LES ASSURANCES SOCIALES CONDITIONS QUE DOIT REMPLIR UNE RÉGLEMENTATION COMMUNE A TOUTE LA FRANCE PAR M. LE COLONEL DE VILLE, MEMBRE TITULAIRE. Parmi les nombreuses questions que soulève la réintégration dans l'unité française des trois départements de la Moselle et du Rhin, une des plus délicates, sinon des plus importantes, est celle de la réglementation des Assurances sociales. Certes, l'alsace et la Lorraine ont le droit de s'enorgueillir, sinon des détails, tout au moins des principes d'une législation qui a été édictée à partir de 4883, puis codifiée en 4944 par l'empire allemand, mais dont elles avaient bien avant 4883, et même avant 4870, surtout dans le Haut-Rhin, jeté les premières bases et fait les premières applications. Leur prétention d'en conserver le bénéfice est assez justifiée pour que les pouvoirs publics se soient préoccupés d'étendre à toute la France les dispositions qui régissent actuellement les Assurances sociales dans nos trois départements. Un premier projet de loi a, en conséquence, été présenté à la Chambre des Députés, au mois de mai 4924 (Projet Daniel Vincent). Ce projet ne fut pas très favorablement accueilli ; trop théorique,
134 LES ASSURANCES SOCIALES trop touffu et trop étatiste, il parut avoir été conçu en s'inspirant surtout, sinon uniquement, de la loi d'empire de 4941, sans se préoccuper des difficultés d'application et sans tenir compte de tout ce que la prévoyance sociale française, publique ou privée, avait depuis longtemps réalisé. Au point de vue pratique, c'était une erreur. Lorsqu'on veut étudier une question d'ordre général et d'une certaine ampleur, il est indispensable de regarder haut et loin, pour que se précise nettement le but à atteindre, et la direction qu'il ne faudra pas perdre, en tenant compte du terrain à parcourir. Le but final vers lequel le législateur doit tendre est incontestablement de préparer une réglementation des assurances sociales, intégrale et homogène annulant et remplaçant les lois et règlements actuellement en vigueur, tant dans les trois départements de la Moselle et du Rhin, que dans les autres départements français. Finalement, il s'agit «d'accorder» deux régions de mentalités et d'habitudes momentanément différentes. Pour obtenir un pareil résultat, il est nécessaire de consacrer les principes et les détails qui sont déjà communs et de faire, pour le surplus, l'examen approfondi de ce que chacune de ces régions possède de bon et de pratique, en n'imposant des abandons à chacune d'elles, que lorsque ceux-ci se justifieront par l'utilité évidente d'adopter le mieux, rencontré chez l'autre.. RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS Au point de vue du fond, il y a intérêt à étendre à toute la France, sinon la totalité, du moins la majeure partie des principes sur lesquels est basé
LES ASSURANCES SOCIALES 135 le Code des Assurances sociales de 1911 ; et il sera avantageux de faire de nombreux emprunts à sa réglementation détaillée. Mais pour rendre ces emprunts acceptables par la mentalité française, il conviendra de les présenter sous une forme moins rigide et moins compliquée et d'adoucir le caractère brutalement impératif ou prohibitif des prescriptions allemandes. D'autre part, il ne faut pas perdre de vue que la mentalité allemande, par laquelle certains éléments alsaciens et même lorrains restent encore influencés aujourd'hui, n'est pas aussi apte à changer instantanément d'habitudes invétérées que la mentalité française, laquelle, par contre, a parfois des partis-pris auxquels elle renonce difficilement. Ces éléments ne se plieront pas brusquement à une réglementation trop différente, au fond ou par la forme^ de celle qu'ils pratiquent de longtemps et dont ils estiment les avantages assez grands, pour prétendre imposer leur loi de 1911 au reste de la France. En fait, la loi commune pourra imposer des devoirs nouveaux aux institutions d'assurances, mais elle évitera d'accroître sensiblement leurs charges. Au point de vue des assurés, la loi nouvelle mettra à leur disposition, d'une part une juridiction et des organes de surveillance et, d'autre part, des organismes d'assurances, dans l'impartialité ou dans la gestion desquels ils pourront avoir toute confiance, parce qu'ils s'y sauront représentés par leurs propres délégués, et dont les frais d'administration seront réduits au minimum, pour laisser le plus possible aux malades, retraités ou accidentés.
136 LES ASSURANCES SOCIALES Au point de vue de l'intérêt de l'etat, la loi commune devra éviter de créer une légion de fonctionnaires spéciaux, alors qu'il est reconnu nécessaire de licencier un grand nombre des fonctionnaires existant actuellement; et, par contre, chercher à utiliser, au mieux de leurs aptitudes, les agents des institutions et des autorités d'assurances qui fonctionnent actuellement dans notre région, en les rattachant à des organismes de gestion, judiciaires ou de surveillance administrative agissant suivant le mode français. Tout en consacrant des principes et des détails, nouveaux pour les uns et pour les autres, elle s'attachera à éviter les heurts et les oppositions irréductibles, en édictant des dispositions permettant de n'arriver que par étapes à l'application intégrale, dans un délai plus ou moins long. Au point de vue de la forme, il faudra que la loi nouvelle, suivant l'habitude française dont ou ne trouve pas l'équivalent dans la réglementation allemande, trop touffue et trop schématique, définisse, avec précision sans doute, les principes et les règles de l'assurance, mais en laissant le soin de fixer les détails (sans force de loi) à des règlements d'administration publique ou à des instructions ministérielles, susceptibles d'être modifiés, après expérience d'application, sans qu'il soit besoin de faire chaque fois intervenir Je législateur. Ce ne serait pas ici la place de l'étude comparative et détaillée que la question demanderait pour être complètement traitée. Nous nous bornerons à formuler le vœu que la loi nouvelle et ses instructions complémentaires, qui s'inspireront forcément du Code de 1911, ne
LES ASSURANCES SOCIALES 437 restent pas influencées par les procédés et la méthode du législateur allemand, qui se bornait à imposer à ses agents d'exécution, réduits à un rôle souvent brutal et même policier, des schémas à appliquer dans chacun des cas qu'il a pu envisager, sans naturellement être arrivé à les prévoir tous. La clarté, la logique... et aussi la loyauté françaises remplaceront avantageusement dans la réglementation future des assurances sociales, tant pour la gestion et la procédure, que pour l'administration et la comptabilisation, le rigorisme et l'obscurité voulue, complice souvent de la mauvaise foi, que l'orgueilleux génie allemand se plaît à introduire dans presque tout ce qu'il réalise ou réglemente, au point de vue matériel comme au point de vue intellectuel et philosophique.