La recherche d informations sur le Web par les lycéens : Pourquoi et comment faciliter le travail collaboratif? Jérôme Dinet* & Michèle Archambault** *Université Paul Verlaine Metz Equipe Transdisciplinaire sur l Interaction et la Cognition (ETIC) Ile du Saulcy BP 30309 57006 Metz Cedex [dinet@univ-metz.fr] **Lycée polyvalent Marguerite Yourcenar Rue Victor Schoelcher 67152 Erstein [m.archambault@voila.f] Mots clés. Recherche d information, Travail collaboratif, Environnement numérique. 1. Introduction Sous l impulsion des volontés institutionnelles qui demandent à développer les activités documentaires collaboratives et sous l effet conjugué de contraintes spatiales, temporelles et matérielles (e.g., manque d ordinateur, insuffisance des créneaux horaires, classes nombreuses), les recherches d information collaboratives sur le Web sont en plein essor. Les activités de recherche d informations informatisée menées par des groupes d élèves ne sont pas apparues avec l informatique et les nouvelles technologies (pour une revue de synthèse : Hansen & Järvelin, 2005 ; pour une typologie des situations collaboratives de recherche d informations : Twidale & Nichols, 1998). Mais, ces nouvelles technologies ont accéléré le développement de telles activités. 1
Parallèlement aux outils informatiques «conventionnels» qui peuvent faciliter la recherche collaborative d informations sur le Web (courrier électronique, listes de diffusion, newsgroups, etc.), des outils spécifiques ont été développés afin de faciliter d une part, la construction d une représentation partagée de la tâche («workspace awareness») et d autre part, l élaboration d une représentation quant aux comportements des autres membres du groupe («situation awareness»). En effet, connaître les autres et leurs comportements sont deux conditions nécessaires pour qu une situation collaborative soit efficace (Adams, Tenney, & Pew, 1995 ; Gilson, 1995 ; Gutwin & Greenberg, 1997 ; You & Pekkola, 2001). Globalement, ces dispositifs informatiques spécifiques engendrent plusieurs avantages (e.g., Kehoe et al., 2004 ; Lipponen et al., in press) : (a) diminution du temps total nécessaire à la recherche d informations ; (b) augmentation du volume des informations traitées et lues ; (c) meilleure organisation des informations ; (d) diminution du nombre de pages Web re-visitées, d où un gain de temps 1. L un de ces dispositifs informatiques a été créé par Diamadis & Polyzos (2004). Une première version française a déjà été pré-testée avec un petit groupe d étudiants en France (Dinet, 2005). Le lecteur pourra se reporter à ces articles pour avoir le descriptif complet de l architecture logicielle. Cet outil est censé aider des utilisateurs appartenant à un même groupe de «chercheurs d informations» à localiser et sélectionner efficacement et rapidement des pages Web pertinentes par rapport à des thèmes prédéfinis. Cet outil, qui prend la forme d une fenêtre supplémentaire située au-dessus du navigateur, offre simplement un certain nombre d informations relatives à la consultation antérieure (si consultation il y a eu) de la page Web affichée dans le navigateur située au-dessous. La Figure 1 présente une copie d écran de la première version créée par Diamadis et Polyzos (2004), la nouvelle version française étant en phase de dépôt de brevet. Très concrètement, cette fenêtre supplémentaire indique à chaque utilisateur d un même groupe recherchant, simultanément ou non, des pages Web : le nom du groupe auquel il appartient ; les noms des autres membres du groupe ; le nom du membre de son groupe qui a déjà visité cette page Web, si première visite il y a eu ; la date de cette précédente visite ; l évaluation qu a faite le dernier visiteur de cette page, cette évaluation ayant été opérée en déplaçant un curseur de 0 («pas du tout pertinente») à 10 («très pertinente»). C est la première fois qu un échantillon important de jeunes utilisateurs (lycéens) teste cet outil. 1 Certaines études montrent que ce taux de re-visites peut atteindre 92%! 2
Figure 1. Copie d écran de la version créée par Diamadis & Polyzos (2004) 2. Méthode 2.1. Participants 84 lycéens scolarisés en Première scientifique (âge moyen = 16.5 ans) issus de deux lycées d enseignements généraux situés en zone rurale ont participé à cette expérience. 21 groupes de 4 élèves ont été constitués sur la base des choix personnels des élèves. 2.2. Tâche et procédure Chacun de ces 21 groupes de 4 lycéens devaient rechercher des pages Web pertinentes par rapport à deux thèmes prédéfinis : les piles à combustibles et la relativité restreinte. Onze des 21 groupes devaient réaliser ces 2 recherches avec les matériels et dispositifs habituels (condition «sans indication») tandis que les dix autres groupes devaient réaliser la même tâche en utilisant le dispositif informatique décrit ci-dessus (condition «avec indication»). Ces 10 groupes avaient reçu une formation durant une heure concernant l utilisation de cet outil. 3
2.3. Indicateurs comportementaux 12 ème JETCSIC, Paris, 30 juin 2006 Quatre variables dépendantes ont été mesurées : (a) le nombre de pages Web visitées par chaque lycéen et chaque groupe 2 ; (b) le nombre de pages Web retenues (donc jugées pertinentes) par chaque groupe ; (c) le temps mis par chaque lycéen et chaque groupe pour effectuer les deux recherches (en minutes) ; (d) le pourcentage de pages Web re-visitées par chaque élève et chaque groupe. 3. Résultats et implications Les résultats montrent que les indications sur les pages Web précédemment visitées par les autres membres du groupe (i.e., avec l utilisation du dispositif) n ont eu aucun impact sur le nombre de pages Web visitées (Figure 2 : F (1-82) =.337, p=.563), le nombre de pages Web retenues (Figure 3 : F (1-82) =.94, p=.335) et le temps mis par les lycéens pour réaliser la tâche (Figure 4 : F (1-82) =.146, p=.703). Ces résultats sont contraires à ceux obtenus avec des usagers plus âgés, étudiants et adultes (Diamadis & Polyzos, 2004 ; Dinet, 2005 ; Kehoe et al., 2004). 18,5 18,0 17,5 17,0 16,5 Nombre de pages Web consultées 16,0 15,5 15,0 14,5 14,0 13,5 13,0 Avec Sans Les piles à combustibles La relativité restreinte Figure 2. Nombre de pages Web visitées, avec et sans l utilisation du dispositif 2 Ont été considérées comme visitées et donc comme consultées toutes les pages Web ayant été affichées au moins pendant 5 secondes à l écran. 4
10,0 9,5 9,0 Nombre de pages Web retenues 8,5 8,0 7,5 7,0 6,5 6,0 5,5 5,0 Av ec Sans Les piles à combustibles La relativité restreinte Figure 3. Nombre de pages Web retenues, avec et sans l utilisation du dispositif 5
36 35 34 33 32 31 Temps 30 29 28 27 26 25 24 Avec Sans Les piles à combustibles La relativ ité restreinte Figure 4. Temps mis pour réaliser la tâche, avec et sans l utilisation du dispositif En revanche, et conformément à des résultats d études antérieures (Diamadis & Polyzos, 2004 ; Dinet, 2005), ces indications sur les pages Web déjà visitées ont eu un impact significatif sur le pourcentage des re-visites (Figure 5) : ce pourcentage diminue significativement lorsque les utilisateurs utilisent le dispositif fournissant les indications quant aux jugements émis par les autres membres du groupe (condition «sans indication» = 52,29% ; condition «avec indication» = 21,23% ; F (1-82) =5.07, p=.027), quel que soit le thème. En connaissant les pages Web déjà visitées par un membre de son groupe et en connaissant l avis qu il a émis par rapport à cette page (de «pas du tout pertinente» à «très pertinente»), un lycéen peut ainsi consacrer plus de temps à l examen d autres pages Web, réduisant ainsi le nombre de re-visites «inutiles». Notre étude montre donc que la sélection de pages Web lors d un travail collaboratif réalisé par des lycéens peut être aidée grâce à un dispositif technique relativement simple, ce dispositif fournissant seulement quelques indications relatives aux jugements de pertinence émis par les autres membres du groupe. 6
70 65 60 55 50 Pourcentage de pages re-visitées 45 40 35 30 25 20 15 10 Avec Sans Les piles à combustibles La relativ ité restreinte Figure 5. Nombre de sites Web revisités, avec et sans l utilisation du dispositif Références bibliographiques Adams, M., Tenney, Y., Pew, R. (1995). Situation awareness and the cognitive management of complex systems. Human Factors, 37(1), 85-104. Diamadis, E.T., Polyzos, G.C. (2004). Efficient cooperative searching on the Web : system design and evaluation. International Journal of Human-Computer Studies, 61, 699-724. Dinet, J. (2005). La sélection collaborative de pages Web pertinentes. In P. Tchounikine, M. Joab & L. Trouche (Eds.), Actes de la conférence EIAH 2005 (p.347-352). Montpellier, 25, 26 et 27 mai 2005. INRP, ATIEF. [http://archiveseiah.univ-lemans.fr]. Gilson, R.D. (1995). Introduction to the special issues of situation awareness. Human Factors, 37(1), 3-4. Gutwin, C., Greenberg, S. (1997). Workspace awareness. Position paper for the ACM CHI 97 Workshop on Awareness in Collaborative Systems. Atlanta, Georgia. Hansen, P., Järvelin K. (2005). Collaborative Information Retrieval in an information intensive domain. Information Processing & Management, 45, 1101-1119. Kehoe, C., Pitkow, J., Sutton, K., Aggarwal, G., Rogers, J.D. (2004). GVU s tenth WWW user survey. référence en-ligne, consultée le 16 décembre 2004, [http://www.gvu.gatech.edu/user_surveys/survey-1998-10/]. Lipponen, L., Rahikainen, M., Hakkarainen, K., Palonen, T. (in press.). Effective participation and discourse through a computer network : investigating elementary students computer-supported interaction. Journal of Educational Computing Research. 7
Twidale, M., Nichols, D. (1998). Designing interfaces to support collaboration in information retrieval. Interacting with Computers, 10, 177-193. You, Y., Pekkola, S. (2001). Meeting others supporting situation awareness on the WWW. Decision Support Systems, 32, 71-82. 8