Mémoire de maîtrise de Psychologie Clinique Paris X Nanterre dirigé par S. Missonnier



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Transcription:

Mémoire de maîtrise de Psychologie Clinique Paris X Nanterre dirigé par S. Missonnier «Internet Relay Chat, addiction et dépression» Marion LORE(2002) marion2000@freesurf.fr Plan du mémoire Introduction générale...... p.1 I Partie théorique : I-1. Présentation des supports techniques... p. I-1.1. L histoire d Internet I-1.2. Communiquer grâce à Internet I-1.3. Chatter I-2. Les travaux sur le terrain... p. I-2.1. Yvan Goldberg,1996 I-2.2. Kimberly Young, 1996 I-1.3. David Greenfield, 1999 I-1.4. L équipe de Marmottan, 2001 I-3. Conceptualisation de la problématique... p. I-3.1. L addiction...p. I-3.1.1. Les dépendances... p. I-3.1.2. Les addictions... p. I-3.1.2.1. Etymologie I-3.1.2.2. Définitions I-3.1.2.3. Des «toxicomanies sans drogues» à la «cyberaddiction» I-3.1.3. Nosologie... p. I-3.1.4. Modèles de l addiction... p. I-3.1.4.1. Modèle neurobiologique I-3.1.4.2. Modèles psychologiques I-3.1.4.3. Modèles psychanalytiques I-3.2. La dépression... p. I-3.2.1. Définitions... p. I-3.2.2. Tableau clinique... p. I-3.2.3. Variétés cliniques... p. I-3.2.4. Classifications des dépressions... p. I-3.2.5. Les échelles d évaluation de la dépression... p. I-3.2.6. Nosologie : entre névrose et psychose... p. I-3.2.7. Modèles de la dépression... p. I-3.2.7.1. Modèle génétique I-3.2.7.2. Modèle biologique I-3.2.7.3. Modèles psychanalytiques I-3.2.7.4. Modèle cognitif : Beck 1

I-3.2.7.5. En guise de conclusion I-3.3. La virtualité... p. I-3.3.1. Préambule... p. I-3.3.1.1. Définition technique I-3.3.1.2. Réalité, virtualité I-3.3.1.3. IRC, réalité virtuelle? I-3.3.2. Déclinaisons... p. I-3.3.2.1. Isolement sensoriel I-3.3.2.2. Un «deuxième Soi» I-3.3.2.3. Une deuxième conscience I-3.3.2.4. Un autre corps I-3.3.2.5. Conclusion I-4. Problématique... p. II Partie empirique... p. II-1. Hypothèse générale... p. II-2. Hypothèse détaillée... p. II-3. Opérationnalisation des concepts... p. II-3.1. Variable dépendante II-3.2. Variable indépendante II-4. Hypothèses opérationnelles... p. II-5. Pré enquête... p. II-6. Présentation des outils méthodologiques... p. II-6.1. La fiche signalétique II-6.2. Le questionnaire sur la dépendance Orman II-6.3. Inventaire abrégé de dépression de Beck (1972) II-6.4. L entretien semi-directif II-6.5. Email complémentaire II-6.6. La lettre de consentement II-7. Variables instrumentales et statistiques... p. II-8. Population et terrain... p. II-8.1. Sélection de la population II-8.2. Terrain d expérimentation II-9. Protocole de recherche... p. II-9.1. Procédure point par point II-9.2. Temps de passation III Résultats... p. III-1. Résultats descriptifs... p. 2

III-1.1. Caractéristiques des chatteurs III-1.2. Résultats par instrument III-1.3. Résultats par catégorie et par niveau III-2. Résultats inférentiels... p. III-2.1. Etude de la covariance... p. III-2.2. Etude du chi deux... p. III-3. Conclusion... p. IV Discussion... p. IV-1. Caractéristiques internes... p. IV-1.1. Une esquisse du chatteur IV-1.2. Caractéristiques liées aux instruments IV-1.3. Retour sur les entretiens de clôture IV-2. Caractéristiques externes... p. IV-3. Conclusion... p. Conclusion générale... p. Bibliographie... p. Annexes... p. 3

4

Introduction générale : En septembre 2001, en France, l Association des Fournisseurs d Accès et de Services Internet recense plus de 6 millions d abonnés à Internet (particuliers et professionnels confondus) alors qu en septembre 1996, on n en comptait que 150 000! En l espace de 7 années s est opérée en France une véritable révolution électronique : «les français sont désormais installés de plain-pied dans l ère de la communication électronique» (La Croix, mars 2002). Les preuves de cette spectaculaire démocratisation informatique ne manquent pas. Les journalistes multiplient les articles, les encarts, les dossiers consacrés à l utilisation d Internet. Chaque supermarché dédie un rayon du magasin à la micro informatique, et les offres des fournisseurs d accès à Internet sont toujours plus alléchantes les unes que les autres. Les employés des providers, les programmeurs des grandes sociétés informatiques travaillent sans relâche aux moyens de fidéliser leur clientèle : ainsi naissent toujours plus nombreux des serveurs francophones Internet Relay Chat, des serveurs de chat. Et toujours plus nombreux sont les usagers de ces serveurs : certains comptabilisent jusqu à 10 000 personnes connectées chaque soir. 10 000 personnes qui s échangent des fichiers texte, son, image, 10 000 personnes qui communiquent, 10 000 personnes qui dialoguent entre elles, et sont heureuses de se retrouver chaque soir sur le serveur de chat, qui nouent et dénouent des amitiés, qui construisent ensemble des projets. Certains chattent pour prendre des nouvelles d un frère éloigné plutôt que de lui téléphoner parce que cela coûte moins cher, et d autres chattent pour se faire de nouveaux amis. Si le dialogue sur le chat est peut être plus franc que dans la réalité, la communication s arrête aux mots. Les serveurs de chat permettent aux individus de dialoguer entre eux mais pas de se voir, mais pas d accéder au langage infra verbal. Aussi, ils décident de se rencontrer pour de vrai, dans la réalité. Les rencontres ont souvent lieu dans un café, un restaurant ou lors d une soirée organisée par les chatteurs eux mêmes, un Get Together. Mais parfois il arrive que ces rencontres prennent un caractère exceptionnel : ainsi, en mai 2002, sur le plateau de télévision de l émission «C est mon choix», une jeune femme et un jeune homme qui chattaient ensemble depuis 6 mois se sont rencontrés, se sont vus, se sont touchés, pour la première fois. Ce genre d émissions télévisuelles diffusées en «prime time», l augmentation des réseaux francophones de chat, le nombre de personnes qui s y connectent chaque soir, 5

l ensemble des chiffres donnés par les instituts de sondage, permettent d écrire que le chat est un mode de communication médiatisée par ordinateur répandu en France. Parfois, il arrive que pour certaines personnes, le chat devienne véritablement le mode privilégié de communication avec l autre, celui qui permet d aller vers l autre, elles chattent comme elles discuteraient avec leur voisin de table au café. Il arrive même que pour certaines personnes, la vie sur le chat devienne aussi importante que la vie dans la réalité : les conflits entre chatteurs sont aussi importants que les conflits avec leurs collègues au travail. Enfin, il arrive que ces personnes aiment tellement la vie sur le chat qu elles ne peuvent plus se déconnecter du serveur IRC et qu elles y passent «trop» de temps. Ces personnes sont «accrochées» au chat. Les articles de journaux qui décrivent ce phénomène dans lequel la personne devient addictée à Internet, addictée au chat, se multiplient : Sciences et Vie Micro, La Croix, Libération, Le Monde, sans compter les sites ouebs. Aussi, quelques chercheurs en Psychologie se penchent sur cette question : l addiction au chat est elle un mythe ou une réalité? Pour une équipe de chercheurs français de l hôpital parisien Marmottan, «par extension du chiffre sur le jeu pathologique, on peut raisonnablement penser que 1 à 2% de la population (population française des abonnés à Internet) est dépendante d Internet» (SVM, décembre 2001). Connaissant ces chiffres, et ayant pratiqué sans répit le chat pendant 4 ans, nous en avons une expérience intime. Etudiante en Psychologie Clinique, nous avons pensé que nous avions en mains de bons atouts pour réfléchir et analyser en profondeur les raisons qui font préférer la vie virtuelle à la vie réelle, les dangers que cela comporte, et les mécanismes qui rentrent en jeu dans cette pratique. Nous pensons que l étude des concepts d addiction et de dépression nous aidera à saisir pourquoi le protocole de Communication Médiatisée par Ordinateur, IRC, peut devenir indispensable pour certains. L étude du concept de virtualité devrait nous permettre de comprendre pourquoi et comment certaines personnes sont plus attirées par la vie virtuelle que par la vie réelle. 6

I - Partie théorique : I-1. Présentation des supports techniques : Avant d entrer dans le vif du sujet, il nous est apparu important de préciser les questions des supports techniques dont il est question dans ce mémoire : Internet, et Internet Relay Chat. C est en ayant assimilé ces questions qu on pourra comprendre et porter toute notre attention sur les mécanismes psychologiques en jeu. I-1.1. L histoire d Internet : C est en 1969, sous l impulsion du Département de la Défense des Etats-Unis, qu Internet est né. Le réseau qui s appelait alors ARPAnet (Advanced Research Project Agency), devait assurer les échanges d information électronique entre les centres névralgiques américains dans le contexte de la guerre froide. Le cahier des charges établi par le Département de la Défense imposait que le réseau puisse poursuivre ses activités en cas d attaque nucléaire soviétique. Si l un ou plusieurs des sites et lignes de connexion venaient à être détruits, les messages parviendraient à leur destinataire par des itinéraires alternatifs : l idée du protocole TCP/IP était née. Un grand nombre de centres de recherche, militaires, publics et privés, prirent part à ce projet. Il était normal que leurs réseaux internes soient les premiers reliés à Internet. C est pourquoi dès sa création, Internet sera un «méta-réseau», c est à dire un réseau de réseaux qui va peu à peu relier la communication scientifique et universitaire mondiale. TCP/IP a été développé à partir du milieu des années 70 sur les fonds fédéraux américains par BBN (Bolt Beranek and Newman, Inc.). Puis au début des années 80, tous les ordinateurs connectés à ARPAnet migrent vers TCP/IP. En 1982, Internet arrive en Europe. En 1984, Internet perd son caractère militaire, et son financement est assuré par un organisme scientifique civil : le National Science Foundation (NSF). En 1989, l accès aux documents scientifiques sur Internet est facilité grâce à la naissance du World Wide Web (WWW) conçu au Conseil Européen pour la Recherche Nucléaire (CERN) en Suisse. Deux outils vont révolutionner la navigation sur Internet : le Hyper Text Transfer Protocol (HTTP) et le Hyper Text Markup Language (HTML). Ils permettent à l utilisateur d accéder aux ressources grâce à un réseau de nœuds et de liens reliant divers sites sur Internet. Un document électronique peut contenir des liens hypertextes qui renvoient eux mêmes à d autres documents électroniques 7

contenant aussi des liens hypertextes qui renvoient encore à d autres documents et ceci à l infini. C est donc à partir de la naissance de WWW que Internet s est démocratisé et qu on a commencé à parler d Internautes pour désigner les utilisateurs d Internet. I-1.2. Communiquer grâce à Internet : Il existe plusieurs moyens pour communiquer via Internet. Généralement, on distingue la communication synchrone de la communication asynchrone. Le système de messagerie électronique ou «e-mail» correspond à la communication asynchrone parce que les personnes ne dialoguent pas en temps réel. Les protocoles IRC et ICQ correspondent au système de communication synchrone. Le protocole ICQ, littéralement «I seek you», dont la traduction est «je te cherche», permet à deux personnes de dialoguer ensemble en temps réel. Mais dans ce travail, c est au protocole de chat Internet Relay Chat (IRC) que nous nous intéressons. I-1.3. Chatter : IRC signifie Internet Relay Chat, que l on peut traduire en français par «service de bavardage Internet», et a été inventé en 1988 par le finlandais Jarkko Oikarinen. Rigoureusement, IRC constitue un système de Communication Médiatisée par Ordinateur (CMO) en temps réel et en mode texte. Plus simplement, c est un protocole qui permet à des personnes, (en fait des «clients») de communiquer à plusieurs ou seulement à deux (private chat) en temps réel, c est à dire simultanément. IRC est le troisième protocole le plus utilisé sur Internet après le World Wide Web et le courrier électronique. Il nous a semblé que c était G. Latzko-Toth, auteur québécois du mémoire A la rencontre des tribus IRC (1998), qui donnait le meilleur compte rendu du fonctionnement du protocole IRC. En voici un résumé. I-1.3.a. Le protocole - Nom de code : RFC1459 : IRC est un protocole qui se superpose au protocole fondamental qu est TCP/IP. D'un côté, IP (Protocole Internet) définit les caractéristiques des paquets de données ou datagrammes, tandis que de l'autre côté TCP (Protocole de Contrôle du Transfert) s'assure de leur arrivée à bon port. L originalité d IRC est de définir non seulement des modalités de communication entre machines, mais également entre machines et êtres 8

humains, l objectif étant de permettre l échange de messages écrits au moyen des caractères ASCII. Le code ASCII (American Standard Code for Information Interchange) comprend, outre les lettres de l'alphabet et les chiffres, un certain nombre de signes typographiques ou symboles tels:! & # $ %... ). Comme tous les protocoles et autres textes officiels d Internet, le protocole IRC est décrit dans un «RFC» (Request or Comments). Ces documents de référence, qui émanent en général de membres de divers groupes de travail de l IAB (Internet Architecture Board) et sont destinés à leurs pairs, sont publics et accessibles sur de nombreux sites du Web. Dans son acceptation la plus restreinte, Internet Relay Chat n est donc qu une suggestion de protocole de téléconférence synchrone, consignée dans un document appelé «RFC1459», rédigé en mai 1993 par Jarkko Oikarinen et Darren Reed. Aujourd hui encore, les directives contenues dans ce RFC assurent la comptabilité des logiciels qui permettent de faire d IRC une réalité et un service pour un nombre croissant d internautes à travers le monde. I-1.3.b. Du protocole au réseau : Dès l origine, Jarkko Oikarinen a conçu son système selon une architecture client serveur destiné à tirer profit d un réseau décentralisé de type Internet. Cela signifie que deux types de logiciels constituent l environnement IRC, d un coté le serveur (qui gére une base de données contenant la liste des usagés connectés) et d un autre coté les logiciels clients (ils constituent l interface entre le système technique et l usager) installés sur les machines des usagers et qui dialoguent avec le serveur. Le serveur est capable de dialoguer avec d autres serveurs, situés sur des ordinateurs «hôtes» distants, de façon à constituer un réseau de serveurs qui donnent l illusion aux usagers d être réunis dans un même espace virtuel, de communication. Les divers serveurs se comportent comme des relais (d où le nom, Internet Relay Chat). En quelque sorte, le réseau IRC est au protocole IRC ce que le réseau Internet est à TCP/IP. Pour rejoindre les usagers IRC, il suffit de se connecter à un quelconque serveur du réseau, ce qui en théorie abolit la limitation du nombre d usagers simultanés et la distance géographique. I-1.3.c. Structures de base : 9

Un minimum de structuration est nécessaire pour que la communication existe: les usagers de IRC se regroupent donc dans des «canaux» (le terme est emprunté au jargon des passionnés de radio amateur qui doivent sélectionner une fréquence avant de pouvoir se parler). Les canaux IRC existent sous la forme de listes d usagers qui reçoivent les mêmes messages aux mêmes moments. Effectivement IRC est conçu pour une communication synchrone et dynamique: l entrée et la sortie de la liste doivent se faire de manière fluide, sans l étape d inscription formelle. Mais du point de vue de l usager, le fonctionnement interne est transparent : l interface de son logiciel client fait en sorte que le canal soit un lieu à part, propre à l échange textuel. 10

I-2. Les travaux sur le terrain : Depuis 1994, date qui correspond à l entrée en force d Internet dans les familles aux Etats-Unis, quelques chercheurs américains se sont penchés sur l apparition d un nouveau phénomène, la «cyberdépendance». Ce n est pas un hasard que ce phénomène soit apparu d abord en Amérique du Nord. Nous savons qu Internet est né aux Etats-Unis pendant la guerre froide, les micro ordinateurs reliés à Internet sont donc entrés dans les foyers américains avant de traverser l Atlantique massivement. Nous allons nous intéresser aux trois auteurs américains qui sont le plus cités sur Internet à propos des recherches déjà menées sur l addiction à Internet. Nous nous intéresserons aussi à une équipe française qui travaille actuellement sur le sujet. I-2.1. Yvan Goldberg,1996 : On peut considérer Y. Goldberg, psychiatre américain, comme «l inventeur» du concept de «cyberdépendance», même si la suite de l histoire n est pas très scientifique En 1996, Y. Goldberg participait à un forum de discussion sur Internet intitulé «La psychologie de l Internet», destiné aux psychiatres américains, et y publia une «proposition de formation d un groupe de soutien à la dépendance à Internet» très inspirée des critères diagnostiques des troubles du comportement de la DSM (Manuel Diagnostique et Statistique des Maladies). L intention avouée de Y. Goldberg était de faire une blague à ses amis. Mais le forum était également fréquenté par des non psychologues et le concept se répandit très rapidement sur Internet. La proposition du Docteur Goldberg était rédigée comme suit : «Troubles dus à la dépendance à Internet : critères diagnostiques. Modèle de mauvais usage d Internet conduisant à une détresse cliniquement significative se manifestant par trois ou plus des items suivants apparaissant à n importe quel moment dans un intervalle de douze mois. I Tolérance, comme définie par l un des items suivants : A - Besoin d augmenter le temps passé sur Internet pour obtenir satisfaction. B - Diminution marquée des effets lors d une utilisation continue pour une période d intervalle égal. II Etat de manque se manifestant par l un des items suivants : A - Le syndrome d état de manque caractéristique. 11

1. A l arrêt ou à la réduction d une utilisation prolongée d Internet. 2. Avoir deux (ou plus) des items suivants, apparaissant quelques jours après le critère 1. - a ) Agitation psychomotrice - b ) Anxiété - c ) Pensées obsédantes concernant ce qui se passe sur Internet. - d ) Mouvements volontaires ou involontaires de tapotement des doigts. 3. Les symptômes du critère de diminution ou de détresse dans le fonctionnement social, occupationnel ou tout autre secteur. B - L utilisation d Internet ou d un service similaire en ligne est en mesure d effacer ou d éviter les symptômes du syndrome de manque. III L utilisation d Internet dure, presque toujours, plus longtemps et est plus souvent réalisée que dans l intention initiale. IV Il existe un désir permanent ou des efforts sans succès d arrêter la connexion ou de contrôler l usage d Internet. V Une grande partie de son temps libre est passée dans des activités concernant l usage d Internet. VI Abandon des activités sociales, occupationnelles ou récréatives au profit de l utilisation d Internet. VII Utilisation continue d Internet en dépit de la sensation d avoir des problèmes récurrents de nature sociale, professionnelle, physique ou psychologique.» Le Docteur Goldberg ne se doutait pas que la classification de symptômes qu il avait établie, et qui paraissait à certains égards farfelue : «(II-A.2.d.), Mouvements volontaires ou involontaires de tapotement des doigts», serait prise très au sérieux par d autres chercheurs. I-2.2. Kimberly Young, 1996 : I-2.2.a. Description de ses travaux : Le Docteur Young participe chaque année au congrès de l APA (American Psychological Association) où elle présente ses travaux en cours sur la «cyberdépendance». K. Young a très vite été considérée comme l une des pionnières concernant les recherches sur la «cyberdépendance» puisque c est elle qui a permis cette définition en utilisant les termes associés au tableau clinique du jeu compulsif («gambling») à celui d une «cyberdépendance». Comme elle l a développé dans son article «Internet addiction : symptoms, evaluation, and treatments», il s agit d une nouvelle maladie 12

mentale caractérisée par la difficulté à contrôler ses impulsions, l incapacité à se déconnecter d Internet. Elle a élaboré une liste de symptômes à partir des critères diagnostiques du DSM-IV et de la proposition du Docteur Goldberg. Elle estime que la personne est dépendante lorsqu elle souffre d au moins 5 des 10 symptômes de cette liste et pendant une période supérieure à 12 mois : 1) Avoir le sentiment d être préoccupé par Internet. 2) Ressentir l impression de passer de plus en plus de temps sur Internet pour obtenir de la satisfaction. 3) Etre dans l incapacité de contrôler le temps passé sur Internet. 4) Avoir une sensation d excitation ou d irritabilité au moment de couper la connexion à Internet. 5) Utiliser Internet afin de s échapper de ses problèmes ou de se «remonter le moral». 6) Mentir à sa famille ou à ses amis sur l extension du temps passé sur Internet. 7) Risquer de perdre des relations sociales, un travail, une opportunité de carrière professionnelle ou éducative à cause d Internet. 8) Après avoir joué des sommes excessives sur Internet (casino virtuel), y revenir les jours suivants. 9) Ressentir un état de manque une fois déconnecté d Internet. 10) Rester connecté plus longtemps que prévu. Sa classification a permis au Docteur Young de mener une étude en ligne sur la dépendance à Internet. Selon ses critères, elle a déterminé 396 usagers dépendants à Internet. Elle dégage trois catégories d usagers dépendants : ceux qui se connectent dans le but d avoir des relations sociales, ceux qui recherchent des contacts sexuels virtuels, et ceux qui s inventent un personnage sur Internet. K. Young a aussi créé une «clinique virtuelle», le «Center for On Ligne Addiction» dans laquelle elle soigne les personnes dépendantes à Internet sur le modèle du traitement des toxicomanies et de l alcoolisme. I-2.2.b. Critiques portées contre Kimberly Young : Le plus virulent de ces détracteurs est sans doute le psychologue clinicien québécois, J. Garneau (1999); qui lui aussi se penche sur le phénomène «cyberdépendance». Il lui reproche entre autre d avoir transposé les termes du tableau clinique du jeu compulsif à celui d une «cyberdépendance», car Jean Garneau ne croit pas en 13

l existence d une telle maladie mentale. Il l accuse d avoir ainsi préféré la «solution de facilité» concernant cette «cyberdépendance» puisqu elle a également emprunté les traitements des toxicomanies à celui de la «cyberdépendance». D une manière générale, elle ne parle que de symptômes, de critères diagnostiques ou de procédures de traitement, mais jamais elle ne propose de réflexion clinique sur ce sujet. D autres auteurs, comme R. Ortelli, webmaster d un site sur la «cyberdépendance», lui reprochent d avoir tiré des conclusions hâtives d une «pseudo-enquête». Cette étude qui a été menée au début des «années Internet» lorsque le phénomène n était pas encore très développé ne pourrait en rendre compte. Par ailleurs, l échantillon de l étude n était pas représentatif de la population des internautes : 42% étaient des femmes, des étudiants ou des écoliers, et 8% étaient des professionnels des nouvelles technologies, alors qu en réalité les trois quarts des internautes sont des hommes, professionnels de ce domaine. Il est évident que la liste de détracteurs de K. Young pourrait être très longue. Il est évident aussi qu elle n a peut-être pas pris toutes les précautions nécessaires pour réaliser ses recherches, qu elle ne propose pas de réflexion clinique, et qu elle a d une certaine manière profité du contexte commercial de l expansion d Internet. Cependant, nous pouvons lui reconnaître le mérite d avoir listé les principaux symptômes de la «cyberdépendance». En outre, les résultats de sa recherche s approchent des résultats des autres études sur le sujet et ce à partir d une classification qu elle a inventée certes, mais qui n est pas aussi farfelue qu on le dit. Enfin, elle met en évidence le coté désinhibiteur d Internet, et le développement d une «hyper personnalité» ainsi que l ont montré d autres recherches. I-2.3. David Greenfield, 1999 : I-2.3.a. Description de la recherche : Le Docteur Greenfield est connu pour la vaste recherche qu il a menée en 1999 sur la «cyberdépendance» puisqu il a interrogé 17 251 internautes. A la suite d un reportage télévisuel sur la «cyberdépendance», les téléspectateurs étaient invités à se rendre sur le site Internet du Docteur Greenfield pour répondre à un questionnaire dans le cadre de cette recherche. Ce questionnaire était largement inspiré de la liste de symptômes établie par le Docteur Young. Enfin, D. Greenfield a établi la «cyberdépendance» des internautes qui avaient participé à l étude en s appuyant sur les critères diagnostiques des toxicomanies. 14

I-2.3.b. Critiques portées sur la recherche : Encore ici, c est J. Garneau, psychologue clinicien pratiquant au Québec et webmaster du site «Les Psychologues Humanistes» (1999), qui est le plus farouche détracteur de D. Greenfield. Pour lui, cette étude ne peut être envisagée que comme un préliminaire à une nouvelle enquête tant il y a de biais. Pour commencer, la sélection des sujets était biaisée du fait que les sujets se choisissaient eux - mêmes. Ensuite, la rédaction du questionnaire de recherche impliquait que les sujets donnent des réponses «acceptables» aux yeux du chercheur. Enfin, J. Garneau reproche la manière dont ont été traités et interprétés les résultats : c est à dire en s inspirant une nouvelle fois des critères diagnostiques des toxicomanies, et sans avoir établi de mécanismes psychiques sous-jacents. Autrement dit, il discute la valeur scientifique de cette enquête. Depuis la proposition «farceuse» d Y. Goldberg en 1995, en passant par les recherches des Docteur K. Young en 1996 et D. Greenfield en 1999 jusqu à maintenant, les études se sont succédées et leurs critiques aussi. Si les concepts en jeu ont évolué selon les auteurs, il n en reste pas moins qu une clinique de la «cyberdépendance» a du mal à émerger, le phénomène étant sans doute très intriqué avec le tableau clinique des toxicomanies. Nous allons maintenant nous intéresser à l une des recherches sur la cyberaddiction menée en France, à Paris, à l Hôpital Marmottan qui accueille un Centre de Toxicomanie. I-2.4. L équipe de Marmottan, 2001 (Marc Valleur, Michel Hautefeuille, Dan Véléa) : «Ouvert en 1971, dans la foulée de la répressive loi de 1970 sur les usagés de drogues, le Centre Marmottan aspire à devenir un lieu d accueil, mais aussi de consultations spécifiques pour d autres formes de dépendances toujours pas socialement prises en compte.» (SVM, décembre 2001) Autrement dit, le Centre accueille également et nouvellement des sujets souffrants du jeu pathologique et de l addiction à Internet. M. Valleur, médecin chef de service à l hôpital Marmottan, M. Hautefeuille, praticien hospitalier chargé de recherche à Marmottan, et D. Véléa, médecin assistant à Marmottan poursuivent actuellement des recherches sur ces nouvelles addictions. Leur équipe a été 15

la première en Europe à s intéresser aux «addictions sans produit». Selon leurs recherches, 1 à 2 % des internautes seraient des usagers dépendants à Internet. Leur travail est axé sur la reconnaissance de ces nouvelles addictions par la société, le cadre médical et l Etat au même titre que les toxicomanies, sur la définition de modes de réponses à la pathologie et sur son traitement : pour soigner les personnes souffrant de ces «addictions silencieuses» (D. Véléa, 1996), l équipe prône la diversité des pôles d intérêt des sujets. L équipe de Marmottan distingue deux catégories d addiction à Internet : la première rassemble les sujets qui passent leur temps à surfer sur Internet quelque soit le thème, la seconde rassemble les sujets qui sont «accros» à un thème particulier comme les jeux en réseaux ou le chat. Les chercheurs insistent aussi sur les aspects «accrocheurs» d Internet et des jeux vidéos. Ils soulignent la différence entre l usage «normal» d Internet et son usage abusif, excessif, addictif. Enfin, l équipe de Marmottan travaille à la prévention en rappelant que c est d abord le premier mode d intervention médicale, et condamne les traitements dans les «cliniques virtuelles» parce qu ils ne permettent pas la résolution du conflit psychique du sujet addicté. Nous inscrivons notre étude à la suite des recherches effectuées par l équipe de Marmottan. Comme eux, nous employons le terme d addiction silencieuse ou d addiction à Internet, termes que nous développerons dans la partie suivante, pour décrire le processus que nous étudions ici. Nous reprendrons les critères diagnostiques déjà établis et nous tenterons d argumenter une réflexion clinique de la structure psychique des addictés à Internet. Pour ce faire, nous nous appuierons à la fois sur les idées développées par le Séminaire de l hôpital Marmottan, autrefois dirigé par C. Olievenstein, sur notre expérience personnelle de la pratique du chat, et sur les résultats de l enquête que nous avons menée auprès de seize personnes qui chattent quotidiennement. 16

I-3. Conceptualisation de la problématique : I-3.1. L addiction : Depuis une trentaine d années, nous observons le terme d addiction dans le paysage de la psychopathologie française pour désigner différentes formes de dépendances : des toxicomanies à l alcoolisme, de la boulimie au tabagisme. Cependant il n est pas toujours aisé d établir ce à quoi cette notion fait réellement référence. Dans chaque conduite addictive, deux dimensions se retrouvent : Les addictions sont souvent des besoins non ressentis comme fondamentaux par la société. Elles sont apparues sous la forme d expériences satisfaisantes vécues par le sujet, puis sont devenues des habitudes, et enfin le sujet les a ressenties comme des besoins impérieux. Cependant, ces addictions n entravent pas la vie sociale du sujet, et la question du manque ne se pose pas. L autre dimension souligne le caractère envahissant sur la vie sociale du sujet de ce nouveau besoin. Tous les intérêts du sujet convergent vers la recherche de l expérience satisfaisante. Le sujet se situe alors dans un rapport au monde pathologique. Toute la difficulté est donc de reconnaître le seuil à partir duquel l expérience initiale est vécue, ressentie et apparaît comme un besoin impérieux mais «normal», et le moment où ce besoin devient pathologique. I-3.1.1. Les dépendances : I-3.1.1.a. Définition de l OMS : En 1955, l Organisation Mondiale de la Santé insiste sur la dépendance et l augmentation des doses dans une définition qu elle donne de la toxicomanie. En 1969, elle lui oppose finalement le terme de pharmacodépendance. Sa définition devient : «Un état psychique et quelque fois également physique, résultant de l interaction entre un organisme vivant et une drogue, se caractérisant par des modifications de comportement et par d autres réactions, qui comprennent toujours une pulsion à prendre le produit de façon continue ou périodique afin de retrouver ses effets psychiques et quelque fois d éviter le malaise de la privation. Cet état peut s accompagner ou non de tolérance. Un individu peut être dépendant de plusieurs produits.» 17

Mais aussi complète soit elle, cette définition ne prend pas en compte la perte de liberté du sujet et sa souffrance. I-3.1.1.b. Définition du Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux : La définition de la dépendance proposée par le DSM-IV propose en fait des éléments descriptifs des conduites et des comportements ; en impliquant des critères d âge, de sexe, et de culture. Mais cette définition se rapporte à la culture nord américaine. Pour les psychiatres américains, la notion d addiction peut se situer dans le cadre des «troubles du comportement du contrôle des impulsions». Ils définissent l impulsion comme le fait que le sujet se livre en connaissance de cause à son besoin et en éprouve un sentiment de satisfaction. De fait, la notion de compulsion implique le sentiment de mal être du sujet qui s y soumet. Le DSM distingue les «troubles liés à l utilisation d une substance» des troubles du comportement tels que la pyromanie, la kleptomanie, le jeu pathologique. La classification prend également en compte d autres facteurs : les troubles liés à l utilisation d une substance, les troubles induits par une substance et les substances utilisées. Enfin, le DSM-IV spécifie l existence d une dépendance physique ou d une dépendance psychologique. I-3.1.1.c. Le Syndrome de Dépendance (C.I.M. 10) : La classification du C.I.M.10 est assez proche de celle du DSM-IV, mais elle insiste en plus sur le désir puissant ou compulsif d utiliser une substance. Comme définition globale de la dépendance, nous retenons «Situation de dépendance à une substance ou à une séquence comportementale vécue comme aliénante, toute l existence du sujet se trouvant centrée autour de la répétition d une expérience, au détriment d investissements affectifs ou sociaux.» I-3.1.1.d. Usage et abus : Ces deux classifications américaines distinguent la dépendance, au sens large l addiction, à une substance ou un comportement, des usages problématiques. Autrement dit, il peut y avoir l existence d une conduite potentiellement addictive sans qu il y ait de dépendance, c est à dire de conséquences négatives pour la personne. L usage devient problématique dès lors que l entourage, la société est lésée par cette conduite. L usage peut être le résultat de pressions de phénomènes internes et externes : attrait du plaisir interdit, fascination par le danger potentiel, curiosité, intégration dans une communauté, évasion hors d un monde hostile ou d une réalité quotidienne contraignante, 18

etc. Le sujet fait donc l usage de substances ou adopte des comportements potentiellement addictifs à des fins récréatives, et lors de situations occasionnelles. L usage est nocif (abusif) lorsque la consommation de substances ou le comportement deviennent susceptibles de provoquer des dommages physiques, affectifs, psychologiques ou sociaux pour le consommateur et son environnement proche ou lointain. L abus s oppose à une éthique de la mesure, du contrôle de soi, du «trop». I-3.1.1.e. Tolérance et manque : L OMS distingue ce qui relève de la dépendance physique et de la dépendance psychologique : La dépendance psychologique «est un état dans lequel une drogue produit un sentiment de satisfaction et une pulsion psychique exigeant l administration périodique ou continue de la drogue pour provoquer le plaisir ou éviter le malaise» (OMS, 1964). Le sujet ne supporte plus de se passer de la drogue, toute sa vie est orientée vers la recherche du produit, c est la situation du toxicomane. La dépendance physique «est un état adaptatif caractérisé par l apparition de troubles physiques intenses lorsque l administration de la drogue est suspendue ou que son action est contrecarrée par un antagoniste spécifique» (OMS, 1964). Certains auteurs estiment que la dépendance physique est la caractéristique des toxicomanies. Ces deux définitions renvoient à la notion de «manque», c est à dire la traduction du syndrome de sevrage, et à celle de tolérance au produit : le processus d adaptation d un organisme à une substance qui se traduit par l affaiblissement progressif des effets de celle ci, le sujet doit donc augmenter la dose pour retrouver les sensations initiales. I-3.1.2. Les addictions : L étude rapide de ces différentes définitions nous permet de nous rendre compte comment différentes conduites, ayant en commun l impulsivité et entraînant la dépendance, peuvent se rassembler sous la dénomination d addiction. En ayant recours à ce terme plutôt qu à celui de toxicomanies, nous incluons autant les dépendances aux substances psychoactives, la boulimie, le jeu pathologique c est à dire les addictions stricto sensu, que l usage métaphorique du terme addiction comme le «suicide addictif», les «achats addictifs». Cet usage du terme d addiction nous permet de relativiser la place des produits dans les dépendances, en faisant place aux «toxicomanies sans drogues» ou aux «addictions silencieuses», qui sont l objet de notre travail. I-3.1.2.1. Etymologie : 19

Le mot addiction vient du latin ad-dicere ce qui signifie dire à. Il était utilisé en droit romain pour désigner la contrainte par son corps de celui qui ne pouvait pas payer ses dettes. La notion d esclave y est donc liée. Le mot «d addiction» apparaît en psychiatrie dans les années 60 pour remplacer le mot de «toxicomanie» jugé trop stigmatisant. I-3.1.2.2. Définitions : I-3.1.2.2.a. Stanton Peele : En 1975, S. Peele, psychologue clinicien, établit la parenté entre la dépendance toxicomaniaque et la dépendance au conjoint dans son livre «Love and Addiction». Selon lui, les sujets deviennent dépendants d une expérience et non d une substance chimique. Le sujet cherche, non pas à reproduire la sensation de bien être de l expérience initiale, mais à éviter des situations anxiogènes en reproduisant une séquence de comportements déjà expérimentés. I-3.1.2.2.b. Aviel Goodman : En 1990, A. Goodman, psychiatre américain, établit une définition des addictions conforme aux critères du DSM-IV : A - Impossibilité de résister aux impulsions à réaliser ce type de comportement. B - Sensation croissante de tension précédant immédiatement le début du comportement. C - Plaisir ou soulagement pendant sa durée. D - Sensation de perte de contrôle pendant le comportement. E - Présence d au moins cinq des neufs critères suivants : 1) Préoccupation fréquente du sujet du comportement ou de sa préparation. 2) Intensité et durée des épisodes plus importantes que souhaitées à l origine. 3) Tentatives répétées pour réduire, contrôler, ou abandonner le comportement. 4) Temps important consacré à préparer les épisodes, à les entreprendre, ou à s en remettre. 5) Survenue fréquente des épisodes lorsque le sujet doit accomplir des obligations professionnelles, scolaires ou universitaires, familiales ou sociales. 6) Activités sociales, professionnelles, ou récréatives majeures sacrifiées du fait du comportement. 7) Perpétuation du comportement bien que le sujet sache qu il cause ou aggrave un problème persistant ou récurrent d ordre social, financier, psychologique ou physique. 8) Tolérance marquée. 9) Agitation ou irritabilité en cas d impossibilité de s adonner au comportement. 20

F - Certains éléments du syndrome ont duré plus d un mois et se sont répétés pendant une période plus longue. C est cette définition que nous gardons pour notre travail car elle correspond en tous points à ce que nous voudrions démontrer. D une part, elle s applique à notre sujet d étude, les «addictions silencieuses». D autre part, elle reprend les listes de symptômes élaborés par les chercheurs qui ont déjà mené des études sur la cyberaddiction. I-3.1.2.3. Des «toxicomanies sans drogues» à la «Cyberaddiction» : En 1945, O. Fenichel introduit la notion de «toxicomanies sans drogues» pour signifier l ensemble des conduites impulsives et pathologiques. D. Véléa, actuellement médecin à l hôpital Marmottan (Paris, France), emploie lui le terme «d addictions silencieuses». Sous la conception d addiction, nous avons vu que nous entendions aussi bien les dépendances à des substances psychoactives que les dépendances telles que le jeu pathologique, l achat compulsif, le travail compulsif, et l objet de notre étude la «Cyberaddiction». En outre, préférer le terme d addiction, ici de «Cyberaddiction», au terme de dépendance, nous permet les usages métaphoriques du terme. Effectivement, l utilisation quotidienne d Internet n implique pas forcément que le sujet en devienne dépendant. Par contre cette utilisation quotidienne d Internet est un facteur qui favorise l apparition de conduites addictives. Enfin, ce concept de Cyberaddiction ou d Internet Addiction (addiction à Internet) est actuellement reconnu par les spécialistes : Brenner, 1996 ; Scherer, 1996, Véléa, 1997, c est pourquoi nous nous permettons de l utiliser à notre tour. Les addictions à Internet peuvent se retrouver au travers de deux types de conduites (D. Véléa, M. Hautefeuille, 2001). La première concerne l utilisation de l outil informatique, l ordinateur, comme un moyen d accéder à l information : les sujets surfent sur Internet et vont d un thème à l autre grâce aux liens hypertextes, mais sans jamais s attacher à l un. La deuxième catégorie, au contraire, concerne l attachement à l un de ces thèmes : les sujets occupent leur temps à l explorer. Ce thème peut être le jeu, le sexe, ou encore le chat, C est ce dernier thème, le chat, auquel nous nous intéressons. Pour ces auteurs, les mécanismes de dépendance sont les mêmes d une catégorie à l autre, mais ils ne prennent pas la même signification. L attachement à un thème particulier, le chat, est en fait le reflet d une pathologie déjà existante. 21

C est dans cette perspective que nous travaillons et que nous avons posé nos hypothèses puisque nous pensons que les sujets qui chattent présentent des traits dépressifs. I-3.1.3. Nosologie : Le concept d addiction ne figure ni dans le DSM-IV, ni dans le C.I.M.10 ainsi que nous venons de l étudier, de même que le concept d addiction à Internet. En général, les auteurs assimilent l addiction à d autres troubles : troubles de l humeur, troubles de la personnalité, troubles de l anxiété. Dans ce travail, nous assimilerons l addiction à Internet avec les troubles dépressifs. I-3.1.4. Modèles de l addiction Intéressons nous maintenant aux modèles psychopathologiques développés par les auteurs pour rendre compte des mécanismes en jeu : pourquoi les sujets ne peuvent-ils pas s empêcher de consommer une substance toxique ou d adopter certaines conduites? La diversité des modèles explicatifs des addictions nous prouve qu il s agit d un montage complexe dans lequel le sujet addicté tente de trouver son équilibre. I-3.1.4.1. Modèle neurobiologique : Les substances psychoactives, le tabac, l alcool, l ecstasy ont en commun d augmenter la quantité du neuromédiateur dopamine dans le «système de récompense» du cerveau, également appelé système hédonique, qui fait partie du système limbique. Le système sérotoninergique est également en cause dans certains troubles du comportement, dans les troubles compulsifs et dans les manifestations dépressives. Des expériences réalisées sur des animaux ont permis de mettre en relation les sécrétions de corticostérone et les conduites de recherche de nouveauté. Cependant, nous n irons pas plus loin dans l explication de ce modèle car il nous semble insuffisant pour rendre compte des mécanismes en jeu dans les addictions. Concernant le thème de notre travail, le chat, et les concepts psychopathologiques que nous y relions, nous pouvons toutefois nous demander jusqu à quel point le système hédonique est sollicité lorsque le sujet se connecte au serveur de chat. I-3.1.4.2. Modèles psychologiques : I-3.1.4.2.a. Zuckerman, 1960 A la suite de plusieurs travaux sur la recherche de sensations, Zuckerman (dans J. L. Pedinielli, 1997, p.51, 52) développe un modèle explicatif des addictions. Les sujets qui 22

recherchent des sensations ont un besoin impérieux de prendre des risques physiques et sociaux pour vivre des expériences nouvelles. Il est l auteur d une échelle de mesure : la SSS, Sensation Seeker Scale, dans laquelle il définit quatre facteurs représentant la recherche de sensations : - la recherche de dangers, d aventures (attrait pour les sports réalisés à l extérieur ou des activités impliquant le danger et la vitesse, la plupart étant socialement acceptés), - la recherche d expériences (attrait pour des expériences intellectuelles ou sensorielles conduisant à un style de vie non conventionnel), - la désinhibition (recherche de sensations par un style de vie hédonique, la boisson, les expériences sexuelles, les sorties, le jeu ), - la susceptibilité à l ennui (intolérance à la monotonie, dégoût pour la routine et les gens ennuyeux). Les travaux ont montré que les sujets qui ont un score élevé à cette échelle se retrouvent parmi les sujets qui présentent des conduites addictives : toxicomanie, achat compulsif, etc. Il existe donc une corrélation entre addiction et recherche de sensations. Les hypothèses explicatives avancent l idée de la valeur adaptative du comportement addictif par la modulation d un bas niveau d activation corticale. Elles distinguent une phase d initiation où la rencontre avec le produit sert de base à l addiction, et une phase de dépendance dans laquelle l usage du produit correspond aux exigences adaptatives. Dans ses grandes lignes, ce modèle prend autant appui sur les modèles biologiques que sur les modèles psychanalytiques, puisqu il prend en compte la question du plaisir ressenti par le sujet addicté. Cependant ce modèle ne peut rendre compte de tous les comportements addictifs (la boulimie, par exemple). Mais il est assez bien adapté à d autres comportements comme la toxicomanie, l alcoolisme ou le jeu pathologique. Aussi dans l addiction au chat, on retrouve des éléments définis dans l échelle de recherche de sensations, tels la désinhibition, et la susceptibilité à l ennui. I-3.1.4.2.b. Stanton Peele, 1975 : A l opposé des modèles biologiques et psychanalytiques, S. Peele ( dans J.L. Pedinielli, 1997, p.54, 55) développe une conception de l addiction basée sur des concepts comportementaux et cognitifs. Il utilise le terme d addiction au sens large et l apparente aux conduites de dépendance. L addiction n est pas une maladie mais une expérience, une réponse à un sentiment d échec à une tâche déterminée. Cet échec met en doute les capacités de réussir du 23

sujet. Ainsi, les sujets addictés ont en commun une faible estime de soi, une incapacité à satisfaire leurs besoins existentiels, et une incapacité à être objectifs vis à vis d euxmêmes. Les conduites addictives s aménagent en deux temps : Le sujet, en échec, met en place des conduites addictives qui jouent un rôle de substitution dans le sens où elles offrent au sujet la gratification qu il n a pas eu. Le sujet a l impression de se sentir accepté, d être meilleur, d avoir réalisé ses projets. Mais comme le sentiment d estime de soi n est qu illusoire, les sentiments d incapacité, l humeur négative, réapparaissent rapidement. Alors, le sujet doit répéter cette expérience initiale pour maintenir les sentiments de gratification qu il a déjà expérimentés. Autrement dit, l addiction a pour rôle d annuler les sentiments d incapacité du sujet, mais en même temps qu elle les annule, elle les exacerbe. Ces deux modèles nous montrent que les conduites addictives sont le résultat d un montage complexe entre des distorsions cognitives (mauvaise estime de soi), et des interprétations erronées des situations dans lesquelles se trouvent les sujets. Les conduites addictives sont donc, de ce point de vue, un mode particulier de réponse à une situation donnée. Les distorsions cognitives, les failles identitaires, les failles narcissiques, l échec de l introjection, ces éléments, pourtant issus de modèles différents, permettent de rendre compte du fonctionnement psychique des sujets addictés. C est aux modèles psychanalytiques que nous nous intéressons maintenant. Nous comprenons que la psychanalyse n offre pas de théorie générale des addictions : puisque cette notion s entend dans son sens le plus large. En général, les auteurs fournissent des éléments de réflexions pour comprendre les mécanismes en jeu dans les conduites addictives. L addiction est souvent vue comme un système économique et dynamique. Enfin, les auteurs s accordent pour souligner la non spécificité structurale des addictions : on ne peut les référer aux psychoses, névroses, perversions, états limites. I-3.1.4.3. Modèles psychanalytiques : I-3.1.4.3.a. L échec des phénomènes transistoires, Joyce Mac Dougall J. M. Dougall (dans J.L. Pedinielli, 1997, p.58 à 61) est l un des premiers auteurs en France à avoir donné un modèle explicatif des addictions. Sous le terme d addiction 24

qu elle rattache à la notion d esclavage, elle désigne l ensemble des comportements caractérisés par l agir et la dépendance (toxicomanie, alcoolisme, boulimie ). Sur la base d observations cliniques, elle établit une théorie caractérisée par le rôle défensif de l addiction, l impossibilité de l introjection, et l importance de l agir. Les addictions s apparentent aux «actes symptômes» impliquant l échec de la fantasmatisation et de l internalisation de l objet : «Tout acte symptôme tient lieu d un rêve jamais rêvé, d un drame en puissance où les personnages jouent le rôle des objets partiels ou même sont déguisés en objets choses, dans une tentative de faire tenir aux objets substitutifs externes la fonction d un objet symbolique qui manque ou qui est abîmé dans le monde psychique interne» (J. M. Dougall, 1979, p.162, cité par J.L. Pedinielli, 1997). J. M. Dougall souligne l importance de ces «personnages», paires, proches, amis du sujet, utilisés comme complices ou substituts apaisants de l imaginaire défaillant. Les conduites addictives permettent au sujet de surmonter la douleur psychique, de fuir une situation anxiogène, liées aux défaillances de l organisation du MOI. Par l agir, le sujet parvient à «maintenir l homéostase psychique chaque fois que l équilibre économique est menacé soit sur le versant objectal, soit sur le versant narcissique.» (J. M. Dougall, 1982, p.97, cité par J.L. Pedinielli, 1997). La douleur psychique est liée aux assises narcissiques et identificatoires du sujet, et concerne la mort psychique du sujet. J. M. Dougall fait référence aux conceptions de D. W. Winnicott pour expliquer le comportement addictif comme une tentative de reconstruction de l espace et de l objet transitionnel. L objet de l addiction est un «tenant lieu» de l objet transitionnel, un objet qui signe l échec de l introjection, un objet qui reste «transitoire» puisqu il n a pas la signification d un objet transitionnel qui lui sera introjecté. I-3.1.4.3.b. Les assises narcissiques et l objet, Pierre Jeammet : P. Jeammet ( dans J.L. Pedinielli, 1997, p.64 à 66) élabore lui aussi une théorie des addictions basée sur les failles narcissiques et les défauts d introjection, à ceci près qu il établit une relation entre les troubles de la séparation (relation à l objet) et la recherche de dépendance à un objet externe. Les émotions sont considérées par les sujets addictés comme des brèches dans lesquelles l objet libidinal pourrait faire intrusion et donc leur faire perdre leur identité. La maîtrise d un objet externe (une substance, une conduite) leur permet d assurer leur différence avec l environnement et donc de garder leur identité propre, de maintenir leur équilibre narcissique, c est à dire des ressources internes sécures et stables. Ainsi la théorie de P. Jeammet s articule autour du conflit entre les assises narcissiques et la relation d objet. 25