CHAPITRE 3 - L ODRE POLITIQUE EUROPÉEN 3.1 Quel est l impact de la construction européenne sur l action publique? Notions à connaitre : - Principe de subsidiarité : idée selon laquelle une décision ne doit pas être traitée par un échelon supérieur si elle peut l'être efficacement par les acteurs directement concernés à un rang inférieur. Autrement dit, l Union n intervient à la place des Etats que si elle est en mesure d agir plus efficacement qu eux. - Gouvernance multi-niveaux : gouvernance fondée sur un principe de répartition des compétences entre les différents niveaux de pouvoir (local, national et communautaire) A. Les principales institutions de l Union Européenne LE TRIANGLE INSTITUTIONNEL EUROPÉEN Plus qu une confédération d Etats, moins qu un Etat fédéral, l Union Européenne est une construction nouvelle qui n entre pas dans une catégorie juridique classique. C est pour cela que Jacques Delors, ancien président de la Commission Européenne, la qualifie ainsi d «objet politique non identifié». Elle représente un système original, inédit, qui constitue donc plus qu une organisation internationale mais sans pour autant être un Etat fédéral comme les Etats-Unis (= forme d'etat souverain dans lequel des entités territoriales (les Etats fédérés), disposent d'une large autonomie et d'une organisation étatique complète, mais reconnaissent dans le gouvernement fédéral une autorité supérieure et commune à tous les membres, et ne disposent d'aucun pouvoir en matière de politique étrangère, de défense ou de pouvoir monétaire). L Union Européenne est donc un mélange entre une logique fédérale (on conserve des éléments très importants de la souveraineté) et une logique intergouvernementale. Répartition des pouvoirs dans l UE : Le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif sont partagés entre différentes institutions de manière à assurer la convergence entre l intérêt de l UE et l intérêt des Etats membres : - le pouvoir exécutif est détenu par la Commission Européenne - le pouvoir législatif est détenu par le Parlement européen et le Conseil des ministres (aussi appelé Conseil de l UE) les compétences sont partagées (codécision)
Différentes institutions de l UE : - Le Conseil Européen est l organe suprême de l UE : c est pourquoi ses réunions sont aussi connues sous le nom de «sommets européens». Il s agit de la réunion de chefs d Etats ou de gouvernement de tous les pays membres et du président de la Commission européenne. Le Conseil européen tient en principe 4 réunions annuelles afin de fixer les orientations politiques générales de l Union. Il incarne donc l intérêt des Etats membres. Trois autres institutions ayant pouvoir de décision forment ce que l on appelle le «triangle institutionnel» : - Le Parlement européen représente les intérêts du peuple et et vote les lois et le budget européen avec le Conseil des ministres. - Le Conseil des ministres représente les intérêts des Etats membres et se compose des ministres des gouvernements de tous les pays membres de l UE. Il partage le pouvoir législatif avec le Parlement Européen. - La Commission européenne incarne l intérêt général de l UE. Elle veille à l application des politiques communes, possède un pouvoir d initiative des lois, élabore le budget et négocie les accords commerciaux (ex: TAFTA, accords de libre-échange qui se négocie avec les Etats-Unis). Conseil Européen Réunion des chefs d Etat et de gouvernement Président élu pour 2 ans et demi, mandat renouvelable une fois (actuellement Donald Dusk) Opère les arbitrages au sein du Conseil des Ministres Définit les grandes orientations Donne les impulsions Il partage le pouvoir législatif avec le Conseil des ministres. Le nombre des députés est limité à 751 Conseil des ministres Organe législatif regroupant les ministres des Etats membres Commission européenne 28 commissaires désignés par les Etats membres et investis par le Parlement Européen Parlement européen Elu au suffrage universel pour 5 ans, il représente les citoyens et vote les «lois» et le budget européen avec le Conseil des ministres Extension du vote à la double majorité («majorité qualifiée» : décisions prises par 55% des Etats membres représentant 65% de la population) Création d un Haut représentant de l UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité Propose les directives et les règlements aux 2 organes législatifs. Assure le respect des traités. Veille à l exécution des politiques communes par les Etats membres. Présidée pour 5 ans par Jose Manuel Barroso
Interactions entre les différentes institutions de l UE : Le Conseil Européen décide des grandes orientations. En application de ces orientations la Commission européenne va proposer des textes de lois : les directives. Celles-ci ne s appliquent pas directement, il faut que les différents Etats l adaptent et la transposent dans leur droit national. Les directives sont adoptées par le Parlement et le Conseil de l UE. La Commission européenne les fait appliquer. Les aménagements du Traité de Lisbonne représentent une avancée pour le fonctionnement de l UE car il a permis d améliorer l architecture de l UE et son contrôle démocratique (renforcement du pouvoir du Parlement). Le Parlement peut aujourd hui s opposer au président de la Commission européenne ou aux commissaires (meilleur contrôle du Parlement sur la Commission européenne). Il y a également eu une réforme sur la procédure de vote avec la mise en place de la règle de la double majorité (majorité qualifiée). QUEL AVENIR POUR LA COMMISSION EUROPÉENNE? La Commission européenne est à l initiative des lois, veille à leur bonne application, peut sanctionner les Etats et essayer de rassembler l intérêt général au sein du Conseil des Ministres. Il y 2 vision de l UE qui s affrontent : - la logique fédérale, celle des créateurs (Jean Monnet) : abandon de la politique extérieur, de la fiscalité, du droit du travail, de sa souveraineté. - la logique intergouvernementale (De Gaulle) : coopération renforcée tout en gardant notre souveraineté Les eurocrates souhaitent une «commission renforcée» pour une convergence des politiques. Il veulent renforcer le pouvoir de la Commission qui est l organe fédérale. B. Comment prend-on des décisions à 28? L UNION EUROPÉENNE : DE 6 À 28 L UE a connu des élargissements successifs (aujourd hui 28 pays) ce qui entrainent certaines difficultés : - limite de l UE : où finit l UE? Faut-il inclure l Ukraine, pays sous influence russe, ou même la Turquie qui a un pied en Europe et un en Orient? - les écarts de développement entre les pays fondateurs et les pays entrants - risque d une perte d influence, d une dilution pour les pays fondateurs - très grande différence culturelle et linguistique donc difficulté à trouver une unité - réussir à concilier des visions très différentes de l Europe : certains veulent une simple zone de libre-échange (anglais et polonais), d autres veulent revenir sur des grands principes comme la peine de mort et d autres s opposent sur dans domaine de la défense européenne car certains veulent rester sous le bouclier de l OTAN. - difficulté de prendre des décisions à 28 d où la nécessité de mettre en place des procédures (bataille pour définir la procédure en respectant le poids des pays fondateurs, en tenant compte de la taille des Etats, de la procédure démocratique )
LA PRISE DE DÉCISION EUROPÉENNE, OU LA PROCÉDURE LEGISLATIVE ORDINAIRE Le terme de «codécision» est employé pour décrire le processus décisionnel européen car il associe les différentes institutions européennes. Le Conseil Européen donne l impulsion, la Commission européenne propose les directives, le Parlement et le Conseil des ministres les votent. Par exemple, suite à la marée noire, les dirigeants européens décident de prendre des mesures communes pour éviter qu une telle catastrophe ne se reproduise. Cependant à l échelle européenne il n y a pas de stricte séparation des pouvoirs (sauf la Cour de justice qui possède la fonction judiciaire) car les pouvoirs législatifs et exécutifs sont partagés entre les différentes institutions (l initiative des lois revient à la Commission européenne). Il s agit donc d une séparation souple des pouvoirs avec un équilibre (cher à Montesquieu) pour éviter qu une institution concentre le pouvoir. ASSURER LA COOPÉRATION RENFORCÉE Si on constate un blocage à 28, le principe de «coopération renforcée» permet à des Etats de mettre en place une mesure, dans le respect des traités, sans que le reste de l'ue puisse s'y opposer. Les Etats doivent être au moins 8. Cela peut permettre d'expérimenter une mesure ou simplement de débloquer une situation pour laquelle aucun consensus n'a été trouvé. Ce principe ne doit être utilisé qu en dernier ressort et n affecter ni l acquis communautaire, ni les intérêts des Etats qui n y participent pas. Elle peut permettre une plus grande conciliation des différents intérêts dans une Europe élargie car elle aide à contourner les blocages éventuelles, à résoudre les problèmes qui ne concernent pas tout le monde mais seulement certains Etats (ex: quotas sur l immigration). Il n y a pour l instant pas de coopération renforcée en vue. LE RÔLE DES GROUPES D INTÉRÊTS DANS LA PRISE DE DÉCISION AU SEIN DE L UNION Un groupe d intérêt (ou de pression) est un groupe social qui s organise pour faire pression sur les pouvoirs publics et pour modifier les politiques publiques selon leurs intérêts. La présence de ces groupes est importante au sein de l Union dans la mesure où la Commission européenne doit être bien éclairée car elle est à l origine des lois. Les groupes apportent leur expertise, ils sont différents ce qui permet de peser le pour et le contre. De plus, ils sont visibles (pas cachés), c est l idée que les corps intermédiaires sont utiles à la démocratie. Ces dernières années les groupes d intérêts se sont multipliés, on cherche donc à les encadrer pour diminuer le risque d influence, de corruption. Dans l UE ils ont un rôle important, une utilité reconnue, même si ils sont encadrés. C. Comment s articulent les différents niveaux de décisions? L UNION AUTOUR D UN MÊME PROJET Les acteurs qui ont financé LGV Est européenne sont les Etats concernés, la SNCF, RFF, les collectivités territoriales et l UE. Ce projet illustre bien la coopération entre 3 échelons différents de pouvoir : local (les collectivités), national (les Etats),
supranational (l UE). La coopération est donc indispensable, l aide de l UE est même déterminante. Elle permet de réaliser des projets qui n auraient pas pu voir le jour autrement, ou difficilement. L INTÉGRATION EUROPÉENNE, UN ESPACE DE GOUVERNANCE EN CONSTRUCTION On parle de «gouvernance» plutôt que de «gouvernement» pour décrire le fonctionnement politique de l UE car il n y a pas qu un seul centre de décision. En effet, elle associe plusieurs acteurs (chef d Etat, commissaires européens, peuple) et plusieurs niveaux de décisions (UE, Etats, collectivités). On parle ainsi de gouvernance multi-niveaux (voir définition dans «notions à connaitre»). LE PARTAGE DES COMPÉTENCES Le Traité de Lisbonne (2007) clarifie le partage entre l UE et les Etats membres. Il apporte une réponse à «qui fait quoi» dans l UE et distingue 3 grandes catégories de compétences : - compétences exclusives de l UE (tout ce qui tourne autour du marché unique : politique monétaire, commerciale ) = abandon de souveraineté des Etats. - compétences exclusive des Etats membres mais pour lesquelles l Union peut mener des «action d appui, de coordination ou de complément» (santé, culture, tourisme, éducation ) - compétences partagées entre l Union et les Etats membres, les Etats exerçant leur compétence dans la mesure ou l Union n a pas exercé la sienne (marché intérieur, politique sociale, agriculture et pêche, environnement, transport ). LE PRINCIPE DE SUBSIDIARITÉ Le principe de subsidiarité (voir définition dans «notions à connaitre») a 2 objectifs : - en matière d efficacité : il permet d assurer une prise de décision la plus proche possible du terrain, des citoyens en tenant mieux compte de la réalité locale (décisions plus efficaces) - en terme démocratique : il privilégie la décision la plus proche du citoyen D. Quels sont les effets de la gouvernance multi-niveaux sur l action publique? LA TRANSFORMATION DE L ACTION PUBLIQUE LOCALE PAR L EUROPÉANISATION L européanisation de l action publique est l influence de plus en plus grande de l UE sur la construction des politiques publiques des Etats membres au niveau national ou local. Cela ne concerne pas seulement les Etats mais aussi d autres organisations comme les associations. Les 3 effets de l européanisation de l action publique sensibles à l échelon local sont : - les élus, acteurs locaux doivent intégrer l UE dans leur fonctionnement, se former aux politiques européennes (connaitre les programmes). Certaines personnes sont spécialisées dans la coopération de l UE pour mettre en oeuvre des projets, récupérer des financements (apparition de métiers liés à l UE)
- les outils des politiques publiques ont changé : partenariats publics, privés, territoires de projet (façon de coordonner des projets typiques de l UE). Lorsque l élu fait un rapprochement avec un autre Etat, il retrouve les mêmes projets : harmonisation des politiques publiques (ex: procédures de consultation des électeurs) - création de coopération entre territoires, influencées par la logique européenne : eurorégions (ex: régions qui s allient avec d autres) La construction européenne modifie les relations entre les différents niveaux de pouvoir. Par exemple, les échelons locaux sont moins influencés par la logique nationale mais plus par la logique européenne. Ils construisent des coopérations directement avec l UE ou d autres régions d Europe. Il y a donc un affaiblissement du niveau national au profit du niveau régional ou supranational. PLUSIEURS CAS CONCRETS D EUROPÉANISATION DES POLITIQUES PUBLIQUES FRANÇAISES L européanisation de la PAC : l agriculture est l un des premiers secteurs européanisés, c est à dire que la politique publique d un Etat intègre totalement la dimension européenne. On applique des normes européennes jusqu au niveau local (européanisation par les normes). C est qu on appelle la primauté du droit européen (les traités mais aussi les règlements, directives, et décisions) : le droit européen encadre l'action des pouvoirs publics au niveau national. Il l emporte sur toute disposition contraire du droit national : c est le principe de primauté. L européanisation de la politique de l environnement : 90% de la législation française en matière d environnement est européenne. L UE décide ce qui est important et maitrise l agenda politique : alors qu'auparavant la formulation des problèmes dignes d'une action publique était essentiellement nationale, elle est de plus en plus transférée au niveau européen. L européanisation de la politique de l immigration : procédure européenne, pratiques commune, socialisation européenne des acteurs : apprentissage de normes et de valeurs communes qui structurent les représentations des acteurs de l'action publique et sont mis en œuvre dans la construction des politiques publiques nationales Le degré d européanisation des politiques nationales n'est pas seulement déterminé par les traités européens et le partage des compétences comme le montre le cas de la politique de l'immigration (compétence exclusive des Etats Membres).