Tribunal administratif N 33554 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 31 octobre 2013 2 e chambre Audience publique du 3 novembre 2014 Recours formé par Monsieur..., contre une décision du ministre de la Justice en matière de nationalité JUGEMENT Vu la requête inscrite sous le numéro 33554 du rôle et déposée en date du 31 octobre 2013 au greffe du tribunal administratif par Maître Stefan Schmuck, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur..., demeurant à L-., tendant à la réformation, sinon à l annulation d une décision du ministre de la Justice du 30 juillet 2013 portant rejet de sa demande en obtention d une dispense de participation à l épreuve d évaluation de la langue luxembourgeoise parlée et aux cours d instruction civique introduite dans le cadre de sa demande en naturalisation du 6 août 2009 ; Vu le mémoire en réponse déposé le 27 janvier 2014 au greffe du tribunal administratif par le délégué du gouvernement ; Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Stefan Schmuck et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l audience publique du 20 octobre 2014. Le 6 août 2009, Monsieur... introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande de naturalisation conformément à la loi du 23 octobre 2008 sur la nationalité luxembourgeoise, ci-après désignée par «la loi du 23 octobre 2008». Le 31 octobre 2012, Monsieur... introduisit auprès du ministre de la Justice, ciaprès désigné par «le ministre», une demande de dispense de participation à l épreuve d évaluation de la langue luxembourgeoise parlée et aux cours d instruction civique, tels que prévus par l article 7 (1), points b) et c) de la loi du 23 octobre 2008. A l appui de cette demande, Monsieur... versa un certificat médical du 30 octobre 2012 attestant qu il serait «incapable de suivre les cours prévus pour obtenir la nationalité luxembourgeoise, pour cause de mauvais état de santé physique». Par un courrier du 8 novembre 2012, le ministre invita Monsieur... à se soumettre à une expertise médicale aux fins de déterminer s il est dans l incapacité médicale d apprendre la langue luxembourgeoise parlée et de participer à l épreuve d évaluation de cette langue, ainsi qu aux cours d instruction civique précités. Aux termes d un «rapport de consultation» du 11 décembre 2012, le médecin chargé par le ministre de réaliser l expertise susmentionnée informa ce dernier de son refus 1
d exécuter la mission lui confiée, à cause du «comportement inadapté» dont Monsieur... aurait fait preuve lors de leur première rencontre. Par décision du 16 janvier 2013, notifiée à l intéressé le 21 janvier 2013, le ministre informa Monsieur... que sa demande de dispense de participation à l épreuve d évaluation de la langue luxembourgeoise parlée et aux cours d instruction civique avait été refusée, faute de preuve d un handicap grave dans son chef rendant une telle participation impossible. Le ministre releva encore que le 10 juillet 2008, la Chambre des Députés aurait déjà rejeté une première demande en naturalisation de Monsieur... introduite le 27 novembre 2002. Le 8 février 2013, Monsieur... introduisit contre cette décision un recours gracieux formulé comme suit : «[ ] J accuse bonne réception de votre courrier du 16 janvier dernier dans lequel vous m informez que la Chambre des Députés a rejeté le 10 juillet 2008 ma demande en naturalisation du 27 janvier 2002. Je me permets néanmoins d introduire un recours contre cette décision pour les raisons suivantes : - En raison de mes problèmes de santé, je suis totalement incapable de me déplacer pour participer à l épreuve de la langue luxembourgeoise parlée et aux cours d instruction civique. - Vivant depuis plus de 40 ans dans le pays, je peux vous assurer ma bonne connaissance orale de la langue luxembourgeoise et de ma bonne intégration dans le pays. - Mon épouse et mon fils ont obtenu leur naturalisation. Ainsi, je vous prie de bien vouloir réexaminer ma demande en naturalisation qui me tient réellement à cœur. [ ]». Par décision du 28 février 2013, notifiée à l intéressé le 12 mars 2013, le ministre rejeta le recours gracieux de Monsieur... du 8 février 2013. Cette décision est libellée comme suit : «[ ] Par la présente, j accuse bonne réception de votre recours gracieux contre la décision de la Chambre des Députés du 10 juillet 2008 portant refus de naturalisation. Ce recours est irrecevable dans la mesure où les décisions de la Chambre des Députés en matière de nationalité luxembourgeoise ne sont susceptibles d aucun recours. Je confirme également ma décision du 16 janvier 2013 qui vous refuse la dispense de participation à l épreuve d évaluation de la langue luxembourgeoise parlée et aux cours d instruction civique luxembourgeois. Vous avez été en mesure de vous rendre auprès de l expert médical, le Dr..., qui a refusé de réaliser l expertise en raison de votre «comportement inadapté». 2
Vous ne justifiez d aucun handicap de nature à rendre impossible une participation à l épreuve d évaluation et aux cours d instruction civique. [ ]». Le 4 juillet 2013, Monsieur... introduisit auprès du ministre une nouvelle demande de dispense de participation à l épreuve d évaluation de la langue luxembourgeoise parlée et aux cours d instruction civique. Par décision du 30 juillet 2013, notifiée à l intéressé le 1 er août 2013, le ministre déclara cette demande irrecevable et confirma son refus d accorder à Monsieur... la dispense sollicitée. Cette décision est libellée comme suit : «[ ] Par la présente, j accuse bonne réception de votre courrier du 4 juillet 2013 par lequel vous sollicitez une dispense de participation à l épreuve d évaluation de la langue luxembourgeoise parlée et aux cours d instruction civique. A l appui de cette requête, vous versez un certificat médical du 30 octobre 2012 émanant du Dr... et indiquant que vous seriez «incapable de suivre les cours de langues prévus pour obtenir la nationalité luxembourgeoise, pour cause de mauvaise santé physique.». Ce certificat médical soulève les observations suivantes : D une part, il a déjà été produit à l appui de votre première demande de dispense que vous avez présentée le 31 octobre 2012. D autre part, il n est pas circonstancié dans la mesure où le médecin concerné n apporte aucune précision quant à la nature de votre maladie. À titre de rappel, votre première demande de dispense a été refusée par décision ministérielle du 16 janvier 2013, confirmée par celle du 28 février 2013, qui a été rendue à la suite de votre recours gracieux du 8 février 2013. Dans ce contexte, je tiens également à vous rappeler que l expert médical, le Dr..., a refusé de réaliser l expertise en raison «du comportement inadapté de Monsieur... lors de notre premier contact». Considérant l absence d éléments nouveaux dans votre dossier, votre demande est irrecevable. En l absence de la preuve d un handicap grave de nature à rendre impossible votre participation à l épreuve d évaluation de la langue luxembourgeoise parlée et aux cours d instruction civique, je ne suis pas en mesure de vous accorder la dispense sollicitée. [ ]». Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 31 octobre 2013, Monsieur... a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l annulation de la décision ministérielle précitée du 30 juillet 2013. Aucun recours au fond n étant prévu contre les décisions du ministre refusant de faire droit à une demande de dispense de participation à l épreuve d évaluation de la langue luxembourgeoise parlée et aux cours d instruction civique, tels que prévus par l article 7 (1), points b) et c) de la loi du 23 octobre 2008 dans le contexte d une demande en naturalisation, le tribunal est incompétent pour statuer sur le recours principal en réformation. 3
A l audience publique du 20 octobre 2014, le tribunal a invité les parties à prendre oralement position quant à la recevabilité ratione temporis du recours, en ce qu il est dirigé contre la décision ministérielle du 30 juillet 2013 ayant confirmé les décisions antérieures des 16 janvier et 28 février 2013 et ayant statué sur une demande réitérée après l expiration du délai de recours contentieux contre lesdites décisions antérieures. A la même audience publique, le litismandataire du demandeur a conclu à la recevabilité du recours, au motif qu il aurait été introduit avant l expiration du délai de recours contentieux, dans la mesure où la décision déférée aurait été notifiée à Monsieur... le 1 er août 2013. Par ailleurs, tant le litismandataire du demandeur que le délégué du gouvernement ont relevé le fait que la décision déférée indique qu elle serait «susceptible d un recours devant le tribunal administratif [ ]». Force est au tribunal de constater que la décision du ministre du 28 février 2013 ayant confirmé, sur recours gracieux du demandeur du 8 février 2013, la décision ministérielle du 16 janvier 2013, notifiée à l intéressé le 21 janvier 2013, ayant refusé d accorder à Monsieur... une dispense de participation à l épreuve d évaluation de la langue luxembourgeoise parlée et aux cours d instruction civique lui a été notifiée le 12 mars 2013, de sorte qu en application de l article 13, paragraphes (1) et (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le délai du recours contentieux contre la décision ministérielle de refus du 16 janvier 2013 et contre la décision confirmative sur recours gracieux du 28 février 2013 a expiré le 12 juin 2013, soit avant l introduction de la deuxième demande de dispense de participation à l épreuve d évaluation de la langue luxembourgeoise parlée et aux cours d instruction civique de Monsieur... du 4 juillet 2013 et avant la prise de la décision litigieuse. S il est vrai qu en principe une nouvelle décision prise sur base d une demande réitérée, en dehors du délai de recours contre une décision antérieure n est pas distincte de cette dernière et n ouvre ainsi pas de nouveau délai de recours, dès lors que la nouvelle décision confirme purement et simplement la décision antérieure, il en est autrement si la décision confirmative est basée au moins partiellement sur des éléments nouveaux à l égard desquels l administration prend position. 1 Or, tel n est pas le cas en l espèce, dans la mesure où la décision déférée du 30 juillet 2013 n est basée sur aucun élément nouveau, étant donné que la pièce et les arguments invoqués à l appui de la demande de Monsieur... du 4 juillet 2013 tendant à l obtention d une dispense de participation à l épreuve d évaluation de la langue luxembourgeoise parlée et aux cours d instruction civique, à savoir le certificat médical, précité, du 30 octobre 2012 établissant le «mauvais état de santé» du demandeur, de même que le fait qu il résiderait sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg depuis 1986 avaient déjà été invoqués à l appui de sa demande initiale du 31 octobre 2012 ayant eu le même objet. Ces données connues sont ainsi restées constantes. Dans la mesure où la décision déférée du 30 juillet 2013 confirme ainsi purement et simplement les décisions antérieures des 16 janvier et 28 février 2013 à l égard desquelles le délai du recours contentieux avait déjà expiré le 12 juin 2013, tel que retenu ci-avant, soit avant l introduction de la demande de Monsieur... du 4 juillet 2013 tendant de nouveau à l obtention d une dispense de participation à l épreuve d évaluation de la langue luxembourgeoise parlée et aux cours d instruction civique et avant la prise de la décision 1 Trib. adm., 18 juin 1997, n 9458 du rôle, Pas. adm. 2012, V Procédure contentieuse, n 208 et les autres références y citées 4
déférée du 30 juillet 2013, cette décision n a pas eu pour effet d ouvrir un nouveau délai de recours. Cette conclusion n est pas énervée par le fait que la décision déférée indique qu elle serait «susceptible d un recours devant le tribunal administratif [ ]», tel que relevé à l audience publique du 20 octobre 2014 par le litismandataire du demandeur et le délégué du gouvernement, étant donné qu à défaut d existence ou de subsistance d une voie de recours ouverte et légalement prévue, la simple indication erronée dans une lettre d une autorité administrative d une voie de recours ne saurait être de nature à créer un quelconque droit dans le chef d un administré et rouvrir le cas échéant des délais de recours fixés impérativement par la loi. 2 Il s ensuit que la recours subsidiaire en annulation introduit contre la décision du ministre du 30 juillet 2013 refusant de faire droit à la demande de Monsieur... en obtention d une dispense de participation à l épreuve d évaluation de la langue luxembourgeoise parlée et aux cours d instruction civique est irrecevable ratione temporis. Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l égard de toutes les parties ; se déclare incompétent pour statuer sur le recours principal en réformation introduit contre la décision du ministre de la Justice du 30 juillet 2013 portant rejet de la demande de Monsieur... en obtention d une dispense de participation à l épreuve de la langue luxembourgeoise parlée et aux cours d instruction civique introduite dans le cadre de sa demande en naturalisation du 6 août 2009 ; déclare irrecevable le recours subsidiaire en annulation introduit contre ladite décision ; condamne le demandeur aux frais. Ainsi jugé par : Françoise Eberhard, vice-président, Anne Gosset, premier juge, Daniel Weber, juge, et lu à l audience publique du 3 novembre 2014 par le vice-président, en présence du greffier Monique Thill. s. Monique Thill s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l original Luxembourg, le 3 novembre 2014 Le greffier du tribunal administratif 2 Trib. adm., 1 er juillet 1998, n 9853 du rôle, Pas. adm. 2012, V Procédure administrative non contentieuse, n 196 et les autres références y citées 5