Avant-propos J ai réalisé la première version de ce travail lors d une mission au Maroc, qui consistait, entre autres choses, à former des dessinateurs de caractères arabes pour l imprimerie et l informatique. Je jugeai alors nécessaire de proposer à mes élèves une histoire de l écriture arabe. C est alors que je découvris avec surprise qu il existait un nombre important d ouvrages traitant de la calligraphie mais aucun qui présentât clairement l évolution des formes de l écriture arabe. De plus, il y avait une prédilection des auteurs à ne voir la calligraphie que sous son aspect esthétique et décoratif sans aborder la fonction principale de l écriture qui est avant tout un support essentiel de l information et de la transmission des connaissances. Enfin, les problèmes de l emploi des écritures arabes dans l imprimerie n avaient jamais été traités. C est pourquoi je me suis efforcé de présenter l évolution des styles d écriture arabe, en tenant particulièrement compte des matériaux employés comme supports et comme instruments traceurs ainsi que la difficile rencontre de l écriture arabe avec l imprimerie puis avec l informatique. Cet ouvrage est destiné, non seulement à tous les curieux de l extraordinaire histoire des écritures mais aussi aux graphistes, calligraphes et plasticiens pour leur permettre un emploi judicieux des styles existants et leur donner une base logique pour la création de logotypes et de nouvelles polices de caractères. Ceci est une version revue et augmentée en 2008. Stefan F. Moginet 5
Origines de l alphabet arabe -3100 Système pictographique proto-sumérien -3000-2900 Cunéiforme sumérien Système pictographique égyptien -2800-2700 -2600-2500 -2400-2300 Cunéiforme akkadien -2200-2100 -2000 Pictogrammes crétois -1900-1800 Syllabaire proto-sémitique -1700 Linéaire crétois -1600-1500 Cunéiforme hittite Pictogrammes hittites -1400 Syllabaire proto-phénicien -1300-1200 -1100-1000 Syllabaire phénicien - 900 Syllabaire sud-arabique - 800 Alphabet grec Alphabet araméen - 700 Hébreu ancien - 600-500 Alphabet hébreu - 400 Alphabet latin - 300-200 - 100 Alphabet nabatéen 0 100 Alphabet sinaïtique 200 300 400 500 Alphabet arabe 600 622 début de l Hégire 6
De l empreinte au signe Dès l aube de l humanité, les chasseurs connaissaient le langage des empreintes animales. Pour leur survie, ils devaient déduire de nombreuses informations à partir des traces laissées par le gibier : sa nature, son poids, son âge, son allure, la direction de son déplacement, le nombre d individus, etc. On peut déjà voir dans cette activité une sorte de lecture. Attribuant un sens aux traces animales, l homme devait fatalement attribuer un sens à ses propres traces. En apposant délibérément l empreinte de sa main ou de son pied, l homme invente du même coup le signe, la signature, la marque de propriété, le symbole... et l imprimerie. Suivront les découvertes progressives de la gravure et de la peinture. L usage de marquer les lieux, les objets et les individus se multiplie avec l utilisation d instruments divers : doigts, Le premier signe. pointes, tranchants et l utilisation de matières colorantes : terres, charbon de bois, extraits végétaux, animaux ou minéraux. En traçant une marque, l homme acquiert un nouveau moyen d expression et de communication. Signes paléolithiques (Espagne). 7
Du signe à l image Un jour, la marque primitive se transforme en volonté de représentation de la réalité : l image. Ce pouvoir de créer des images apparut à l homme une activité si extraordinaire qu il en réserva longtemps l usage à des pratiques magiques ou religieuses. Ces premières images, premières mémoires artificielles, transmirent jusqu à nous les informations léguées par nos lointains ancêtres. Image narrative : invocation à la venue des pluies? (Zimbabwé). 8
Du signe à l image Les premières images : information et/ou magie? Peinture rupestre, Tassili (Algérie). 9
Du signe à la lettre Le développement des civilisations pastorales et la nécessité de dénombrer les troupeaux et d évaluer les richesses, font surgir l idée de fixer et transmettre des informations à l aide de marques et d images. À l usage, les images deviennent de plus en plus conventionnelles, s éloignant du dessin original pour aboutir au dessin-symbole : le pictogramme. Toutefois, on est encore loin d une transcription phonétique. La représentation par un signe, non pas d un objet mais d un son, apparut d une façon progressive, combinée avec les pictogrammes. La multiplication des signes forme déjà des codes qui, bien que complexes, transmettent des informations plus ou moins précises. On peut désormais parler d écriture. Ce phénomène apparaît avec le développement des premières civilisations urbaines en Mésopotamie. Les systèmes d écritures les plus anciens qui nous sont parvenus à ce jour furent utilisés par les Sumériens 3 000 ans avant notre ère. Tablette d argile sumérienne (Uruk). Recto : inventaire ; verso : dénombrement de moutons et de bœufs. L évolution des pictogrammes : le bœuf. Du pictogramme au signe cunéiforme : l oiseau. 10
Du signe à la lettre On commence à observer les deux lois qui décideront de toute l évolution des signes :. l adaptation du tracé en fonction du support et de l instrument traceur,. la recherche de l économie du geste. L utilisation de la tablette d argile et du poinçon a fait évoluer de plus en plus le pictogramme figuratif vers le signe abstrait, les écritures cunéiformes, qui serviront à de nombreux peuples : Élamites, Hittites, Assyriens, Babyloniens, etc. Support (argile humide) et instrument traceur (poinçon de bois avec une extrémité pointue et une extrémité triangulaire) des écritures cunéiformes. Les points servaient à la numération. Tablette de Ras Shamra (Syrie) : texte cunéiforme en langue ugarit (1400 av. J.-C.). 11