Présentation du rapport d Y. Collin «Le défi alimentaire à horizon 2050» Mercredi 24 octobre 14h30 Monsieur le sénateur, Mesdames et Messieurs, C est un grand plaisir que d accueillir cet après-midi à l Agence Française de Développement cette conférence pour la présentation du rapport du sénateur Collin sur le défi alimentaire à horizon 2050. Cet événement illustre l attachement de l Agence à cette thématique cruciale pour nombre de pays en développement, et la force des liens qui unissent notre établissement à la représentation nationale. D après un très récent rapport des Nations Unies, une personne sur huit dans le monde, soit 870 millions d individus, souffrent de la faim. Depuis vingt ans, la situation s est globalement améliorée. Même si depuis 2007-2008, cette réduction s est fortement ralentie, de nombreux pays devraient atteindre la cible de l Objectif du Millénaire pour le développement visant à réduire de moitié le pourcentage de personnes souffrant de faim chronique d ici 2015. Ce constat positif général recouvre cependant des situations contrastées. Si dans certains pays comme la Chine, l Inde ou le Brésil, des pans entiers de la société ont été sortis de la pauvreté et de la faim, dans d autres régions, et je pense bien sûr en premier chef à l Afrique subsaharienne, ce fléau sévit avec toujours autant d intensité 1
Au sud du Sahara, le nombre de personnes en état d insécurité alimentaire a augmenté d un tiers depuis 1990, du fait d une démographie particulièrement dynamique. La région, qui compte aujourd hui 850 millions d habitants, verra d ici 2050 sa population doubler et le continent comptera alors un milliard d habitants en plus! Nourrir cette population constitue un défi immense : pour éviter de couvrir ses besoins alimentaires par des importations, la production alimentaire du continent devrait, devra être triplée. L Afrique dispose d un important potentiel de ressources naturelles et de gisements significatifs de productivité. Correctement valorisés, ces atouts sont de nature à modifier radicalement la situation alimentaire du continent. Il faut pour cela transformer en profondeur les secteurs agricoles. La modernisation, la mécanisation et le développement de l agriculture africaine constituent la seule véritable solution pour mettre le continent à l abri des risques liés à l incertitude des marchés mondiaux, et lutter efficacement contre la malnutrition. L Afrique subsaharienne est la priorité absolue de l Agence Française de Développement. L Agence accompagnera la modernisation de l agriculture africaine selon quatre axes : - Le renforcement des organisations professionnelles agricoles et la structuration des filières agricoles ; - Le soutien à l investissement privé, en facilitant l accès au crédit, notamment via la microfinance rurale ; - La promotion d une agriculture économe en eau et qui fixe le carbone de l air en le transformant en matière organique dans les sols, permettant ainsi de maintenir ou de restaurer leur fertilité naturelle. 2
Dans la vallée du fleuve Sénégal, nous appuyons depuis 10 ans la diversification et l intensification de l activité agricole. Ces actions en faveur des filières rizicoles, céréalières et de légumes, permettent de répondre aux besoins du marché national tout en respectant les contraintes environnementales. - Enfin, le développement d outils de gestion des risques, en particulier pour amortir les risques liés à la volatilité des prix agricoles. Ce sujet a fait l objet de propositions dans le cadre du G20. L Agence a déjà mis en œuvre quelques innovations, comme les prêts contracycliques incluant une flexibilité dans les remboursements en fonction du prix des denrées alimentaires importées. Avec cet outil, nous avons appuyé l Association Interprofessionnelle du Coton du Burkina dans la création d un fonds de lissage des prix du coton. Depuis 7 ans, ce fonds permet à l ensemble des acteurs de la filière de prendre des décisions de mise en culture sur des bases objectives, correspondant à la dynamique des marchés. A une tout autre échelle, la situation au Sud de la Méditerranée est elle aussi préoccupante. Le déficit en céréales va croissant, creusant le déficit de la balance commerciale agricole. Le premier enjeu est la création d emplois en grand nombre pour les jeunes. Orienter les agriculteurs vers les filières à plus haute valeur, réduire les écarts de revenus entre les plaines et les montagnes, tels sont les objectifs de nombreux gouvernements. 3
Le second enjeu est celui de l adaptation au réchauffement climatique, qui aura un impact majeur sur la disponibilité d une eau déjà rare. L Agence promeut l efficacité et l économie de l'eau, au travers de projets d irrigation à la parcelle en Égypte, au Maroc, en Tunisie, d agriculture de conservation par semi direct en Tunisie et au Maroc ou de réutilisation des eaux usées traitées en Jordanie. Avec le Fonds Français pour l Environnement Mondial, dans le cadre d un projet sur l'adaptation des agricultures au changement climatique, nous assisterons la Tunisie et le Maroc dans la prévision des impacts du changement climatique sur les différentes productions, dans l identification et la diffusion des pratiques agricoles les plus adéquates et dans la mise en place d assurances agricoles contre les évènements extrêmes. L Asie du Sud et du Sud-est a connu une évolution radicale, en divisant par trois le nombre de personnes en situation de malnutrition chronique. Cela est en grande partie imputable à la Chine et à l Inde, même si dans le sous-continent indien, la prévalence de la malnutrition est encore très élevée. Cela reflète une amélioration générale de la sécurité alimentaire. Les trois problématiques auxquelles la région devra faire face dans les prochaines années sont : - Sa grande vulnérabilité face aux événements climatiques extrêmes comme les typhons, moussons et crues des grands fleuves himalayens, qui impactent les grands deltas densément peuplés de la région. - La très forte demande des pays émergents, au premier rang desquels la Chine, dont l alimentation devient plus riche en protéines animales et qui ont besoin de caoutchouc 4
- L équilibre sous-régional de l offre et de la demande en riz. Signalons au passage que les politiques d appui, de mise en marché ou de rétention des pays de la région ont des conséquences importantes pour les pays africains. Au total, la région doit adapter ses systèmes hydrauliques au changement climatique, réduire l impact d une agriculture très intensive sur l environnement, et se prémunir contre les risques d appropriation foncière incontrôlée. Nos interventions portent sur la modernisation de la riziculture au Vietnam et au Cambodge, et probablement demain en Birmanie ; la mise au point de pratiques agro-écologiques dans le cadre d un réseau sous-régional impliquant cinq pays ; et le développement d une agriculture contractuelle régulée au bénéfice de petits agriculteurs dans les filières de l hévéa, du bois ou du thé. Nourrir convenablement 7 milliards de personnes aujourd hui et 9 milliards en 2050 est possible. Faire vivre mieux des milliards de jeunes agriculteurs est possible. Des solutions existent mais elles ne pourront être mises en œuvre sans réelle volonté collective. C est non seulement aux pouvoirs publics, mais aussi aux sociétés civiles qu il faut faire appel, au nord comme au sud. C était le sens de l appel que nous avons lancé en juin 2011 avec Ismaïl Serageldin, directeur de la Bibliothèque d Alexandrie, qui occupait alors la chaire que finance l Agence au Collège de France, et qu il avait consacrée à l éradication de la faim dans le monde. Oui, il est possible de supprimer la faim dans le monde. Oui, nous devons le faire, et le rapport du sénateur Collin est un excellent témoignage pour nous inciter à l action. Je vous remercie. 5