Décision du Défenseur des droits MLD-2015-2016



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Transcription:

Paris, le 10 septembre 2015 Décision du Défenseur des droits MLD-2015-2016 Le Défenseur des droits, Vu l article 71-1 de la Constitution du 4 octobre 1958 ; Vu la loi organique n 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits ; Vu le décret n 2011-904 du 29 juillet 2011 relatif à la procédure applicable devant le Défenseur des droits ; Vu les articles 9 et 14 de la Convention européenne des droits de l homme ; Vu les articles 225-1 et 225-2 du Code pénal ; Vu l article 2-2 de la loi n 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations ; Saisi par Madame H au sujet du refus d admission à une formation de MBA qui lui a été opposé et qui est fondé sur le port du foulard. Prend acte de la modification future de l article 5 du règlement intérieur de P afin de supprimer l interdiction du port de signes religieux ostentatoires s accompagnant de mesures d information et de sensibilisation du personnel en vue du changement des pratiques ; Décide de recommander au président de P d indemniser financièrement Madame H qui, du fait de son refus d admission, a perdu une année dans la poursuite de ses études de marketing. Le Défenseur des droits demande au président de P de rendre compte des suites données aux recommandations ci-dessus dans un délai de trois mois à compter de la date de notification de la présente décision. Il demande également à avoir, dans le même délai, communication du nouveau règlement intérieur. Jacques TOUBON

Recommandation 1. Le Défenseur des droits a été saisi, le 2 septembre 2014, par l intermédiaire d un délégué territorial de la réclamation de Madame H au sujet du refus d admission à une formation de MBA qui lui a été opposé et qui est fondé sur le port du foulard. FAITS 2. Madame H est musulmane et porte un foulard qui laisse visible l ovale du visage. 3. Le 29 juin 2014, elle présente sa candidature auprès d un centre de formation privé P, pour y effectuer en alternance une formation de MBA spécialisé en marketing et stratégies commerciales. Une agence de voyages lui aurait promis de l embaucher en alternance dans l hypothèse où elle serait inscrite dans cette école. 4. Son dossier d inscription est déclaré admissible le 2 juillet 2014. Son admission doit être prononcée à l issue d un entretien de motivation avec la personne chargée des admissions, Madame N, qui est fixé au 12 juillet 2014. 5. Madame H se présente à l entretien en portant le foulard. Madame N refuse de lui faire passer l entretien au motif que le port du foulard est interdit dans l établissement. Le directeur du centre de formation, Monsieur S, confirme le refus. 6. Le 22 juillet 2014, Madame H adresse un courriel où elle relate les faits et demande à Monsieur S de revoir sa position. 7. Le 23 juillet 2014, le responsable des MBA lui laisse un message téléphonique sur sa boîte vocale en lui indiquant que P est «un établissement laïc» et que les statuts de l école imposent de «faire respecter la laïcité». 8. Le 29 juillet 2014, une association intervient dans ce dossier en adressant un courrier circonstancié à la direction soulevant le caractère discriminatoire d un tel refus. 9. Aucune réponse n est apportée à ce courrier. 10. Le Défenseur tente alors de régler ce dossier à l amiable, notamment en rappelant à P le cadre juridique applicable prohibant le refus d admission par un centre de formation privé à une femme musulmane du seul fait qu elle porte le foulard. 11. Le président de P, Monsieur A, répond, le 29 septembre 2014, que les cours du MBA en question ont débuté le 22 septembre 2014 et que les inscriptions sont désormais clôturées. Il n apporte aucun élément de réponse sur le fond et indique uniquement qu il appartient à Madame H de présenter une nouvelle candidature pour l année 2015 / 2016 si elle le souhaite. 12. Madame H, prise de cours, à la suite de son refus d admission n a pas retrouvé de formation équivalente sur le marché et a été contrainte de s inscrire dans un MASTER I dédié à la négociation commerciale internationale soit dans une discipline qui n était pas pleinement conforme à son projet professionnel orienté vers le marketing. Elle estime ainsi avoir perdu une année précieuse dans son cursus universitaire. A ce jour, elle a validé son diplôme de MASTER I.

13. A la suite de l échec du règlement amiable, les services du Défenseur des droits ont régulièrement convoqué le président et le directeur de l établissement dans le cadre d auditions, conformément à l article 21 de la loi organique n 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits. Ces auditions se sont tenues le 1er décembre 2014. 14. Messieurs A et S ont également communiqué le même jour un document écrit où ils exposent leurs observations sur l affaire. 15. Monsieur A a répondu, par courrier du 7 juillet 2015, à la note récapitulative du Défenseur des droits du 26 mai 2015. ENQUETE 16. L enquête a révélé que P est une SAS et une enseigne commerciale d une société crée en 1984. P est enregistrée au rectorat sous le statut d établissement privé hors contrat. Les diplômes délivrés ne sont pas visés par l Etat même s ils sont visés dans le répertoire national de certification professionnelle (RNCP) ( 1 ). 17. La spécificité de P est de former des cadres exclusivement en alternance du niveau Bac à Bac+5. Les premiers programmes de MBA au sein de P ont débuté en 2009. 18. La formation de MBA Marketing et Stratégies commerciales a été ouverte en septembre 2014. Les frais d inscription s élèvent à 270 euros et les frais de scolarité à 9000 euros. Si l étudiant fait sa formation en alternance, l entreprise paie les frais de scolarité. 19. Parmi les 94 candidatures pour ce nouvel MBA, 60 étudiants ont été déclarés admissibles. Cinq candidats n ont pas été admis à l issue de l entretien d admission compte tenu de l incohérence entre leur projet professionnel et la formation ou en raison d un trop faible niveau de connaissances. 20. Madame H n est pas comptabilisée parmi les candidats non-admis, P considérant qu elle s est désistée, faute d avoir retiré son foulard pour passer l entretien d admission conformément au règlement intérieur. 21. L article 5 du règlement intérieur de P prévoit que «( ) les signes religieux ostentatoires ne sont pas autorisés (respect de la loi sur la laïcité article L. 141-5-1 du Code de l éducation)». 22. Ce règlement intérieur n est accessible aux étudiants que lors de leur admission. Il est intégré au livret d accueil des élèves qui est distribué au moment de la rentrée scolaire. 23. L interdiction du voile posée par le règlement intérieur a néanmoins été énoncée oralement à Madame H lorsqu elle s est présentée à l entretien puis dans un message téléphonique laissé ensuite sur son répondeur par le responsable des MBA. 24. Lors des auditions, Monsieur S a expressément reconnu que le port d un voile ne laissant visible que l ovale du visage constituait un signe religieux ostentatoire prohibé par le règlement intérieur. Monsieur A a également confirmé que le voile de Madame H n était pas conforme au règlement intérieur. ( 1 ) V. les articles R335-12 et ss. du Code de l éducation

25. En faisant référence à l article L. 141-5-1 du Code de l éducation dont il reconnaît qu il «ne lui est pas opposable en droit», P dit avoir entendu «faire une application volontaire des dispositions de cet article y afférentes». 26. Le président de P explique avoir décidé d interdire le port de tout signe religieux ostentatoire car il a «souhaité intégrer le principe de laïcité à son projet éducatif» afin d assurer «un enseignement serein, respectueux d autrui et notamment de ses croyances religieuses». «Il n est pas envisageable, au nom du vivre-ensemble, qu un élève fasse le choix, dans l enceinte de P, de se distinguer par le port d un signe religieux ostentatoire». 27. Il rappelle que le seul propos de son règlement intérieur consiste à interdire l expression visible de la foi ou de croyance à travers, notamment le port du voile, mais également du «crucifix» (sic) et de la kippa. A cette fin, il s agit de «gommer toute distinction visible entre les étudiants de l établissement» et non pas d écarter Madame H de la formation de MBA du fait de sa confession musulmane. DISCUSSION 28. La liberté religieuse est un principe consacré par le droit constitutionnel français ainsi que le droit international et européen. 29. L importance de la liberté de pensée, de conscience et de religion a été consacrée par la Cour européenne des droits de l homme comme l «une des assises de la société démocratique» ( 2 ). «Les juges voient dans la liberté religieuse un élément vital contribuant à former l identité des croyants et leur conception de la vie. En réalité, la Cour européenne des droits de l homme a élevé la liberté de religion au rang de droit substantiel de la Convention» (3). 30. Elle recouvre à la fois la liberté de conscience et la liberté d exprimer ses convictions, notamment par le port d un vêtement. 31. La protection de liberté religieuse ne se limite pas à ce qui relève du for intérieur. Même si, selon une jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l homme, elle relève «avant tout de la pensée et de la conscience de chacun, la liberté de religion comprend (aussi) la liberté de manifester sa croyance seul et en privé mais aussi de la pratiquer en société avec autrui et en public. Une conviction religieuse peut se manifester par le culte, l enseignement, les pratiques et l accomplissement des rites ( ). Des actes du culte ou de dévotion relevant de la pratique d une religion ou d une conviction sous une forme généralement reconnue en constitueraient un exemple» ( 4 ). Les signes religieux, tels que le foulard porté par les femmes musulmanes, constituent sans aucun doute une manifestation de cette liberté. 32. L article 2-2 de la loi n 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations interdit, en principe, toute discrimination directe ou indirecte fondée sur la religion ou les convictions en matière de formation professionnelle. ( 2 ) CEDH 25 mai 1993 Kokkinakis c/ Grèce, Req. n 14307 ( 3 ) Division de la Recherche, Aperçu de la jurisprudence de la Cour en matière de liberté de religion, Conseil de l Europe, 2011 mis à jour en 2013 ; http://www.echr.coe.int/documents/research_report_religion_fra.pdf ( 4 ) Pour un exemple, CEDH 15 janvier 2013 Eweida et al c/ Royaume-Uni, Req.n 48420/10, 59842/10, 51671/10, 36516/10

33. La formation professionnelle comprend «toute forme d enseignement qui prépare à une qualification pour une profession, un métier ou un emploi spécifique ou qui confère l aptitude particulière à leur exercice» ( 5 ). 34. Les articles 225-1 et 225-2 du Code pénal interdisent la discrimination lorsqu elle consiste à refuser la fourniture d un bien ou d un service en raison d un critère discriminatoire ou à la subordonner à une condition discriminatoire, et notamment l appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une religion. 35. La notion de fourniture de biens et de services est entendue largement et recouvre la totalité des activités économiques. Ainsi, l accès à une formation professionnelle relève de la qualification de prestation de service au sens des dispositions précitées. 36. En l espèce, il n est pas contesté que Madame H n a pas eu accès à une formation proposée par P en raison du port d un foulard, expression de sa foi musulmane, contraire au règlement intérieur de P. 37. Même si pour P, c est Madame H qui s est désistée parce qu elle a refusé de retirer son foulard et qu on ne peut préjuger de sa réussite à l entretien d admission, il n en reste pas moins que P subordonne l accès à une formation de MBA en alternance à une condition (l absence du port de signe religieux ostentatoire) fondée sur un critère de discrimination (l appartenance de l intéressée à une religion). 38. P marque également son intention discriminatoire en refusant que Madame H passe son entretien d admission et, par extension, puisse suivre la formation de MBA tout en portant le foulard. Lors des auditions de ses représentants, P précise que cette interdiction est fondée sur un choix pédagogique, celui d intégrer le principe de laïcité dans son projet éducatif. 39. P a ainsi reconnu expressément que Madame H n a pas pu passer l entretien d admission du seul fait qu elle portait le foulard. 40. Aucun trouble et/ou aucune menace réelle de trouble à l ordre public n ont été évoqués dans le cadre de l instruction de ce dossier. Or, il est de jurisprudence constante que le seul port du foulard ne constitue pas par lui-même un acte de pression ou de prosélytisme ( 6 ). 41. Le principe de précaution invoqué par le président de P pour éviter d éventuels heurts entre étudiants n est pas applicable en l espèce. En effet, ce principe énoncé à l article 5 de la Constitution française ou à l article 191 du Traité sur le Fonctionnement de l Union européenne concerne des mesures applicables en matière de protection de l environnement. 42. En tout état de cause, même si d autres motifs auraient pu présider à la décision finale de ne pas intégrer Madame H au sein du MBA «Marketing et Stratégies», la discrimination est constituée, selon une jurisprudence constante de la Cour de Cassation ( 7 ), dès lors qu'il est établi que le critère discriminatoire a été un élément pris en compte, sans être nécessairement le motif exclusif de la décision : il suffit que ce critère ait participé à la mesure d exclusion. ( 5 ) C.J.C.E. 13 février 1985 Gravier c/ Ville de Liège, aff. 293/83 ; voir également C.J.C.E 1er juillet 2004 Commission c /Belgique, aff. C-65/03 ; C.J.C.E. 7 juillet 2005 Commission c/autriche, aff. C- 147/03 ( 6 ) CE 27 novembre 1996 M. et Mme Jeouit ; V. Décision du Défenseur des droits n 2014-81 du 26 mai 2014 ( 7 ) Cass. crim 15 janvier 2008 n 07-82.380 ; Cass. crim 14 juin 2000 n 99-81.108

43. Au moment de l adoption du règlement intérieur et de son application à Madame H, aucune disposition législative ou réglementaire ne prescrivait l interdiction des signes religieux dans les établissements de formation supérieure relevant du secteur privé et accueillant des étudiants suivant un cursus universitaire. 44. A cet égard, l article L. 141-5-1 du Code de l éducation auquel le règlement intérieur de P fait référence n est pas applicable à de jeunes adultes dans le cadre d une formation professionnelle. Selon cette disposition, «Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. Le règlement intérieur rappelle que la mise en œuvre d'une procédure disciplinaire est précédée d'un dialogue avec l'élève». 45. Cette interdiction légale ne vise que les établissements publics d enseignement primaire et secondaire. D ailleurs, le président et le directeur de P ont reconnu dans le cadre de l enquête que cette disposition n était pas opposable à P et qu ils l avaient appliqué de leur propre initiative. 46. De plus, les établissements privés d enseignement supérieur doivent être entendus comme des prestataires de services privés soumis aux exigences des articles 2-2 de la loi du 27 mai 2008 et des articles 225-1 et 225-2 du Code pénal. 47. A cet égard, suivant les observations de la délibération n 2009-339 de la HALDE, la Cour d appel de Paris a déjà condamné un centre de formation privé pour adultes pour avoir édicté dans son règlement intérieur une interdiction de tout signe religieux, et avoir ainsi exclu une stagiaire sur le fondement dudit règlement. Les juges ont estimé que le délit de discrimination religieuse était caractérisé au regard des articles 225-1 et 225-2 du Code pénal en relevant en outre que la stagiaire voilée n avait pas eu de comportement prosélyte et que le port du voile n avait pas provoqué de perturbations dans l établissement ( 8 ). 48. Le Défenseur rappelle, en outre, que dans le cadre d une question écrite posée par Monsieur Manuel Valls, alors député de l Essonne, le Ministre de l'education nationale avait eu l occasion de s exprimer sur le régime juridique applicable, en matière de port de signes religieux, dans l'enceinte des centres de formation par l'apprentissage (CFA). Le Ministère avait notamment répondu en 2011 que le port des signes religieux ne paraissait pas pouvoir être interdit, sauf pour des raisons de sécurité ( 9 ). 49. Cette même interprétation a été retenue par le Secrétaire d Etat à l Emploi faisant suite à l arrêt de la Cour d appel précité en réponse à une question écrite de Monsieur Christian Cambon, Sénateur : «De fait, les organismes de formation privés ne peuvent en principe prévoir dans leur règlement intérieur des restrictions relatives au port de signes religieux ostensibles que sur des motifs de sécurité des personnes ou de respect de l'ordre public. Dès lors, un CFA ( ) ne paraît pouvoir proscrire le port des signes religieux ostensibles que pour un motif sérieux de sécurité ou d'ordre public» ( 10 ). 50. En conséquence, le règlement intérieur de P ainsi que son application à Madame H caractérisent une subordination de fourniture d un service à une condition fondée sur ( 8 ) CA PARIS 8 juin 2010, N 08/08286 ( 9 ) Question écrite n 75766 de M. Manuel Valls au Ministère de l'education nationale, de la Jeunesse et de la Vie associative ; JOAN du 6 avril 2010 et JOAN du 4 janvier 2011 ( 10 ) Questions écrites n 14112 et n 12656 de M. Christian Cambon à Monsieur le Secrétaire d'état chargé de l'emploi posées le 25 mars et le 25 juin 2010 ; JO Sénat du 24 juin 2010 et JO Sénat du 9 septembre 2010

l appartenance ou la non appartenance, vraie ou supposée, à une religion, contraire aux articles 225-1 et 225-2 du Code pénal. 51. Tout en précisant que cela n emporte pas reconnaissance du bien-fondé de la position exprimée par le Défenseur des droits, le président de P «consent à faire un geste en direction de Madame H» dans un souci d apaisement. 52. Il s engage donc à modifier l article 5 de son règlement intérieur dès la rentrée scolaire de septembre 2015 afin de supprimer l interdiction du port de signes religieux ostentatoires. Cette modification s accompagnera d une information et d une sensibilisation du personnel de P en vue d un changement des pratiques. 53. En conséquence, le Défenseur : Prend acte de la future modification de l article 5 du règlement intérieur de P afin de supprimer l interdiction du port de signes religieux ostentatoires s accompagnant de mesures d information et de sensibilisation du personnel en vue du changement des pratiques ; Décide de recommander au président de P d indemniser financièrement Madame H qui, du fait de son refus d admission, a perdu une année d études dans la poursuite de ses études de marketing.