Saint-Jean de Braye et l imaginaire. Atelier d écriture mené par Yves Javault en novembre-décembre 2011 au Foyer Pablo Picasso.

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Saint-Jean de Braye et l imaginaire Atelier d écriture mené par Yves Javault en novembre-décembre 2011 au Foyer Pablo Picasso. 1

«Et si les travaux du tram nous révélaient les traces d un passé jusqu alors inconnu? Et si sous l apparente banalité du quotidien de cette commune se cachait une histoire fantastique? «Quelle légende explique le nom de ce lieu-dit? Quel personnage se dissimule derrière ce nom de rue? Quelle chanson se chantait sur cette place? «Voici les témoignages des séniors de l atelier d écriture mené par Yves Javault au Foyer Pablo Picasso Des histoires inédites et insolites nées de l imaginaire de trois générations, une mosaïque de souvenirs et d inventions, nous font redécouvrir notre ville. Un grand merci à Jack Foucher pour les corrections de ce recueil. 2

PORTRAIT CHINOIS...3 PAR GERARD COTTIGNY...3 PAR CHANTAL RICHER...3 PAR JEAN-JACQUES RICHER...4 PAR FRANÇOISE RUBINSTENN...4 SOUVENIRS D UNE RUE...6 UNE VILLE EN CHANTIER PAR JACK FOUCHER...6 RUE DU PUITS DE VILLE PAR CHANTAL RICHER...7 LA RUE DES 3 CLES...8 PAR MARIE-EDITH BASILLE...8 PAR GERARD COTTIGNY...9 PAR JACK FOUCHER...10 PAR JACK FOUCHER 2EME VERSION...17 LETTRE A...20 PAR MARIE-EDITH BASILLE...20 PAR JEAN-JACQUES RICHER...22 PAR FRANÇOISE RUBINSTENN...24 LA RUMEUR...27 RUE DE LA GUEULE NOIRE PAR GERARD COTTIGNY...27 RUE DE LA PETITE NOUE PAR JACK FOUCHER...28 RUE DE LA GUEULE NOIRE : QUELQU UN M A DIT PAR JEAN-JACQUES RICHER...32 LA CHANSON DE SAINT-JEAN DE BRAYE (SUR LA MUSIQUE DE "LE TEMPS DES CERISES") 33 A SAINT-JEAN DE BRAYE PAR MARIE-EDITH BASILLE...33 PAR GERARD COTTIGNY L'ETANG DES MEPRISES PAR JACK FOUCHER 34 JANUS BRAYUS...36 GRANDE FETE OCTONOGONALE DE JANUS BRAYUS PAR MARIE-EDITH BASILLE...36 DU TEMPS OU SAINT JEAN DE BRAYE S APPELAIT JANUS BRAYUS PAR GERARD COTTIGNY...37 JOURS DE FETES A IANUS BRAÏUS PAR JACK FOUCHER...38 PAR JEAN-JACQUES RICHER...42 JANUS BRAYUS PAR JULIE, UNE FILLETTE DE 10 ANS (CHANTAL RICHER)...43 3

Portrait chinois Par Gérard Cottigny Si Saint Jean de Braye était une couleur, ce serait le vert, vert des forêts qui ornent la campagne. Vert camaïeu qui devient orange et brun à l automne. Si Saint Jean de Braye était une musique, ce serait une musique douce, paisible, image de la Loire, avec des «forti» comme le bruit du fleuve qui gronde, des «pianissimi» comme le fleuve aux basses eaux. Des musiques comme la «moldau», «le beau danube bleu», musiques contrastées qui élèvent le fleuve dans sa partie septentrionale à Saint Jean de Braye. Si Saint Jean de Braye était un plat, ce serait la châtaigne aux champignons accompagnant agréablement un gibier des forêts proches. Si Saint Jean de Braye était une danse, ce serait la «danse du feu», car il fait bon vivre ici. Si Saint Jean de Braye était un animal, ce serait un chat, libre mais attachant. Si Saint Jean de Braye était une plante, ce serait le lierre dont la signification «je meurs ou je m attache» pourrait en être l emblème Par Chantal Richer Si Saint Jean de Braye était une couleur, ce serait moins agréable qu actuellement! Saint Jean de Braye, c est aujourd hui deux couleurs : le bleu et le vert. Le logo de la ville en témoigne «Saint Jean de Braye, entre Loire et Forêt». Si Saint Jean de Braye était une musique, ce serait un concert de carillons, pour valoriser le carillon de la place de la Commune. 4

Si Saint Jean de Braye était un plat, ce serait la tarte aux pommes, pour utiliser les pommes de nos vergers abandonnés. Si Saint Jean de Braye était une danse, ce serait la country pour rappeler le dynamisme de la ville et de ses associations. Si Saint Jean de Braye était un animal, ce serait les petits poissons de la friture de Loire. Si Saint Jean de Braye était une plante, ce serait le cyclamen qui envahit et embellit le parc de Coquille et les Armenault. Par Jean-Jacques Richer Si Saint Jean de Braye était une couleur, ce serait le blanc de la neige qui métamorphose notre parc en paradis pour les enfants. municipale. Si Saint Jean de Braye était une musique, ce serait celle de l harmonie gris meunier. Si Saint Jean de Braye était un plat, ce serait «la corne de cerf» arrosé de Si Saint Jean de Braye était une danse, ce serait pour moi aujourd hui, la danse du ventre! (Voir avec Françoise RUBINSTENN qui a la même phrase) Si Saint Jean de Braye était un animal, ce serait le renard qui, un soir de ce mois d août, est venu s inviter à partager notre dîner et depuis s est installé dans le quartier. Si Saint Jean de Braye était une plante, ce serait sans nul doute le chrysanthème. Par Françoise Rubinstenn la Loire Si Saint Jean de Braye était une couleur, ce serait l'argent fondu du ciel et de 5

Si Saint Jean de Braye était une musique, ce serait Les couleurs du temps et la douceur de vivre. d'hier. Si Saint Jean de Braye était un plat, ce serait la soupe à l'oseille et la ruralité Si Saint Jean de Braye était une danse, ce serait pour moi aujourd hui, la danse du ventre! (Voir avec Jean Jacques RICHER qui a la même phrase). Si Saint Jean de Braye était un animal, ce serait les chats endormis au soleil des fenêtres et des toits du Bourg Si Saint Jean de Braye était une plante, ce serait les acacias des bords de Loire bordant le chemin de halage. 6

Souvenirs d une rue Une ville en chantier par Jack Foucher S'il est une vérité indubitable et connue de toutes et tous, c'est que ne suis devenu abraysien que sur le tard, exactement le 14 septembre 1987. Auparavant, je demeurais à Orléans dans un quartier fort sympathique, populaire que je connaissais comme l'intérieur de ma poche, sçavoir les Acacias. Ce quartier était implanté au cœur du nœud ferroviaire qui relie Orléans à Paris, Orléans à Bordeaux et Orléans à Vierzon. C'est d'ailleurs un vieux quartier cheminot orléanais. Bombardé pendant la guerre, en 1944, par les Américains qui y ont déversé un tapis de bombes de 250 kg, il était couvert de cratères et servait de terrain de moto cross. En 1955, grâce au 1% patronal ou ce qui en faisait office à l'époque, on y a construit plusieurs immeubles : trois de onze étages et deux de quatre. S'y côtoyaient des ouvriers de Michelin, de Renault, de la manufacture des Tabacs et de bien d'autres usines d'orléans et de ses environs. Pour nous, qui venions de La Chapelle Saint Mesmin et qui avions vécu dans un taudis, c'était le grand luxe. J'ai habité le quartier de 1957 à 1966 et de 1982 au 14 septembre 1987. En 1986, il a été décidé de détruire de fond en comble ce quartier, à la dynamite pour les plus grands immeubles, à la pelleteuse et à la boule pour les plus petits. Je n'ai pas assisté à la destruction du quartier. Ce n'était pas un spectacle pour moi. Donc, je suis arrivé à Saint Jean de Braye, à l'âge de 35 ans passés. Mes souvenirs abraysiens sont forcément des souvenirs d'adulte, aux occupations professionnelle et associatives chargées. Mon quartier est celui du Centre ville. Il est de facture récente et a été construit à l'emplacement de terrains à vocation agricole. Il est composite, avec des immeubles en propriété, des immeubles en locatif, des maisons individuelles. Quand j'y suis arrivé, les travaux de la médiathèque étaient commencés. Et à chaque fois que je prenais le chemin de la supérette dont le nom a changé plusieurs fois et qui maintenant porte le nom de Carrefour Market, je pouvais découvrir les dernières informations relatives à la sécurité du chantier. Un panneau indiquait à qui voulait bien le lire qu'il n'y avait pas eu d'accident en ce lieu précis depuis un certain temps, et par conséquent que l'on n'y déplorait aucun blessé et à plus forte raison aucun décès. 7

En même temps, ou peu après, fut édifié le lycée Jacques Monod où mes deux filles ont fait leurs études dites secondaires, après avoir fait leurs études dites primaires à l'école Louis Michel, sise non loin de la place de la Commune, la bien nommée. Je n'ai pas de mauvais souvenirs à vous narrer, mes chers petits, et il est encore trop tôt pour que j'écrive mes mémoires. Je n'ai pas beaucoup de temps à consacrer à ce genre d'exercice. Et ma modestie légendaire et connue aussi de tous m'interdit de pratiquer cette nouvelle religion réservée à des midinettes de 20 ans, ayant participé au Loft ou à la Star ac'. Rue du Puits de Ville par Chantal Richer Je me souviens du kiné qui se trouvait dans cette rue. Je suis allée chez lui deux fois par semaine pendant plus d un an, suite à une chute sur un parpaing à Olivet. J avais très mal au genou. Il me faisait faire de la rééducation et me faisait aussi des massages. Quand je sortais de chez lui, j allais beaucoup mieux, mais çà ne durait pas! Mon médecin a cessé de prescrire des séances, depuis plusieurs années. Le kiné a fermé son cabinet et j ai toujours mal au genou! A chaque fois que je passe rue du puits de ville, je pense à ce kiné fort sympathique. 8

La rue des 3 clés Par Marie-Edith Basille Elles sont accrochées au mur depuis toujours. Je les connais toutes. Mais non, toutes sauf ces trois-là, sur le même porte clé. Où me guideraient-elles? En quittant la maison, je m'enfonce dans le sentier et trouve une grille. Pourrai-je l'ouvrir? 1re clé : non, 2e : Oui! et derrière la grille, un dédale au milieu des vignes. (il vaudrait mieux écrire première et deuxième en toutes lettres). Je m'y enfonce et plus je me rapproche de la Loire, plus je descends. Oh, l'eau est maintenant bien au-dessus de moi. Je suis donc le souterrain et redoute mes découvertes futures. Quel chevalier a traversé pour retrouver sa belle sur l'autre rive? Jean ou Denis? Et qui était la belle? Denise ou Jeanne? La Loire nous le dirait peut-être mais l'eau a emporté ce secret. De retour chez moi, je n'ai de cesse d'essayer les autres clés. Mon obstination me conduit avec la 3e clé dans un hangar, grand, vide. Chacun de mes pas résonne. Je me sens un peu paniquée par le miaulement d'un chat qui m'avait suivie et, en faisant volte face, aux aguets, j'aperçois, complètement au fond du hangar, un objet de petite taille. Intriguée, je m'approche et découvre un piano d'enfant, encore en état de marche. Je m'accroupis et appuie légèrement sur les blanches, les noires Après avoir joué quelques mélodies, je repars en serrant dans ma poche la "clé de sol". Je n'ai toujours pas trouvé où me mène la 1re clé. J'arpente donc les rues autour de chez moi et essaie à chaque porte. Rien, encore rien, toujours rien et si j'essayais à la mairie? Merveille! Elle ouvre. C'est la clé de la ville. Je pénètre donc dans la mairie et vois, sur un coussin de velours bleu passé, la trace de la clé en plus foncé. Pourquoi a-t-elle quitté son coussin et quand? J'imagine les abraysiens qui accompagnent peut-être les Bourgeois de Calais, passant par toutes les rues. A chaque carrefour quelques personnes de plus les rejoignent et peu à peu la foule marche en chantant. Devant, un sourcier avance avec précaution, sa baguette de coudrier guide ses pas. Quand il s'arrête, les 9

marcheurs se retrouvent au bord de la Bionne, les plus jeunes se faufilent dans les roseaux, à l'affût des castors ; les plus âgés se reposent un peu avant de retourner chez eux. Par Gérard Cottigny En me promenant un matin dans Saint Jean de Braye, un vieil homme m accosta et me confia une jolie boîte. Il me dit : «Dans cette boîte il y a 3 clefs, gardez-les avec vous, prenez-en bien soin car chacune ouvre une porte. Devant mon air interrogatif il ajouta cherche, tu trouveras». Que devais-je chercher? Que devais-je trouver? Quelles portes ces clefs ouvraient elles donc? Y avait-il un symbole caché? Quelque temps plus tard, par un beau matin d automne, les bords de Loire étaient calmes. Proche du talus, de hautes herbes attirèrent mon regard. Je m approchai pour les observer. Intrigué par ces fleurs, je grattai la terre pour en prendre une et je découvris qu elles cachaient une porte. Elle était bien fermée. Je pense à ce vieil homme, et je sors de ma poche le coffret avec les clefs. Je les essaye une après l autre, la dernière tourne dans la serrure. La porte s ouvre dans un grand bruit. Je regarde autour de moi, je suis seul. Cette porte débouche sur un long couloir éclairé de bleu. Attiré, je pénètre à l intérieur et je découvre tout au long du chemin des arbres, des fleurs odorantes. Tout n est que beauté et enchantement. Il y a aussi des statues d hommes et de femmes, de toute beauté. J aperçois des paysages de rêve. Que ce monde est beau! Soudain, ma progression est stoppée par une porte. C est le bout du couloir. Cette porte est ornée de feuilles d or et de chaque coté, de colonnes corinthiennes. Je suis dans un monde de rêve. Cette porte qui me barre le chemin est comme une question. Dois-je continuer? Je sors de ma poche les deux clefs restantes. Après quelques difficultés, la deuxième porte est ouverte. Je dois déployer toutes mes forces pour déplacer celle-ci et un monde nouveau s ouvre devant moi. Je dois puiser au plus profond de moi pour vaincre des forces étranges qui m interdisent l entrée. Mais je dois poursuivre mon chemin. Dans ce nouveau couloir le plafond est soutenu par d énormes colonnes doriques au nombre de douze, espacées irrégulièrement comme un chaos organisé. 10

Peut être que cette beauté qui se dégage de la force est en rapport avec la proportion divine en lien avec le premier couloir. Sur les murs, des dessins rappelant la force qu il faut déployer pour que l espace dans lequel je me trouve se maintienne en équilibre. Une force puissante me retient, mais j ai conscience que je dois poursuivre mon chemin. Il me reste une dernière clef. Je rassemble toute mon énergie pour avancer. Une porte me barre le chemin. Elle est très basse. Je dois me courber en deux pour y introduire la dernière clef et ouvrir cette porte. J aperçois une vaste pièce dans laquelle je me hisse courbé en deux. Ainsi je me sens humble devant les éléments qui m accueillent. Ici tout est calme, il y a des personnages qui discutent avec une grande sérénité. Il y a comme une communion d esprit dans le respect de l autre. Il y autour de cette pièce des colonnes ioniques. C est un monde de sagesse. Je me sens bien mais peut être suis-je parti depuis longtemps et personne ne doit connaitre mon secret, ni m apercevoir dans cet endroit. Au fond de la pièce, une lueur me fait distinguer un escalier tournant. C est sans doute la direction à emprunter pour sortir. Je monte et me retrouve dans une rue déserte où sur un mur est inscrit «rue des 3 clefs». Ces trois clefs utilisées pour parcourir trois chemins, chemins de la vie que je m efforce de suivre aujourd hui guidé par la Force, la Sagesse et la Beauté. Par Jack Foucher - 1re version Bonjour! (franc et massif, façon militaire bien portant, sûr de lui, le gars qui a gagné la guerre à lui tout seul) -... (pas de réponse) - Bonjour! (insistant, à peine aimable, un tantinet agacé) - Bonjour (un bonjour un peu longuet à sortir, façon noctambule à l'esprit embué, un bonjour à peine audible et incertain) - Vous me recevez? - Cinq sur cinq, fort et clair, mon lieutenant (souvenir du passage dans la glorieuse armée française) - Ah bon! J'ai eu peur un court instant. Sachez tout de même que je ne suis pas militaire. - J'ai cru. Au ton de votre voix. 11

- J'ai la voix qui porte. - J'étais dans mes pensées. - Diantre, Ventre Saint gris! Vous pensez dès potron minet? - Oui. - Et cela ne vous gêne pas pour le reste de la journée? - Non. C'est une maladie familiale. Cela s'appelle l'atavisme. - A vos souhaits! - Ce n'est pas exactement une maladie. Un léger handicap tout au plus. Cela étonne la première fois. Et puis cela peut déranger aussi. Vous en êtes la preuve vivante. - Puis-je vous poser une question? - C'est toujours mieux qu'un lapin. - Qui vous parle de lapin? - C'est une formule. Pour détendre l'atmosphère. Pour faire un peu d'humour, en quelque sorte. - Puis-je poser ma question? - Où vous voulez. - J'y vais. - Faites toujours. - Je cherche une rue. - Ce ne sont pas les rues qui manquent à Saint Jean de Braye. Il me faudrait quelques précisions. Il ne s'agit que d'une rue, certes, mais cela demande de la réflexion. D'un autre côté, si vous cherchiez la fortune, je ne saurai trop quoi vous répondre. - Je cherche la rue des trois clés. - La rue des trois clés, Hou la la! Qu'est-ce aquo la rue des trois clés? - Vous habitez bien Saint Jean de Braye? - Comme de juste. - Et vous ne savez pas où se situe la rue des trois clés? - Comme ça, à brûle-pourpoint, j'ai du mal. - Je croyais avoir compris que vous pensiez le matin et ce à l'heure où la plupart des gens dorment encore. - Si fait, mon tout bon, mais penser et savoir sont deux choses totalement différentes. - Si vous commencez à philosopher, on n'en sortira jamais. - De la rue des trois clés? - Monsieur me prend pour une buse, un lapin de six semaines. - C'est vous qui en parlez. - Que je parle de quoi? 12

- Du lapin! - C'est malin, vous vous gaussez de moi. - Que nenni! - Alors vous savez ou vous ne savez pas où se trouve la rue des trois clés? - Je le sais maintenant. J'ai eu le temps d'y réfléchir depuis que vous avez posé votre question. - J'en suis fort aise. Et où peut-on la trouver, la rue des trois clés? - Pas loin d'ici, je dirai même tout près. - Ce qui signifie en clair, en bon français bien de chez nous? - A cinq cent mètres. - C'est cela que vous appelez tout près. - C'est vous qui philosophez maintenant? Loin, près, cela dépend du mode de locomotion, du temps qu'il fait et bien sûr de l'âge de la mariée. - Bon, on ne va pas passer le réveillon là-dessus. - Nous ne sommes pas à Noël! - Halte au feu! Arrêtons l'humour à trois centimes d'euro l'heure. Je sens que je deviens nerveux. Et quand je deviens nerveux... - C'est comme moi. - C'est comme moi, quoi? - Quand je deviens nerveux. - O. K! Vous avez décidé de me faire devenir chèvre? - Je n'ai pas ce pouvoir. - Donc, la rue des trois clés? (Sur un ton las, comme le gars qui viendrait de faire le marathon et qui ne sait plus très bien où il en est) - Eh bien, voilà. (Il sort un plan. Il a toujours des plans sur lui, surtout des plans B). Nous sommes ici. - Où? - Là! - Où cela là? - Ici, au bas de la rue de Roche. Vous voyez le panneau. - Je suis tombé dedans l'autre jour. - Bonne répartie. Monsieur se lance. - Je rigole - Donc, nous sommes ici, à l'angle de la rue de Roche et de l'avenue Pierre et Marie Curie. - Je vois mieux maintenant que vous avez mis le plan dans le bon sens. - Si fait, vous montez la rue de Roche. C'est tout droit. - Tout droit! Tout droit? 13

- Tout droit. Même pas un petit virage. - Il y a un repère qui me permette de tomber exactement, au centimètre près, sur la rue des trois clés. - Oui. - Lequel? - La voie de chemin de fer! - Génial! (son grand-père était cheminot à La Chapelle Saint Mesmin, passage à niveau de Mégreville, aujourd'hui disparu). C'est avant ou après la ligne de chemin de fer? - Cela dépend. - Cela dépend de quoi? - Par où vous arrivez! - J'arrive par ici, par là, par en bas. - Bon, alors c'est avant et à main droite. - C'est mieux déjà. - Puis-je être quelque peu indiscret? - Cela ma gêne. - Pourquoi? - Je vous demande où se trouve la rue des trois clés, mais je ne suis pas tenu de vous dire ce que je vais y faire, ou qui je vais voir. - Monsieur n'a pas confiance? - Si, mais je suis de nature méfiante. - Vous avez vos raisons, je suppose. - Vous supposez bien! Notre homme monte donc la rue de Roche, "pédibus gambus", en mettant consciencieusement un pied devant l'autre, histoire de ne pas se mélanger les pinceaux. Il arrive en vue de la ligne de chemin de fer. Il tourne la tête à droite, façon salut au drapeau dans la cour de la caserne un jour de défilé. Il voit un magnifique panneau "Rue des trois clés". Sur le côté gauche, il y a un homme qui promène son chien ou plutôt un chien qui promène son maître, vu la taille du chien et la carrure du maître. - Je suis bien rue des trois clés? - Savez pas lire? - Si, quand même, un peu. - Alors, que lisez-vous sur le panneau? (Il indique la panneau avec sa canne, façon ophtalmologiste distingué). 14

- Rue des trois clés! - Donc? - J'y suis! - Voilà, bonne journée. Soudain, le promeneur de chien ou le supposé promeneur de chien se retourne tout de go, sans qu'on y prenne garde, d'où effet de surprise. - Vous cherchez quelque chose? - Non pas; - Quelqu'un? - Non, mais. - Alors quoi? - Ecoutez, mon brave... - Vous m'avez reconnu? - Faisons court, je vous en saurai gré. Vous êtes la deuxième personne depuis ce matin à me poser des questions sur mon périple dans la rue des trois clés et sur les raisons qui m'ont poussées à y venir. Je sens que je ne devrai pas vous répondre, mais quelque chose en moi, aussi, me dit que je dois vous instruire de ma démarche. Je cherche à résoudre un mystère... - Quel mystère? - Celui du nom de cette rue! - Maintenant que vous me le dites. Jusqu'au jour d'aujourd'hui, à l'heure qu'il est, à la minute précise où vous venez de me faire part de votre démarche, je ne m'intéressais pas à la question. Vous m'intriguez? - Je ne voulais point. - Maintenant c'est fait. - Je suis confus. - Ne vous en faites pas, je m'en remettrai. Bonne chasse! Notre chasseur de mystères parcourt la rue dans tous les sens, ce qui est assez aisé et vite fait, vu la longueur de la rue et sa largeur. La rue des trois clés, ce n'est pas les Champs Elysées ou la rue de Vaugirard. Nous sommes en province tout de même, sachons rester modestes. Par contre, je dis bien par contre, ce n'est pas parce qu'une rue est petite qu'elle est insignifiante. Qu'elle ne cache pas de secrets dignes d'attirer l'attention des historiens, des archéologues, voire même des volcanologues ou des anthropologues ou des podologues ou des proctologues. Nous voici donc, depuis peu, au coeur d'un des plus grands mystères qui soit! 15

Et notre chasseur sort de la poche intérieure de son manteau de pure laine vierge (nous sommes en hiver), un parchemin, une vieille peau de Vélin, avec une carte alambiquée à souhait, genre carte au trésor. Difficile de reconnaître précisément les lieux après six cents ans passés dans un pot en grès enterré dans le jardin de la propriété de la fosse Belaude. On y voit bel et bien trois clés disposées en trois endroits différents, dans un rayon de cent quatre vingt quatorze pieds six pouces de l'endroit où il se trouve précisément, à ce moment précis, sçavoir 09 h 17 a.m. Il se trouve donc à l'épicentre du cercle de grès qui casse bien. Passe un quidam (pas une dame), en bicyclette (il a plus de six ans, sans cela il aurait une tricyclette, ou davantage). Il voit notre chasseur avec sa belle peau de vélin de qualité supérieure. - Vous en avez une belle peau! - Oui lavée chaque matin avec un savon dermatologique surgras. - Je ne parle pas de cette peau-là. - Excusez-moi! J'ai cru, un instant, que j'avais attiré l'attention. - Désolé. Je parlais de l'autre peau, de la peau en Vélin d'angoulême que vous tenez dans votre main dextre. - Parce que c'est du Vélin d'angoulême, et pas d'ailleurs? - Exactement, du Vélin d'angoulême! - Et comment savez-vous cela? - Je suis d'angoulême. - Cela me semble une raison valable et suffisante. - Et je suis expert en peaux. - En peaux de vaches - Vous connaissez ma femme? - Non, c'est pour faire avancer le débat. - Le Vélin, monsieur, le vrai, c'est de la peau de veau mort-né et point autre chose. Notre chasseur montre donc la peau à notre quidam vélocipédiste. - Magnifique! - Je l'ai trouvée hier. - Où cela? - Dans un jardin. - Quel jardin? - Vous en posez des questions. - Qui ne pose pas de questions n'aura jamais de réponses. 16

- Effectivement. - Alors, dans quel jardin? - Dans le jardin de la propriété de la fosse Belaude, à Saint Jean de Braye. Elle était dans un pot de grès. - De quelle couleur, le pot? - Cela importe - Cela précise - Vert - Vert, j'entends bien, mais quel vert? - Vert foncé - XVIe siècle, fabriqué à Montbarrois, entre Boiscommun et Beaune la Rolande. - Fichtre, quelle science? - Mon père, mon grand-père et mon arrière grand-père étaient potiers de terre. - Je comprends mieux - Vous avez vu? - J'ai vu! J'ai vu quoi? - Les clés? - Oui! - Vous avez remarqué? - Que devrai-je avoir remarqué? - Le dessin des clés, leur forme. - Je n'y ai pas attaché d'importance au prime abord. - Vous auriez dû - Et cela signifie - Qu'il faut les superposer - Il faut donc découper - N'y pensez même pas une seconde - Comment faire? - Les dessiner méticuleusement - Je ne sais pas dessiner - Moi, je sais - Installons-nous - Allons chez moi, en tout bien tout honneur. Nous boirons un bon café, fait par ma grand-mère. - Ah, si grand-mère sait faire un bon café! Vous habitez loin? - A deux pas - Dans cette rue? - Précisément. 17

- Où? - La maison avec les clés. - Je vois. Cela me laisse perplexe, inquiet même. Vous savez tellement de choses que j'ignore. - Sachez que vous n'êtes pas arrivés ici par hasard - J'angoisse - Vous êtes l'élu, Vous avez été choisi. Vous avez été guidé. - Par qui? Par quoi? - Par nous, qui depuis ce matin, veillons à ce que vous ne vous perdiez pas et par le pot et la peau. Pour venir ici, vous avez emprunté la rue de la fosse Belaude, la rue Edouard Branly, la rue de charbonnière, la rue du pot vert, la rue de Vomimbert, l'avenue du Général Leclerc, l'avenue Pierre Mendès France, l'avenue Pierre et Marie Curie, la rue de Roche. Vous avez rencontré trois personnes, un penseur aux rondins, un promeneur solitaire et son chien et moi-même. Nous savons tout de vous, depuis le jour de votre naissance jusqu'à aujourd'hui. - Je suis sidéré - C'est normal, la première fois - Quelle première fois? - Celle de l'initiation - Je suis initié maintenant - C'est le début, c'est même un bon début - Et après? - Demain est un autre jour. Nous verrons... Par Jack Foucher 2 e version S'il est une vérité qui ne saurait être mise en doute par quelque personne que ce soit, sur cette planète et sur celle de MITRA 455, c'est qu'ali Baba, Ali tout court pour les intimes, a vécu à Saint Jean de Braye la plus grand partie de sa vie et non pas dans la lointaine Arabie des Mille et une nuits. Sa vraie vie, il l'a passée dans un quartier de l'est abraysien où l'on cultivait la vigne. Et là, il avait fait construire de superbes caves voûtées dont s'est inspirée la maison Brouard pour faire les siennes à la Pointe Saint Loup. Ces caves se trouvaient non loin de la ligne de chemin de fer qui l'amena un soir d'hiver, en provenance de Damas, à Saint Jean de Braye, par l'orient Express où il croisa Hercule Poirot. C'est là que la petite histoire rejoint la grande. Ali est bien 18

né à Damas, au temps des califes abbassydes. Et il y a vécu jusqu'au jour funeste où il a été contraint de fuir son pays pour cause de consommation abusive de liqueur de Bacchus. Son destin de vigneron était tout tracé. Les caves d'ali (et non pas d'aldi), étaient sises et incises rue de Roche pour l'entrée principale, à dix mètres à peine de la voie ferrée, à cent cinquante mètres de la gare de Saint Jean de Braye, qui, à l'époque, s'étendait sur deux cent hectares. Des convois formidables y apportaient les vins du monde entier. L'entrée de ces caves était fermée par un énorme rocher, énorme n'est pas encore assez énorme pour décrire l'énormité de ce rocher. Pour accéder aux caves, Ali avait fait fabriquer un jeu de clés, au nombre de trois, dont le moule avait été inventé à Troyes par les compagnons du Tour de France du Devoir, des compagnons serruriers, des devoirants, enfants de Maître Jacques. C'est dire si c'était de la belle ouvrage et du costaud de chez costaud. Ces trois clés étaient imposantes, très lourdes et leur emploi nécessitait de recourir à un appareillage fort compliqué et fort coûteux. Elles reposaient sur un chariot à 20 roues jumelées, tiré par 12 paires de bœufs du Charolais élevés à Paris dans l'enceinte de la gare du PLM. Donc, pour pénétrer dans les caves d'ali, chacun l'aura compris, il fallait bien sûr prononcer la formule magique : "Sésame, ouvre-toi". Mais cette formule n'était qu'une formule. C'était un artifice, de la poudre aux yeux. On ne pouvait la prononcer qu'après avoir réussi à introduire chaque clé dans l'orifice qui lui était assigné. Elles étaient quasiment identiques. Il fallait donc être expert et assermenté à la confrérie des serruriers-sorciers (ou l'inverse), pour mettre chacune d'elle là où il fallait. De temps en temps, au gré de ses escapades, Gargantua venait prêter main forte à Ali. Une fois la formule magique prononcée, il fallait retirer les trois clés avec la plus grande minutie et la plus grande prudence. Il n'y avait pas de place pour la moindre improvisation. Il fallait les faire reposer sur le chariot après les avoir fait tremper dans un savant mélange de vinaigre d'orléans et de miel du Gâtinais, ce, afin de les rafraîchir car l'ouverture de la porte-rocher ou du rocher-porte, c'est selon, entraînait une dépense d'énergie phénoménale, l'équivalent d'une bombe atomique de type A. Notre "sésame, ouvre-toi" agissait comme catalyseur d'une opération chimique dont la formule, si elle devait être un jour retrouvée, laisserait pantois et rêveur le meilleur des Prix Nobel de la catégorie "chimistes professionnels SGDG". Une fois franchi le seuil, il fallait emprunter un long, très long tunnel obscur et 19

piégeux. Seul, Ali en connaissait l'itinéraire, au micron près. Il faut que je vous dise que son expérience de goûteur en aveugle du Grand vizir Iznogoud lui avait été profitable. Parvenus à l'extrémité du tunnel, il fallait redoubler de vigilance pour mettre un pied, puis deux, au premier sous-sol. Lequel sous-sol était empli de foudres éclairés d'une lumière blafarde, provenant de bougies d'anniversaire au nombre de cinquante six mille deux cent trente quatre, exactement, pas une de plus, pas une de moins. Dans ce premier sous-sol, Ali entreposait les vins de Loire, légers, à l'exception des vins rouges d'anjou, fort astringents, comme leurs cousins du Bordelais. Continuons notre visite commentée en léger différé par Léon Zitrone et Mireille Darc (la lointaine cousine de Jeanne). Il vous faut pour cela prêter une oreille attentive qu'on ne vous rendra peut-être pas à la sortie. Nous entrons maintenant au second sous-sol. Nous avons laissé la première clé sur la première porte. Si nous ne l'avions pas fait, nous n'aurions pu continuer d'avancer. Dans ce second sous-sol, Ali, notre bon Ali et toujours pas notre bon Aldi, entreposait les vins de Bordeaux et de Bourgogne, rouges et blancs. Cette précieuse marchandise était gardée par vingt des très célèbres et pitoyables voleurs qu'ali avait mis aux fers après leur dernier exploit qui avait consisté, ni plus ni moins, à saboter la construction des pièces de vin destinées à recevoir le précieux liquide et ce à la grande scierie de Sennely, un soir de pleine lune. Pour atteindre le troisième et dernier sous-sol, il fallait de même et incontinent (choisissez celui que vous voulez) laisser la seconde clé sur la seconde porte, à peine d'enfermement définitif, un aller simple pour une mise en pierres. Dans ce troisième sous-sol, Ali y avait déposé son trésor personnel fait non pas d'espèces sonnantes et trébuchantes, mais de bouteilles de vin jaune du Jura, de vin de paille du même endroit, de vins d'alsace et d'anjou liquoreux, obtenus au prix d'une récolte planifiée à long terme. Les grains sont cueillis un par un, en plusieurs fois. Ils sont recouverts de botrytis blanc ou pourriture noble, ce qui en fait des vins d'exception. Il y avait aussi des vins de Champagne millésimés. Pour ces derniers, les vingt autres voleurs étaient chargés de tourner les bouteilles d'un huitième de tour chaque jour et de toutes les autres opérations afférentes à la culture du liquide pétillant. Ils travaillaient jour et nuit et n'avaient pas de RTT. Mais ils avaient le parfum de l'ivresse! Que sont devenues les caves d'ali? Elles existeraient toujours, selon des sources bien informées. Mais il y a un hic! On y accéderait via le coffre relais PTT 20

qui se trouve à l'entrée de la rue des Trois clés avec le passe PTT, bien sûr. Mais cela ne suffit pas. Il faut prononcer une formule incantatoire, second hic! Seul, je dis bien seul, un vieux postier blanchi sous le harnois, et amnésique de surcroît, la connaît. Il la détient dans le tréfonds de sa mémoire aujourd'hui disparue et si, jamais, vous souhaitez la récupérer, je peux vous garantir que ce ne sera pas de la tarte. 21

Lettre à. Les jeunes de l école Paul Langevin font un voyage dans le futur à Saint-Jean de Braye et écrivent à leurs grands-parents ce qu ils voient. Leurs grands-parents leur répondent et parlent de Saint-Jean de Braye dans le passé! Par Marie-Edith Basille Lettre de Marie St Jean de Braye, année 4000 Chère mamie, cher papi, Je suis bien arrivée. Ici, il fait froid et il neige. Les habitants sont habillés avec des shorts qui leur arrivent aux cuisses et des teeshirt sans manches. Leur couleur de peau est jaune. Dans la ville, les maisons sont rondes et les rues suspendues. Les véhicules volent et ressemblent à des soucoupes volantes. J aime la spécialité de là-bas : des bonbons chocolat, vanille et citron. Je n aime pas beaucoup être dans les soucoupes volantes. Je te rapporte en souvenir des bonbons chocolat, vanille, citron. Réponse à Marie : Saint jean de Braye 2011 Bonjour ma petite Marie Chérie, Merci beaucoup pour ta carte, elle m'a fait très plaisir. Je vois que tu as découvert beaucoup de choses que je ne connaîtrai jamais. J'ai hâte de goûter aux bonbons chocolat, vanille, citron, ça doit être délicieux et je deviendrai peut-être jaune, moi aussi. Tu me parles des rues suspendues. Je m'imagine marcher dessus, ça doit balancer! Brrrrrrrr, mais avec les soucoupes volantes, la circulation est peut-être 22

moins compliquée qu'avec les travaux du tram. Cela a dû te changer. Tu avais emporté des pulls et des pantalons pour la neige. J'espère que tu ne les as pas coupés pour ressembler aux abraysiens de l'an 4000 parce que tes parents feraient une drôle de tête. Eux, ils seraient peut-être rouges de colère. Garde bien tous tes souvenirs dans ta tête. Tu pourras les raconter à tes petits enfants plus tard. Encore merci et gros bisous. Mamie Voyage dans le passé Merci beaucoup Marie pour le joli cadeau que tu nous as fait, à ton grand-père et à moi. Dans la machine à remonter le temps, j'ai appuyé sur une date au hasard. Quand ça s'est arrêté, je me suis sentie un peu dépaysée. Imagine, nous sommes au XVe siècle au château fort de Saint Loup, à St Jean de Braye. Tu vois où c'est. Il reste encore une grande propriété avec des sapins, en bord de Loire. Ah, bien sûr, tu n'y as jamais pénétré, alors je vais t'expliquer comment ils vivent aujourd'hui, en 1450. Ce château est en ruines : la guerre l'a une fois de plus démoli. Aujourd'hui, la baronne nous reçoit. On est très impressionnés avec Papy. En passant sous la poterne, machinalement, je présente ma carte d'identité... Si tu avais vu l'air ahuri du garde devant ce morceau de plastique...! Et nous qui voulions passer inaperçus. On suit le serviteur qui nous conduit dans les appartements de la baronne. Très accueillante, ma foi. Elle nous fait visiter toute sa propriété, son verger, son potager,... On a une vue splendide sur la Loire, tu sais, le "fleuve royal". Mais la visite de la demeure, c'est autre chose. Il n'est pas facile d'habiter une ruine quand les alentours se construisent à neuf. Alors on enjambe les gravats pour aller jusqu'à la seule pièce à peu près en état. Il n'y a plus ni meubles, ni tapisseries, ni belle vaisselle mais quelques tabourets et un coffre. On nous sert du poisson de Loire, quelques topinambours sur une grande tartine de pain gris et du gris meunier. Cela ne ressemble en rien à ce que tu nous as décrit de l'an 4000. Nous garderons un bon souvenir de notre remontée dans le temps. Personnellement, j'aurais aimé pouvoir observer plus longuement la vie des 23

habitants de l'autre côté de la route mais ce sera peut-être pour une autre fois. Nous aussi, on te rapportera un petit souvenir et ce sont également des bonbons. Ils sont noirs, ronds. Ils sentent un peu la réglisse, ça s'appelle des "boulets de canon". C'est la spécialité de Saint Loup en 1450. On t'embrasse très fort. Papy et Mamie Par Jean-Jacques Richer Lettre de Garance St Jean de Braye, année 3111. Chère mamie, cher papi, Je suis bien arrivée. Ici, il fait chaud mais pas super chaud. Les habitants ont des ailes et ils sont habillés tout en violet avec des jupes et des tee-shirt en forme de chèvre. Les maisons sont faites de livres et de métal. Maintenant la ville s appelle : la Chalopignière aux chevaux. J aime leurs chevaux ailés. Je n aime ni leur nourriture, du poisson cru, ni leurs maisons. Je te rapporterai un cheval volant en souvenir. Réponse à Garance : Ma chère petite Garance. Ta carte m'a rassuré, et comme je le vois tu as fait bon voyage. Tu me dis qu'il fait chaud mais pas super chaud. Tu aurais dû suivre mes conseils car ta doudoune en duvet de canard et tes après-ski, ne te seront pas d'une grande utilité. Vous a-t-on collé des ailes comme aux habitants de ta nouvelle destination? J'ai beaucoup de mal à t'imaginer avec une jupe en forme de chèvre, mais enfin! Les habitants ont-ils quatre pattes dans ce pays? Tu me dis que tu n'aimes pas les maisons. Ne serait-ce pas comme tu le précises par ce qu'elles sont en forme de livre et que tu n'as jamais eu un goût immodéré pour la lecture? Cette forme permet-elle au moins à leur propriétaire d'être à la page! 24

Tu pourrais faire un effort pour manger du poisson cru afin de ne pas nous revenir anémiée. Ne dépense pas ton argent inutilement! N'y aurait-il pas un souvenir plus utile et moins encombrant qu'un cheval volant? Car tu sais, chez nous la place manque et avec cette sécheresse l'avoine devient une céréale rare et chère. La prochaine fois, c'est Manène qui t'écrira. Elle te remercie de ta carte qui lui a fait énormément plaisir. Nous t'embrassons bien fort, profite bien de ton séjour. Voyage dans le passé Ma chère petite Garance. Je suis très heureux que tu aies choisi de nous offrir ce voyage dans le passé plutôt que le séjour à Disney Land comme tu en avais parlé. Nous avons atterri hier soir à 22 heures, par une nuit sans lune et avons eu du mal à trouver une auberge car les rues ne sont pas éclairées. Ce matin, je me trouve rue du Faubourg de Bourgogne où règne une certaine agitation. Je ne crois pas que ce soit pour moi, car je n'avais pas prévenu de ma visite. Là, quelques notables en haut de forme et queue de pie regardent leur montre à gousset tout en discutant. Plus loin des badauds parlent de la pluie et du beau temps. L'un d'eux m'indique que l'on attend l'arrivée du ministre des Transports venu de Paris pour inaugurer la mise en service de la ligne de tramway Martroi/Saint-Loup. La vie est donc vraiment un éternel recommencement Je continue mon chemin et suis surpris par le nombre de cafés qui s'appellent d'ailleurs plutôt bistrot, auberge. Ici la Pomme de Pin qui existe toujours d'ailleurs, là l'auberge Mineau qui a été abattue pour faire l'entrée de la Cité Saint-Loup où habite maintenant Margot ta copine. L'envie de boire un café me pousse dans l'un de ces estaminets où les discussions vont bon train. A cette table, on parle de prolonger le canal de Combleux à Orléans. A cette autre,c'est la disparition annoncée de la vigne avec l'arrivée du phylloxéra qui alimente la conversation. On parle de la remplacer par des vergers, et pourquoi pas par des maisons ajoute l'un des interlocuteurs. Toutes ces personnes semblent heureuses de se retrouver, les hommes autour d'un verre parfois les cartes à la main ou autour d'un jeu de dominos. Les 25

femmes, plus discrètes, conversent souvent assises sur un muret à proximité. Il est vrai que nous sommes dimanche et qu'il fait beau. Soudain, tous les visages se tournent vers un engin bruyant qui fait vibrer les vitres de toute la rue. C'est Albert Guyot qui, entre deux tours d'avion, met au point sa dernière invention dans son atelier proche. Il s'agit d'une magnifique voiture aux cuivres rutilants et tu me croiras si tu veux, avec des roues à rayons. Certains disent qu'elle peut atteindre 90 km par heure et qu'il va aller courir en Amérique! Pendant ce temps là, ici on se déplace à vélo et en voiture à cheval. Ce matin, j'ai même vu un chien attelé à une petite charrette qui transportait du lait. Sa propriétaire allait de maison en maison pour vendre sa marchandise dans des laitières. J'allais oublier de te rapporter un petit souvenir en remerciement de ce merveilleux voyage dans le passé. Me voici devant la fonderie de cloches Bollée, je vais t' y choisir une petite cloche. Tu pourras me rappeler à l'ordre lorsque tu jugeras que je ne suis pas assez sage. Je te récrirai prochainement pour te raconter comment se passent les journées de travail dans cette ville. Nous t'embrassons bien fort et encore merci. Tes grands-parents en voyage dans le temps. Lettre de Clémence Par Françoise Rubinstenn St Jean de Braye, année 3050, Chère mamie, cher papi, Je suis bien arrivée. Ici, il fait très chaud, 55 degrés! Le climat est humide, sans vent et le ciel toujours bleu. Les habitants sont habillés de linge blanc, les garçons, torse nu et les femmes en jupe et chemisette. Tous portent des sandales et des chapeaux de paille. Ils font des 26

paris, se baladent, se baignent et jouent. Ils ne travaillent pas mais cueillent des sous sur des arbres à sous. La ville est construite avec des cases végétales : toit en feuilles de palmier, murs en roseau. Il y a des vergers d arbres à poulet ou d autres d'arbres à viande ainsi que des potagers pour les légumes et les fruits. Dans les rues, il y a plein de fleurs de toutes les couleurs. Il n y a pas de véhicule donc pas de pollution. J aime bien cet endroit, c est très relax, sans histoire de sous. Je n aime pas les cases qui ne sont pas très confortables. Je vous rapporte une tunique de linge blanc pour mamie et pour papi, un pagne que portent les hommes et aussi plein de photos. Réponse à Clémence : Ma grande, Ravie d avoir lu ton courrier; il me rappelle quelque voyage en Afrique par temps de mousson. Quelle découverte!...ce n est pas tant l habillement qui m étonne, ni les loisirs mais l arbre à sous ; comment les habitants se partagent-ils billets et pièces? Au fait même, le sens du «partage juste» existe-t-il là-bas? Renseigne-toi pour me l expliquer dans ta prochaine lettre. Et puis l arbre à poulets et l arbre à viande, comment en est-on arrivé là? Profite bien des paysages, des fleurs, du calme sans véhicule bruyant! Fais connaissance avec tes voisins de case pour en savoir plus Tu apprendras beaucoup. Un grand merci pour les «souvenirs» Les photos surtout nous feront plaisir. Gros bisous de nous deux. Voyage au XIXe siècle A mon atterrissage à St Jean de Braye près de la côte de Bionne, Je décide d aller visiter en bordure de Loire le village de St Jean de Braye. J aperçois la malle poste qui descend la route Impériale de Briare à Orléans en venant de Chécy. Le vent souffle dans les crinières des chevaux ; le cocher fait claquer son fouet pour qu ils maintiennent le rythme tandis que les passagers à l arrière papotent. Je porte une robe longue noire et des bottines cirées ; mon corset me donne une taille de guêpe et j étouffe! Une cape confortable recouvre mes épaules et m abrite du vent.. 27

La malle poste fait halte à l auberge située à mi côte. J observe les voyageurs emmitouflés descendre avec précaution du marchepied. Ils sont réjouis car l aubergiste les attend sur le pas de la porte et leur a préparé un repas chaud et copieux pour les réchauffer. Je prends la direction de Combleux pour atteindre la Loire que je longe jusqu au lavoir à l embouchure de la Bionne. Malgré le froid, les femmes et les jeunes filles battent le linge en chantant. Au port, les bateliers amarrent les bateaux pour décharger leur cargaison. Ils s interpellent pour ensuite aller trinquer. De la Bionne au bourg de St Jean de Braye dont on aperçoit le clocher, il n y a qu un quart d heure de marche, selon mes informations. Du sentier, j aperçois Orléans et ses églises, Saint Aignan et la cathédrale. Sur les coteaux surplombant le fleuve, les terres sont plantées de vigne. Les prairies entourées de haies accueillent les moutons. En arrivant au bourg, j entends le hennissement des chevaux à l écurie, face au parvis de l église. Les poules picorent sur la place et les vaches d un pas tranquille, prennent le chemin de leur étable. Les habitants du bourg, surtout des vignerons, portent des vêtements sombres et épais. Les femmes sont coiffées de bonnets couvrant leurs oreilles. Chacun, chacune rentre chez soi après quelques bavardages. Le bedeau entre à l église pour sonner l Angelus. Je choisis de rentrer après la balade en passant par la Haute Croix où se trouve le café épicerie. Je double 2 moulins à vent. A mon retour, je te remettrai en souvenir un almanach que l épicière m a vendu ; tu pourras y puiser beaucoup d informations pour le jardin, la cuisine et les remèdes pour ta santé, qui te seront utiles en grandissant. Un gros bisou pour te remercier de ce périple que j ai beaucoup aimé. 28

La rumeur Rue de la Gueule Noire Par Gérard Cottigny La rumeur Il se dit qu à Saint Jean de Braye, il y a bien longtemps, un homme, tout de noir vêtu, hantait les rues du village. Sa démarche était lente comme si un lourd fardeau pesait sur ses épaules. Il parcourait les rues et ruelles toujours la nuit. On ne voyait que sa silhouette massive qui faisait peur. Les habitants se demandaient qui il pouvait bien être, d où il venait et où il habitait? Il se dit qu il travaillait dans les bois, mais personne ne l avait jamais réellement suivi. Il se dit qu il habitait là, à Saint Jean de Braye, dans cette voie que l on nomme aujourd hui la rue de la gueule noire. A cette époque, dans cette rue, il n y avait que sa modeste demeure, aussi inquiétante qu un château hanté. Il se dit que des bruits étranges étaient entendus à des lieues de celle-ci. Qui était-il? Que faisait il cet homme à la silhouette noire? (ou à la gueule noire) Le doute Par un long dimanche pluvieux, gris, où l eau ruisselle sur les carreaux des fenêtres, j étais avec ma grand-mère qui habitait une petite rue de Saint Jean de Braye. J étais installé près de l âtre de la cheminée où un bon feu de bois réchauffait nos visages. Les flammes dessinaient sur le mur des formes élégantes d oiseaux, de fleurs, d arbres mais aussi des formes d humains qui donnent des frissons. Au bout d un moment, ma grand-mère se mit à trembler de peur. Elle était franchement comme envoûtée. Je la questionnai dès qu elle eut repris son calme. Elle m annonça alors qu elle avait aperçu la silhouette d un homme trapu sur le mur. Elle m apprit qu elle vivait dans la maison achetée par ses parents et qui avait appartenu à un homme étrange d apparence massive, trapu et toujours vêtu de noir. 29

Il inquiétait les gens de l époque. Elle me dit qu elle avait peur quand elle rentrait le soir, alors que la nuit était tombée, de rencontrer cet homme dont personne ne savait rien, ou croiser un de ses enfants. Il travaillait certes, mais où? Un voisin l avait même vu un jour, rentrer dans les bois et disparaître aux détours d un arbre. Que faisait-il? Pourquoi cette rue de Saint Jean de Braye s appelait elle la rue de la Gueule Noire? La rumeur et le récit de ma grand-mère me donnèrent l envie de chercher qui se cachait derrière cette silhouette, cet énigmatique personnage, qui avait donné son nom à la rue. La réalité supposée La semaine passée, alors que je passais devant les travaux de construction de la ligne de tramway, je remarquais qu ils étaient interrompus. Oui le tramway passe là, juste au bord du petit bois qui termine la rue où j habite. Je vis dans cette maison, à côté de celle de ma grand-mère, rue de la gueule noire. Pourquoi ces travaux d envergure ont-ils été interrompus? J interpelle le chef de chantier qui m informe que des galeries souterraines viennent d être découvertes et que des fouilles archéologiques sont entreprises. Que pouvait-on bien faire dans cette partie de la ville tout près du petit bois? J interroge mes voisins et j apprends que des hommes allaient dans les bois fabriquer du «charbon de bois» dans des talus de terre d où des cheminées laissaient échapper le gaz. Des bûcherons coupaient le bois pour alimenter la production. D autre part, il existait des mines de charbon dans lesquelles des hommes extrayaient le précieux minerai pour chauffer les maisons l hiver venu. Ils travaillaient dans ces galeries qui venaient d être découvertes. Les ouvriers, vêtus de noir, étaient trapus et leur visage portait les traces noires d un dur labeur. La mine était située juste derrière un arbre bien cachée afin d en préserver secrète l entrée. Les hommes partaient tôt et rentraient tard dans la nuit tombée. 30

A cet instant je fis la relation avec le récit de ma grand-mère et le nom de la rue appelée "gueule noire", nom donné aux mineurs dans le nord de la France. Peut être avais-je levé une partie du mystère de la rue de la gueule noire? Rue de la petite noue Par Jack Foucher L'histoire d'une ville peut se narrer de mille et une manières. Les noms de rues en sont une parmi d'autres, certes, mais une fort instructive. Aujourd'hui, on donne à peu près n'importe quel nom à n'importe quelle rue. Les grands hommes ont leur part de succès. Encore que, la notion de grand homme soit à géométrie variable et sujette à caution en bien des occasions. Et je ne parle pas des noms passe-partout de nos lotissements : rue des bouleaux, des bouvreuils... Nos anciens étaient beaucoup plus près du concret, du palpable, beaucoup plus pragmatiques. Les noms distribués n'étaient pas le fait du hasard. Chacun pouvait en saisir rapidement la signification. Il n'y avait pas besoin de savoir lire et écrire. Ainsi donc, les vieilles rues sont comme les vieilles pierres. Elles sont une des mémoires d'une ville. Elles sont aussi une partie de notre mémoire d'hommes et de femmes. Elles sont évocatrices. Elles ont aussi parfois une parfum de mystère. Elles peuvent faire ressurgir des pans entiers d'un passé oublié, de notre passé. Il en est ainsi de la rue de la petite noue. Qu'est-ce qu'une noue? Si on se fie au dictionnaire, n'importe quel dictionnaire, car je ne veux pas citer de marque, le mot évoque une zone marécageuse (comme une mouillère), inondable, généralement herbeuse, des terres grasses et humides, des pâturages. Voilà pour la définition globale. Sise aux limes nord orientales de Saint Jean de Braye, à quelques mètres de Boigny, à quelques centaines de mètres de la forêt d'orléans, notre rue de la Petite Noue fait environ trois cents mètres de long, à tout casser. On y trouve deux maisons particulières et un carrossier. Imaginez, maintenant, le même lieu il y a de cela deux mil trois cents ans. Nous sommes bel et bien dans une zone humide. Il y a sûrement des bois, peut être même une forêt, celle que l'on appellera plus tard d'orléans. Il y a certainement une clairière, des mares. La Bionne coule à moins d'un kilomètre et fait frontière avec ce 31