POURQUOI UNE GRANDE SALLE DE CONCERT À PARIS?



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02-bayle 14/06/05 8:04 Page 13 POURQUOI UNE GRANDE SALLE DE CONCERT À PARIS? par Laurent BAYLE Directeur général de la Cité de la Musique Séance du 28 avril 2004 Vous m avez demandé de vous parler de la vie musicale symphonique à Paris. Le premier constat est que Paris dispose de théâtres dévolus à la musique, tels le Châtelet, le théâtre des Champs-Élysées, l opéra Garnier, ou plus récemment l opéra Bastille, qui sont des lieux pouvant accueillir de 2 000 à 2 700 personnes. Or ces lieux ont été conçus pour le lyrique ; ils ne sont donc pas a priori adaptés à la musique de concerts, même si l on y donne aujourd hui des concerts d orchestre. Récemment encore, l Orchestre de Paris, quittant la salle Pleyel, s est installé dans un lieu encore moins adapté sur le plan acoustique, le théâtre Mogador. D autre part, Paris dispose de salles de concert de tailles intermédiaires, donc peu adaptées au genre symphonique : on peut ainsi citer, outre la salle historique du Conservatoire, la salle Gaveau, la salle Olivier Messiaen à Radio-France, la salle de la Cité de la Musique, voire l auditorium du Louvre, qui peuvent accueillir de 500 à 1 000 personnes, et dont la principale caractéristique est que leur volume global est inférieur au volume nécessaire pour jouer le répertoire symphonique. Paris ne dispose donc pas d auditorium symphonique, si ce n est la salle Pleyel, créée en 1927, mais qui est aujourd hui mal adaptée aux réalités de la vie symphonique internationale, tant en termes d acoustique que d accueil du public, voire surtout d accueil des musiciens. Dans un premier temps, je formulerai quelques réflexions sur les caractéristiques essentielles des salles de concert. Je donnerai ensuite quelques explications sur les critères acoustiques et, dans un troisième temps, je dirai quelques mots sur la salle Pleyel, puisque le ministre Jean- Jacques Aillagon m a confié une mission au mois de décembre dernier. Je ferai trois remarques liminaires, tout d abord pour souligner que les lieux de représentation de la musique ont évolué avec le temps. Une solution adaptée à une période donnée peut être perçue comme mal adaptée plus tard, dans la durée. La musique a longtemps été jouée dans les cours, les abbayes, les cathédrales, les chapelles, voire les jardins, les forêts ou la rue. On peut même évoquer, plus près de nous, au XIX e siècle, les kiosques à musique. Les théâtres sont un des éléments qui ont structuré ces lieux. Les théâtres à l italienne, notamment dans les pays latins, 13

02-bayle 14/06/05 8:04 Page 14 COMMUNICATIONS 2004 se sont développés à partir du XVII e siècle avec l avènement du genre lyrique, de Monteverdi jusqu à la période glorieuse de Mozart. La salle de concert, quant à elle, apparaît à la fin du XVIII e siècle, d abord en Allemagne, en Angleterre et dans les pays nordiques. Cette émergence coïncide avec celle des classes bourgeoises et populaires au siècle des Lumières. La reconnaissance du statut d artiste, du droit d auteur, la notion d amateur de musique conduisent alors aux concerts publics ou privés, puis aux sociétés de concerts. La France a elle aussi suivi ce mouvement. La salle du Conservatoire, d une exceptionnelle qualité acoustique, est ouverte en 1811. La société des concerts du Conservatoire y créa notamment la Symphonie fantastique de Berlioz en 1830. D autres sociétés de concerts virent le jour au cours du XIX e siècle, comme Pasdeloup, qui donna des concerts d orchestres populaires, notamment au Cirque d hiver à partir de 1861, ou encore Colonne et Lamoureux. Néanmoins, et malgré ces quelques exemples significatifs, force est de constater que, comme dans tous les pays latins, c est le théâtre qui reste le lieu «à tout faire», le lyrique, mais aussi très souvent le concert. La deuxième remarque est que les genres musicaux eux-mêmes évoluent avec leur temps et influencent la création de lieux spécifiques. On sait que le style des compositeurs a été influencé par l évolution de la facture instrumentale. L orchestre de Mozart est plus développé que l ensemble instrumental baroque, mais il n est rien encore à côté de celui qui sera utilisé un siècle plus tard par Bruckner puis par Mahler. L orchestre s est stabilisé au début du XX e siècle, après avoir connu, au long du XIX e siècle, un doublement de ses effectifs. Le développement des formes symphoniques exige donc un lieu adapté à des effectifs instrumentaux de plus en plus imposants, un lieu qui garantisse le plaisir du mélomane, avec une visibilité totale et un confort plaçant au premier plan la notion d acoustique. Le succès, dans beaucoup de pays, de l auditorium, par opposition au théâtre à l italienne, vient de cette exigence. On pourrait étendre cette réflexion au XX e siècle, et je pense en particulier à Iannis Xenakis. Certaines de ses expériences, où l orchestre est disséminé dans le public, posent la question de la remise en cause de l auditorium classique. L absence de réponse à cette question entraîne d ailleurs la mort de ce répertoire. Il faut enfin souligner que la pérennité des formations symphoniques est fortement liée à la force de leur point d ancrage. Un orchestre est une organisation hiérarchisée, fragile, tant sur plan économique que social. D une certaine façon, un orchestre forge sa qualité, sa sonorité dans la stabilité. Stabilité de la relation entre les musiciens et les directeurs musicaux d abord. Stabilité des conditions de travail ensuite : la qualité des répétitions est évidemment liée à la qualité sonore du lieu. On constate que les meilleurs orchestres répètent dans leur propre salle de concert ou dans un lieu adjacent dont les caractéristiques sonores sont proches de cette salle. Stabilité enfin 14

02-bayle 14/06/05 8:04 Page 15 Laurent Bayle, Pourquoi une grande salle de concert à Paris? du lieu de diffusion : une saison doit être lisible, visible, et s insérer dans une programmation dynamique. Le nomadisme d un orchestre n est donc pas acceptable à long terme. Ces difficultés sont renforcées par des exigences de «rentabilité» évidentes liées à la société moderne. Les orchestres font de moins en moins de répétitions et le répertoire est donc de moins en moins revisité. Il y a deux décennies, pour préparer un concert, il n était pas rare de voir les orchestres faire sept ou huit répétitions, alors qu aujourd hui la moyenne est de quatre ou cinq, voire de trois aux États-Unis. La technicité individuelle des musiciens a certes pu augmenter, mais la cohérence globale, dans de telles conditions de rapidité, ne peut s acquérir que grâce à une grande stabilité. Si l on prend l exemple de deux très prestigieux orchestres, on pourra dégager des éléments de comparaison intéressants. L Orchestre philharmonique de Berlin et le Concertgebouw d Amsterdam bénéficient chacun d un lieu spécifique. Aujourd hui, ces orchestres procèdent à un sain renouvellement du répertoire, y compris par l invitation de chefs baroques, par des commandes à des compositeurs vivants. Ces orchestres font aussi des tournées, très bien structurées, dans des grands lieux internationaux. Ils se posent enfin les questions du renouvellement et de l élargissement du public. Sans vouloir noircir le tableau de la situation parisienne, si l on prend les trois principaux orchestres, l Orchestre national de France, l Orchestre philharmonique de Radio-France et l Orchestre de Paris, on constate que ceux-ci se produisent dans une multiplicité de lieux, que le public se plaint de répertoires souvent identiques de l un à l autre, qu aucune véritable stratégie d élargissement des publics n est mise en œuvre, et que leur présence internationale n est pas comparable à celle d autres formations étrangères du même niveau. Il y a quinze à vingt ans, l Orchestre du Concertgebouw d Amsterdam et l Orchestre de Paris donnaient le même nombre de représentations d un même concert : en moyenne, dans la même semaine, ils jouaient trois fois, devant 7 000 personnes environ. À Amsterdam, ces chiffres se maintiennent. Aujourd hui, l Orchestre de Paris subit une nette érosion, les concerts, seulement doublés, ne remplissent pas toujours les salles. La perte du public est ainsi quantifiable à un tiers en vingt ans. Nous devons donc nous attacher à améliorer les conditions dans lesquelles œuvrent ces formations françaises. La vie musicale de notre pays a tendance à se structurer entre deux pôles : l opéra d une part, genre aujourd hui à la mode, art dominant dans une société de l image, du spectacle, du divertissement, et le concert d autre part, genre du recueillement, de la concentration. Le concert classique semble en difficulté, certains pensant que son rituel n a pas su évoluer, et qu il est en décalage avec la société dite moderne. Le risque est donc celui de la marginalisation du genre symphonique. Il me semble important de corriger ce déséquilibre. Le patrimoine occidental repose fortement sur le répertoire de concerts. C est vrai au niveau de la diversité et de la qualité des œuvres. C est vrai aussi au niveau du témoignage culturel de tout premier ordre que traduit cette pratique artistique. 15

02-bayle 14/06/05 8:04 Page 16 COMMUNICATIONS 2004 Je pense que ces deux genres nécessitent chacun leur espace propre, leur architecture propre. C est ce que je voudrais définir à présent. Quelles sont les spécificités d un lieu d opéra? Je mettrai ici volontairement de côté le domaine de l opéra contemporain, qui peut faire appel à des lieux atypiques, espaces ouverts, naturels, friches industrielles, etc. Le théâtre à l italienne a représenté, surtout dans les pays latins, le lieu d identification sociale par excellence. Les dorures, l apparat, sont peut-être aussi liés à une certaine culture latine qui privilégie une forme d ostentation dans la représentation. La musique de concerts continue à y être jouée, contrairement à ce qui se pratique dans les pays du Nord. Mais de mon point de vue, l orchestre y est confronté à trois handicaps majeurs. Tout d abord la grande hauteur de plafond, nécessaire à la manipulation des décors. Celle-ci avale le son. C est la raison de l existence de la fosse d orchestre, qui sert à rééquilibrer l acoustique. La seconde contrainte est le cadre de scène, destiné à masquer les entrées et les sorties latérales, qui bloque aussi le son. Une conque posée au-dessus de la scène peut corriger certains de ces problèmes, surtout pour un orchestre de type Mozart ; mais cela devient impossible lorsque l on est en présence d un orchestre moderne de cent musiciens. Dans ce cas, une partie des instruments est parfois invisible pour certains spectateurs. La présence de trois à quatre balcons, souvent profonds, casse l homogénéité de la diffusion du son. Dans un théâtre lyrique traditionnel, il est donc difficile pour un orchestre de parvenir à un équilibre sonore satisfaisant. On peut à présent se poser la question des spécificités requises pour un lieu de concert, dans l idéal. Cela nous ramène à étudier comment on en est arrivé au modèle de l auditorium de concert. Un auditorium, comparé aux théâtres à l italienne, est un modèle d austérité ; on considère que tout ce qui peut nuire à l acoustique doit être supprimé, pour assurer une certaine égalité de traitement du public dans la salle. Certaines évidences techniques s imposent pour jouer le répertoire symphonique. Ces évidences nous sont démontrées par l analyse des salles existantes dans le monde : le Concertgebouw d Amsterdam, le Musikverein de Vienne, la Philharmonie de Berlin, etc. La première constante est qu il faut un volume global de 18 000 à 25 000 m 3. En dessous de ce volume, le son est saturé, tandis qu au-delà, les vibrations se perdent dans l espace. On considère qu il faut en moyenne 10 m 3 par personne. Il faut ensuite trouver une ergonomie générale qui favorise une diffusion homogène, et dont la réverbération se situe entre 1,7 et 2 secondes. Le modèle privilégié, aujourd hui présent dans beaucoup de salles, est une boîte de 21 mètres de haut. Cette dimension permet au son de monter, de s épanouir, pour déferler ensuite. Un autre problème est celui de la forme. L option majoritaire est le parallélépipède rectangulaire, dit «boîte à chaussure». Ce modèle est simple, efficace, rassurant pour les architectes et les acousticiens. Les dimensions en sont de 50 mètres de long, 25 mètres de large et 21 mètres de haut, ce qui permet d arriver à 20 000 m 3. Les éventuels balcons, lorsqu il y en a, ne doivent 16

02-bayle 14/06/05 8:04 Page 17 Laurent Bayle, Pourquoi une grande salle de concert à Paris? pas être entrants, mais sortants, pour éviter au maximum les obstacles. On peut observer cette forme à Amsterdam, à Vienne, au Symphony Hall de Boston, au Carnergie Hall de New York. Plus risquée, mais néanmoins tentante, est la disposition en hémicycle. On garde la volumétrie, mais on arrive au modèle proposé par la Philharmonie de Berlin, qui fait 24 000 m 3. Les publics et les musiciens peuvent être positionnés de façons plus variées, avec la possibilité de casser le rapport frontal obligé du modèle parallélépipédique. On y gagne en variété des répertoires que l on peut jouer, mais on doit accepter une moindre homogénéité selon la place où se situe le spectateur. Après ces considérations techniques, je peux maintenant en venir à la question parisienne. J ai parlé d une ligne de partage entre tradition germanique et tradition latine. Mais aujourd hui, force est de constater que les pays latins ont fait beaucoup d efforts depuis deux décennies. Lorsque l on se rend en Italie, on constate que nombreuses sont les villes qui se dotent de salles de concert (Rome, Turin, Parme), de même en Espagne (Seville, Barcelone). En France, le retard de Paris est le reflet d un retard national. Certaines salles adaptées existent à Metz, à Dijon, mais on ne peut pas ajouter beaucoup de villes à cette liste. Deux options se sont présentées aux pouvoirs publics pour Paris. La première est la création d une salle de concert symphonique, la seconde consiste à rénover un lieu existant. La première possibilité, consistant à créer une salle symphonique, est elle-même subdivisée en deux options possibles. L une consiste à créer une salle dans le centre de Paris ; les tenants de cette thèse disent qu il s agit de la seule façon de sauvegarder le public traditionnel du concert qui ne se rendrait pas en périphérie. On a ainsi parlé de transformer le théâtre de Chaillot, ou le Grand Palais, certains ont aussi parlé du site de la bibliothèque François-Mitterrand dans le XIII e arrondissement. L autre option est de renforcer un pôle existant dans un lieu où il y a déjà une dynamique musicale. Le lieu proposé serait le site de La Villette, où sont présents le CNSM et la Cité de la Musique. Mais ces deux options ont pour l instant achoppé sur la difficulté financière et sur l impossibilité de parvenir à un accord entre l État, la ville de Paris et la région Île-de-France. Devant le refus de la ville de participer au montage financier, l État a décidé de ne pas donner suite au projet de construction d une nouvelle salle. Le ministère de la Culture en est donc arrivé à l option de rénovation d un lieu existant : la salle Pleyel. C est dans ce cadre que le ministre m a confié au mois de décembre 2003 une mission. En 1998, au moment de la crise du Crédit Lyonnais, propriétaire de la salle, celle-ci est mise en vente, et l État la laisse partir à un propriétaire privé pour la somme de 10 millions d euros. La profession n a pas tellement réagi à ce moment-là, l acoustique de cette salle n étant pas très satisfaisante, et le projet de construction d une nouvelle salle faisant apparaître cet achat comme peu opportun. 17

14/06/05 8:04 Page 18 COMMUNICATIONS 2004 Salle Pleyel en coupe 02-bayle 18

02-bayle 14/06/05 8:04 Page 19 Laurent Bayle, Pourquoi une grande salle de concert à Paris? Mais la construction d une nouvelle salle n a pas eu lieu. L Orchestre de Paris se trouve aujourd hui en résidence au théâtre Mogador, avec toutes les difficultés que l on connaît. Le résultat de tout cela apparaît aujourd hui comme très négatif aux yeux de tout le monde. En outre, après quelques tentatives brouillonnes d exploitation, on en est arrivé à ne plus savoir que faire de cette salle. L État et le propriétaire se sont donc rapprochés. Il a été décidé que des travaux devraient être effectués jusqu à l été 2006, que le propriétaire prendrait en charge financièrement ces travaux, évalués à 20 millions d euros, et qu à partir de septembre 2006, l État louerait la salle Pleyel, pour une durée de 20 ans. La mission qui m a été confiée était de deux ordres : définir la nature des travaux à effectuer, et poser les bases du fonctionnement de la salle Pleyel à sa réouverture. Je parlerai peu du second point, car nous avons depuis changé de ministre et je dois d abord rendre mes conclusions au ministre. Je parlerai néanmoins des travaux de rénovation que nous souhaitons accomplir (voir illustration ci-contre). Cette coupe est assez parlante. Le trait blanc montre l actuelle salle Pleyel. Aujourd hui, les musiciens étant placés près du mur à droite, on constate qu il n y a à cet endroit aucune hauteur. L architecte, en 1927, pensait que la forme en entonnoir pouvait être bénéfique à la musique, ce qui s est révélé faux. Comment trouver une solution à ce problème, étant entendu qu à Paris, une loi de l urbanisme nous interdit de rehausser les toits? La climatisation, située sur le toit, était en outre impossible à déplacer. Nous avons donc cherché à aller le plus loin possible en hauteur. À l endroit où se trouvent les musiciens, nous avons réussi à doubler la hauteur ; nous sommes à présent à 12 ou 13 mètres. Nous avons ensuite supprimé des rangs de sièges sur la gauche du parterre, de façon à avoir le moins possible de spectateurs sous le balcon, où l acoustique est brouillée. La scène est surmontée, près du mur de droite, d une estrade, où se trouverait le chœur. Lorsque les œuvres jouées ne nécessiteraient pas de chœur, on pourrait y placer du public. L avantage est d avancer la scène ; comme le plafond monte, nous gagnons encore en hauteur au-dessus de la scène. Dans cette coupe, on voit apparaître des balcons latéraux, très étroits (2 mètres) ; leur raison d être est avant tout acoustique ; ils servent de renvoi acoustique pour tout le milieu de la salle. Concernant le volume, nous sommes passés de 15 700 à 19 000 m 3 ; comme nous passons de 2 300 sièges à 1 900 ; nous en arrivons à respecter les 10 m 3 par spectateur. L avancée de la scène permet en outre une plus grande intimité. Nous avons d autre part tout fait pour améliorer les conditions professionnelles d accueil des orchestres. Nous aurons deux orchestres en résidence, l Orchestre de Paris et l Orchestre philharmonique de Radio-France ; nous souhaitons également accueillir des orchestres français et étrangers. Pour ce faire, nous agrandissons les volumes des espaces professionnels en neutrali- 19

02-bayle 14/06/05 8:04 Page 20 COMMUNICATIONS 2004 sant les deux petites salles de concert qui existaient, et qui auraient nécessité des travaux importants. Il faut être conscient que ces orchestres circulent à travers le monde et sont accueillis dans des salles de très bonne qualité. Paris ne peut se permettre d être continuellement en dessous des standards internationaux de qualité d accueil. Il est évident que cette solution ne répond pas à tous les problèmes, en particulier pour les très grands effectifs. Nous pourrons cependant ajouter, en certaines circonstances, des podiums, de façon à élargir encore la scène. Pour prévoir ces travaux dans la salle Pleyel, j ai procédé à des entretiens avec les chefs d orchestres et avec leurs régisseurs pour les détails pratiques. Nous avons essayé, tant au niveau des loges que des petits espaces de répétitions, d utiliser au mieux l espace disponible dans cette salle. 20