Jean Cabin-Maley LA NUIT DU CORBILLARD (et autres nouvelles fantastiques) 2
Du même auteur : Le secret de Batistin La Crosse à l envers 2
A mes lecteurs En toute sympathie 2 3
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Chapitre I Une représentation diabolique En ce début de matinée du mois de novembre, le ciel de Clavanec, petit village à la pointe de la Bretagne, était couvert de gros nuages chargés de pluie et à la couleur de plomb. Ils étaient si bas qu ils semblaient s appuyer sur le toit du couvent Sainte-Marie. La bâtisse de grande dimension s élevait sur trois étages. Elle était posée dans un pré où, de la porte d entrée, un chemin de pierres s allongeait pendant cent mètres pour aborder une route sablonneuse qui conduisait au village situé à moins de trois kilomètres de là. Des fenêtres du bas de la façade du couvent s élevait un chant religieux Je crois en toi, Seigneur, interprété a capela par des voix féminines. Dans la galerie à colonnes qui encadrait le jardin, douze religieuses de noir vêtues avançaient lentement en chantant vers la chapelle. Parmi ces chrétiennes se trouvait une jeune fille brune 2 5
aux cheveux longs. Elle ressemblait à une héroïne de conte romantique, habillée comme une novice bien qu elle ne le soit pas. Âgée d une vingtaine d années, elle vivait dans ce couvent depuis son enfance. Faustine (c était son prénom) était née en Savoie entre Thonon et Cluses dans un chalet en bas d une vallée entourée de montagnes. Son père, Emile Capelier était bucheron de son état. Son épouse Augustine, couturière, passait ses journées à piquer à la machine. Dans ce minuscule village, un groupe de comédiens amateurs composé de quelques commerçants interprétait une fois par mois un spectacle à la mairie, certains artistes en herbe avaient des voix de ténor et soprano. Aussi, parfois, ils montaient des spectacles d opérettes, La fille de Madame Angot, Mademoiselle Nitouche et autres classiques du genre. Madame Capelier, grâce à son savoir et à sa machine à coudre, aidait comme elle le pouvait à l élaboration des costumes de scène. Elle passait parfois des nuits à coudre, heureuse de donner une touche personnelle à une robe ou un boléro. Son mari quittait le domicile tôt le matin pour se rendre dans la forêt où, avec une équipe et à l aide de scies, il coupait les arbres et transformait les troncs en toises. La troupe théâtrale amateur s apprêtait à donner une représentation sur les planches de la salle des fêtes de la mairie. Le couple Capelier assistait à toutes les représentations. Cette fois, le groupe, grâce à ses nombreuses chanteuses et chanteurs à voix, interprétait 26
une version de Faust dont le personnage central était le diable. Cette représentation enthousiasma le couple Capelier, encore davantage car, sur scène, un avocat, directeur de la troupe, remercia Augustine pour sa participation à la création des magnifiques costumes qui avaient habillé les interprètes. En souvenir de cette belle matinée de dimanche et de la représentation de Faust, ils appelèrent leur fille Faustine. La deuxième guerre mondiale débuta peu après. Emile fût appelé et combattit dans l artillerie. Faustine grandit alors que son père ne put la voir que trois fois lors de ses courtes permissions. Dans son premier âge, Faustine fût élevée par Augustine. La meilleure amie de celle-ci, Sœur Louise, était une jeune religieuse qui venait juste de prêter serment. Ensemble, elles s occupèrent de l éducation de l enfant. Après l armistice de 1945, Emile, prisonnier en Allemagne revint au village et fut surpris que la fillette revête un visage d une grande pâleur. Il lui donna un surnom, ne l appelant plus Faustine mais Edelweiss, comme la fleur aux pétales blancs qui naît aux cimes des montagnes. Emile reprit son travail de bûcheron, ce qui lui faisait le plus grand bien après ces années de guerre, de bruits, de désordre et de cadavres étalés sur les plaines. La vie reprenait son cours, tranquillement, paisiblement. Mais une fin de journée, alors qu il se trouvait dans la clairière d un bois, un orage d une grande violence parsema le ciel d éclairs suivis de virulents grondements de tonnerre. La pluie tombait à seau. 2 7