Le pouvoir réglementaire du Président de la République (CE, ass., 10/09/1992, Meyet)

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SÉNAT PROPOSITION DE LOI

REPUBL QUE FRANCA SE

Transcription:

Le pouvoir réglementaire du Président de la République (CE, ass., 10/09/1992, Meyet)

Table des matières Table des matières... 2 Introduction... 3 I La valeur de la signature du président de la République... 4 A - Une signature jadis superfétatoire... 4 1 Le précédent des décrets simples signés par le président de la République... 4 2 La jurisprudence Syndicat autonome des enseignants de la médecine... 4 B - Une signature aujourd hui attributive de compétence... 6 1 La solution de l arrêt Meyet... 6 2 L intérêt de l arrêt Meyet... 6 II Les nouveaux mécanismes de répartition du pouvoir réglementaire... 8 A L affaiblissement du rôle des textes... 8 1 Les règles générales : une appréciation contrastée... 8 2 Les textes particuliers... 8 B La consolidation du pouvoir réglementaire du président de la République... 10 1 L élargissement du pouvoir réglementaire du chef de l Etat... 10 2 Un président de la République maître de sa compétence... 10 CE, ass., 10/09/1992, Meyet... 11 Le pouvoir réglementaire du Président de la République 2

Introduction Il est de coutume de distinguer les actes administratifs individuels des règlements. Les premiers visent une ou plusieurs personnes de façon déterminée. Alors que les seconds sont des actes à portée générale et abstraite. C est, ainsi, toute une catégorie de personne qui est visée. Toutes les autorités administratives en sont détentrices, mais le seul qui mérite d être qualifié de général est celui appartenant au président de le République et au Premier ministre. C est la répartition de ce pouvoir au sein de l autorité exécutive qui pose problème en l espèce. En effet, Mr. Meyet conteste plusieurs décrets portant sur l organisation du référendum sur le traité de Maastricht. Ces décrets ont été pris en conseil des ministres, alors que rien ne l imposait, et ils portent la signature du président de la République, en plus du contreseing du Premier ministre. L on sait que l article 13 de la Constitution attribue compétence au président de la République pour signer les décrets délibérés en conseil des ministres. Mais cette expression signifie-t-elle qu il est l auteur de tous les décrets effectivement délibérés en conseil des ministres ou seulement de ceux dont la délibération en conseil des ministres était imposée par un texte. Autrement dit, est-ce le président de la République ou le Premier ministre qui l auteur de ces décrets? En l espèce, le Conseil d Etat considère que c est le président de la République qui est l auteur des décrets, alors même que rien n imposait une telle formalité. Par cet arrêt, le juge administratif met fin à la parenthèse ouverte en 1987 durant laquelle le président de la République n était considéré comme l auteur des décrets en conseil des ministres que dans le cas où un texte supérieur imposait une telle délibération. Dans le cas contraire, c est le Premier ministre qui était juridiquement l auteur de la décision. La signature du président de la République voit, en l espèce, ses effets modifiés : de sur-abondante, elle devient attributive de compétence. Ainsi, en signant un décret en conseil des ministres, sans qu un texte ne prescrive cette formalité, le président de la République s attrait de nouvelles compétences. Cette consolidation du pouvoir réglementaire du président de la République est d autant plus frappante qu elle fait du président de la République le responsable de l accroissement de ses pouvoirs. En effet, il peut, de son propre chef, décider d élargir le champ de ses attributions. Dès lors, l article 13 devient un facteur d empiètement du pouvoir du président de la République sur la compétence de principe détenue par le Premier ministre en matière de pouvoir réglementaire en vertu de l article 21 de la Constitution. Cet arrêt fait, aussi, passer au second plan les textes, peu nombreux d ailleurs, qui imposent une délibération en conseil des ministres, ces derniers apparaissant inutiles au regard de la nouvelle compétence reconnue au président de la République. Il convient donc d étudier, dans une première partie, la valeur de la signature du président de la République (I), et d analyser, dans une seconde partie, les nouveaux mécanismes de répartition du pouvoir réglementaire institués par cette décision (II). Le pouvoir réglementaire du Président de la République 3

I La valeur de la signature du président de la République L arrêt Meyet met fin à la jurisprudence Syndicat autonome des enseignants de la médecine qui considérait comme superfétatoire la signature du président de la République dans le cas des décrets délibérés en conseil des ministres sans que cela ne soit imposé par un texte (A). Désormais, cette signature est attributive de compétence (B). A - Une signature jadis superfétatoire Le Conseil d Etat transpose aux décrets en conseil des ministres (2) la logique suivie en matière de décrets simples (1). 1 Le précédent des décrets simples signés par le président de la République Cette hypothèse correspond aux décrets réglementaires non soumis au conseil des ministres. C est à propos de ces décrets que le Conseil d Etat a jugé, pour la première fois, superfétatoire la signature du président de la République (CE, ass., 27/04/1962, Sicard). En effet, au terme de l article 13, le président de la République n exerce le pouvoir réglementaire qu à l égard des décrets délibérés en conseil des ministres. Les décrets simples ne doivent donc être signés que par le Premier ministre et les ministres. Il arrive, cependant, au chef de l Etat de signer de tels décrets. Dans ce cas de figure, le Conseil d Etat a jugé, d une part, que cette signature n était pas attributive de compétence, en d autres termes en signant ces décrets, le président de la République ne s attrait pas une nouvelle compétence, et, d autre part, que cette signature n entachait pas d incompétence le décret en cause, ce qui signifie que la signature du président de la République est considérée comme sur-abondante, sans valeur. Il faut, en revanche, que le décret soit signé par le Premier ministre. C est cette dernière autorité qui sera considéré comme l auteur véritable de la décision. Cette logique va être transposée au cas des décrets délibérés en conseil des ministres. 2 La jurisprudence Syndicat autonome des enseignants de la médecine La soumission des décrets au conseil des ministres peut être imposée par un texte ou relever de choix d opportunité. Cette différence a eu, jadis, une importance pour déterminer l auteur de la décision. Ainsi, lorsque le passage est imposé par un texte (loi ou Constitution), la solution est simple : c est le président de la République qui est l auteur de la décision. En revanche, lorsque le passage en conseil des ministres n est imposé par aucun texte, il y a lieu à s interroger sur l auteur de la décision. Est-ce le président de la République du fait du passage en conseil des ministres, ou est-ce le Premier ministre au motif que ce passage n était pas obligatoire? Le Conseil d Etat a d abord penché pour la seconde branche de l alternative. Ainsi, dans l hypothèse où cette formalité n est pas obligatoire, le Conseil d Etat a considéré que c est le Premier ministre l auteur véritable de la décision (CE, 16/10/1987, Syndicat autonome des enseignants de médecine). Par application de la jurisprudence vue précédemment, il juge la signature du président de la République sur-abondante. Dès lors, deux types de décrets en conseil des ministres doivent être distingués. Les premiers sont ceux qui sont délibérés en vertu d un texte et qui portent la mention «le conseil des ministres entendu». Les seconds sont soumis au conseil des ministres par simple accord du Premier ministre et du président de la République. Ils portent la mention pris «après avis du conseil des ministres». Le pouvoir réglementaire du Président de la République 4

Cette jurisprudence est d autant plus importante que le nombre de textes imposant une délibération en conseil des ministres est faible, ce qui réduit d autant la compétence du président de la République. En effet, seuls les articles 36 sur l état siège et l article 38 sur les ordonnances de la Constitution prévoient un tel passage. Quant, à la loi, il n y a guère que celle du 11 janvier 1984 portant statut général de la fonction publique qui impose cette formalité. Autant dire qu était faible le nombre de cas où le président de la République s avérait, au terme de cette interprétation de l article 13, compétent. L arrêt Meyet implique, au contraire, un élargissement de la compétence du président de la République. Le pouvoir réglementaire du Président de la République 5

B - Une signature aujourd hui attributive de compétence Le Conseil d Etat juge, en l espèce que le président de la République doit être considéré comme l auteur du décret, que celui-ci soit soumis au conseil des ministres en vertu d un texte ou en fonction de choix d opportunité (1). Cette solution revêt un intérêt majeur au regard, notamment, des règles du contreseing ministériel (2). 1 La solution de l arrêt Meyet Désormais, tous les décrets délibérés en conseil des ministres sont considérés comme relevant de la compétence du président de la République. Il n y a plus lieu de distinguer selon que la passage en conseil des ministres était imposé par un texte ou pas. C est le président de la République qui est considéré comme l auteur de la décision dans les deux cas. Cette jurisprudence paraît plus conforme à l article 13 de la Constitution. En effet, celui-ci ne vise pas les décrets qui doivent être délibérés en conseil des ministres, mais seulement les décrets qui y sont effectivement délibérés. Cet article doit donc être interprété comme attribuant au président de la République une compétence générale à l égard des décrets examinés lors de cette réunion. Dorénavant, la seule distinction au sein des décrets réglementaires est celle existant entre les décrets délibérés en conseil des ministres et les décrets qui ne sont pas examinés en conseil des ministres et qui relèvent de la compétence du chef du Gouvernement. Cette nouvelle solution est déterminante, à plus d un titre. 2 L intérêt de l arrêt Meyet La solution posée par l arrêt Meyet est capitale tant au regard des règles du contreseing ministériel que de la procédure de modification des décrets en cause. Les règles du contreseing ministériel sont de deux ordres. La Constitution distingue, en effet, les actes du Premier ministre qui doivent être contresignés par les ministres chargés de leur exécution (art. 22), et les actes du président de la République qui doivent être contresignés par le Premier ministre et le cas échéant par les ministres responsables (art. 19). Dans le premier cas, il s agit des ministres qui ont compétence pour signer ou contresigner les mesures réglementaires que comporte nécessairement l exécution d un décret. Dans le second, il s agit des ministres auxquels incombent à titre principal la préparation ou l application du décret (CE, sect., 10/06/1966, Pelon et autres). Déterminer quelle est l autorité compétente pour prendre une décision est donc crucial pour savoir quels sont les ministres qui doivent contresigner le décret. Avec l ancienne jurisprudence, c était les règles de l article 22 qui s appliquaient. Dorénavant, ce sont celles de l article 19. De plus, en attribuant compétence au président de le République pour signer les décrets en conseil des ministres, le Conseil d Etat crée à son profit un bloc de compétence. Cela signifie que les mesures adjacentes à ces décrets relèvent aussi de ses attributions. Ainsi, le président de la République peut, tout d abord, renvoyer à d autres décrets en conseil des ministres le soin de fixer les mesures complémentaires aux décisions prises. Il en va, en l espèce, des règles relatives à la campagne et des aménagements nécessaires dans les territoires d outre-mer et les collectivités territoriales de Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon. Surtout, les décrets délibérés en conseil des ministres pourront, à l avenir, être modifiés ou abrogés sans nouveau passage devant le conseil des ministres. En effet, lorsqu une autorité souhaite modifier ou abroger un acte, elle n a pas à respecter la procédure suivie pour son élaboration, sauf si un texte l impose, ce qui n est pas le cas pour les décrets en conseil des ministres. Cette règle permet, ainsi, au président de la République de modifier seul les décrets pris en conseil des ministres. Cet arrêt emporte donc de multiples conséquences quant au partage de compétence du pouvoir réglementaire au sein de l exécutif. Le pouvoir réglementaire du Président de la République 6

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II Les nouveaux mécanismes de répartition du pouvoir réglementaire L arrêt Meyet se traduit, d une part, par un affaiblissement du rôle joué par les textes en matière de répartition du pouvoir réglementaire (A), et, d autre part, par une consolidation du pouvoir réglementaire du président de la République (B). A L affaiblissement du rôle des textes Cette jurisprudence diminue le rôle joué par les textes en matière de répartition du pouvoir réglementaire. Il y a lieu, ainsi, de distinguer les règles générales (1) des textes particuliers (2). 1 Les règles générales : une appréciation contrastée La Constitution garde toujours son importance cruciale pour répartir le pouvoir réglementaire au sein de l exécutif. Ainsi, le Premier ministre détient la compétence de principe en vertu de l article 21, alors que le président de la République n a, aux termes de l article 13, qu une compétence d attribution limitée, on l a vu, aux décrets en conseil des ministres. La nouvelle jurisprudence amène, cependant, à relativiser la portée de l article 21. En effet, en jugeant que le président de la République est, dans tous les cas, l auteur des décrets délibérés en conseil des ministres, le Conseil d Etat lui permet de s attraire de nouvelles compétences. Pour cela, il lui suffit d inscrire à l ordre du jour du conseil des ministres, qu il arrête en dernier ressort, un projet de décret pour que cette nouvelle matière relève, à l avenir, de sa compétence. L interprétation de l article 13 retenue par la nouvelle jurisprudence conduit, alors, à une diminution sensible du champ de l article 21. Les textes prévoyant une délibération en conseil des ministres voient aussi leur importance amoindrie. 2 Les textes particuliers On le sait, peu de textes imposent une délibération en conseil des ministres. En plus d être peu nombreux, ces textes doivent, maintenant, être regardés comme d importance secondaire. Alors qu auparavant, le chef de l Etat n était compétent que si un texte imposait cette formalité, l inscription à l ordre du jour du conseil et sa signature suffisent, à présent, pour le rendre compétent. Ainsi, l intérêt pour un texte de prévoir un passage devant le conseil des ministres dans le but de rendre le chef de l Etat compétent, apparaît limité. En revanche, si le législateur souhaite amoindrir la compétence du président de la République il peut prévoir que les mesures d application d une loi seront prises par décret simple. Dans ce cas, c est le Premier ministre qui sera compétent pour prendre le décret. Et le président de la République ne pourra, à moins d aller à l encontre de la loi, en faire un décret en conseil des ministres. Tous ces développements mettent en avant le renforcement du pouvoir réglementaire du président de la République. Le pouvoir réglementaire du Président de la République 8

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B La consolidation du pouvoir réglementaire du président de la République L arrêt Meyet élargit le pouvoir réglementaire du chef de l Etat (1) rend ce dernier maître de sa propre compétence (2). 1 L élargissement du pouvoir réglementaire du chef de l Etat En plus de son pouvoir réglementaire pour signer les ordonnances (art. 13) et pour prendre toutes les mesures utiles dans la cadre de l article 16, le président de la République se voit, dorénavant, reconnaître un pouvoir réglementaire propre. Il peut s agir d un pouvoir d application des lois ou d un pouvoir réglementaire autonome. En effet, ce dernier est un pouvoir qui existe sans texte, puisque toutes les matières qui ne relèvent pas du domaine de la loi relèvent du pouvoir réglementaire. Pour en être titulaire, il faut donc disposer d une compétence s exerçant sans texte. Or, jusqu en 1992, la compétence réglementaire du président de la République est délimitée par les textes. Ce n est qu à partir de cette date que le chef de l Etat se voit reconnaître une compétence même sans texte. Ce changement a pour conséquence qu il peut, désormais, prendre des décrets qui relèvent de l article 37 de la Constitution. Cette jurisprudence fait du passage en conseil des ministres une procédure particulièrement importante puisque c est elle qui détermine les attributions du président de la République. Ce dernier voit son rôle affirmé par rapport à celui du Premier ministre, alors que, selon les termes de la Constitution, le chef de l Etat n exerce qu un pouvoir réglementaire résiduel, la compétence de principe étant dévolue au Premier ministre (art. 21). Cette décision a aussi pour conséquence d amoindrir les garanties démocratiques, puisqu elle renforce les pouvoirs d une autorité moins sujette que le chef du Gouvernement à engagement de sa responsabilité. Surtout, elle offre au président de la République la maîtrise de sa compétence. 2 Un président de la République maître de sa compétence En jugeant que les décrets pris en conseil des ministres relèvent de la compétence du président de la République même lorsque aucun un texte ne l impose, le Conseil d Etat permet au président de la République d accroître, de lui-même, son champ de compétence. Pour cela, il lui suffit d inscrire à l ordre du jour du conseil des ministres, qu il arrête en dernier ressort, un projet de décret. Cette auto-attribution lui permet, par la suite, de prendre toutes les mesures liées à ce décret. Ainsi, là où d autres autorités sont tributaires d un texte pour intervenir dans une matière, le président de la République peut, de son propre chef, décider de s attribuer la compétence dans un domaine donné. Chaque compétence auto-attribuée est enlevée au Premier ministre. Ainsi, le Premier ministre ne peut modifier ou abroger un décret pris par le président de la République en conseil des ministres (CE, 23/03/1994, ). La question d un conflit éventuel avec celui-ci se pose donc. Mais, soit les majorité coïncident, et il n y a pas de raisons pour que le président de la République s attrait de nouvelles compétences, soit il y a cohabitation et une accaparation trop fréquente de compétences par le président de la République risque de se heurter au refus du contreseing par le Premier ministre. Il faut, enfin, noter que le président de la République peut rendre au Premier ministre la compétence qu il lui a enlevé (CE, 9/09/1996, Collas). Il suffit qu un décret en conseil des ministres le prévoit. Le pouvoir réglementaire du Président de la République 10

CE, ass., 10/09/1992, Meyet Sur les moyens tirés d'une violation de l'article 21 de la Constitution : Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 13 de la Constitution : "Le Président de la République signe les ordonnances et les décrets délibérés en conseil des ministres" ; qu'aux termes de l'article 21 : "Le Premier ministre dirige l'action du gouvernement... Sous réserve des dispositions de l'article 13, il exerce le pouvoir réglementaire" ; que les décrets attaqués ont été délibérés en conseil des ministres ; que, par suite, et alors même qu'aucun texte n'imposait cette délibération, ils devaient être signés, comme ils l'ont été, par le Président de la République ; Considérant, d'autre part, que le décret n 92-771 du 6 août 1992 portant organisation du référendum, qui a été adopté dans les conditions ci-dessus rappelées, a pu légalement renvoyer, en ce qui concerne tant les règles relatives à la campagne que les aménagements nécessaires à son application dans les territoires d'outre-mer et les collectivités territoriales de Mayotte et Saint- Pierre-et-Miquelon, à d'autres décrets en conseil des ministres ; Le pouvoir réglementaire du Président de la République 11