JEAN CAGNARD LE MENHIR ouvrage publié avec le concours du centre national du livre
La collection répertoire contemporain vise à découvrir les écrivains d aujourd hui et de demain qui façonnent le terreau littéraire du théâtre contemporain et à les accompagner dans leurs recherches. Pour proposer des textes à lire et à jouer. L auteur a bénéficié pour la rédaction de cet ouvrage du soutien du Centre national du livre. 2010, éditions THÉÂTRALES, 20, rue Voltaire, 93100 Montreuil-sous-Bois. ISBN : 978-2-84260-402-8 ISSN : 1760-2947 Photos de couverture : Gaëlle Mandrillon (haut), Christopher Lowden (bas). Le Code de la propriété intellectuelle n autorisant, d une part, que les «copies ou reproductions strictement réservées à l usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective» et, d autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d exemple et d illustration (article L. 122-5-2 et 3), toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit sans le consentement de l auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite (article L. 122-4-1) et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. L autorisation d effectuer des reproductions par reprographie doit être obtenue auprès du CFC (Centre français d exploitation du droit de copie). Pour tout projet de représentation ou pour toute autre utilisation publique de Le Menhir, une demande d autorisation devra être déposée auprès de la SACD.
À l acier, à l enfance. À vous deux.
UN D un côté le jardin, de l autre la rue. C est une rue ordinaire, avec des arbres de chaque côté qui bordent le trottoir, des acacias. C est un jardin avec des légumes dans de la terre grasse et un fil à linge entre deux poteaux métalliques verts, ainsi qu une maison en pierres calcaires, à l arrière-plan. Entre la rue et le jardin, un grillage qui arrive au niveau du ventre et qui sépare donc le monde selon des intentions très nettes. Dans la rue, il y a le fils avec du matériel, qu il déballe, des sacs principalement. Le temps que les oiseaux se taisent dans la rue, la mère arrive, côté jardin. Elle observe par-dessus le grillage l univers en expansion. mère. Qu est-ce que tu fais? Temps. fils. Tu le vois. Je m installe. mère. Tu n as rien à faire ici. Je t ai déjà dit de partir hier et tu reviens aujourd hui. Tu n as pas compris? Qu est-ce que c est que ce foutoir? fils. Un peu de matériel. mère. Qu est-ce que tu comptes faire? Ne va pas t imaginer des choses. Rentre chez toi. fils. Qu est-ce que je ferai chez moi? mère. Il y a ta femme et tes enfants. fils. Ah oui, c est vrai. mère. Ils n ont pas besoin de toi? fils. Ma famille ne m attend pas avant que tout ici soit terminé. mère. Et ton métier, il va t attendre? fils. Il faudra bien. mère. Tu as un métier sympathique. fils. Je l ai choisi pour ça. 7
J E A N C A G N A R D mère. Il y a des gens qui n ont pas de travail. fils. Et alors? mère. Ça ne te met pas mal à l aise, ta liberté? fils. Non. mère. Alors tu vas avoir des problèmes d argent. fils. C est possible. mère. Et ça ne te fait pas peur? fils. Un peu. mère. Alors retourne chez toi. Gagner ta vie. Il ne se passera rien ici. Il ne veut pas te voir. fils. Il va changer d avis. mère. Tu n as pas entendu? Je te dis qu il ne veut pas te voir! fils. Tu me l as déjà dit cinq fois hier. mère. Qu est-ce qu il te faut de plus? fils. Il faut qu il me le dise lui-même. mère. Moi ça ne te suffit pas? Tu crois que j invente, que je déraille? fils. C est lui qui doit me le dire. Tu devrais arrêter de faire la messagère. Ça t enlaidit. mère. Et pourquoi? Je suis très fidèle à sa pensée. J ai fait ça toute ma vie! Ce que je dis est exactement ce qu il pense. fils. Je sais. Une véritable machine. Tu es terrifiante. mère. Tu devrais me parler autrement. Je peux encore me fâcher. J ai de l énergie. fils. Je n ai pas trop de précautions à prendre. mère. Je suis ta mère! fils. Ah oui, je le sais Temps. mère. Qu est-ce que tu fais? Tu montes une tente? fils. Je fais du camping depuis ma toute petite enfance. C est un réflexe quand je suis à l extérieur, en déplacement. Pauvres hôtels, je les hais. 8
LE MENHIR mère. Tu n as pas retenu toutes les leçons. Le camping, c est dans un champ. fils. Le camping, c est dans le sang! mère. Il faut des sanitaires! fils. Il y a le grillage. Et si je peux, je vais rester sale. La saleté, je la sens bien, de circonstance. mère. Ne viens jamais pisser contre ce grillage, malheureux! Il va t assassiner! fils. Au moins, il sortira, je le verrai. Je vais boire beaucoup de bière! mère. Tu vas attirer tous les bâtards du quartier! fils. Je croyais que tu aimais les chiens. mère. Pourquoi j aimerais les chiens? fils. Parce que ce sont des espèces vivantes. mère. Les chiens sont des crétins. Des vessies! fils. Tu as changé. J ai l impression de l entendre. mère. Ça te plairait de la salade qui a goût de pisse? Du poireau jaune? Le fils est brutalement tombé à quatre pattes. Il lève la jambe contre le ciel et fait semblant de pisser, une vraie bête. Imbécile! Ça ne va pas durer longtemps ton affaire. Tu vas te faire dégager. Tu es sur la voie publique. fils. Personne ne va me dégager. mère. La police. fils. De quoi parles-tu? mère. Ne fais pas le malin! fils. Qui va prévenir la police? Toi? mère. Les gens. Le voisinage. Ça va se savoir que tu es là. Ça se sait déjà. Les rideaux se soulèvent, les téléphones chauffent! fils. Ça me fera un peu de visite. mère. Tu fais de l errance, elle va t embarquer. Tu brises l harmonie municipale! 9