TROISIÈME SECTION DÉCISION FINALE SUR LA RECEVABILITÉ

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Transcription:

CONSEIL DE L EUROPE COUNCIL OF EUROPE COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L HOMME EUROPEAN COURT OF HUMAN RIGHTS TROISIÈME SECTION DÉCISION FINALE SUR LA RECEVABILITÉ de la requête n 37257/97 présentée par Lucie LUCAS contre la France La Cour européenne des Droits de l Homme (troisième section), siégeant le 25 janvier 2000 en une chambre composée de Sir Nicolas Bratza, président, M. J.-P. Costa, M. L. Loucaides, M. P. Kūris, M me F. Tulkens, M. K. Jungwiert, M me H.S. Greve, juges, et de M me S. Dollé, greffière de section ; Vu l article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 6 décembre 1996 par Lucie Lucas contre la France et enregistrée le 4 août 1997 sous le n de dossier 37257/97 ; Vu les rapports prévus à l article 49 du règlement de la Cour ; Vu la décision de la Commission en date du décembre 1997 de communiquer le grief tiré de la durée de la procédure et de déclarer la requête irrecevable pour le surplus ; Vu les observations présentées par le gouvernement défendeur le 13 mars 1998 et les observations en réponse présentées par la requérante le 6 mai 1998 ; Après en avoir délibéré ; Rend la décision suivante :

37257/97-2 - EN FAIT La requérante est une ressortissante française, née en 1924 et résidant à Corbières (France). Elle est représentée devant la Cour par M e Patrick Itey, avocat au barreau de Marseille (France). A. Circonstances particulières de l affaire Les faits de la cause, tels qu ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. Le 18 décembre 1973, le tribunal de commerce de Manosque déclara la société anonyme Manosque Automobiles, dont l'époux de la requérante était le président directeur général, en état de règlement judiciaire. Maître G.M. fut nommé en qualité de syndic. Le 9 avril 1974, le tribunal prononça la conversion du règlement judiciaire en liquidation des biens. Par jugement du 6 septembre 1988, le tribunal de commerce de Manosque prononça la clôture pour insuffisance d'actif des opérations de la liquidation des biens de la société. Parallèlement, une procédure pénale fut ouverte à l encontre de Maître G.M., le 26 septembre 1985, à l initiative du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Digne. L information fut ouverte des chefs de faux et usage, abus de confiance, malversations et complicité. Le 2 octobre 1985, la requérante se constitua partie civile auprès du juge d instruction de Digne, contre Maître G.M. pour malversation. Le 11 octobre 1985, le dossier d information fut transmis, conformément aux articles 704 à 706 du Code de procédure pénale, à une juridiction spécialisée en matière économique et financière, en l occurrence le tribunal de grande instance de Nice. M.G. étant, au moment des faits, adjoint au maire d Aix-en-Provence, la chambre criminelle de la Cour de cassation, par arrêt du 11 mai 1989, désigna le tribunal de grande instance de Marseille afin de poursuivre l information, conformément aux dispositions de l article 687 du Code de procédure pénale. Le 23 mai 1991, la chambre d accusation de la cour d appel d Aix-en-Provence déclara irrecevable la requête du procureur de la république près le tribunal de grande instance de Marseille visant à faire statuer sur la validité d actes critiqués par M.G. dans la procédure instruite à son encontre. Le 14 novembre 1991, la chambre criminelle de la Cour de cassation cassa l arrêt précité et renvoya le dossier devant la cour d appel de Nîmes. Par arrêt du 19 octobre 1992, la cour d appel de Nîmes déclara qu il n y avait pas lieu à annulation des actes critiqués et renvoya la cause devant le juge d instruction de Marseille.

- 3-37257/97 Le 16 février 1993, la chambre criminelle de la cour de Cassation rejeta le pourvoi formé par G.M. contre l arrêt précité de la cour d appel de Nîmes. Par ailleurs, le 8 juillet 1991, M.G. présenta une requête aux fins de faire constater l irrecevabilité des constitutions de partie civile, parmi lesquelles figurait celle de la requérante. Le juge d instruction rendit une ordonnance de recevabilité de constitution de partie civile le 26 septembre 1991. M.G et ses coïnculpés interjetèrent appel de cette ordonnance qui fut confirmée par la chambre d accusation de la cour d appel d Aix-en-Provence le 11 mars 1993. Le 11 juillet 1991, le juge d instruction organisa une confrontation entre la requérante et G.M., mais celui-ci ne se présenta pas. Suite à la requête formulée par le procureur général de la République, une ordonnance du premier vice-président du tribunal de grande instance de Marseille, datée du 6 mars 1997, désigna un nouveau juge d instruction. A ce jour, l'instruction de cette affaire est toujours en cours. B. Droit et pratique internes pertinents a. Article 175-1 du Code de procédure pénale (Loi n 93-2 du 4 janvier 1993, entrée en vigueur le 1er mars 1993) : «Toute personne mise en examen ou la partie civile peut, à l'expiration d'un délai d'un an à compter, selon le cas, de la date à laquelle elle a été mise en examen ou du jour de sa constitution de partie civile, demander au juge d'instruction de prononcer le renvoi devant la juridiction de jugement ou de déclarer qu'il n'y a pas lieu à poursuivre. Dans le délai d'un mois à compter de la réception de cette demande, le juge d'instruction, par ordonnance spécialement motivée, fait droit à celle-ci ou déclare qu'il y a lieu à poursuivre l'information. Dans le premier cas, il procède selon les modalités prévues à la première section. A défaut par le juge d'instruction d'avoir statué dans le délai fixé à l'alinéa précédent, la personne peut saisir directement de sa demande la chambre d'accusation qui, sur les réquisitions écrites et motivées du procureur général, se prononce dans les vingt jours de sa saisine.» Il ressort d'une circulaire du 1er mars 1993 relative à l'application de l'article 175-1 «qu'une partie ne peut exercer, à l'occasion d'une procédure, qu'une seule fois le droit prévu par le premier alinéa de l'article 175-1 du Code de procédure pénale». Article 82-1 du Code de procédure pénale (Loi n 93-2 du 4 janvier 1993, entrée en vigueur le 1er mars 1993) : «Les parties peuvent, au cours de l information, saisir le juge d instruction d une demande écrite et motivée tendant à ce qu il soit procédé à leur audition ou à leur interrogatoire, à l audition d un témoin, à une confrontation ou à un transport sur les lieux, ou à ce qu il soit ordonné la production par l une d entre elles d une pièce utile à l information. Le juge d instruction doit, s il n entend pas y faire droit, rendre une ordonnance motivée au plus tard dans le délai d un mois à compter de la réception de la demande. Les dispositions du dernier alinéa de l article 81 sont applicables.»

37257/97-4 - Dernier alinéa de l article 81 du Code de procédure pénale (Loi n 93-2 du 4 janvier 1993, entrée en vigueur le 1er mars 1993) : «(...) Faute par le juge d instruction d avoir statué dans le délai d un mois, la partie peut saisir directement le président de la chambre d accusation (...).» b. Aux termes de l'article L. 781-1 du Code de l'organisation judiciaire, l'etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice. Cette responsabilité n'est engagée que pour faute lourde ou déni de justice. c. Tribunal de grande instance de Paris (5 novembre 1997, Gauthier c. Agent Judiciaire du Trésor) octroyant 50.000 F de dommages et intérêts pour préjudice moral à un salarié, dans le cadre d'un litige prud'homal pendant, qui avait reçu du greffe de la cour d'appel d'aix-en- Provence un avis l'informant de ce que son appel ne pourrait être examiné que quarante mois après la saisine de la cour. Cette décision, frappée d'appel par l'agent judiciaire du Trésor, représentant l'etat, a été confirmée par la cour d appel le 20 janvier 1999, qui réduisit toutefois l indemnité à allouer à la somme de 20 000 FRF. GRIEF Invoquant l'article 6 1 de la Convention, la requérante se plaint de la durée de la procédure relative à la plainte avec constitution de partie civile qu'elle a déposée contre G.M. PROCÉDURE La requête a été introduite le 6 décembre 1996 et enregistrée le 4 août 1997. Le 3 décembre 1997, la Commission (Deuxième Chambre) a décidé de porter le grief tiré de la durée de la procédure pénale avec constitution de partie civile à la connaissance du gouvernement défendeur, en l'invitant à présenter par écrit ses observations sur sa recevabilité et son bien-fondé. Elle a déclaré la requête irrecevable pour le surplus. Le Gouvernement a présenté ses observations le 12 mars 1998, après une prorogation du délai imparti, et la requérante y a répondu le 30 avril 1998. En vertu de l article 5 2 du Protocole n 11, entré en vigueur le 1 er novembre 1998, l affaire est examinée par la Cour européenne des Droits de l Homme à partir de cette date. EN DROIT La requérante se plaint de la durée de la procédure relative à la plainte avec constitution de partie civile qu elle a déposée contre G.M. Elle invoque l article 6 1 de la Convention dont la partie pertinente dispose : «Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.»

- 5-37257/97 Le Gouvernement défendeur soulève, à titre principal, une exception de nonépuisement des voies de recours internes conformément à l article 35 de la Convention. Il estime en effet que la requérante a omis de faire usage de deux voies de recours dont elle disposait. En premier lieu, le Gouvernement fait valoir que depuis la loi du 4 janvier 1993, applicable le 1er mars 1993, la requérante disposait d une voie de droit lui permettant de solliciter auprès du juge d instruction la clôture de l affaire, en renvoyant le dossier devant la juridiction de jugement ou en prononçant une décision de non lieu (article L 175-1 du Code de procédure pénale). Faute pour la requérante d avoir fait usage de cette possibilité, la requête doit être déclarée irrecevable pour la période postérieure au 1er mars 1993 (Affaire Redoutey contre France n 22608/93, déc. du 20.01.95, non publiée). En second lieu, le Gouvernement considère qu il appartenait à la requérante d engager la responsabilité de l Etat sur le fondement de l article L. 781-1 du Code de l organisation judiciaire. Il estime ce recours efficace car, selon lui, la jurisprudence française serait actuellement en voie d évolution, plusieurs décisions récentes ayant fait droit aux demandes des requérants de ce chef. Il relève notamment un jugement du tribunal de grande instance de Paris du 5 novembre 1997 étendant la protection contre le déni de justice à «tout manquement de l Etat à son devoir de protection juridictionnelle de l individu qui comprend le droit pour tout justiciable de voir statuer sur ses prétentions dans un délai raisonnable». A titre subsidiaire, s agissant du bien-fondé de la requête, le Gouvernement rappelle que la requérante n a pas fait usage des articles 82-2 et 175-1 du Code de procédure pénale. Il estime en conséquence que seule doit être prise en compte la période qui s étend du 2 octobre 1985 au 1er mars 1993. Pour l appréciation de cette durée, il s en remet à la sagesse de la Cour. La requérante s oppose aux arguments du Gouvernement. Elle estime, en effet, qu il ne saurait lui être reproché de n avoir pas fait usage du recours fondé sur l article 175-1 du Code de procédure pénale, puisqu il n était à l évidence pas dans son intérêt de voir prononcer un non-lieu, ni de voir l instruction close en l état. Elle souligne à cet égard que les juges d instruction se sont succédés sans que le fond de l affaire ne soit instruit et qu à aucun moment G.M. n a été contraint par le magistrat instructeur de s expliquer sur le fond. S agissant du recours fondé sur l article 781-1 du Code de l organisation judiciaire, la requérante rappelle que les organes de Strasbourg ont, à plusieurs reprises par le passé, estimé qu il ne s agissait pas d un recours efficace au sens de l article 6 1 de la Convention. Elle estime inopérant le fait qu une décision isolée du tribunal de grande instance de Paris, datant du 5 novembre 1997, soit de plus d un an après le dépôt de sa requête introductive, aurait marqué une évolution de la jurisprudence française en la matière. Quant au bien-fondé de sa requête, la requérante rappelle que la Commission européenne des Droits de l Homme, dans son rapport adopté le 13 mai 1992 dans le cadre de la requête introduite par G.M., a d ores et déjà jugé que la durée de la présente procédure était excessive, bien que le requérant ait lui-même contribué, par de multiples incidents de procédure, à son allongement. Elle souligne à cet égard que son propre comportement fut en revanche irréprochable, puisqu elle se rendit aux convocations des juges d instructions et se

37257/97-6 - tint régulièrement informée de l avancement de l instruction, par des correspondances adressées aux magistrats concernés. La Cour rappelle qu aux termes de l article 35 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu après l épuisement des voies de recours internes. Il se pose donc en premier lieu la question de savoir si les exceptions de non-épuisement soulevées par le Gouvernement se révèlent fondées en l espèce. La Cour estime que la question des moyens qu un requérant peut le cas échéant utiliser pour accélérer la procédure ne relève pas de la problématique de l épuisement des voies de recours internes, mais de celle de l examen du comportement du requérant, donc de l examen du bien-fondé du grief tiré de la durée de la procédure (N 36009/97, P. et autres c. la France, décision du 12 octobre 1999, Troisième Section, non publiée). Au vu de ce qui précède, la Cour estime que l exception de non-épuisement fondée l article 175-1 du Code de procédure pénale ne saurait être retenue. En ce qui concerne la seconde exception du Gouvernement, la Cour rappelle qu elle a déjà rejeté des exceptions de non-épuisement fondées sur l article L. 781-1 du Code de l organisation judiciaire, en considérant notamment que l on ne saurait, à ce stade, parler d une nouvelle jurisprudence établie visant non seulement à reconnaître mais encore à réparer la violation de l article 6 1 de la Convention (voir, entre autres, requête N 38783/97, époux Castell c. France, décision du 27 avril 1999, Troisième Section, non publiée). La Cour ne voit pas de raison de s'écarter de cette approche, d'autant plus qu'en l'espèce, la procédure dont se plaint la requérante avait débuté plus de douze ans avant le jugement sur lequel s'appuie principalement le Gouvernement. Dès lors, la Cour ne saurait accueillir favorablement la seconde exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement. La Cour estime qu à la lumière des critères dégagés par la jurisprudence des organes de la Convention en matière de «délai raisonnable» (complexité de l affaire, comportement du requérant et des autorités compétentes), et compte tenu de l ensemble des éléments en sa possession, ce grief doit faire l objet d un examen au fond. Par ces motifs, la Cour, à l unanimité, DÉCLARE LE RESTANT DE LA REQUÊTE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés. S. Dollé N. Bratza Greffière Président