Suzanne Harvey bien dans sa vie Comment se libérer de ce qu on n est pas s
À ceux qui trouvent dans la connaissance d eux-mêmes la joie de vivre pleinement.
Introduction s Nous ne sommes pas fait pour être malheureux. Paradoxalement, quoi qu on en dise, notre bonheur est bien souvent ce que nous négligeons le plus. C est sans grande promptitude que nous réglons nos problèmes. Nous les laissons s accumuler. Nous entretenons des habitudes nocives pour notre santé, nos relations, habitudes qui nous tuent tranquillement et nous isolent des autres. Nous avons de la difficulté à aimer et à être aimé en retour, nous vivons notre vie en acceptant qu elle ne soit pas notre plus grande source de bonheur. Et si tous ces symptômes étaient le signe que nous ne sommes pas bien dans notre vie? En tant que psychologue, j ai remarqué un élément important chez beaucoup de personnes qui entreprennent une psychothérapie : leur souffrance est devenue leur unique identité. Beaucoup se sont désintéressés d eux-mêmes parce qu ils croient qu ils comptent moins que tout ce qu ils vivent. Pourtant, la plupart des gens que je rencontre en psychothérapie admettent difficilement qu ils sont malheureux. Malgré un arrêt de travail nécessaire, une dépression,
8 bien dans sa vie des difficultés avec leur patron, leurs enfants ou leurs amis, en dépit de problèmes de santé ou de dépendances de toutes sortes, ils soutiennent qu ils ne sont pas si malheureux que cela. Tant et aussi longtemps que la distinction n est pas nette entre être heureux et ne pas l être, la vie de ces gens risque de ne pas avoir plus de valeur à leurs yeux que celle qu ils donnent à leur bonheur. Quand notre bonheur représente tout pour nous, notre vie vaut tout pour nous. Car peu importe ce que nous faisons, c est toujours notre vie que nous vivons. Jamais nous ne vivrons autre chose que notre vie. Notre seule prérogative consiste à la vivre ou pas. Ne pas être heureux, c est ne pas la vivre. C est vivre autre chose à la place de notre vie, une peine, une colère, une rancune, un échec, de la culpabilité, et en faire toute notre vie. La plus grande expérience que nous puissions vivre n est pas un amour épanouissant, la famille, la réussite sociale ou professionnelle, ou que sais-je ; c est notre vie. Et être bien dans sa vie, c est être en relation avec soi-même. Nous nous identifions si totalement à nos souffrances qu elles deviennent ce que nous sommes, elles sont notre seule identité. Nous croyons vraiment que nous sommes nos pensées, nos sentiments, nos actes ou leurs conséquences. Constamment, depuis notre tendre enfance jusqu à aujourd hui, nous avons tellement intériorisé les perceptions, les attitudes, les réactions, les jugements d autrui que nous ne savons même plus qui nous sommes vraiment. Mais n oublions jamais que notre vrai «moi», notre réalité ultime, repose dans le fait que nous sommes infiniment plus que ce que nous percevons, intériorisons et expérimentons. Nous sommes plus qu un homme, une femme,
introduction 9 un enfant, un voisin, un travailleur, un parent, plus que ce que nous pensons, disons et faisons. Être constamment plus que ce que nous vivons, c est cela notre identité la plus sûre et la moins limitatrice. C est une individualité libre de nos expériences et de nos jugements que ce livre propose d atteindre. Notre lutte intérieure contre les perceptions d autrui, nous la faisons subir, justement, aux autres, le plus souvent en préférant notre différence à la leur. Tant que nous exigeons des autres qu ils nous ressemblent, qu ils pensent comme nous et agissent comme nous, nous ne nous acceptons pas nous-même. Vouloir changer les autres, c est le signe certain que nous nous rejetons nous-même et qu à nos yeux nous avons fait quelque chose d impardonnable. Nous exposer aux autres, avoir des témoins est alors pénible. Notre individualité nous rend identifiable, jugeable, critiquable, condamnable, réprimandable, sinon redoutable ou estimable, admirable, respectable, remarquable et enviable par eux. Rien de nous n est absolument imperceptible. Notre vie est dans tous nos gestes, notre physique, notre regard, nos paroles, nos attitudes, notre silence, nos choix, nos goûts, nos liens, nos réactions, nos sentiments, nos aspirations. Tout raconte quelque chose sur nous que n importe quel témoin peut lire à sa manière. Être bien dans sa vie, c est être en relation avec soi. Voilà tout le propos de ce livre. Si vivre est un défi en soi, vivre sa vie de manière à ce qu elle soit notre vraie source de bonheur est un défi plus grand encore, le plus beau défi qui soit.
première partie Le défi de vivre
Le défi de vivre sans rechercher le pouvoir La recherche du pouvoir est devenue une de nos façons les plus courantes de vivre. Sans pouvoir, nous avons le sentiment de mener une vie insignifiante et ordinaire. Cette soif de pouvoir masque notre peur de vivre, notre peur de n être ni extraordinaire ni exceptionnel. Le pouvoir nous investit de supériorité, et tous les comportements inspirés par ce genre de position sont des comportements de domination admis. Mais le fait de dominer les autres nous rend-il pour autant exceptionnel? Il est effectivement plus facile de contrôler les autres que de contrôler sa propre vie. Il est plus facile, par exemple, de contrôler son mari, sa femme et ses enfants qu il ne l est de contrôler sa vie. D ailleurs, c est parce que nous ne contrôlons pas notre vie que nous cherchons à dominer les autres ; nous retirons un sentiment de valeur, de puissance et de compétence en nous identifiant à l influence que nous exerçons sur les autres. Il nous est toutefois impossible de contrôler à la fois les autres et notre vie. Nous devons constamment trahir nos sentiments les plus profonds, nous convaincre de leur peu de valeur et
14 bien dans sa vie empêcher que nos véritables désirs nous remuent si nous voulons contrôler les autres. Nous rendre indigne d amour est une façon de nous livrer à notre solitude intérieure. Si nous faisons preuve d authenticité, nous renonçons au pouvoir. Nous ne pouvons contrôler notre vie en nous inhibant, bien au contraire, car le contrôle de notre vie exige que nous vivions librement nos aspirations et nos rêves. Si nous nous demandons comment vivre jour après jour, c est entre autres parce que notre bonheur provient davantage de notre recherche du pouvoir que de notre vie. Mais aucun bonheur ne peut surgir de la domination, de la tyrannie ou de la violence, à part un bonheur déviant provenant de comportements contraires à la nature même du bonheur et qui, par conséquent, le dénaturent. Pour préférer voir les autres malheureux plutôt qu heureux, il faut vraiment préférer le pouvoir à notre humanité. Et que penser du bonheur si seul le nôtre a de la valeur? Le respect de la vie intérieure d autrui est la marque d un rapport d égalité plutôt que de pouvoir. Quand nous ne faisons pas attention à la vie intérieure d un autre, c est que nous n admettons que notre propre liberté, notre intelligence et nos possibilités. Vivre, c est être soi-même, c està-dire souverain. Dès que nous faisons nôtres les besoins, les désirs et les sentiments des autres, nous ne sommes plus nous-même ; c est leur vie que nous vivons. Pour que nous demeurions souverain dans notre vie, personne ne doit pouvoir exercer son autorité psychologique sur nous. Celui qui accepte d être notre autorité psychologique y consent souvent parce qu il ne pense qu à ses propres désirs. Autrement, il refuserait. Ne pas chercher le pouvoir, c est parfois avoir à le refuser. Si nous éprouvons de la difficulté à
le défi de vivre 15 vivre, c est que nous trouvons difficile de ne pas soumettre notre volonté à celle d autrui. Il nous sera d autant plus ardu d être libre et indépendant en cherchant à étendre notre pouvoir sur les autres, car nous faisons ainsi dépendre notre souveraineté du renoncement des autres à la leur. Or, la recherche du pouvoir dans toute situation est la négation de la liberté de chacun. Celui qui ne juge pas les autres ni lui-même ne trouve pas de joie dans le pouvoir. Il est probable que nous trouvions la vie difficile à vivre parce que, en fait, nous préférons le pouvoir à notre vie, le pouvoir à nous-même. Chaque fois que nous voulons changer les autres, nous affirmons préférer le pouvoir au bonheur. Chaque fois que nous suivons un modèle, nous affirmons préférer le pouvoir à la liberté. Ne cherchons pas le pouvoir, préférons notre force à n importe quel pouvoir. Si nous avions une vie intérieure, nous ne chercherions pas à être l autorité psychologique d autrui, parce que nous comprendrions que sa vie intérieure, comme la nôtre, n est pas à l image de sa vie extérieure, mais à l image de sa dignité inaltérable. Ne cherchons pas le pouvoir, préférons notre vie intérieure à n importe quel pouvoir.