Avant-propos. Jean-Marie PERETTI



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Transcription:

Avant-propos Jean-Marie PERETTI La Déclaration des droits de l homme et du citoyen du 26 août 1789 affirmait l admission aux postes et responsabilités à chacun «selon leurs capacités et sans autre distinction que celle de leurs vertus et talents». Aujourd hui la crise mondiale appelle à une refondation de la gouvernance des entreprises et des pratiques managériales en s appuyant sur des normes et des conduites éthiques rigoureuses. Cet ouvrage réunit les contributions et témoignages de dirigeants, de praticiens, d experts et d enseignants-chercheurs passionnés par l ampleur du défi à relever dans ces prochaines années pour faire en sorte que chacun, dans l entreprise, soit davantage vertueux. Que tous ceux qui ont accepté de participer à cet ouvrage collectif en se pliant à des contraintes rigoureuses de délai et de longueur trouvent ici l expression de mes remerciements. Tous vertueux a été rédigé par des coauteurs fonctionnant en binômes ou trinômes : dirigeants d entreprises, enseignants-chercheurs, DRH, auditeurs sociaux et consultants mobilisés par le thème. Les trente chapitres rassemblent leurs regards croisés. Ils sont répartis en quatre parties. La première partie de cet ouvrage est consacrée à la diversité des définitions et des approches de la vertu et des vertus dans le monde professionnel. La deuxième partie est consacrée aux spécificités des comportements vertueux attendus des différentes catégories professionnelles. Être vertueux est, en effet, un objectif pour des populations très diverses. Les vertus à développer et les chemins pour y parvenir sont variés La troisième partie est riche des témoignages d entreprises qui présentent leurs politiques et leurs pratiques pour développer les comportements vertueux. Ces exemples illustrent les efforts pour rendre vertueux chaque collaborateur. La quatrième partie élargit le champ des témoignages aux expériences menées ailleurs dans le monde. Ce panorama des pratiques témoigne des convergences internationales dans des contextes très divers. Fruit d une collaboration entre responsables d entreprises et universitaires, cet ouvrage a pour ambition d aider les acteurs concernés à penser différemment le développement des comportements vertueux de tous les salariés

16 TOUS VERTUEUX pour en faire une source de richesse. Il n aurait pu voir le jour sans le talent de Christiane Deshais, assistante du département management du groupe ESSEC. Qu elle trouve ici l expression de la gratitude des coauteurs. Jean-Marie PERETTI Professeur des universités Professeur à l ESSEC Business School Directeur de l IAE de Corse Président de l IAS Président d honneur de l AGRH

Partie 1 Les approches de la vertu dans l entreprise Dans cette première partie les coauteurs analysent les approches et définitions de la «vertu» et des «vertus» dans le contexte managérial actuel, ainsi que les qualités et compétences attendues d une «personne vertueuse» en entreprise.

Chapitre 1 Tous vertueux, un défi très actuel pour les entreprises Jean Marie PERETTI, professeur ESSEC et IAE de Corse En 2009, les jugements portés sur certains dirigeants, responsables, salariés ou autres acteurs du système sont sévères. Le président de la commission des Finances du Sénat dénonce la «gloutonnerie de certains grands patrons mais plus globalement de certains grands acteurs 1». Claude Bébéar, figure de proue du patronat, condamne «la cupidité et la perte de bon sens de tous les acteurs du système 2». Des personnalités du monde de l entreprise n hésitent pas à dénoncer les comportements «voyous», «prédateurs», «révoltants» et «irresponsables» qui ont provoqué la crise actuelle. Les salariés et leurs représentants sont également virulents. Un sondage européen du groupe Ernst & Young début 2009 faisait ressortir que la méfiance des salariés à l égard des dirigeants est grande. En Europe 39 % des interrogés pensent que le risque de fraude le plus élevé se situe au niveau du «haut management», et ce taux atteint 54 % en France (Les Échos, 23 mai 2009). Ces critiques sont largement relayées dans les médias et contribuent à la dégradation de l image de l entreprise tant chez les salariés que dans le grand public. 1. Jean Arthuis, L Entreprise, n 278, mai 2009, p. 32. 2. Claude Bébéar, Le Figaro, 5 mars 2009.

20 LES APPROCHES DE LA VERTU DANS L ENTREPRISE 1. L absence de vertu et la crise La crise apparaît comme la conséquence de manquements graves à l éthique et de comportements non vertueux de nombreux acteurs. Les responsables sont divers : les patrons aux rémunérations indécentes, les financiers créant des produits toxiques, les vendeurs sans scrupules, les consultants arrogants et parasites, les «petits chefs» harceleurs, les fonctionnaires attachés à leurs avantages, les managers «sans états d âme», les gestionnaires de fonds de capital-risque assoiffés de profits à court terme, les auditeurs complices. L énumération des comportements inappropriés est longue. Les émissions de radio et de télé, les enquêtes dans la presse, les blogs sur Internet dénoncent ces acteurs qui se sont laissés aller à la cupidité, et la course à l argent facile. Quand le «combien» prime sur le «comment» Cette course à l argent, dans laquelle le «combien je gagne» prime sur le «comment je le gagne», fait de l argent fou, l argent roi, le seul et unique repère, entraîne la brutalisation de l entreprise. Or, constate un banquier éminent, président de BBVA (banque espagnole demeurée bénéficiaire), «la crise a démontré que, dans le secteur financier, l éthique en fin de compte est rentable» (La Tribune, 12 mai 2009). Le respect de trois critères dans la prise de décisions, qui doivent être «légales, moralement acceptables, et rendues publiques» permet de résister à la débâcle de certains concurrents. «Le système fou des bonus bancaires» était dénoncé début 2009 par le Canard enchaîné, à partir d exemples français et étrangers et de la dérive des chiffres des bonus distribués par cinq banques de Wall Street : 10 milliards de dollars en 2002, 25 en 2006 et enfin 65 en 2007. Les bonus variables illimités ont stimulé l imagination et la prise de risque. La «culture du bonus» et l accoutumance à une rémunération globale très élevée ont favorisé des comportements dangereux. Le cas de Nick Leeson, ce trader qui, il y a déjà plusieurs années, avait réussi à couler une banque multiséculaire, n a pas été suffisamment étudié. Les raisons du désastre étaient claires : un poste mal conçu, avec un poids de la finalité (impact sur le résultat) disproportionné par rapport aux compétences, une valorisation excessive des résultats à court terme, une sous-estimation du facteur humain et l oubli des «vertus» nécessaires pour occuper des postes à forts enjeux. En 2008, les mêmes causes ont entraîné des déboires multiples dans des banques en France comme ailleurs. Les effets pervers d un niveau très élevé de rémunération aléatoire sur les stars des salles de marché n ont sans doute pas été pris en compte. La culture

Tous vertueux, un défi très actuel pour les entreprises 21 du bonus, avec une rémunération très stimulante en fonction du résultat à court terme, a favorisé des comportements dangereux pour les organisations avec un haut niveau de risque. La crise des subprimes illustre les dangers de la course au résultat immédiat. Elle commence avec l agent immobilier qui, pour toucher sa commission, vend un bien à un client insolvable, grâce à un crédit négocié par un intermédiaire financier rémunéré sur le volume des prêts et non sur leur qualité, crédit transformé, maquillé et négocié par d autres intermédiaires également grassement rémunérés pour séduire, in fine, des investisseurs crédules appâtés par des taux attractifs. L évolution du mode et des niveaux de rémunération des dirigeants n incite pas non plus à la vertu. Les mesures d incitation concernant les dirigeants ont une importance immense (Bebchuk & Spamann, 2009). Les dirigeants ont intérêt, dans les banques, à «jouer le tout pour le tout» avec l argent des autres. Les risques sont liés aux incitations. L explosion des rémunérations des dirigeants, qui ont, en moyenne, augmenté de 20 % par an ces dix dernières années a contribué à la dégradation de la cohésion interne et de l image des entreprises. Les critiques concernent non seulement le niveau, source de forts sentiments d iniquité, mais aussi les modalités de calcul : critères de détermination des éléments variables souvent peu convaincants, corrélation douteuse avec la performance de l entreprise, absence de risques financiers et de justification des parachutes dorés. Les systèmes très généreux de «retraite chapeau» des dirigeants pensions très élevées réservées à un très petit nombre sont également été jugés injustes et contraires à la vertu. «Lorsque les gens ne sont pas maîtres de leurs passions, ils ne sauraient servir le bien commun», constate Aristote qui souligne la nécessité de la vertu (Aristote, Politique, 9, 1309b17). Pour éviter que la cupidité ne génère des crises, il faut favoriser les comportements vertueux. Revaloriser la vertu et les comportements vertueux Les politiques et les pratiques RH doivent contribuer à revaloriser la vertu dans l entreprise. Ceci nécessite de revoir toutes les décisions RH de gestion des carrières, les systèmes d évaluation, de reconnaissance, de rémunération et de sanctions. Valoriser les comportements vertueux au niveau de l entreprise et de certains salariés est essentiel. Ces comportements sont également nombreux mais sont peu présents dans les médias et dans la communication interne et externe d entreprise. Ainsi, les DRH et les entreprises qui, confrontés à une baisse d activité forte, cherchent tous les moyens pour ne pas licencier ni réduire les salaires des ouvriers en imaginant des modalités vertueuses d adaptation, laissent la une des journaux télévisés à ceux qui profitent de la crise pour fermer des usines et délocaliser des productions.