TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE BESANCON N 1700272 M. Eric SILVESTRE et autres M. Nicolet Juge des référés RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS Le juge des référés Audience du 16 février 2017 Ordonnance du 16 février 2017 54-035-03-03-01 C Vu la procédure suivante : Par une requête, enregistrée le 15 février 2017, M. Silvestre, Mme Le Pen, l association Front National, et l association de financement électoral de Marine Le Pen, représentés par Me Vos de la SELARL LVI Avocats Associés, demandent au juge des référés, sur le fondement des dispositions de l article L. 521-2 du code de justice administrative : 1 e ) de suspendre la décision du 14 février 2017 par laquelle le maire de Clairvaux-les- Lacs a annulé la réservation de la salle de fêtes communale en vue de la réunion publique du 17 février 2017 à 18 heures ; 2 e ) d enjoindre au maire de Clairvaux-les-Lacs de procéder à l ouverture de cette salle pour permettre la tenue de la réunion publique, de remettre les clés à M. Silvestre et de procéder avec lui à l état des lieux d entrée au plus tard le 17 février à 14 heures ; 3 e ) de mettre à la charge de la commune de Clairvaux-les-Lacs la somme de 4 000 euros au titre de l article L. 761-1 du code de justice administrative. Ils soutiennent que : - l urgence est avérée, dès lors que la réunion publique doit se tenir vendredi 17 février 2017 à 18 heures, et que le refus du maire ne donne lieu à aucune mesure compensatoire ou palliative ; - une atteinte grave et manifestement illégale est portée à la liberté de réunion, l annulation de la réservation de la salle de fêtes communale ayant pour conséquence d empêcher la tenue de la réunion publique sur le territoire de la commune, dès lors d une part qu aucune atteinte à l ordre public n est à craindre, s agissant d une réunion locale adaptée aux capacités d accueil de la salle, le maire ne pouvant se prévaloir d une manifestation pacifique, organisée par un collectif regroupant environ trente membres, et qui ne semble pas avoir été
N 1700272 2 déclarée dans les conditions prescrites par l article L. 211-2 du code de la sécurité intérieure, alors que les services de la préfecture, contactés par l équipe de Mme Le Pen, n ont à aucun moment soulevé une quelconque difficulté relative à des risques de troubles à l ordre public, et d autre part que la décision contestée est manifestement entachée de détournement de pouvoir, au regard des propos tenus par le maire repris par la presse locale, selon lesquels s il avait su qu il s agissait de Mme Marine Le Pen, il aurait fait en sorte que la salle soit occupée, qui traduisent la volonté de s opposer à la venue de Mme Le Pen à la salle des fêtes de la commune pour animer cette réunion publique. Par un mémoire en défense, enregistré le 16 février 2017, la commune de Clairvaux-les- Lacs conclut au rejet de la requête et à ce qu une somme de 4 000 euros soit mise à la charge des requérants. Elle soutient que : - Mme Le Pen, l association du Front National et l association de financement électoral de Mme Le Pen ne justifient pas d un intérêt à contester la résolution d un contrat de location d une salle communale conclue avec M. Silvestre, en leur qualité de tiers au contrat, et les associations requérantes ne justifient pas de leur objet social ; - la condition d urgence n est pas remplie, dès lors que cette situation d urgence est imputable à l attitude de l auteur de la demande, M. Silvestre, qui ne s est pas présenté en qualité de représentant local du Front National, ayant volontairement caché au maire que cette réunion s inscrivait dans le cadre de l élection présidentielle à venir, animée par un candidat à cette élection, M. Silvestre n étant pas assuré en cas de dommage, et le juge du contrat pouvant seul connaître du litige, un référé-suspension pouvant être engagé dans le cadre d un contentieux relatif à l annulation du contrat en litige ; - la décision d annuler la location de la salle ne porte pas une atteinte manifestement grave et illégale à une liberté fondamentale, car elle procède d un vice de consentement du maire ; - le refus de mise à disposition de la salle ne repose pas sur des motifs politiques ou idéologiques, la réunion étant susceptible d engendrer des troubles à l ordre public, suscitant des réactions hostiles ; il n est pas entaché de détournement de pouvoir. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - le code général des collectivités territoriales ; - le code de la sécurité intérieure ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l audience qui s est tenue le 16 février 2017 à 11 heures 40.
N 1700272 3 Le juge des référés a, au cours de l audience, présenté son rapport et entendu : - les observations de Me de Dieuleveult, pour les requérants, qui a repris les développements exposés dans la requête, puis contesté le fait que la situation d urgence serait imputable à M. Silvestre, ainsi que l existence d une tromperie, dès lors que M. Silvestre, relativement connu au niveau local en qualité de secrétaire départemental du Front National, a réservé la salle en mentionnant son identité et en précisant son objet, une réunion politique publique, qu il était très facile de vérifier, par une recherche sur internet, la nature de son engagement, et qu il n existe aucune obligation pour une personne qui réserve une salle pour une réunion politique d indiquer le nom de la personnalité tête d affiche qui animera cette réunion, et précisé qu il est toujours possible, en cas d afflux de sympathisants, de limiter l accès à la salle à son effectif maximum de 600 personnes, en procédant au comptage des entrées ; - les observations de Me Devevey, pour la commune de Clairvaux-les-Lacs, qui a repris les développements exposés dans le mémoire en défense, et contesté le moyen tiré du détournement de pouvoir, la décision ayant été prise par un maire d une petite commune, sans étiquette, confronté à des risques de confrontations, dans un contexte de montée des tensions, les services de la préfecture, contactés par téléphone, ayant indiqué que cette réunion pouvait attirer de 800 à 1 000 sympathisants, ainsi que 200 à 500 opposants, et que demeurait le problème des personnes qui seraient refusées à l entrée de la salle faute de capacité suffisante ; La clôture de l instruction a été prononcée à l issue de l audience. 1. Considérant que, le 1 er février 2017, M. Eric Silvestre a sollicité la réservation de la salle des fêtes de Clairvaux-les-Lacs pour une réunion politique publique, le 17 février 2017 ; qu après avoir retourné la convention signée, le 8 février, M. Silvestre a, dans un courrier électronique du même jour, fait mention de sa qualité de secrétaire départemental du Jura du Front National, et retourné une attestation d assurance précisant les garanties dont bénéficie le Front National ; que le 9 février, la commune a réceptionné les chèques de location de la salle, et de caution, établis par l association de financement électoral de Marine Le Pen ; que l équipe de campagne de Mme Marine Le Pen a annoncé le 9 février cette réunion, animée par Mme Marine Le Pen, sur le site internet du Front National, sur la page Facebook de Mme Le Pen, ainsi que sur le compte Twitter de la candidate à l élection présidentielle du Front National ; que, par lettre du 14 février 2017, le maire de Clairvaux-les-Lacs a décidé d annuler cet événement, sur le fondement des dispositions de l article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, et par conséquent de dénoncer unilatéralement le contrat de location de la salle des fêtes communale ; que, par la présente requête, M. Silvestre, Mme Le Pen, l association Front National, et l association de financement électoral de Marine Le Pen, demandent au juge des référés, sur le fondement des dispositions de l article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre la décision du 14 février 2017 par laquelle le maire de Clairvaux-les-Lacs a annulé la réservation de la salle de fêtes communale en vue de la réunion publique du 17 février 2017 à 18 heures, d enjoindre au maire de Clairvaux-les-Lacs de procéder à l ouverture de cette salle pour permettre la tenue de la réunion publique, de remettre les clés à M. Silvestre et de procéder avec lui à l état des lieux d entrée au plus tard le 17 février à 14 heures ;
N 1700272 4 Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : 2. Considérant qu aux termes de l article L. 521-2 du code de justice administrative : «Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures.» ; En ce qui concerne la compétence du juge des référés, saisi sur le fondement des dispositions de l article L. 521-2 du code de justice administrative : 3. Considérant que, contrairement à ce que soutient la commune en défense, la circonstance que soit demandée la suspension de l exécution d une décision de résiliation d une convention de mise à disposition d une salle communale ne fait pas obstacle à la saisine du juge des référés sur le fondement des dispositions précitées de l article L. 521-2 du code de justice administrative, lequel peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d une liberté fondamentale dans les conditions énoncées par cet article, dès lors que la décision contestée met en cause l exercice effectif, par une commune, de la liberté de réunion, qui constitue une liberté fondamentale au sens de l article L. 521-2 du code de justice administrative ; En ce qui concerne les fins de non-recevoir partielles opposées par la commune en défense : 4. Considérant que Mme Le Pen a intérêt à demander la suspension de l exécution d une décision qui fait obstacle à la tenue d une réunion politique organisée dans le cadre de la campagne pour l élection du Président de la République devant se dérouler en avril et mai 2017, à laquelle elle est candidate ; que cette candidature étant présentée en qualité de Présidente du Front National, l intérêt pour agir de l association Front National est admise, nonobstant la circonstance que, dans la présente procédure de référé, cette association n ait pas produit ses statuts, eu égard à l extrême urgence qui caractérise cette procédure ; que l intérêt pour agir de l association pour le financement électoral de Marine Le Pen, qui a réglé les frais de caution et de location de cette salle communale est également admise, sans qu y fasse obstacle la circonstance que cette personne morale n ait pas produit ses statuts, pour les mêmes motifs ; qu ainsi les fins de non-recevoir tirées du défaut d intérêt pour agir de Mme Le Pen, de l association Front National et de l association pour le financement électoral de Marine Le Pen doivent être écartées ; En ce qui concerne le bien-fondé de la demande de référé : 5. Considérant que la liberté de réunion est une liberté fondamentale ; que le caractère de liberté fondamentale s'attache également au droit pour un parti politique légalement constitué de tenir des réunions dans le cadre d une campagne électorale ; qu un refus de mise à disposition d une salle communale en vue d y tenir une telle réunion ne peut légalement être opposé que pour des motifs tirés des exigences de l'ordre public ou des nécessités de l'administration des propriétés communales ; 6. Considérant que la commune soutient que la condition d urgence, requise par les dispositions de l article L. 521-2 du code de justice administrative n est pas réunie, au motif que cette situation d urgence serait imputable aux agissements de M. Silvestre, qui n a pas indiqué
N 1700272 5 lors de la location de la salle sa qualité de délégué départemental du Front National, ni la circonstance qu il s agissait d une réunion tenue par Mme Le Pen, circonstances qui font craindre des risques de troubles à l ordre public sur le territoire de la commune ; que la décision contestée du 14 février 2017 a pour effet de s opposer à une réunion organisée dans le cadre de la campagne pour l élection présidentielle de Mme Le Pen, prévue et annoncée pour vendredi 17 février 2017 à 18 heures, compte tenu de l absence de lieu de réunion alternatif ; que la commune ne saurait utilement faire valoir que cette situation d urgence serait imputable aux agissements de M. Silvestre, qui n a mentionné dans sa demande de location ni sa qualité de délégué départemental du Front National, ni la présence de Mme Le Pen à cette réunion, dès lors qu il ressort des termes de la décision contestée du 14 février que le maire aurait pris une décision de refus de location s il avait été en possession de ces informations, à la date de la demande de réservation de la salle, le 1 er février 2017 ; qu à la date à laquelle le juge des référés est appelé à statuer, la condition d urgence est remplie, eu égard à la proximité de la date de cette réunion ; 7. Considérant que, si la lettre du 14 février 2017 du maire de Clairvaux-les-Lacs, adressée à M. Silvestre, mentionne qu il aurait été plus honnête de sa part d annoncer, lors de la réservation de la salle, ses véritables intentions, le vice du consentement, allégué en défense, ne constitue pas le motif de la résiliation du contrat de location, fondée sur les craintes de risques de troubles à l ordre public, au visa de l article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales ; 8. Considérant que si la commune, lors de l audience, a invoqué une communication téléphonique avec les services de la préfecture du Jura, qui auraient estimé que cette réunion pouvait rassembler 800 à 1 000 sympathisants du Front National, ainsi que 200 à 500 opposants, elle n établit ni la réalité ni la fiabilité de cette estimation ; que si des rassemblements d opposants au Front National sont effectivement prévus, notamment par le collectif citoyen contre le FHaine, aucune pièce versée au dossier ne permet de remettre en cause leur caractère de rassemblement pacifique ; que les risques de débordements ne sont pas établis, à la date à laquelle le juge des référés rend la présente décision, par la production au dossier d échanges sur internet, nonobstant le caractère injurieux de certains d entre eux ; que le maire n établit pas que le concours de forces de sécurité, d un format adapté, lui aurait été refusé par le préfet du Jura ; qu en outre l interdiction des manifestations projetées, si elles sont de nature à troubler l ordre public, peut être décidée sur le fondement des dispositions de l article L. 211-4 du code de la sécurité intérieure ; qu au regard de l ensemble de ces circonstances, les requérants sont fondés à soutenir que la décision du maire de Clairvaux-les-Lacs du 14 février 2017 porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de réunion, qui est une liberté fondamentale au sens de l article L. 521-2 du code de justice administrative ; qu il y a lieu de faire droit à la demande des requérants et de suspendre la décision du 14 février 2017 par laquelle le maire de Clairvauxles-Lacs a annulé la réservation de la salle de fêtes communale en vue de la réunion publique du 17 février 2017 à 18 heures, d enjoindre au maire de Clairvaux-les-Lacs de procéder à l ouverture de cette salle pour permettre la tenue de la réunion publique, de remettre les clés à M. Silvestre et de procéder avec lui à l état des lieux d entrée au plus tard le 17 février à 14 heures ; Sur les conclusions présentées au titre de l article L. 761-1 du code de justice administrative : 9. Considérant qu il y a lieu, dans les circonstances de l espèce, de mettre à la charge de la commune une somme de 1 000 euros à verser à chacun des requérants, au titre de l article L. 761-1 du code de justice administrative, et de rejeter les conclusions présentées au même titre par la commune de Clairvaux-les-Lacs, partie perdante dans la présente instance ;
N 1700272 6 ORDONNE : Article 1er : La décision du 14 février 2017 par laquelle le maire de Clairvaux-les-Lacs a annulé la réservation de la salle de fêtes communale en vue de la réunion publique du 17 février 2017 à 18 heures est suspendue. Article 2 : Il est enjoint au maire de Clairvaux-les-Lacs de procéder à l ouverture de cette salle pour permettre la tenue de la réunion publique, de remettre les clés à M. Silvestre et de procéder avec lui à l état des lieux d entrée au plus tard le 17 février 2017 à 14 heures. Article 3 : La commune de Clairvaux-les-Lacs versera à M. Silvestre, Mme Le Pen, l association Front National, et l association de financement électoral de Marine Le Pen, chacun, la somme de 1 000 euros, au titre de l article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 4 : Les conclusions présentées par la commune de Clairvaux-les-Lacs au titre de l article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées. Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à M. Silvestre, Mme Le Pen, l association Front National, l association de financement électoral de Marine Le Pen et à la commune de Clairvaux-les-Lacs. Copie en sera adressée au préfet du Jura. Fait à Besançon le 16 février 2017. Le juge des référés, La greffière,. P. Nicolet C. Chiappinelli La République mande et ordonne au préfet du Jura, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. Pour expédition, Un greffier