Le drame de la mer d Aral à la télévision française ( ), Justine Mattioli

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Transcription:

Revue d'études comparatives Est-Ouest 43-1/2 2012 Asie centrale : vingt ans de reconfiguration politique, économique et sociale Le drame de la mer d Aral à la télévision française (1990-2010), Justine Mattioli Sophie Hohmann Éditeur Éditions NecPlus Édition électronique URL : http://receo.revues.org/445 ISSN : 2259-6100 Édition imprimée Date de publication : 10 juin 2012 Pagination : 312-315 ISBN : 9782358760645 ISSN : 0338-0599 Référence électronique Sophie Hohmann, «Le drame de la mer d Aral à la télévision française (1990-2010), Justine Mattioli», Revue d'études comparatives Est-Ouest [En ligne], 43-1/2 2012, mis en ligne le 15 juin 2012, consulté le 28 mars 2017. URL : http://receo.revues.org/445 NecPlus

312 Revue des livres Justine Mattioli, Le drame de la mer d Aral à la télévision française (1990-2010), Paris, Editions le Bord de l eau/ina, collection «Penser les médias», 2011, 160 p. Issu d un mémoire de master, cet ouvrage est le premier à traiter de la représentation de l assèchement de la mer d Aral par le prisme de la télévision française. C est en 1988 que la catastrophe de la mer d Aral est révélée en France par la presse écrite ; deux ans plus tard, juste avant la dislocation de l Union soviétique, la télévision s en fait l écho. Le présent ouvrage, basé sur quinze documentaires diffusés en France par la télévision entre 1990 et 2010 et un ilm kazakh, propose un décryptage de l analyse syntaxique et polysémique de la catastrophe. Au il de ses quatre chapitres et des illustrations cartographiques présentées en cahier central, Justine Mattioli érige la construction du drame de l Aral en un véritable objet sociologique et observe comment les médias l ont mis en scène. Le premier chapitre présente le contexte général et régional dans lequel a lieu ce drame. La rélexion porte sur les retombées considérables de cette catastrophe sur l ensemble de la population, sur les infrastructures et l emploi (les pêcheries notamment). Les enjeux géostratégiques sont soulignés, le problème cardinal du rapport à l eau, de l accès et de l incapacité des États à gérer de manière rationnelle le drame, lorsque la rationalité est notamment synonyme de secret d État. L auteure s arrête sur les causes politiques de l assèchement lorsqu elle évoque le programme de mise en valeur des terres vierges sous Khrouchtchev en 1954 ; elle fait ressortir ici que la période stalinienne n est pas la seule responsable du drame : pour comprendre les logiques de cette catastrophe, il faut tenir compte de toute une continuité décisionnelle et idéologique. Par ailleurs, J. Mattioli rappelle combien le rapport à l eau, qui est un enjeu séculaire dans cette région, est l objet de luttes régionales, mais aussi intra-régionales et claniques. La question de l eau a toujours été inscrite dans un rapport conlictuel de contrôle d accès aux ressources, de prédation du capital économique ainsi que du capital sociopolitique qu elle représente. Les grands projets soviétiques de construction, de déplacements forcés des populations se sont également inscrits dans ce cadre-là. Les circonstances historiques du drame de l Aral sont exposées de manière détaillée dans le second chapitre. L accent est mis sur le rapport entre l histoire soviétique, le politique, la science et l idéologie. VOLUME 43, MARS-JUIN 2012

Revue des livres 313 La chronologie de la découverte de la catastrophe, qui est établie ici, révèle dans quel contexte a évolué la culture du secret, dans un monde bipolaire où les services secrets occidentaux étaient informés de cette catastrophe bien avant sa mise en images. Cet historique permet aussi de passer en revue les évolutions politiques depuis les années khrouchtchéviennes jusqu aux années 2000, sans oublier la glasnost et les années de «détente» brejnéviennes. Au moment de la perestroïka, une véritable opération de séduction des médias occidentaux s est produite, celleci s inscrivait dans une logique visant à montrer les conséquences des catastrophes et crises écologiques en Union soviétique et non pas leurs principales causes. La catastrophe de Tchernobyl, en 1986, a entraîné une prise de conscience au niveau national. Cependant, avec l arrivée au pouvoir de Poutine en 2000, les questions environnementales ont très vite recouvré leur place dans les affaires intérieures où elles ont caractère conidentiel. Elles sont de nouveau un volet crucial de la sécurité d État de la Russie postsoviétique, où les opérations de désinformation visent à nier les catastrophes sur la scène nationale et internationale pour préserver la sécurité nationale. De sorte que l écologie est toujours traitée d un point de vue sécuritaire. Le troisième chapitre présente une ethnographie des reportages, de leur langage, de la place occupée par les médias (en l occurrence la télévision). L auteur dresse un tableau très riche de la sémantique utilisée par les journalistes, des contournements et de la rhétorique qui alimente chaque émission. Elle replace également de manière très juste la catastrophe de la mer d Aral dans le contexte bipolaire de l époque soviétique. Dans l analyse des reportages présentés, la spéciicité des acteurs mobilisés est soulignée : les historiens donnent en effet une autre dimension au reportage, ils lui confèrent une légitimité. Ce chapitre conirme qu il y a plusieurs manières d aborder et de présenter la catastrophe de la mer d Aral. La notion de catastrophe est explicitée du point de vue de la déinition, les variations terminologiques (catastrophe, scandale, drame, désastre) sont examinées au regard de leurs signiications politique, sanitaire, économique mais aussi symbolique. Les cimetières de bateaux (qui symbolisent aussi l échec du système soviétique) balayés par les vents de sable et de sel, les visages ravagés par la maladie et la pauvreté constituent autant d exemples sur lesquels Justine Mattioli insiste pour déchiffrer la maïeutique de la médiatisation. Les images, symboliques et sciemment présentées aux téléspectateurs, favorisent les mécanismes émotionnels au détriment d une analyse des causes réelles

314 Revue des livres de ce que l écran cathodique donne à voir (sont notamment évoqués l inexactitude ou l incertitude quant à l étiologie des pathologies présentées). La manière de ilmer, le choix des champs visuels, la présentation du reportage, les prises de vue privilégiant le pathos, sont autant de moyens d agir sur l inconscient d une grande partie des téléspectateurs. À cet égard, le raisonnement médiatique est minutieusement examiné : la mise en séquences du reportage, avec ses coupures franches, la violence des images, le choix des lieux (écoles, hôpitaux), les symboles, tous ces ingrédients sont utilisés, selon l auteur, ain de réveiller l affect refoulé chez les téléspectateurs Les témoignages sélectionnés sont en fait ceux que le téléspectateur attend et les reportages cherchent moins à comprendre ce qui s est passé qu à y voir les conséquences d une crise écologique. Par ailleurs, si dans ces reportages la nature des régimes politiques n est pas clairement abordée, représentation de la catastrophe a évolué : de la dramatisation, du catastrophisme à une sorte de mouvement d espérance (à partir de 2005). Les champs lexicaux traduisent la mobilisation de croyances, l importance symbolique des forces de la nature, des légendes locales notamment du culte de la déesse de la fécondité, Anahita (ancien culte avestique), qui vivrait dans les eaux de l Amou-Daria et témoigne d une forme de renouveau (au moment où le niveau de la mer d Aral remonte par exemple) ; la réalisation d un rêve est désormais de l ordre du possible. Cette dynamique confère au récit et au reportage le caractère d un conte et l identité locale joue un rôle non négligeable dans ces interprétations de croyances ancestrales. Enin, le chapitre quatre établit une comparaison avec d autres catastrophes comme celles de Minamata, Bhopal et Tchernobyl qui permettent une mise en perspective. Une nouvelle rélexion s ouvre ici, sur les aspects juridiques de ce type de catastrophe, sur les questions de déinition, de législations internationales et sur les champs d action envisageables. La présentation de ces différentes catastrophes nous amène ainsi à nous interroger sur leur caractère commun : la pollution de l eau et la contamination de populations entières. Ne peut-on pas y voir la notion de biopouvoir foucaldien s exerçant selon le principe «faire vivre et laisser mourir»? En définitive, dans ce chapitre et, plus largement, dans l ensemble de l ouvrage, Justine Mattioli, en s appuyant sur l anthropologie visuelle, ouvre une réflexion majeure sur la médiatisation de la catastrophe. Elle nous propose ainsi des clefs pour la compréhension de VOLUME 43, MARS-JUIN 2012

Revue des livres 315 toute une dialectique où se mêlent image, imagination, mémoire, catastrophisme, douleur et inconscient. Sophie HoHMann Sociologue, rattachée à l INED, UR 12 et au CERCEC (CNRS/EHESS), Paris Martin Myant, Jan drahokoupil, Transitions Economies : Political Economy in Russia, Eastern Europe and Central Asia, Hoboken (NJ), John Wiley & Sons, 2011, 392 p. Fruit de la collaboration d un professeur chevronné de l University of the West of Scotland, Martin Myant, et d un jeune chercheur tchèque de l Université de Mannheim, Jan Drahokoupil, l ouvrage offre un très vaste panorama (Russie, Europe de l Est et Asie centrale) sur les économies «en transition», et concerne deux décennies entières, de 1989 jusqu à la crise de 2008-2010. Si une analyse vraiment exhaustive devrait inclure l expérience de l ex-allemagne de l Est (évoquée très brièvement ici comme un cas extrême de thérapie de choc), des pays issus de l ancienne Yougoslavie, de la Chine et du Vietnam (voire désormais de Cuba) il reste que l ample perspective comparative adoptée confère une originalité incontestable à l ouvrage. Deux thèmes structurants peuvent être soulignés : la place accordée aux formes de l intégration internationale des différents pays et l importance du rôle de l État dans les différentes périodes (retrait, effondrement, ou conversion et consolidation). Le livre comporte six parties. La première, plutôt traditionnelle, porte sur le «socialisme d État» antérieur à la transition, puis sont traités successivement la transformation macroéconomique («Du choc à la reprise»), les politiques de transition et les approches différentes («Alternatives»), le rôle de l État, l évolution microéconomique («Les nouvelles formes d entreprises» incluant la privatisation) ; une dernière partie conclusive discute la diversité des capitalismes émergents et la crise inancière de la in des années 2000. Une très grande variété de questions et de thèmes sont abordés, au sein de cette structure générale, donnant une teinte encyclopédique à l ouvrage qui représente une véritable mine de données et de faits économiques. Une annexe statistique, la bibliographie qui constitue à elle seule un outil de recherche, un index des sujets et un index des noms, contribuent à en faire un précieux instrument de travail.