Rétrospective météo février 2012 et hiver 2011-2012 Jean-Michel Fallot, 5 mars 2012 Après des mois de décembre et de janvier trop doux et humides grâce à l air atlantique amené par une circulation d Ouest bien établie, cette dernière s est considérablement affaiblie au début du mois de février. Le puissant anticyclone qui recouvrait la Russie avec des valeurs jusqu à 1060 hpa en a profité pour s étendre vers l Ouest et recouvrir la moitié Nord de l Europe. Il a dirigé un afflux d air polaire continental glacial sur son flanc Sud de la Russie à l Europe occidentale en passant par les Alpes. L Europe orientale a subi un froid extrême et l Europe du Sud des chutes de neige exceptionnelles. Cette situation a duré pendant 14 jours du 1 au 14 février 2012 et a provoqué la vague de froid la plus intense depuis 27 ans en Suisse (janvier 1985). Les températures sont descendues jusqu à -35 C à Samedan St Moritz, -34 C à Ulrichen, - 32 C à Buffalora près de l Ofenpass (GR), 30 C à La Brévine, -23 C sur le Plateau alémanique à Taenikon près de Frauenfeld (TG), -19 à 20 C à Bâle, Zurich, Berne et Fribourg et -18 C dans le Sud du Tessin à Stabio près de Chiasso, soit des valeurs plus basses que sur le Plateau romand et la vallée du Rhône dans le Valais central (-12 à -18 C). Les températures moyennes journalières sont restées comprises entre -9 et -10 C du 1 er au 14 février sur le Plateau alémanique, entre -6 et -9 C sur le Plateau romand. La première quinzaine de février 2012 (du 1 au 14) mesurée à Zurich (-9.9 C) fait partie des 10 quinzaines les plus froides mesurées depuis 1864. La première quinzaine de février 2012 enregistrée Neuchâtel (-7.8 C) correspond à la 11 ème quinzaine la plus froide depuis le début des mesures. Les quinzaines les plus froides depuis 1864 ont été mesurées en janvier 1985 à Zurich (-11.8 C) et en décembre 1879 à Neuchâtel (-10.6 C). Si on excepte celle de décembre 1879, les 15 plus grandes vagues de froid sont survenues en janvier ou en février. Les vagues de froid les plus extrêmes et les plus longues se sont produites en 1929, 1956 et 1963. Elles tendent à se raréfier durant le 20 ème siècle avec le réchauffement du climat (cf. figures 1 et 2). Celle de janvier 1987 a été plus intense que celle de février 2012, mais plus courte avec des températures minimales de -41.8 C à La Brévine le 12 janvier 1987, ce qui constitue encore le record de froid absolu mesuré en Suisse par une station de MétéoSuisse, et de -30 C sur le plateau alémanique à Taenikon. Lors de la vague de froid de janvier 1985 qui avait une longueur comparable à celle de février 2012 tout en étant un peu plus intense, les températures minimales étaient descendues jusqu à -41.5 C à La Brévine et -37 C à Samedan - St Moritz. La bise a également soufflé modérément à fortement sur le Plateau et le Jura avec des rafales jusqu à 88 km/h à Nyon durant la vague de froid de février 2012, renforçant encore la sensation de froid déjà extrême. Elle a également provoqué de magnifique paysages polaires sur les rives du lac Léman dans la région genevoise très exposée à ce vent glacial consécutivement aux vagues et aux embruns qui gelaient immédiatement en retombant sur les sols gelés. Certaines images de voitures ou de quais englacés ont fait le tour du monde. Cette bise modérée a aussi empêché une accumulation d air froid plus importante dans certains vallons jurassiens comme La Brévine où la température minimale n est descendue qu à -30 C en février 2012. -1-
Figure 1 : Températures moyennes les plus froides durant des périodes de 14 jours mesurées à Zurich et Neuchâtel depuis 1864 Figure 2 : Comparaison de l intensité et de la durée des principales vagues de froid mesurées à Neuchâtel depuis 1900-2-
Dès la mi-février, l air polaire continental de Russie a été remplacé par un air polaire maritime moins froid, mais plus humide venant de la Mer de Norvège. Puis l anticyclone des Açores s est étendu du golfe de Gascogne jusqu aux Alpes en amenant un air tropical très doux surtout en montagne et au Sud des Alpes qui a bénéficié d un effet de foehn du Nord. Les températures maximales ont ainsi grimpé jusqu à 24.5 C à Locarno-Monti et Comprovasco dans le Val Blenio à 575 m/mer et 19.9 C à Poschiavo à 1000 m/mer le 29 février 2012. Il s agit d un nouveau record de chaleur pour un mois de février depuis 1935 à Locarno-Monti (précédent record 23.3 C le 25 février 2012 et 22.0 C le 9 février 1948) et pour les 2 autres stations plus récentes. L isotherme 0 C a grimpé au-dessus de 3600 m ce jour-là avec +0.8 C au Jungfraujoch à 3576 m/mer. Avec ce contraste entre l air polaire continental glacial au début du mois et l air tropical chaud à la fin du mois de février 2012, ce dernier s est caractérisé par une amplitude thermique remarquable atteignant jusqu à 40 C dans les vallées alpines et jurassiennes les plus exposées aux accumulations d air froid et même 45 C à Ulrichen dans la vallée de Conches où on a mesuré une température minimale de -34 C et maximale de +11 C durant ce mois! Si on fait un bilan mensuel, le mois de février 2012 s est soldé par un déficit thermique moyen global d environ -4 C par rapport à la normale 1961-1990, ce qui équivaut à un des 10 mois de février les plus froids depuis 1864 à l échelle suisse. Ce déficit thermique est plus important au Nord des Alpes à basse et moyenne altitude (-4.5 à -6 C) qu au Sud des Alpes (- 1.3 à -2.3 C) moins touché par la vague de froid de la 1 ère quinzaine du mois. Autre particularité totalement éclipsée par cette vague de froid, l extrême sécheresse de ce mois. Après novembre 2011 où aucune précipitation n était tombée dans le centre et l est du pays, rebelote en février 2012 dans quelques endroits de Suisse, en particulier dans le Valais central avec 0 mm à Sion et Viège. Sur le Plateau et dans le Jura, il est tombé entre 0 et 35% de la normale 1961-1990, avec notamment 0.1 mm à Morges, 0.4 mm à Genève et 0.5 mm à Payerne. Les précipitations ont atteint entre 20 et 50% de cette normale sur le versant Nord des Alpes, voire 80% dans le Nord des Grisons, alors qu elles sont restées très faibles en Valais, en Engadine et au Sud des Alpes avec souvent moins de 20% de la normale. La sécheresse pourrait à nouveau faire parler d elle ce printemps, notamment en Suisse romande et au Tessin, malgré l épaisse couche de neige recouvrant encore les Alpes. Le déficit pluviométrique atteint déjà 40 à 50% en plusieurs endroits de Suisse romande sur le Plateau et en Valais pour les mois de janvier et février 2010. Il fait suite à des années 2010 et 2011 déjà trop sèches. Conséquence de cette sécheresse, le mois de février 2012 a été très ensoleillé avec 90 à 170% de la normale 1961-1990, voire même plus de 200% de la norme sur le bassin lémanique. Les mois de décembre 2011 et de janvier 2012 se sont caractérisés par une circulation d Ouest bien établie qui a amené de l air doux et océanique depuis l Atlantique avec de nombreuses précipitations au Nord et dans les Alpes qui sont tombées sous forme de neige en altitude. La couche de neige atteignait ainsi une épaisseur de 2 à 4 m au-dessus de 1 800 à 2 000 m/mer (jusqu à 5.33 m au Saentis) au Nord des Alpes, en Valais et dans le Nord des Grisons, soit de 1.5 à 3 fois l épaisseur normale pour une fin janvier. Par contre, la couche neigeuse n atteignait qu une épaisseur de 1 à 2 m, soit 80 à 120% de la normale pour une fin janvier, au Sud des Alpes et en Engadine vers 2000 m/mer qui ont bénéficié de fréquents effets de foehn avec ces afflux d air océanique d Ouest à Nord-Ouest. -3-
Plusieurs tempêtes d Ouest se sont succédé en décembre et janvier, en particulier Joachim le 16 décembre 2011 et Andrea le 5 janvier 2012 qui ont généré des rafales de 80 à 130 km/h sur le Plateau et de 150 à 185 km/h sur les reliefs jurassiens et alpins (et 143 km/h à Ruenenberg à 600 m/mer dans le Jura bâlois). Ces 2 premiers mois de l hiver 2011-2012 se sont ainsi caractérisés par un gain thermique de 2 à 3.5 C par rapport à la normale 1961-1990 et un excédent pluviométrique important (150 à 300% de la norme) au Nord des Alpes, en Valais et dans le Nord des Grisons consécutivement aux nombreuses situations de barrages engendrées par les afflux d air humide d Ouest à Nord-Ouest. A l inverse, le Sud des Alpes a bénéficié de fréquents effets de du Nord dans ce genre de situation et connu un déficit pluviométrique important durant ces 2 mois (10 à 25% de la norme en décembre et 50 à 80% de la norme en janvier 2012). L ensoleillement est resté largement déficitaire dans le Jura et les Alpes durant ces 2 mois (40 à 75% de la norme en décembre 2011 et 70 à 90% de la norme en janvier 2012). Il est resté proche de la normale en décembre et excédentaire en janvier 2012 sur le Plateau et au Sud du Tessin à cause de la rareté du stratus lors des situations anticycloniques rencontrées durant ces 2 mois sur le Plateau et du foehn du Nord au Tessin. Comme mentionné plus haut, la circulation d Ouest s est considérablement affaiblie en février 2012, ce qui a permis à l anticyclone de Russie puis à celui des Açores de dicter le temps durant ce mois avec des contrastes thermiques considérables. Si on fait un bilan de l hiver 2011-2012, il a été tout a fait normal au niveau des températures moyennes. La vague de froid intense de la 1 ère quinzaine de février a été compensée par la fin de ce mois printanière et les 2 autres mois de l hiver trop doux. Un bel exemple où les températures moyennes saisonnières ne reflètent guère les conditions extrêmes rencontrées durant une saison. Il suffit de remonter 2 ans en arrière à l hiver 2009-2010 pour retrouver des températures globalement plus froides en Suisse (cf. figure 3). L hiver 2011-2012 a même été 1 C plus chaud que la normale 1961-1990 à basse altitude au Nord des Alpes (si, si!), mais plus froid que la norme (-0.5 à -1.5 C) en moyenne et haute montagne. Grâce aux 2 premiers mois bien arrosés et malgré un mois de février très sec, l hiver 2011-2012 a enregistré un excédent pluviométrique au Nord et dans les Alpes atteignant 100 à 160% de la normale 1961-1990 sur le Plateau et le Jura et de 130 à 220% de la norme dans les Alpes. Par contre, les précipitations sont restées largement déficitaires au Sud des Alpes (30 à 70% de la norme) à cause des nombreux effets de foehn (du Nord). Le Plateau suisse a bénéficié d un ensoleillement supérieur à la normale 1961-1990 (jusqu à 150%) durant cet hiver, alors qu il est resté normal au Sud des Alpes et légèrement inférieur à la norme dans les Alpes (80 à 100%). Après les chutes de neige abondantes en décembre et janvier, la couche neigeuse dans les Alpes ne s est que légèrement épaissi durant ce mois de févier pauvre en précipitations. Elle commence d ailleurs à fondre avec les températures printanières de ces derniers jours (avec une pointe de +12.7 C au Pilate à 2106 m/mer le 1 er mars!). Elle atteignait encore une épaisseur de 1.5 à 4 m au Nord des Alpes, en Valais et dans la moitié Nord des Grisons à environ 2'000 m/mer le 2 mars 2012, soit entre 100 et 200% de la normale pour un début mars. La couche de neige avoisinait une épaisseur de 6 m (5.89 m) au Saentis à 2 500 m/mer à fin février : il manque encore plus de 2 mètres pour menacer le record absolu de 8.16 m -4-
mesuré en avril 1999 sur ce sommet dans un endroit non influencé par des congères ou corniches. Par contre, l épaisseur de la couche neigeuse n atteignait que 0.5 à 1.5 m au Sud des Alpes à environ 2'000 m/mer, soit 20 à 60% de la normale pour un début mars. Figure 3 : Ecarts des température moyennes hivernales par rapport à la normale 1961-1990 mesurées pour 12 stations en Suisse depuis 1864-5-