Tribunal administratif N 25603 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 avril 2009 2 e chambre Audience publique du 7 décembre 2009 Recours formé par les époux... et consorts, l contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l Immigration en matière de police des étrangers JUGEMENT Vu la requête inscrite sous le numéro 25603 du rôle, déposée au greffe du tribunal administratif le 9 avril 2009 par Maître Nicky Stoffel, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur..., né le (Kosovo) et de son épouse, Madame..., née le (Kosovo), agissant tant en leur nom personnel qu en celui de leurs enfants mineurs, tous de nationalité kosovare, demeurant actuellement ensemble à L-, tendant à l annulation d une décision du ministre des Affaires étrangères et de l Immigration du 5 mars 2009 portant refus de faire droit à leur demande de régularisation de leur séjour ainsi que de la décision confirmative prise par ledit ministre le 23 mars 2009 à la suite d un recours gracieux ; Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 mai 2009 ; Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ; Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Dorma Barandao- Bakele, en remplacement de Maître Nicky Stoffel, et Monsieur le délégué du gouvernement Guy Schleder en leurs plaidoiries respectives. Le 4 novembre 2002, Monsieur... et son épouse, Madame..., agissant tant en leur nom propre qu en nom et pour compte de leurs enfants mineurs, introduisirent une demande d asile au Luxembourg. Cette demande fut rejetée par une décision du ministre de la Justice du 17 mars 2003, décision confirmée sur recours gracieux par une décision du 8 mai 2003. Le recours contentieux introduit à l encontre de ces décisions ministérielles fut rejeté comme non fondé par un jugement du tribunal administratif du 18 février 2004 (n 16625 du rôle), confirmé en instance d appel par un arrêt de la Cour administrative du 25 mai 2004 (n 17795C du rôle). 1
Le 24 juin 2005, Monsieur... sollicita l octroi d une tolérance provisoire en faveur de sa famille en faisant état de leur appartenance à la minorité bosniaque du Kosovo. Le 6 juillet 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l Immigration, ci-après dénommé «le ministre», accorda aux consorts... une tolérance provisoire jusqu au 31 décembre 2005. Cette mesure fut prolongée à plusieurs reprises et pour la dernière fois jusqu au 30 juin 2009, par une décision du 29 janvier 2009. Par courrier de leur mandataire du 23 février 2009, les consorts... introduisirent auprès du ministre une demande de régularisation définitive de leur situation en faisant état de raisons humanitaires fondées sur l état de santé de leur fils..., d une part, et sur leur appartenance à la minorité bosniaque du Kosovo, d autre part. Par une décision du 5 mars 2009, le ministre refusa de faire droit à cette demande en les termes suivants : «J ai l honneur de me référer à votre courrier du 23 février 2009 dans lequel vous sollicitez une «demande de régularisation définitive» pour le compte de vos mandants. Il y a tout d abord lieu de rappeler qu en vertu de l article 2 (1) alinéa 2 de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l immigration les bénéficiaires d une tolérance sont exclus de son champ d application à l exception des articles 78, point d) et 89. Etant donné qu en date du 29 janvier 2009 vos mandants se sont vus prolonger leur attestation de tolérance jusqu au 30 juin 2009 la prédite loi ne leur est pas applicable. D un autre côté, si vos mandants entendent invoquer un droit de séjour en tant que travailleurs salariés conformément à l article 38 de la prédite loi je me permets de vous rappeler qu une demande en autorisation de séjour doit selon l article 39 (1) être favorablement avisée avant l entrée sur le territoire luxembourgeois. Par ailleurs, vos mandants ne font pas état de motifs humanitaires d une exceptionnelle gravité tels que prévus à l article 78 (1) d) de la prédite loi justifiant une autorisation de séjour au Luxembourg. ( )» Le recours gracieux introduit à l encontre de la décision ministérielle précitée du 5 mars 2009 fut rejeté par une décision du ministre du 23 mars 2009. Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 9 avril 2009, les consorts... ont fait introduire un recours tendant à l annulation des décisions précitées des 5 et 23 mars 2009 portant refus de faire droit à leur demande d une autorisation de séjour pour raisons humanitaires. 2
Aucune disposition légale n instaurant de recours au fond en matière de refus de séjour, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision ministérielle déférée. Le recours en annulation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. A l appui de leur recours, les demandeurs soutiennent qu ils feraient état de raisons humanitaires suffisantes justifiant sur la base de la loi du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l immigration, ci-après dénommée «loi du 29 août 2008», l octroi d un titre de séjour définitif. Ils exposent qu ils seraient originaires du Kosovo et qu ils appartiendraient à la minorité bosniaque. Leur fils... serait handicapé physique depuis sa naissance en ce qu un bras ne fonctionnerait pas correctement et qu il devrait de ce fait suivre régulièrement un traitement médical et une kinésithérapie. Ils affirment que les infrastructures de soins au Kosovo seraient insuffisantes pour garantir la prise en charge de l enfant. D ailleurs, le ministre aurait à plusieurs reprises accordé une tolérance en raison de l état de santé de l enfant. D autre part, ils risqueraient de ne pas obtenir des soins appropriés au Kosovo du fait de ne pas parler la langue albanaise et qu ils s exposeraient aux brimades de la part de la population albanaise du fait de leur appartenance à la minorité bosniaque. Ils donnent encore à considérer qu ils seraient au Luxembourg depuis l année 2002 et qu ils seraient parfaitement intégrés au Grand- Duché. Enfin, la situation générale prévalant actuellement au Kosovo suite à la déclaration d indépendance du pays ne serait pas stable et que des affrontements pourraient éclater à tout moment. Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours comme étant non fondé en insistant sur le fait qu une tolérance provisoire aurait été accordée de manière itérative en raison de leur appartenance à une minorité ethnique et non pas en raison de l état de santé de l enfant..., le médecin du Contrôle médical ayant à plusieurs reprises conclu que l enfant ne présentait pas de pathologie médicale empêchant son rapatriement. Il convient tout d abord de relever que c est à juste titre que le ministre a retenu que les demandeurs, en tant que bénéficiaires d une tolérance provisoire jusqu au 30 juin 2009, ne tombent pas dans le champ d application de la loi du 29 août 2008, à l exception des articles 78 point d) et 89, conformément à l article 2 (1), alinéa 2 de la même loi. En ce qui concerne les raisons, qualifiées d humanitaires, avancées par les consorts... aux fins de justifier la délivrance d un permis de séjour, l article 78 (1), d) de la loi du 29 août 2008 permet au ministre d accorder une autorisation de séjour pour raisons privées au ressortissant d un pays tiers qui fait valoir des motifs humanitaires d une exceptionnelle gravité, à condition que sa présence ne constitue pas de menace pour l ordre public, la santé ou la sécurité publiques et qu il dispose de la couverture d une assurance maladie et d un logement approprié. A cet égard, les demandeurs invoquent tout d abord l état de santé de leur fils... qui ne pourrait pas bénéficier au Kosovo de soins médicaux adéquats. Il ressort des 3
éléments du dossier administratif et notamment d un rapport du 25 septembre 2008 du Dr. F. Pauly, médecin spécialiste en pédiatrie et en rééducation et réadaptation fonctionnelles que l enfant souffre d une «atteinte périnatale du plexus brachial droit». Le même médecin a encore retenu que sur le plan fonctionnel, l enfant connaissait très peu de gêne et qu il n y avait pas d indication pour un traitement supplémentaire mais qu il serait content que la kinésithérapie soit continuée. Il ressort par ailleurs de diverses attestations versées en cause que l enfant a suivi des séances de kinésithérapie au Luxembourg. Il se dégage de différents avis du médecin du Contrôle médical émis dans le cadre de la procédure de rapatriement, dont le dernier en date remonte au 28 novembre 2007, que l état de santé de l enfant... ne constituait pas un obstacle à l éloignement de la famille..., de sorte que l argument des demandeurs que cet état de santé aurait constitué une circonstance de fait ayant justifié à plusieurs reprises l octroi d une attestation de tolérance tombe à faux. Au vu du rapport précité du Dr. Pauly et des avis du Contrôle médical, les demandeurs n ont pas établi que l état de santé de l enfant... constitue une circonstance humanitaire d une exceptionnelle gravité justifiant l octroi d une autorisation de séjour. En outre, au-delà de la simple affirmation non étayée que l enfant ne pourrait pas suivre un traitement de kinésithérapie au Kosovo, les demandeurs restent en défaut d établir que les structures médicales adéquates feraient défaut au Kosovo et qu ils ne pourraient pas y bénéficier des soins médicaux nécessaires. Quant à la situation générale actuelle au Kosovo dont les demandeurs se sont prévalu à titre de motifs humanitaires en raison de leur appartenance à la minorité bosniaque, force est de constater que la simple référence à la situation générale ne s analyse pas en des raisons présentant un caractère de gravité suffisant pour justifier de l existence dans le chef des demandeurs de motifs humanitaires d une exceptionnelle gravité au sens de l article 78 (1) d) de la loi du 29 août 2008. S y ajoute qu en ce qui concerne les éventuels risques de persécution émanant des Albanais en raison de l appartenance des demandeurs à la minorité bochniaque, ces raisons ont déjà fait l objet d une analyse par les juridictions administratives dans le cadre de la demande d asile introduite par les demandeurs et dont ils ont été définitivement déboutés, de sorte qu à défaut d un quelconque élément nouveau afférent, l autorité de la chose jugée acquise par l arrêt précité du 25 mai 2004 s oppose à ce qu il soit procédé à une nouvelle analyse des craintes en question dans le cadre de la présente affaire. Cette conclusion n est pas énervée par les attestations versées par les demandeurs se rapportant à la situation des Bosniaques au Kosovo, étant donné que ces attestations datant des mois de janvier et février 2005 ne sont pas concluantes quant à la situation actuelle. Quant aux considérations relatives à l intégration des demandeurs, de tels arguments ne sont pas de nature à énerver la légalité et la régularité des décisions ministérielles attaquées. En l absence de toute définition légale contraignante de ce qu il y a lieu d entendre par motifs humanitaires, le ministre a partant valablement pu estimer que des raisons humanitaires d une exceptionnelle gravité pour accorder l autorisation de séjour n existaient pas en cause, de sorte que les décisions déférées ne sont pas à considérer 4
comme étant viciées par une violation de la loi, un excès de pouvoir ou par une erreur manifeste d appréciation. Le recours en annulation est partant à rejeter comme n étant pas fondé. Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l égard de toutes les parties ; déclare le recours en annulation recevable en la forme ; au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ; condamne les demandeurs aux frais. Ainsi jugé par : Carlo Schockweiler, premier vice-président, Martine Gillardin, premier juge, Annick Braun, juge, et lu à l audience publique du 7 décembre 2009 par le premier vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri. s. Judith Tagliaferri s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l original Luxembourg, le 07.12.2009 Le Greffier du Tribunal administratif 5