Ne m attends pas ce soir, car la nuit sera noire et blanche



Documents pareils
Liens entre la peinture et la poésie

Je viens vous préparer à cet évènement : L illumination des consciences

Je t'aime parce que... Je t'aime parce que... Je t'aime parce que... Je t'aime parce que...

Séance 1 - Classe de 1 ère. Cours - Application Introduction à la typologie et à l analyse des figures de style

Quelqu un qui t attend

L OISEAU. Quand il eut pris l oiseau, Il lui coupa les ailes, L oiseau vola encore plus haut.

La petite poule qui voulait voir la mer

Ne vas pas en enfer!

Les 100 plus belles façons. François Gagol

Trait et ligne. La ligne avance, Elle indique une direction, Elle déroule une histoire, Le haut ou le bas, la gauche et la droite Une évolution.

NOTRE PERE JESUS ME PARLE DE SON PERE. idees-cate

«Toi et moi, on est différent!» Estime de soi au préscolaire

Que chaque instant de cette journée contribue à faire régner la joie dans ton coeur

Activités autour du roman

Vive le jour de Pâques

VIVRE LA COULEUR DOSSIER PÉDAGOGIQUE. Musée des beaux-arts de Brest

Le Pavé Mosaïque. Temple?» C est la question que je me posais la première fois que je vis le Pavé Mosaïque à

C est dur d être un vampire

Celui qui me guérit Copyright 1995, Geneviève Lauzon-Falleur (My Healer) Ps. 30. Car Tu es Celui qui me guérit

COMMENT DÉCOUVRIR SA VOCATION

Lecture analytique 2 Victor Hugo, «Un jour Je vis...», Poème liminaire des Comtemplations, 1856

ISBN

CHANT AVEC TOI NOUS IRONS AU DÉSERT (G 229)

Mademoiselle J affabule et les chasseurs de rêves Ou l aventure intergalactique d un train de banlieue à l heure de pointe

C ÉTAIT IL Y A TRÈS LONGTEMPS QUAND LE COCHON D INDE N AVAIT PAS ENCORE SES POILS.

RENCONTRES EFFRAYANTES

Tout le monde est agité, moi seule ai l'esprit calme

Sommaire DITES-MOI UN PEU

Le Baptême de notre enfant

Réveillez le créateur qui sommeille en vous!

V3 - LE PASSE COMPOSE

LA MAISON DE POUPEE DE PETRONELLA DUNOIS

Le prince Olivier ne veut pas se laver

À propos d exercice. fiche pédagogique 1/5. Le français dans le monde n 395. FDLM N 395 Fiche d autoformation FdlM

SOYETTE, LE PETIT VER A SOIE

FICHE PÉDAGOGIQUE -Fiche d enseignant-

Subordonnée circonstancielle de temps

«J aime la musique de la pluie qui goutte sur mon parapluie rouge.

C T 14. J

PAR VOTRE MEDECIN! «FUN», LES CIGARETTES RECOMMANDÉES NOUVELLE PERCÉE MÉDICALE!

La petite poule qui voulait voir la mer

Rappels. Prenons par exemple cet extrait : Récit / roman

Christina Quelqu'un m'attendait quelque part...

Faire part naissance coquelicot

Compréhension de lecture

«Longtemps, j ai pris ma plume pour une épée : à présent, je connais notre impuissance.»

Une promenade en forêt par Inner Health Studio. Enregistré avec la permission de l entreprise.

CAP TERTIAIRE/INDUSTRIEL

Que fait l Église pour le monde?

L ÉCOUTILLE. Sr Louise Lamothe. spécial «Portrait du mois» juin 2010

«Ce Qui Sort de la Bouche de l Éternel»

N 6 Du 30 nov au 6 déc. 2011

«Si quelqu un veut venir après moi qu il renonce à lui-même, qu il se charge chaque jour de sa croix et qu il me suive» Luc 9 : 23.

INT. SALON DE LA CABANE DANS LA FORÊT JOUR

Le temps dont je suis l hypothèse

DOSSIER Pédagogique. Semaine 21. Compagnie tartine reverdy. C est très bien!

Le carnaval des oiseaux

Kerberos mis en scène

Les contes de la forêt derrière l école.

Utilisation des auxiliaires avoir et être

Tétanisés par la spirale de la violence? Non!

LE CHEMIN DE CROIX DE NOTRE DAME DE ROCHEFORT

Je suis compagnon. Respectable Atelier «Shekinah» à l O:.de Montélimar. Ce jour 17 X 6011

Je veux apprendre! Chansons pour les Droits de l enfant. Texte de la comédie musicale. Fabien Bouvier & les petits Serruriers Magiques

Poèmes. Même si tu perds, persévère. Par Maude-Lanui Baillargeon 2 e secondaire. Même si tu perds Tu n es pas un perdant pour autant Persévère

La liberté guidant le peuple sur les barricades

L Illusion comique. De Corneille. L œuvre à l examen oral. Par Alain Migé. Petits Classiques Larousse -1- L Illusion comique de Corneille

Le passé composé. J ai trouvé 100 F dans la rue. Il est parti à 5 h 00.

Quelques exemples de croyants célibataires

Marie Lébely. Le large dans les poubelles

LIVRET DE VISITE. Autoportraits du musée d. musée des beaux-arts. place Stanislas

LE LIVRE DES KINS L épopée Galactique du libre-arbitre.

D où viennent nos émotions

1. Le Psaume 23 est un psaume bien connu, souvent mémorisé, c'est le psaume du Berger: dire

Le cabaret mobile eauzone

Fiche d exploitation andragogique La maison de Marjo

RAWYA, YOUSSEF, SELIM, TARIQ, HUGO, EMILIE, WILFRIED, IBRAHIM, NIPUN et VALÉRIE DU CHÉNÉ

1. La famille d accueil de Nadja est composée de combien de personnes? 2. Un membre de la famille de Mme Millet n est pas Français. Qui est-ce?

Paroisses réformées de la Prévôté - Tramelan. Album de baptême

NOUVEAU TEST DE PLACEMENT. Niveau A1

Les paroles des chansons du Carnaval de Québec

Jours et semaines. séquence 1 2. séance 1 Le jour, la nuit. séance 2 Les activités d une journée. séance 3 Une journée à l école.

ACCORD DES ADJECTIFS DE COULEUR Exercice d introduction

Épreuve de Compréhension orale

French 2 Quiz lecons 17, 18, 19 Mme. Perrichon

PRÉSCOLAIRE. ANDRÉE POULIN (devant la classe) : Je me présente, mais je pense que vous connaissez déjà mon nom, hein? Je m'appelle Andrée.


001_004_VIVRE.qxd 21/07/ :35 Page 1 Vivre avec soi

Les jours de la semaine

f. j. ossang cet abandon quand minuit sonne

SAVOIR SE RECENTRER : UN ATOUT AU QUOTIDIEN

Lorsqu une personne chère vit avec la SLA. Guide à l intention des enfants

Emmanuel, Dieu avec nous

Les monstres de là-bas

Ariane Moffatt : Je veux tout

Nom : Prénom : Date :

Musée temporaire. Le jeu

#46 DESIGN ARCHITECTURE UNE CULTURE //

Il manque quelque chose! (L histoire du film 1re partie)

Ça me panique, pas question de le nier. Mais c est ma seule carence, le dernier point encore sensible entre elle et moi, ce fait que, dès qu elle

Transcription:

Gérard de Nerval Où es-tu Nerval? «Ne m attends pas ce soir, car la nuit sera noire et blanche». Par ce message laissé derrière lui, Nerval, à quarante-sept ans, prit congé du monde au matin glacé du 26 janvier 1855, rue de la Vieille Lanterne près du Châtelet en se suspendant à un lampadaire trop grand pour lui, mais qui le rapprocha des étoiles. Un lampadaire dit la légende, une grille dit la triste réalité. Fini les dérives au jardin des Tuileries en promenant son homard rose, fini la valse des souvenirs d enfance, et les pas de Sylvie. La nuit fut blanche et très froide et Nerval se balançait sous la lune, plus près des gnoses qu il va traquer. Il a donc vécu parmi nous ce «fou sublime» et il a tenté de toutes ses forces de «fixer le rêve et d en connaître les secrets» Il n a pas voulu nous les dévoiler. Mais si pendant longtemps, comme une image vaine, Mon ombre t'apparaît... oh! reste sans effroi : Car mon ombre longtemps doit te suivre, incertaine Entre le ciel et toi. «Le pauvre jeune homme» qui vivait sur le fil de ses fantômes était tombé de son fil de funambule. Ses dernières années étaient celles d un mendiant halluciné, replié dans sa forêt de symboles et de ses amours mortes. Lui, naguère riche, vivait au jour le jour, ne croyant qu en l éternité. Il se sentait déjà hors de notre pauvre monde, dépositaire initié et choisi entre tous, des révélations de l univers. Que pouvait alors lui importer la société et ses convenances bourgeoises. D'ailleurs, il avait fait le coup-de-poing lors de la bataille d Hernani en 1830. Apparitions de Nerval Gérard de Nerval, de son vrai nom Gérard Labrunie, naquit à Paris le 22 mai 1808. Orphelin de mère, morte quand il avait deux ans, fils d'un médecin de l'armée napoléonienne, le jeune Gérard est élevé à Mortefontaine au nom prédestiné dans le pays de Valois, région parsemée de forêts et d'étangs qui inspira Corot. Amoureux fou de Goethe il se passionne pour la littérature allemande et devient un traducteur étonnant, (Faust en 1828 puis d'hoffmann.) L'amour fou pour la comédienne Jenny Colon en 1836, qui n avait rien à faire d un illuminé sans le sou, l avait conduit à croire à l irréel et donc à l éternel féminin de Goethe. Il va le sanctifier autour de cette «pécheresse». Pour elle il fit même une gazette à elle seule consacrée! La description du rêve d'aurélia (1855) en est issue. Et construit sa perception du monde : le songe est la réalité, le réel qu une imposture. Le rêve est son refuge.

Un long voyage en Orient en 1843 l enferme encore plus dans sa conviction que la vraie vie est ailleurs. Dans le monde antique chanté par Hölderlin, dans la mythologie et ses dieux, dans l ésotérisme. Ce voyage en Orient n est pas celui d un voyageur, pendant toute une année il va rechercher les paroles cachées du monde. Il est en chemin d une métaphysique et non d un paysage. Qu importe si cette métaphysique est brumeuse, il va au-delà des clichés des Romantiques, vers un désert imaginaire, où tout se révèle. Où vas-tu? me dit-il. Vers l'orient! Et pendant qu'il m'accompagnait, je me mis à chercher dans le ciel une étoile, que je croyais connaître, comme si elle avait quelque influence sur ma destinée... Une toile a brillé tout à coup et m'a révélée le secret du monde et des mondes. Il n ose même pas écrire le mot étoile au complet, pris dans ses visions entre extase et folie. Lui l errant cherche «sa patrie mystique». Les choses cachées du monde vont parler pour lui, et pour lui seul. «Notre passé et notre avenir sont solidaires. Nous vivons dans notre race et notre race vit en nous.» Aussi il se laisse flotter pendant dix ans ne vivant que de petits boulots et de l aide de ses amis, dont Théophile Gauthier. Et la folie qui nichait en lui comme une chouette patiente, prenait souvent son envol. Quelques moments éblouissants de lucidité, brefs et terribles vont voir naître ses grandes œuvres : Sylvie, Les Filles du feu et surtout «Les Chimères», monument obscur se dressant haut. D'enfermement en errance, il suit un chemin de «wanderer», de voyageur errant, jusqu à la pendaison, point de croix final de sa dentelle d'illusions. Nerval ne pouvait vivre à l étroit d un monde sans étoile, sans dieu immortel. La mort de son Aurélia, Jenny Colon, le renforce dans son nouveau paradis, où tout renaît : «Plus de mort, plus de tristesses, plus d'inquiétude. Ceux que j'aimais, parents, amis, me donnaient des signes certains de leur existence Éternelle» «D'ailleurs, elle m'appartenait bien plus dans sa mort que dans ma vie.» Au delà des frontières du monde réel Les frontières du monde réel n ont vraiment jamais compté pour Nerval. Lui le Ténébreux, le Veuf, l Inconsolé, était un chercheur d étoile, celle d un Orient où vivraient côte à côte ses chers poètes allemands, Novalis Goethe, et les sagesses du monde caché. Le Rêve est une seconde vie. Je n'ai pu percer sans frémir ces portes d'ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible. Nerval cherche l initiation absolue et se désespérait sans doute de l avoir raté. Une sorte de pardon divin à des péchés jamais commis. Il marchait somnambule comme le double d un autre qui lui avait vu s élever l étoile du matin et marchait à cloche pied dans le pays de l Ange. Ce besoin de consolation impossible à rassasier le conduit aux bords du vide

«Dans les rêves, on ne voit jamais le soleil, bien qu'on ait souvent la perception d'une clarté beaucoup plus vive. Les objets et les corps sont lumineux par euxmêmes.» (Aurélia) Maintenant il trône dans le panthéon des poètes maudits, Alfred de Vigny lui rendra hommage dans «Chatterton». Sanctifié aujourd hui comme le passeur de la folie en poésie, il semble notre mauvaise conscience. Mais il n est pas le Prince des poètes. Ses poèmes sont inégaux, mais une poignée d eux sont sublimes. D une écriture sans innovation, ils vont portant si loin en nous. Cette mélancolie insondable les transfigure. Ce pauvre diable ouvre les paradis des mots. Les seuls en langue française à pouvoir faire écho à Hölderlin ou Novalis. Pourquoi Nerval nous touche-t-il tant encore? Lui qui n'a rien inventé en écriture poétique. Sans doute, parce qu'il nous semble entendre la voix de la pythie à travers lui, et dans un langage hors du temps. Tout est nimbé d'une mélancolie insondable. Ses poèmes sont autant de prophéties, dites sur un ton simple. Ce sont des oracles souriants et énigmatiques. «Et de blancs papillons la mer inondée»! Ses paroles hermétiques nous intriguent encore, car elles annoncent le retour des dieux archaïques. Les saintes et les fées dansent la même ronde. «Dans le romantisme qu'il traverse, et auquel il paraît étranger, Gérard de Nerval semble une apparition». (Pierre-Jean Jouve). À l écart de tout, il est tout. Chuchotis d'étoiles, territoires de l'oubli tenus en laisse. Lui le dormeur mal éveillé du bord des abîmes, la voiture de sa raison a versé dans tous les fossés. Là il dort, dans la bouche l'amer d'une vie concassée, la lanterne de ses poèmes à la main. Il reste inassouvi à remodeler nos origines. Ces poèmes sont ses révélations, ses expiations, les nôtres aussi. Textes choisis très subjectivement El Desdichado Je suis le Ténébreux, le Veuf, l Inconsolé, Le Prince d Aquitaine à la Tour abolie : Ma seule Étoile est morte, et mon luth constellé Porte le Soleil noir de la Mélancolie. Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m as consolé, Rends-moi le Pausilippe et la mer d Italie, La fleur qui plaisait tant à mon cœur désolé, Et la treille où le Pampre à la Rose s allie. Suis-je Amour ou Phoebus?... Lusignan ou Biron?

Mon front est rouge encor du baiser de la Reine ; J ai rêvé dans la Grotte où nage la Syrène... Et j ai deux fois vainqueur traversé l Achéron : Modulant tour à tour sur la lyre d Orphée Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée. Une allée du Luxembourg Elle a passé, la jeune fille Vive et preste comme un oiseau À la main une fleur qui brille, À la bouche un refrain nouveau. C est peut-être la seule au monde Dont le cœur au mien répondrait, Qui venant dans ma nuit profonde D un seul regard l éclaircirait! Mais non, ma jeunesse est finie... Adieu, doux rayon qui m a fui, Parfum, jeune fille, harmonie... Le bonheur passait, il a fui! Fantaisie Il est un air pour qui je donnerais Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber, Un air très vieux, languissant et funèbre, Qui pour moi seul a des charmes secrets. Or, chaque fois que je viens à l entendre, De deux cents ans mon âme rajeunit : C est sous Louis treize... Et je crois voir s étendre Un coteau vert, que le couchant jaunit, Puis un château de brique à coins de pierre, Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs, Ceint de grands parcs, avec une rivière Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs. Puis une dame, à sa haute fenêtre, Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens... Que, dans une autre existence peut-être, J ai déjà vue! et dont je me souviens! La Grand-Mère Voici trois ans qu est morte ma grand-mère, La bonne femme, et, quand on l enterra,

Parents, amis, tout le monde pleura D une douleur bien vraie et bien amère. Moi seul j errais dans la maison, surpris Plus que chagrin ; et, comme j étais proche De son cercueil, quelqu un me fit reproche De voir cela sans larmes et sans cris. Douleur bruyante est bien vite passée : Depuis trois ans, d autres émotions, Des biens, des maux, des révolutions, Ont dans les cœurs sa mémoire effacée. Moi seul j y songe, et la pleure souvent ; Depuis trois ans, par le temps prenant force Ainsi qu un nom gravé dans une écorce, Son souvenir se creuse plus avant! Delfica La connais-tu, Dafné, cette ancienne romance Au pied du sycomore, ou sous les lauriers blancs, Sous l'olivier, le myrte, ou les saules tremblants Cette chanson d'amour qui toujours recommence?... Reconnais-tu le TEMPLE au péristyle immense, Et les citrons amers où s'imprimaient tes dents, Et la grotte, fatale aux hôtes imprudents, Où du dragon vaincu dort l'antique semence?.. Ils reviendront, ces Dieux que tu pleures toujours! Le temps va ramener l'ordre des anciens jours ; La terre a tressailli d'un souffle prophétique... Cependant la sibylle au visage latin Est endormie encor sous l'arc de Constantin Et rien n'a dérangé le sévère portique. Le Réveil en voiture Voici ce que je vis : Les arbres sur ma route Fuyaient mêlés, ainsi qu une armée en déroute ; Et sous moi, comme ému par les vents soulevés, Le sol roulait des flots de glèbe et de pavés. Des clochers conduisaient parmi les plaines vertes Leurs hameaux aux maisons de plâtre, recouvertes En tuiles, qui trottaient ainsi que des troupeaux De moutons blancs, marqués en rouge sur le dos.

Et les monts enivrés chancelaient : la rivière Comme un serpent boa, sur la vallée entière Étendu, s élançait pour les entortiller. J étais en poste, moi, venant de m éveiller! Vers dorés Eh quoi! tout est sensible Pythagore Homme, libre penseur! te crois-tu seul pensant Dans ce monde où la vie éclate en toute chose? Des forces que tu tiens ta liberté dispose, Mais de tous tes conseils l univers est absent. Respecte dans la bête un esprit agissant : Chaque fleur est une âme à la Nature éclose ; Un mystère d amour dans le métal repose ; «Tout est sensible!» Et tout sur ton être est puissant. Crains, dans le mur aveugle, un regard qui t épie : À la matière même un verbe est attaché... Ne la fais pas servir à quelque usage impie! Souvent dans l être obscur habite un Dieu caché ; Et comme un œil naissant couvert par ses paupières, Un pur esprit s accroît sous l écorce des pierres! Myrtho Je pense à toi, Myrtho, divine enchanteresse, Au Pausilippe altier, de mille feux brillant, À ton front inondé des clartés de l'orient, Aux raisins noirs mêlés avec l'or de ta tresse. C'est dans ta coupe aussi que j'avais bu l'ivresse, Et dans l'éclair furtif de ton œil souriant, Quand aux pieds d'lacchus on me voyait priant, Car la Muse m'a fait l'un des fils de la Grèce. Je sais pourquoi là-bas le volcan s'est rouvert... C'est qu'hier tu l'avais touché d'un pied agile, Et de cendres soudain l'horizon s'est couvert. Depuis qu'un duc normand brisa tes dieux d'argile, Toujours, sous les rameaux du laurier de Virgile, Le pâle hortensia s'unit au myrte vert! Artémis

La Treizième revient... C'est encor la première ; Et c'est toujours la Seule, - ou c'est le seul moment : Car es-tu Reine, ô Toi! la première ou dernière? Es-tu Roi, toi le seul ou le dernier amant?... Aimez qui vous aima du berceau dans la bière ; Celle que j'aimai seul m'aime encor tendrement : C'est la Mort - ou la Morte... Ô délice! ô tourment! La rose qu'elle tient, c'est la Rose trémière. Sainte napolitaine aux mains pleines de feux, Rose au cœur violet, fleur de sainte Gudule, As-tu trouvé ta Croix dans le désert des cieux? Roses blanches, tombez! vous insultez nos Dieux, Tombez, fantômes blancs, de votre ciel qui brûle : La sainte de l'abîme est plus sainte à mes yeux Aurélia ou LE RÊVE ET LA VIE Le rêve est une seconde vie. Je n ai pu percer sans frémir ces portes d ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible. Les premiers instants du sommeil sont l image de la mort ; un engourdissement nébuleux saisit notre pensée, et nous ne pouvons déterminer l instant précis où le moi, sous une autre forme, continue l œuvre de l existence. C est un souterrain vague qui s éclaire peu à peu, et où se dégagent de l ombre et de la nuit les pâles figures gravement immobiles qui habitent le séjour des limbes. Puis le tableau se forme, une clarté nouvelle illumine et fait jouer ces apparitions bizarres : le monde des Esprits s ouvre pour nous.. Je vais essayer, à leur exemple, de transcrire les impressions d une longue maladie qui s est passée tout entière dans mon esprit ; et je ne sais pourquoi je me sers de ce terme maladie, car jamais, quant à ce qui est de moi-même, je ne me suis senti mieux portant. Parfois, je croyais ma force et mon activité doublées ; il me semblait tout savoir, tout comprendre ; l imagination m apportait des délices infinies. En recouvrant ce que les hommes appellent la raison, faudra-t-il regretter de les avoir perdues... Bibliographie Romans, nouvelles, récits Voyage en Orient (1851) La Bohème galante (1852) Lorely, souvenirs d Allemagne (1852) Les Illuminés (1852) Petits châteaux de Bohème (1853) Les Filles du feu : Angélique, Sylvie, Jemmy, Isis, Émilie, Octavie, Pandora, Les Chimères (1854) Promenades et souvenirs (1854) Aurélia ou le rêve et la vie (1855)

Poésie Odelettes (1834), dont: Une allée du Luxembourg (1832) Les Chimères (1854) Traductions Faust (1828) Poésies allemandes (Klopstock, Goethe ) (1830) Ce site est à usage non commercial. Les documents qu'il présente peuvent donc être consultés et reproduits pour un usage privé. Pour tout autre usage la reproduction est interdite sans autorisation des auteurs.