré' que t'orport'ras F t à l'heure, N'avanch'ra pos à l'orwétier. Acoute, les ru's seont désertes, L' cloqu' des fahriqu's a d'ja sonné, Et su V bord de t' ferniète ouverte, T'pinchcon, dins s'cache a d'ja canté... Vas balotil, pour tes moutards Déroule V haheine, Jusqu'au bout de V laine ; Ouèfe habile et n'fés pos V vantard, On set bin que f s'ras rich,... pus tard! Appliqu't'à bin cueiller V ringée Su' V métier mets-te bin d'apleomh ; Ramass' là ceulv mail' déringée... AiwiV cassé' : feaut feonf les pleombs! Et te n'as pos fini d'tes peines ; Tov'la presque au d'bout de f coreon ; Mets tes échets sur l'étrupeine, Fés des babein's, puis nous verreons! Que cha n' fass' pos peine à mo père. Que V bon Dieu V mette dins s'paradis! (i) Paru dans les Cheonq C.lotiers. n 5, (air d'ant. Clesse.) : mon étau,

U métier, dins V temps éteot prospère : On a gangné bin des radis. Més par les progrès mécaniques, On n'a pos su continuer, Et ch'est dins V poussier' des fabriques Qn'aujord'hui nos jeonn's veont s'tuer! Du passé, V n' feaut pos qu' te t' vantes Tout cha est fini, bin fini! Adieu les sociétés buvantes, Aujord'hui t'ov'la bin puni! Du c' qu'i est V temps que te fseos guince Trois jours intiers, jusqu'au jeudi, Et que te m'neos ein' vrai' vi' d'prince, Pinsant qu' ch'alleot durer tondis! Te n' s'ras béteot pus qu'ein' fierrale, (Des balotils ch'est mi V dernier) Beonne au puque à foute à V mitralle Et qu'on n' vondreot pos d'sns s'guernier. Rien qu' d'y pinser je m' décorache, Més, quand j'irai r'joint' Saint Louis, A coté d'mi, j'demand'rai V placlxe, Et nous cant'réons tout réjouis : Més p'tits anches, mes p'tits moutards Pour fair' les babeines, Tournez l'étrupeine, Douch'mint, donch'mint, n'fait's pos Vvantard; Nous aveons V temps d'êf rich... pus tard! - 33

L'Importance de l'industrie textile à Tournai, a substitué au Balotil un type non moins intéressant : la fille de fabrique. Les petites ouvrières sont jetées à l'usine à l'âge strict où la loi permet de les employer. Ah! il faut gagner son pain bien vite et la filature a toujours besoin de bras. Pendant douze heures elles courent le long de leurs métiers, accoutumées à son bruit assourdissant et à la chaleur malodorante et malsaine des vastes halls où peine une population féminine, qui a pris en singulier dégoût, les lois les plus élémentaires de l'hygiène et de la propreté. La sortie des fabriques jette une étrange animation par les rues qui s'emplissent des jeunes travailleuse s ; elles se bousculent, se heurtent, avides de respirer une bouffée d'air pur et s'en retournent en riant, parlant haut leur patois trivial souvent, se gaussant avec sans-gêne du premier passant venu ou offrant spontanément le 'bras à l'amoureux qui attendait à la sortie. Que de vertus chancelantes, que d'âmes devenues prématurément perverses et combien aussi de petits cœurs déçus et meurtris qui avaient cru à l'amour! Henri Thauvoye a dépeint avec émotion l'un des aspects de la vie de la petite ouvrière. ( 1 ) Bin avant cheonq heur's du matin, Elle est d'sur pieds, cha ch'est certain, Avecque s' manière ell' s'applique, L'fille de fabrique, A nettïer, à tout ringer, (i) La fille de Fabrique, parue dans Sans malice, recueil avec airs notés (Delcourt Vasseur). Ain : Fils de famille. 34

Ch'est ell' qui deot faire à minger, D'soigner V famille elle a V pratique, L'fûT de fabrique! EU' n'a juss' qu'ein pauf châl' sus s'deos, Ein vieux cotreon, des lourds chaheots, EU' claqu' des dints pass' que V vint pique, L'fill' de fabrique, Pou s'rékeauffer V leong de s' kémin Sans s'arrêter ein p'tit momint, EU' queurt de s' maseon qu'à s'boutique, L'fill' de fabrique! Et tout in surveillant s' métier, L' malhureusse a V temps d'busier A s' sort qui n'est pos manifique, L'fill' de fabrique, EU' deot gangner s'pain avant tout, EU' n'a pos d'âg', qu'elle est à bout, EU' s'ra.héteot comme eine éthique L'fill' de fabrique! Més v'ià qu'ein soir ein jeon' garcheon Li pari' d'amour sans pus d'façeon, EU' acout' bin tout c' qu'on esplique L'fill' de fabrique, Comme ell' n'a connu que V malheur, Enfin, pinsant trouver l'bonheur, EU' se deonn' sans boqueop d'réplique L'fill' de fabrique! 35

f Au bout d'six meos, i n'manqueot qu'cha, S' n'amoureux vient de V planter là, EU' sét bin qu' sur ell', cha s' complique, L' fill' de fabrique, Sans savoir à queu saint s'vouer, A s'mopère ell' va s'déneuer Pou s' consoler, elle a de V trique L'fdV de fabrique! A c' t'heure on peut V vir tous les soirs Passer tout rasant les trottoirs, D'ses compann's elle a pus d'ein' pique L'fill' de fabrique, Des Crêch's d'à c' qu'elv rint' sans dir' meot, On l'veot sortir serrant s' marmeot, Di l'imbrassant comme eine erliquc, L'fill' de fabrique! Si c'est lundi, vous rencontrerez sans doute, parmi les travailleurs qui se rendent à l'usine, des ouvriers maçons se reposant des fatigues... de la veille. Bâtisse sans ouvrache, d'ad. Wattiez en est un type. ( 1 ) Batisse-sans-ouv rache Ch'est ein vieux macheon Tout rimpli d'corache Pour boire ein pocheon! Jamés, c' vieux hrav' heomme, Enn' d'à pris assez : (i) Couplets 1 et 3. AIR : Au clair de lune. r- 36

F aval'reot Bapéeaume Avec ses fossés! Pour U s' mette à l'oëffe, F beot ein lampieon Pindant que s' manoëffe Su V ru' fait factieon, Alfeos, pou V deuxième F s'décite acor Et jamés V troisième, N'a su li faire tort! Cela ne doit pas justifier pourtant l'opinion assez généralement émise en AVallonie et suivant laquelle le Tournaisien est un " Wizeu". C'est un préjugé auquel Jules Sottiaux, n'a pas échappé quand il écrivit son Originalité wallonne ; l'ouvrier n'est point chez nous plus paresseux qu'ailleurs. Certes d'humeur joyeuse et luronne, il aime les réjouissances, dépense sans compter, insoucieux du lendemain et oublieux de la veille ; en cela encore il tient beaucoup du caractère français, mais n'empêche qu'il a le cœur à l'ouvrage et qu'il sait travailler. Mais voici que nous rencontrons un homme qui n'a pas une réputation d'ardeur et d'énergie ; il est chargé de cannes à pêche et porte le sac en bandouillière. C'est en effet un " Péqueu " et celui-là, suivant le dicton Tournaisien a bien mérité son épithète : " Péqueu, Wizeu ". A. Prayez a observé avec minutie la journée d'un pêcheur et voici 37

quelques couplets de cette chanson qui compte parmi les plus populaires : ( 1 ) A V piquet? du jour, quand V solêl, Nous a lanché s'prumier couin d'ouêl, T est d'ja prêt avec ses otieux, Péqueu-Wizeu! (bis) /' s'in va tout? léong de V rivière, Tout in ressuïant d'ses paupièr' Les cachif qui coll'tent à ses yeux Péqueu-Wizeu! (bis) Ch' n'est pos ein péqueu d'occasieon S'pèqu' elle a pus d'trois mè? de leong Et a V vir' aussi corageux, Péqueu-Wizeu! (bis) In erwétiant ses instrumints, On n'os'reot pos faire autermint, Que d'dir' : «ch'est bin ein vrai péqueu Ein vrai péqueu, ein vrai wizeu! F est fort bin connu des pisseons Et quand ils l'veot'nt arriver d'leong, I' s' ditt'nt d'jà : «Tins v'ià V soyeux!» Péqueu-Wizeu! (bis) Li n' pourreot pos in dire autant : Malgré qui pèque d'pus dix ans, F n'a jamés pris gu'ein. blanc z'yeux, Péqueu-Wizeu! (bis) Passion des rentiers surtout, car il faut aller (i) Péqueu Wizeu, couplets 1-2-3. In lusotant, op. cit. - 38

loin pour rencontrer un poisson complaisant et abondant, l'escaut souvent boueux ne réservant que des désillusions aux novices maladroits et aux impatients. Mais passion non moins commune, surtout dans la classe ouvrière, que celle des pigeons ; sans avoir rien de caractéristique à Tournai, elle jouit d'une singulière faveur ; les jours de concours des têtes anxieuses apparaissent aux lucarnes des greniers et des groupes de " couleonneux " plantés au milieu de la rue, le nez en l'air, interrogent l'horizon... ( 1 ) F in a qui aim'tent les carnarins, Les pincheons, au bin les térins, Les cardonnettes, les alous, Les moucheons, qu'on prind an pad'lous ; D'eauV qui s'amus'nt à Vvef des queops Qui feont hat'lier à queops d'ergueots, Infin V in a qui s' feont tindeux, Més, mi, f suis cou, f suis couleonneux! M' rèf cha s'reot d'avoir eine grante jrtache Dusqu'i-areot des armoires à glache, Et des cach's pour les mette d'dins, In acagou et in pichpin... Et mi in saquant sus m'touquette J'leus arring'reos leus nichettes, J'vivreos toudis au couin du feu : J's'reos V roi des cou, des couleonneux! (i) V Couleonneux. Ad. Prayez. In lusotant, op. cit. (couplets i et 6). 39

La chanson s'est toutefois montrée généreuse pour ce brave homme de coulonneux, qu'elle aurait pu croquer sous des aspects moins flatteurs : «agoneu», «vanteu», «imbitieu», et par dessus tout «soyeu». Si maintenant vous vous dirigez du côté de la gare, vous ne manquerez pas d'être attiré par nos cochers et nos commissionnaires qui «berlent comme des tchiens», en perpétuel accord et en continuelle dispute. Nos chansonniers et revuistes locaux y trouvèrent toujours l'occasion de scènes très typiques. ( 1 ) Brouttant les malles, les valises Tout's rimplies d'quémisses D' cravates et d'corsets Ou d'sorlers, Séont d'horlog'ries ou couchettes Tout bourré d'cauchettes D'inv'loppes ou d'papiers Leu's pianiers. L' voyageur au boutique d'aunache Rinte dins V maséon Et d'l'éaute côté d'l'étalache Te fés factieon. Li dins V boutique Parle politique Et ta t'attind A V plaèfe, an vint. Pindant qu'is féont leu's honimints Su V rue t'as l'temps d'claquer des dints, (1) Léon Bèg'hiri. L'Commissieonnaire de la gare, couplet 3. Air : «Voyage du Président LouLet en Algérie». Etrennes Tournaisiennes 1910. 40

SiJ'as eine goutte pou'? récauffer Ch'est celle qui pind au bout de f nez. Et v'iù! pourquoi Qu' pou' t'journée d'ouvrache On t'alléonche trois francs Pir qu'à ein sauvache, Vrai ch'est défoutant. No? plaque au bras Chà véant pus qu' chà. Plus loin, vous rencontrerez peut-être l'une ou l'autre figure populaire tournaisienne : «Bâtisse» levant sa canne d'un geste menaçant, «p' tit moneonque», l'ancien marchand d'guernattes, «Napoléon», l'impérial marchand de pétrole. Vous ne serez pas sans apercevoir aussi notre afficheur public, qui fait son métier avec la plus complète philosophie : Après tout, j'sus fier de m'n'ouvrache, Je n' crains perseonne pou V biéeau collache! On m'appelle : Roi des Papenneux! ( 1 ) Mais quel est ce misérable vieillard, l'œil comptant les pavés, le dos courbé sous le poids d'un gros sac? C'est 1' «cacheu d'bacs à z'ordures» (*) Ch'est treos feos par sémain' que j' m'in vas bat? [tout V ville Pour mi cacher dins les tonnieaux, Dins les caiss's et dins les sceaux! 1. Thauvoye. L'Affic.heu, revue : «Cba ch't'ein plan» et Etrennos Tournaisiennes, 190!). 2. Thauvoye. L'Cacheu d'bacs à z' ordures, Couplet 1. Air : «Gardien de la Nature». Revue: Eh! t'es hôte, ta! 41

J'ortourne ave m' crochet, pou trouver cl' z'escar- [hilles, Ein p'tit morcieau d' carbeon ; Dn papier, du carteon ; Et clins mes sacs, J'in fés des tas! Pour mi, ch'est ein vrai jour de ftette, Si f peux cair' sur ein bout cl' maïelte! Cha m'rékeauffra, Quand i gél'ra! L'pauffe in hiver est pris d'froidure! Mif cach' clins les bacs à z'oi^dures. * En remontant la rue de l'hôpital-notre-dame, vos yeux s'arrêteront certainement sur un groupe en bronze, qui semble avoir été abandonné au milieu d'un jardinet informe : c'est le fameux groupe des Aveugles de Charlier, qui a exercé la verve de nos chansonniers. Ad. Waltiez, notamment, a retracé en quelques couplets spirituels la promenade qu'ils ont été condamnés à faire avant de trouver leur emplacement plus ou moins définitif, o D'l'ouvrach' d'ein d'nos grands artisses, Tranquill's comme' Bâtisse, Nous v'neons d'faire l'achat. Tra la la 1 Ch'est ein groupe in esculture, Triste, f vous l'assure, (1) Ad. Wattiez. L'pou7'77iénaie des aveules. Etrennes Tournaisienaes 1909. Couplets 1 et 2. Air: «Voyage du Président Loubet en Algérie». 42

Y a pos d'mal à cha!... Tra la la! Cha nous r' présinte des aveules, Conduits pau bras, Par ein garcheon qui a tout V ceule De a Chocolat». Mes, v'ià l'affaire : C tabléeau d'misère Que V breonz's mit là... Arbi! Arba! Sans espoir d'inauguratiéeon Dins n' caiss' prit l' roule de l'estatiéeon. Et v'ià commint ces malhureux A Tournai sont v'nus tout peneux. Allah! Allah Vous in verrez braire Pus d'ein et pus d'deux In erwaitiant l'aire De ces paufs brimbeux! A peine arrivé dins V ville U colis, bin tranquille, Fut conduit au pas... Tra la la! Puis Z' menuisier d'la Régince Vit' et vit' agince Ein piét'mint d'estra... Tra la la I Api-és cha V caisse est ouverte A queops d'otieux Et tous les gins, queulle alerte! S'écrit't Mô Dieu! Quois's que ces heommes Verts comm' des peommes Et mêm' sans bas. Arbi! Arba! Y sont fet au ciel pou été ainsin 43

Rongés d'misère et d'sésiss'mint? Pour sûr qii'i s'reonl tous dérigés Su Noter-Dame-des-Affligés. Allah! Allah! Puisque les «Aveugles» n'avaient pas eu l'honneur d'une cantate, ils pouvaient bien tenter la plume des chansonniers. Car tous nos autres monuments ont été immortalisés par des chants que plus d'un Tournaisien a encore présents à la mémoire. La statue du grand Gallait, inaugurée le 20 Septembre 1891 : Gloire à toi, sublime maître Digne émule du Titien! f) L'héroïque princesse, entourée d'une auréole de légendes plutôt que d'histoire : Honneur, honneur à l'héroïsme A celle qui du despotisme Déchira le honteux drapeau! D'un noble cœur honorons la mémoire Peuple, chantez ; sonnez beffroi, Gloire, gloire A la Princesse d'epinoy. ( 2 ) Le buste de Le Ray fut érigé le 10 Septembre 1888 et Auguste Mestdag disait dans sa cantate : Amis découvrons-nous devant cette statue, C'est le poète aimé, le barde tournaisien. (1) Paul Delhâye. (2) Adolphe Leray, 1863. 44 -

En 1909. le glorieux père de la chanson faisait pourtant à Mestdag d'amères doléances: (') Qu'est-ce que vous avez pensé, Le jour où vous m'avez placé, Au beau milieu du Becquerelle! Je ne suis pas bien logé là, Haut perché sous mon catalpa, Qu'il fasse chand ou bien qu'il gèle! En 1897, un monument était élevé à la mémoire des Soldats Français tombés sous les murs de Tournai en 1832 : Gloire à la France, à la race capable De tous les fiers desseins, de tous les grands [efforts Gloire aux enfants de ce peuple indomptable! Gloire aux vaillants martyrs, aux forts entre les [forts! O Eu 1899, Noté offrait un buste pour perpétuer la mémoire de J.-B tb Delmée. Honneur, honneur à toi qui protégea les arts, Toi qui du feu sacré avait l'âme enflammée. ( 3 ) Il n'est pas un monument qui n'ait été célébré par la voix populaire ; H. Thauvoye passa en revue les curiosités de Tournai en quelques couplets adroitement troussés : ( 4 ) (\) Mestdag: Doléances de Le Ray; air «son amant». (2) Paulin Brogneau. Musique de Nicolas Daneau. (3) Cantate d'inauguration, Ach.Viart. (Musique d'ed. Waucampt). (1) Revue Hé t'es bète ta! air : Suzon sortait de son village ou le pilote de Tournai. (Couplets 1 et 2)

Tout V meont' dit qiï no ville elle est belle! Ch'est vrai, mi, f vous V dis carrémint, Nos Cheonq Glotiers, ch'est ein' mervelle, On peut d'ett' fièr', assurémint! Les éautt's églisses, Saint-Piat, Saint-Brice, L'Mad'lein', St-Jacqu's, Ste-Magrit', St-Quentin, Saint Jean, si vieille, L' Catieau, Morelle, Et Noter Dam' du fourbout St-Martin, D' puis St-Lazarre au fourbout d'lille, Qiï à St-Antoin', près du Priseon Tout ces clotiers, on a réseon, Cha fet V bieauté d'no ville! (bis) L'étranger qui pass' dins nos rues Est fin sési d'nos monumints, D' no vieux Biefïreo, d'nos estatues, D' i'hopital, des grands Datimints! I veot V façarte, De no Grand' Garte! L' Palès d'justice, 1' Peont des Tréaux et V Gross' [Tour. Tout cha l'éteonne, L'Princ'ress', V Coleonne, Bara, Gallait, du Mortier eont leu tour! D'vir Delmé' dins c' couan si tranquille, Queomme au Becqu'relle Adofî' Leray, I deot dir', en partant d'tournai : Ch'est ein' bell' petit' ville! (bis) 46

Mais le soir tombe peu à peu et enveloppe la ville des premières sombreurs de la nuit. C'est alors que nous voyons passer, allure militaire, balançant avec fierté le " bâton " qui les distingue, nos allumeurs de réverbères ( 1 ) I' in a qui rimplis d'dévoumint, Pour el défins' de la patrie, S'ingag'tent dins ein régimint, Chasseurs à pied ou caval'rie, I'-apprint'nt à manier V fusil, Et el caneon à tir rapite, El' baïonnette et même aussi A faire Vplanteon dins l'guérite. Més nous éaut's, pour tout fournimint, Nous n'avéons jamés dins les mains Que V manch' de brouch' qui nous gouverne ; Vlà V régimint (bis) L'régimint d'aleumeus d'lanternes! La ville lentement s'assoupit ; puis les veilleurs de nuit font leur ronde, peu alléchante sans doute, mais sans danger et sans ennui ; ils peuvent dormir à leur aise, les braves agents sur le compte desquels on a plaisir à dauber, car s'ils rencontrent souvent des retardaires ou «eine binde de braillards» ils ne trouveront jamais d'apaches. ( 2 ) Quand tout V meonf s'indort fin tranquille, I d'à des eautt's qui seont pus malhnreux! (1) Les aleumeux d'lanternes. Prayez. In luzotant. op. cit. Couplet 1. (air : marche des ronds d'cuir) ^ (2) L'agent et V veilleur. H. Thauvoye. Revue : Quoi c' que fin pinses. AIR : Je suis un hon garçon,) 47 -

Ch'est hin sûr les béons agints d'ville Qui faittent patrouue avé les veilleux! Feant les vir serrés dins leu casaque A dix heur's à l'port' du hnréau, Vlà qui partent comme cha, tout d'ein' traque, Qu'i fait mauvais ou qu'a fait bieau! I s'in veont Du mêm' beond Dins l'rinfeond D'ein' maseon! Ch'est (in beon! Ainsi s'endort la Ville, qui laisse tomber ses paupières lassées, comme si elle avait produit un grand effort. Mais demain les cloches se renverront leurs appels, le carillon répétera obstinément les mêmes airs et réconfortera de ses accords les habitants se rendant au travail... - 48

SOUVENIRS QUI S'EN VONT...

Hâtons-noiis, tandis qu'il est temps encore, de fixer ici le souvenir de ces vénérables restes, et saluons-les avec la mélancolie qu'on éprouve à se séparer de ceux que l'âge et la discipline ont voués à une prochaine et fatale disparition. H. Hymans. Les villes d'art célèbres : TOURNAI. Les villes se transforment, cédant au modernisme qui nous étouffe.ce qu'il a été convenu d'appeler : nécessités économiques, a chassé toute préoccupation d'art, de beauté et le bon goût cède sous les impérieux besoins de l'utilitarisme. Nous nous soucions à peine des legs que nous transmet à travers les âges le souvenir d'époques disparues et de combien supérieures à la nôtre! On n'a cure d'entre tenir les intéressants vestiges qui détiennent le secret de notre originalité : ils croulent sous le poids des temps et c'est au prix des plus grands efforts que les admirateurs des vétustés façades arrivent à en sauver quelques unes de la déchéance; sous prétexte d'alignement, les vieux bâtiments se transforment, se résolvent à suivre la mode et se confondent en une même architecture dépourvue de caractère. Les rues elles-mêmes semblent rougir de leur nom de baptême et demandent la rectification de leur état civil. Passe encore quand on leur confie l'honneur de rappeler le souvenir d'un grand ci- 51

toyen, mais c'est parfois aussi pour échanger leur nom patronymique contre une application vulgaire et qui n'implique aucune tradition. Non seulement on ne fait rien pour restituer à nos vieilles façades leur archaïque splendeur, mais les réclames et les pancartes brutalisent et mutilent parfois de la façon la plus indigne des constructions auxquelles nous devrions vouer respect et admiration. C'est le résultat de notre esprit terre à terre et de notre industrialisme intensif. Les ponts tournants qui cadraient si bien avec les vieux quais, les passerelles faisant le gros dos au dessus du fleuve ont été remplacés par des ponts hydrauliques, d'un modernisme exempt de caractère et d'élégance. Le Pont à Pont n'est plus «lui-même» et les lointains souvenirs qu'il évoque ont sombré. Avec nos Ponts tournants sont disparus aussi nos typiques «tourneurs»... Peu à peu aussi ce sont nos remparts qui se sont écroulés sous la pioche des démolisseurs. 0 vieux remparts, ô témoins séculaires De tant d'efforts, de luttes, de combats, Qui protégiez le berceau de nos pères Comme un enfant qu'on serre dans ses bras. Vous avez bien défendu nos ancêtres, Vous avez d'eux écarté bien des coups ; Mais leurs enfants, qui-sont vos noiweauxmaîtres. Vieux serviteurs, n'ont pas besoin de vous! Et vous allez tomber sous la pioche! Il faut, dit-on, en remercier Dieu, 52

Moi, je me sens tout triste à votre approche : Pauvres remparts, je viens vous dire adieu! Ainsi se lamentait Adolphe Le Ray en songeant à la disparition prochaine des remparts an dessus desquels il avait si souvent respiré le soir, «l'air embaumé des fleurs.» ( 1 ) Aujourd'hui que dirait notre barde! Les vestiges des fortifications ont été dynamités sous un prétexte de moralité publique ; les pittoresques monticules de la Citadelle s'affaissent et avec eux disparait l'un des coins les plus ravissants de Notre Cité. Notre soif de nivellement et notre recherche de «terrain à bâtir» tuent tout respect du passé! Je les aimais ces buttes irrégulières et gazonnées qui assistèrent à nos ébats d'enfance. Qui ne se rappelle avec émotion les jeudis de congé passés sur ces monts que nous avions ascensionnés dans tous les sens ; qui n'a pas encore présent à la mémoire le souvenir des «petites guerres», des explorations dans les «mines» lorsque nous jouions au «Capitaine Fantôme». Encore une page que nous tournons avec regret, mais qu' Henri Thauvoye a rappelée dans une jolie chanson. ( 2 ) J'aveos dix ans, ch'est leon, mésj' m'in rappelle, Tous les joédis avé des z'eautt' garcheons, On nous veyeot, tout près du Peont d'morelle, (1) Poésies d'ad. Le Ray, Vasseur-Delmée 1878 (2) AIR : Le Président Loubet dans ses tournées de province. 53

Comm' des vrai's ratt's, queurir dins les Bas- Feonds! ( 1 ) Quand on éteot, à V feos, tout plein d'hédoulle, Pou s'néttier, avant d'rintrer du soir, Vite on fileot pou V Fossé à Guernoulles ( 2 ) ) L'Fossé Chapitt', pa derrièr' l'abattoir l ) Ein eautf jour au leong de V Pétit' Rivière, On s'amuseot à ruwer des cailleaux ; No grand plési ch'teot d'fair' des «père et mère», Et, sus V talus, d'assommer les ratt's d'ieau! A V Port' Marvis pa derrière V Gazerne, On gall'teot mêm' les chasseurs in factieon! Puis après cha, v'ià qu'on jeueot à «l'derne»,) A a Much' caha», tout autour des Bastieons ) Falleot nous vir', partir tertousse insanne, Pau Peont Soyer, poii7' aller à V Chita ; Grimper tout d'ein', sus l'pus mauvaiss' meontane, Et s'fair' glicher d'tout in heaut jusqu'in bas! Quand les gindarm's i nous foutteott'nt à l' suite, Dins les Rimparts, tout V hinte ell' démarreot, Pour ett' tranquille on s'ortrouveot bin vite, ) Près du Couvint, pour vir ouvrer les Seots. ) L'pus bieau du jeu, ch'éteot d'aller dins les Mi- [nes, O On d'veot qu'mincher pa l'ceulle àdouss'tournants; (1) Excavations profondes de 10 à 15 m., situées autrefois près du Pont Morelle. (2) Près du Pont du Viaduc, ainsi que le FosséGhapitte. (3) Mines : Souterrains dans les Remparts et dont quelques-uns passaient sous la ville.

On acateot des kandell's, à a Y Cantine», On avincheot tout douch'mint, tout trannant. Pou n' pos ett' pris, à l'feos, par eine attaque, Les grands, prumiers, aveottent des hateons! Les jeonn's, derrière, in s'tenant pa V casaque, ) M Pour ett' pus hards, canteottent sur tous les teons!) B Et pour rintrer dins l'mine abandonnée, «L' min' du Pindu, on passeot par des treaus! On alleot vir les Saleons, V Plafeonnée I Les ceull's des Roues, du Charriot, des Crapeauds. Quand par bonheur, on n' fézeot pos l'école, On s'ortrouveot, à heonne heur',, du matin! Et qu'au deinner pidoulant dins V tierre molle, ) m On s'intasseot dins «Y Mine d'saint Quintin 1 )~ M Petit' Rivière, et vous Fossé Chapitte, Bastieons, Rimparts, et vous min's de 1' Chita! Vous v'ià tertouss' sur'mint partis trop vite Ch'est ein p'tilpeo de m'jeuness' qui s'in va/ Pus d'ein gardin ven'ra s'mette à vo plache, Tout près des fleurs, on ara des bieaux bancs! J'm'assirai d'sus quand f s'rai cassé par fâche ) M In m' rapp'lant V temps du c' que j'éteos infant! ) «55

Mais puisque la Ville s'assainit et s'embellit, diton, acceptons avec philosophie la disparition lente des vieux souvenirs et laissons aux chansonniers le soin et la tâche de les évoquer dans leurs poésies populaires... A 56

DU BERCEA U A L'HOSPICE

J

Dans la " cité " où s'entassent les ménages ouvriers,grouillent les enfants de tout âge, au milieu parfois d'une affreuse promiscuité, et puisant dans la rue les éléments de leur éducation première. Le père est au travail, la mère à l'usine on " en journée " ; la fille aînée soigne le ménage et veille sur la nombreuse nichée. Le nouveau-né est à la Crèche, cette généreuse et bienfaisante nourricière qui offre ses intarissables mamelles aux petits que la mère ne peut élever. Le soir, la maman s'empresse d'aller rechercher son petiot, elle est heureuse de pouvoir enfin le serrer dans ses bras ; car s'il faut qu'aux douleurs et aux fatigues de la maternité elle ajoute celles de la fabrique, c'est pour accroître le salaire de l'époux qui ne gagne pas assez ou qui boit trop... Elle n'en est pas moins mère pourtant et avec joie, oublieuse des tracas qui l'épuisent, elle presse son enfant sur son sein, tandis que lui innocemment s'endort : ( 1 ) (i) Cancheon dormoire. Ad. Wattiez, (couplets 1-2). Recuoil A. Crombé op. cit. AIR : Dors mon p'tit quinquin, Desrousseaux. - 59

Sur l'air d'eine heonne vieille cancheon dormoire, Manière, à p'tits pas dodeine l'infant ; L'péiit hienhureux réclame à hoire In criant tell'mint qu'i n' deonne pos V temps Qu'on li prépare l'affaire Pour l'apat'ler, li n' pus braire ; I s'forck à grands cris Pindant que s' mamère elle li dit : Dors, va m'petit fieu, Ferme tes yeux, Tes p'tits yeux bleus ; V mamère a b'soin d'temps, Dors bin vite, va l'infant! Si te veux fair' plaisir à V mamère, A serrer tes yeux f vas t'dépêcher ; J' deos préparer V deîner de t' mopère, Je n' veux pos, l'infant, m' mette à t'hercher. J'vas t'préparer eine beonne tute Comme cha t'dormiras n' minute, Puis, inter tes draps, Douch'mint f te r'mettrai, p'tit casse-bras! Mais parfois le sommeil se refuse à lui fermer les paupières et comme la maman doit apprêter le souper, c'est grand' mère qui, tout en balançant la couche d'osier fredonne une chanson. ( 1 ) Dins vo' berche d'osièr' Pindant qu'on vous dorloche, Serrez bin vos paupièr', (i) Berchoire (couplet 1). Prayez. In Lusotant. op. cit. 60

Nouèf heur' seonn' à l'horloche, Grand' mère va vous canter L'histoir' du P'tit Poucet, Fés dodeo, M' n' orculeot. Pourtant, quelle misère attend ceux qui, faute de soins ou victimes de la nature, ont poussé chétifs, malingres, estropiés ou simplots : malheureux assujettis à la charité publique, objets de ridicule et de dédain plus souvent que de commisération et de pitié, éternels souffre-douleurs des bien-nés et des bien-portants. Ils ont tenté la verve de notre chansonnier Ad. Prayez qui a mis dans ses couplets une émotion poignante. ( 1 ) Es' mopère ein soir in goguette, L'a fet sans trop savoir comint, Et d'puis s' néssanc' jusqu'à Mulette, P'tit Rotleot suit ein dur quémin! Vivant d'ameône et d'hienfésance, Minable, souffrant V faim et V freod, F mène eine bin triste existence L'Petit Rotleot. P'tit Rotleot, ch'est V petit mioche Rocheux, maldoché, malfoutu, Innochint a grosse caboche, Qui-a l'air d'aller sans savoir du... Tièt's félé's qui n'ont pos eu V queompte, Cobin c' qu'i-in a d'ces p'tits marleots, Qui-areot' aimé n' pos v'nir au meonte, D'ces P'tits Rotleots. (1) P'tits Rot'leots. (In lusolant). AIR : Qu'avez-vous fait (P. Delmet). - 61