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10 AVRIL 2008 C.05.0527.N/1 Cour de cassation de Belgique Arrêt N C.05.0527.N V. S., Me Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation, contre D. M., Me Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation. I. La procédure devant la Cour Le pourvoi en cassation est dirigé contre l arrêt rendu le 11 mai 2005 par la cour d appel de Bruxelles. Le président Ivan Verougstraete a fait rapport. L avocat général Christian Vandewal a conclu.

10 AVRIL 2008 C.05.0527.N/2 II. Le moyen de cassation Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants : Dispositions légales violées - article 149 de la Constitution ; - articles 46 et 99 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites ; - articles 774, 870 et 1138, 2, du Code judiciaire ; - articles 1184, 1315, 1349, 1353 et 1741 du Code civil ; - articles 6, 7, 8, 11bis, 12, 14 et 29 du Livre II, Titre VIII du Code civil contenant la loi du 4 novembre 1969 sur les baux à ferme ; - articles 8 et 9 du Livre III, Titre XVIII du Code civil contenant la loi hypothécaire du 22 décembre 1851 ; - le principe dispositif en tant que principe général du droit ; - le principe général du droit relatif au respect des droits de la défense. Décision et motifs critiqués La cour d appel déclare l appel du défendeur fondé et décide par réformation du jugement du premier juge que la décision du curateur du 24 juillet 1998 de ne pas poursuivre l exécution du contrat de bail à ferme est valable, de sorte que le bien immobilier qui faisait l objet du contrat de bail résilie pouvait être vendu libre de tout bail, sur la base des considérations suivantes : «L article 46, alinéa 1 er, de la loi du 8 août 1997 dispose que dès leur entrée en fonctions, les curateurs décident sans délai s'ils poursuivent l'exécution des contrats conclus avant la date du jugement déclaratif de la faillite et auxquels ce jugement ne met pas fin.

10 AVRIL 2008 C.05.0527.N/3 La partie qui a contracté avec le failli peut mettre les curateurs en demeure de prendre position quant à l exercice de cette compétence dans les quinze jours. A défaut de décision après cette mise en demeure le contrat est présumé être résilié dès l expiration de ce délai à moins qu il ait été prorogé. La compétence puisée par le curateur dans l article 46 de la loi du 8 août 1997 concerne tous les contrats opposables à la masse qui ont été conclus par le failli. Elle est toutefois limitée par ce qui est requis dans le cadre d une bonne administration de la masse et de la garantie du principe de l égalité des créanciers ( ). Il n y a aucun motif pour faire usage de cette compétence lorsque la poursuite du contrat ne fait pas obstacle à la liquidation normale. Par contre, l exercice de cette compétence est justifié si l administration de la masse en bon père de famille le requiert. Indépendamment du fait que le contrat visé par le curateur est oui ou non régi par des dispositions légales relevant du droit impératif, il peut être résilié dans les limites précitées. Le droit en matière de bail à ferme peut donc empêcher que le curateur résilie un contrat. En l espèce, le curateur a décidé le 24 juillet 1998, dans les dix jours de l ouverture de la faillite, qu il ne poursuivait pas l exécution du contrat de bail à ferme conclu entre B. et l intimé V. Il ne l a décidé qu ultérieurement à l égard de la partie L., soit le 8 juin 1999, dès lors qu il ignorait l existence du contrat de bail à ferme concernant le pâturage. Les deux intimés ont refusé d accepter cette décision mais n ont pas contesté que la décision en tant que telle a été prompte, dès que le curateur a connu l existence des contrats.

10 AVRIL 2008 C.05.0527.N/4 Le curateur invoque à l appui de la légalité de sa décision qu elle a été prise dans l intérêt de la masse, sans préciser davantage. Il est toutefois certain que la circonstance que les parcelles de terrains sont l objet d un contrat de bail à ferme a des répercussions substantielles négatives sur le prix offert pour ces parcelles. Le curateur peut ainsi soutenir raisonnablement que l intérêt de la masse et donc son administration en bon père de famille, justifient légalement de ne plus poursuivre l exécution les contrats de bail à ferme. Les décisions prises en ce sens par le curateur le 24 juillet 1998 et le 8 juin 1999 sont justifiées. L action déclaratoire des parties V. et L. est, dès lors, non fondée. La demande formulée par le curateur est fondée : les contrats de bail à ferme ont été résiliés à la date de la faillite et les biens immobiliers y afférents peuvent être vendus libres de tout bail. La demande subsidiaire des anciens preneurs tendant à leur faire attribuer à charge de la masse une avance sur l indemnité qui leur revient à la fin du bail ne peut être accueillie. Cela supposerait en effet que leur dommage constitue une dette de la masse. L article 46, alinéa 2, de la loi du 8 août 1991 dispose toutefois que la créance résultant du dommage qui est éventuellement dû au cocontractant en raison de l inexécution entre dans la masse. Ainsi, les intimés V. et L. ne peuvent introduire une créance dans la masse qu à concurrence du dommage dont ils apportent la preuve. Il est ainsi décidé définitivement que l appel du curateur est fondé. Par ces motifs, La cour, ( ) Accueille l appel et le déclare fondé.

10 AVRIL 2008 C.05.0527.N/5 Annule le jugement dont appel sauf en tant qu il accueille les demandes à l égard du curateur et des parties V. et L. et qu il taxe les dépens ; Statue à nouveau comme suit : ( ) Déclare la demande introduite par la partie V. non fondée ; ( ) Déclare la demande du curateur fondée ; Dit que les décisions du curateur du 24 juillet 1998 et du 8 juin 1999dans lesquelles il décide de ne pas poursuivre l exécution des contrats de bail sont valables. Dit que les biens immobiliers qui ont fait l objet des contrats de bail résiliés peuvent être vendus libres de tout bail. Réserve l évaluation des sommes dues à la masse en raison de l occupation des biens immobiliers. Condamne les intimés aux dépens tant de première instance que d appel, ces derniers fixés à 466,04 euros pour eux-mêmes et à zéro euro pour le curateur» ( ) Griefs Première branche Violation de l article 46 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites, des articles 1184 et 1741 du Code civil et des articles 6, 7, 8, 11bis, 12, 14 et 29 du Livre II, Titre VIII du Code civil concernant le bail à ferme. 1. L article 46 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites dispose que dès leur entrée en fonctions, les curateurs décident sans délai s'ils poursuivent l'exécution des contrats conclus avant la date du jugement déclaratif de la faillite et auxquels ce jugement ne met pas fin.

10 AVRIL 2008 C.05.0527.N/6 2. Sauf les cas dans lesquels le jugement déclaratif de la faillite met fin au contrat, la faillite laisse intactes les relations contractuelles du contractant failli. Si la faillite ne met pas fin au contrat, il ne sera pas davantage question de la libération des obligations contractées. Le cocontractant ne peut toutefois pas obliger le curateur qui est subrogé dans les droits du contractant failli, à exécuter le contrat en nature. Il appartient, en effet, au curateur de décider dans l intérêt de la masse s il poursuit ou non l exécution du contrat. Si le curateur choisit de poursuivre l exécution du contrat, les obligations qui en découlent devront être payées par priorité en tant que dettes de la masse. Si, au contraire, le curateur décide de ne plus poursuivre l exécution du contrat, celui-ci continue à exister mais le manquement du failli permettra au cocontractant de réclamer la résiliation du contrat en application du droit commun et de formuler une demande de dommages et intérêts (voir l article 1184 et aussi, en ce qui concerne le bail, l article 1741 du Code civil). 3. L article 46 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites, est donc interprété en ce sens que le curateur a le choix d exécuter ou non les contrats en cours. L alinéa 2 de l article 46 de la loi du 8 août 1997, qui avait pour but d élaborer une réglementation spéciale pour les contrats de travail et dans lequel figure la notion de résiliation, ne peut être utilisé pour déroger au libellé de l article 46, alinéa 1 er, de la loi du 8 août 1997 dans lequel il n est question que «de poursuivre ou non l exécution». L article 46 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites ne crée, dès lors, pas de règle particulière qui confèrerait au curateur de la faillite le droit de mettre fin ou de résilier les contrats. 4. C est à tort que l on déduirait une autre solution de l arrêt de la Cour du 24 juin 2004 (C.02.0416.N).

10 AVRIL 2008 C.05.0527.N/7 Dans la cause ayant donné lieu à cet arrêt la cour d appel avait décidé que les arguments invoqués par le curateur pour ne pas poursuivre l exécution du contrat de bail commercial étaient sans pertinence et en outre non fondés. Le moyen de cassation visait ainsi la décision concernant le pouvoir d appréciation du curateur dans le cadre de l article 46 de la loi du 8 août 1997 et ne recherchait pas une décision sur la compétence exacte du curateur dans le cadre de ce même article (poursuivre ou non, résilier/mettre fin). Même après cet arrêt la faillite du bailleur ne confère pas au curateur le droit de résilier le contrat de bail à ferme en faisant usage de son droit d option figurant à l article 46 de la loi du 8 août 1997. En l espèce, le défendeur, en tant que curateur du bailleur failli, devait se borner à décider sur la base de son droit d option figurant à l article 46 de la loi du 8 août 1997 de ne plus poursuivre l exécution des obligations contractées par le bailleur. Une résiliation effective du contrat de bail à ferme par le défendeur ne pouvait se réaliser qu en respectant les dispositions légales pertinentes du Livre II, Titre VIII du Code civil concernant le bail à ferme (voir les articles 6, 7, 8, 11bis, 12, 14 et 29 de la loi du 4 novembre 1969). Cette conception juridique est conforme à l objectif de l article 46 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites, à savoir éviter l augmentation du passif de la masse. Dans le cas d un contrat de bail à ferme aucune prestation active n est attendue de la part de la masse et de son curateur une simple tolérance de leur part suffit. 5. La cour d appel considère dans l arrêt attaqué que le contrat de bail à ferme conclu entre le demandeur et le bailleur failli, qu il soit régi ou non par les dispositions légales relevant du droit impératif, peut être résilié par le curateur si l administration de la masse en bon père de famille le requiert. Suivant la cour, le droit de bail à ferme du demandeur ne pouvait empêcher que le curateur résilie le contrat ( ). La cour d appel considère que la décision du curateur du 24 juillet 1998 est justifiée ( ) et décide que les biens immobiliers qui ont fait l objet

10 AVRIL 2008 C.05.0527.N/8 des contrats de bail à ferme résiliés pouvaient être vendus libres de tout bail ( ). Dans la mesure où la cour d appel décide ainsi que le contrat de bail à ferme conclu entre le demandeur et la société faillie B. pouvait être résilié par le curateur en application de l article 46 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites et que la décision du défendeur du 24 juillet 1998 est justifiée par l intérêt de la masse et son administration en bon père de famille, elle viole dès lors l article 46 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites, cet article ne conférant au défendeur en tant que curateur de la faillite que le droit de décider de ne plus poursuivre l exécution des contrats conclus par le bailleur. L arrêt méconnaît ainsi aussi les articles 1184 et 1741 du Code civil et les articles 6, 7, 8, 11bis, 12, 14 et 29 du Livre II, Titre VIII du Code civil concernant le bail à ferme qui devaient être respectés par le défendeur en cas de résiliation effective du bail à ferme. 6. Le droit d option du curateur figurant à l article 46 de la loi du 8 août 1997 poursuivre ou non l exécution du contrat en cours ne confère pas au curateur le droit d expulser le preneur, ce qui ne peut avoir lieu qu en respectant les dispositions légales pertinentes de la loi du 4 novembre 1969 (voir les articles 6, 7, 8, 11bis, 12, 14 et 29 du Livre II, Titre VIII du Code civil concernant le bail à ferme). En l espèce, la cour d appel décide que les biens immobiliers qui faisaient l objet des contrats de bail à ferme résiliés pouvaient être vendus libres de tout bail ( ) indépendamment du fait que ces contrats de bail à ferme sont régis ou non par des dispositions légales relevant du droit impératif ( ). Dans la mesure où la cour d appel considère sur la base de ces considérations que la décision du curateur de ne plus poursuivre l exécution du contrat de bail à ferme sur la base de l article 46 de la loi du 8 août 1997 comprend aussi le droit pour le défendeur de vendre le bien libre de tout bail, indépendamment des dispositions légales de droit impératif figurant dans la loi du 4 novembre 1969 applicables ou non, elle méconnaît tant l article 46 de la loi du 8 août 1997 que les articles 6, 7, 8, 11bis, 12, 14 et 29 du Livre II, Titre VIII du Code civil concernant le bail à ferme.

10 AVRIL 2008 C.05.0527.N/9 Deuxième branche Violation de l article 149 de la Constitution et de l article 46 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites. 7. La cour d appel constate que le contrat de bail à ferme a été régulièrement résilié par la décision du 24 juillet 1998 du défendeur ( ) mais considère ensuite que la demande du défendeur est fondée et que le contrat de bail à ferme a été résilié à compter de la date de la faillite ( ). Dans la mesure où l arrêt considère ainsi, d une part, que le contrat de bail à ferme a été résilié à la date de la faillite, soit le 14 juillet 1998, ( ) et, d autre part, que le contrat de bail à ferme a été régulièrement résilié par la décision du curateur du 24 juillet 1998, il est entaché d une contradiction et, par ces motifs, il n est pas régulièrement motivé (violation de l article 149 de la Constitution). Dans la mesure où il décide que le contrat de bail à ferme a été résilié à compter de la date de la faillite ( ) l arrêt viole, à tout le moins, l article 46 de la loi du 8 août 1997, dès lors qu il ne ressort nullement de cet article que la décision du curateur de ne pas poursuivre le contrat rétroagit à la date de la déclaration de la faillite (violation de l article 46 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites). Troisième branche Violation de l article 46 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites, des articles 870 et 1138, 2, du Code judiciaire, des articles 1315, 1349 et 1353 du Code civil, du principe dispositif en tant que principe général du droit et du principe général du droit relatif au respect des droits de la défense. 8. La cour d appel constate que la curateur «invoque à l appui de la légalité de sa décision, qu elle a été prise dans l intérêt de la masse, sans préciser davantage».

10 AVRIL 2008 C.05.0527.N/10 Selon la cour d appel «il est pourtant certain que la circonstance que des parcelles agricoles font l objet d un contrat de bail à ferme, a des répercussions substantielles négatives sur le prix offert pour celles-ci. Le curateur peut ainsi soutenir raisonnablement invoquer que l intérêt de la masse et donc son administration en bon père de famille justifient légalement de ne plus poursuivre l exécution des contrats de bail à ferme. Les décisions prises en ce sens par le curateur le 24 juillet 1998 et le 8 juin 1999 sont justifiées» ( ). 9. S il y a lieu d admettre que dans son arrêt du 24 juin 2004 la Cour a reconnu l existence d un droit spécial de résiliation pour le curateur fondé sur l article 46 de la loi du 8 août 1997 ce droit ne peut être exercé que dans les circonstances indiquées par la Cour. Selon l arrêt de la Cour du 24 juin 2004, le curateur peut mettre fin à un contrat qui lie le failli «si la résiliation du contrat est nécessaire à l administration de la masse en bon père de famille», sans préjudice des droits découlant alors, pour le cocontractant de la faillite, e l inexécution du contrat. Il appartient dès lors au curateur de la faillite de démontrer concrètement que la «résiliation» est nécessaire à l administration de la masse en bon père de famille. La charge de la preuve lui incombe. Dans la mesure où la cour d appel constate que le défendeur invoque sans plus l intérêt de la masse pour justifier sa décision, et qu elle admet ensuite «qu il est certain que la circonstance que des parcelles agricoles font l objet d un contrat de bail à ferme, a des répercussions substantielles négatives sur le prix offert pour celles-ci» ( ), la cour se substitue à la curatelle dans l administration de la preuve et déroge ainsi à la charge de la preuve qui incombait au défendeur pour démontrer concrètement que la résiliation du contrat de bail à ferme était nécessaire à l administration de la masse en bon père de famille (violation des articles 870 du Code judiciaire et 1315 du Code civil et de l article 46 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites). 10. Il appartient au juge d appliquer aux faits soumis à son appréciation la règle de droit sur la base de laquelle il accueillera ou rejettera

10 AVRIL 2008 C.05.0527.N/11 la demande tout en respectant le principe dispositif et les droits de la défense et sans modifier l objet et la cause des demandes des parties au procès. En vertu de l article 1138, 3, du Code judiciaire, le juge ne peut prononcer sur choses non demandées ni adjuger plus qu il n a été demandé. Le juge ne peut tenir compte que des faits qui ont été régulièrement communiqués par les parties. L ensemble des faits juridiques pertinents invoqués par une partie au procès soit la cause de sa demande doit, dès lors, être respecté par le juge. Dans la mesure où, après avoir constaté que le défendeur a invoqué sans plus l intérêt de la masse comme justificatif, la cour d appel complète de son propre chef les arguments de fait ou juridiques invoqués par le défendeur, elle méconnaît le principe dispositif confirmé par l article 1138, 2, du Code judiciaire ainsi que la notion de cause de la demande. En admettant de son propre chef «qu il est certain que la circonstance que des parcelles agricoles font l objet d un contrat de bail à ferme, a des répercussions substantielles négatives sur le prix offert pour celles-ci» ( ) sans permettre au demandeur de se défendre à ce propos, l arrêt viole aussi les droits de la défense du demandeur (violation du principe général du droit relatif au respect des droits de la défense). 11. Dès lors qu il n est pas davantage établi que l existence d un contrat de bail à ferme a en tout cas une répercussion substantielle négative sur le prix offert pour le bien immobilier, la cour d appel ne fonde pas davantage cette décision sur un fait généralement connu ou sur une règle générale tirée de l expérience, mais sur un fait qu elle connaissait de son propre fait et qui n a pas été soumis à contradiction (violation des articles 1349 et 1353 du Code civil et du principe général du droit relatif au respect des droits de la défense). Quatrième branche Violation des articles 46 et 99 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites.

10 AVRIL 2008 C.05.0527.N/12 12. Le demandeur a demandé en ordre subsidiaire l attribution à charge de la masse d une avance sur les dommages et intérêts dus à la fin du bail. La cour d appel rejette cette demande par le motif que «cela supposerait que leur dommage constitue une dette de la masse. L article 46, alinéa 2, de la loi du 8 août 1997 sur les faillites dispose toutefois que la créance résultant du dommage qui est due au cocontractant en raison de l inexécution entre dans la masse. Les intimés V. et L. ne peuvent ainsi introduire une seule créance dans la masse qu à concurrence du dommage dont ils apportent la preuve» ( ). 13.Une dette de la masse doit être payée par le curateur aux créanciers avant tout partage. Une dette ne peut être une dette de la masse que lorsque le curateur q.q. a conclu des contrats en vue de l administration de la masse. Dans ce cas, la masse doit respecter les contrats résultant de cette administration et en supporter les charges. Si le curateur résilie un contrat en se fondant sur l article 46 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites en raison de la nécessité de cette résiliation pour l administration de la masse, il crée nécessairement une dette de la masse. Dans la mesure où la cour d appel décide que le dommage subi par le demandeur à la suite de la résiliation du contrat de bail à ferme par le curateur ne peut être considéré comme une dette de la masse et que le demandeur doit se borner à introduire une créance dans la masse à concurrence du dommage dont il apporte la preuve ( ) elle prive à tort ce dommage de la qualification de dette de la masse et elle viole la notion de dette de la masse (violation des articles 46 et 99 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites ainsi que des articles 8 et 9 de la loi hypothécaire).

10 AVRIL 2008 C.05.0527.N/13 III. La décision de la Cour Quant à la troisième branche : 1. Lorsque l administration de la masse le requiert nécessairement, c est-à-dire lorsque la continuation du contrat conclu par le failli fait obstacle à la liquidation de la masse ou compromet anormalement la liquidation, le curateur peut, en vertu de l article 46 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites, mettre fin à un contrat en cours conclu par le failli, même si ce contrat confère des droits qui sont opposables à la masse. Le simple fait que les biens acquièrent ainsi une valeur marchande moindre, n empêche pas en soi le règlement normal de la faillite. 2. Il appartient au curateur de prouver que l administration de la masse nécessite la fin du contrat. 3. L arrêt constate qu à l appui de la légalité de sa décision, le curateur invoque qu elle a été prise dans l intérêt de la masse, sans précise davantage. Il considère ensuite qu il est certain que la circonstance que des parcelles agricoles font l objet d un contrat de bail à ferme, a des répercussions substantielles négatives sur le prix offert pour celles-ci. 4. La cour d appel décharge ainsi le curateur de la charge de la preuve qui lui incombe de démontrer que la résiliation du contrat était nécessaire à l administration de la masse. Le moyen, en cette branche, est fondé. Quant au surplus des griefs : 5.Les autres griefs ne sauraient entraîner une cassation plus étendue.

10 AVRIL 2008 C.05.0527.N/14 Par ces motifs, La Cour Casse l arrêt attaqué sauf en tant qu il déclare l appel recevable ; Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l arrêt partiellement cassé ; fond ; Réserve les dépens pour qu il soit statué sur ceux-ci par le juge du Renvoie la cause ainsi limitée devant la cour d appel d Anvers. Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président Ivan Verougstraete, le président de section Robert Boes, les conseillers Eric Dirix, Beatrijs Deconinck et Alain Smetryns, et prononcé en audience publique du dix avril deux mille huit par le président Ivan Verougstraete, en présence de l avocat général Christian Vandewal, avec l assistance du greffier adjoint Johan Pafenols. Traduction établie sous le contrôle du président de section Claude Parmentier et transcrite avec l assistance du greffier Marie- Jeanne Massart. Le greffier, Le président de section,