Expressions rationnelles, automates, analyse lexicale



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Transcription:

Chapitre 2 Expressions rationnelles, automates, analyse lexicale L analyse lexicale est la première phase d un compilateur ou d un interprète : elle consiste à identifier et à catégoriser les différents mots qui constituent un programme. Ces «mots» ou entités lexicales sont appelés lexèmes (tokens en Anglais). Par exemple, si on considère l extrait suivant du programme Pascal vu au chapitre précédent : while i j do (* commentaire *) if i > j then i := i-j et si l on représente les entités lexicales de Pascal par un type OCaml du style : type token = FOR WHILE DO DONE IF THEN ELSE... EQUAL COLONEQUAL PLUS MINUS STAR SLASH GREATER SMALLER SMALLERGREATER IDENT of string INT of int FLOAT of float... l analyseur lexical devra produire la suite suivante : WHILE, IDENT("i"), SMALLERGREATER, IDENT("j"), DO, IF,... où les mots sont classés en un certain nombre de catégories : symboles, mots-clés, identificateurs, constantes littérales, etc., et où les espaces et commentaires ont disparu. L analyseur syntaxique, qui cherchera à donner de la structure à cette suite de mots (voir chapitre suivant), vérifiera qu il est bien légal d avoir une séquence WHILE,..., DO,..., DONE, pourvu que ce qui correspond aux points de suspension soit bien, respectivement, une expression et une séquence d instructions. Comme nous l avons remarqué auparavant, l analyseur syntaxique questionnera probablement l analyseur lexical chaque fois qu il est nécessaire, lui demandant «quel est le prochain lexème?» Se posent alors les deux questions suivantes : 1. Comment spécifier les catégories lexicales d un langage? 2. Si on dispose d une telle spécification, comment fabrique-t-on l analyseur correspondant? 39

2.1. Expressions rationnelles La spécification des catégories lexicales est habituellement réalisée en utilisant la notion d expressions rationnelles, qui apporte à la fois une notation et un cadre théorique élégants pour régler ce problème. Ce cadre théorique est tellement bien compris qu il fournit aussi la réponse à la seconde question : à la notion d expression rationnelle correspond très exactement celle d automate fini, qui donne le moyen d implémenter efficacement et mécaniquement des analyseurs lexicaux. 2.1 Expressions rationnelles Prenons l exemple des entiers naturels. On sait qu ils sont habituellement écrits comme des suites de chiffres, en commençant par un chiffre non nul. Pour dire qu un chiffre non nul est ou bien le caractère 1, ou alors 2, ou alors 3, etc., on peut noter : chiffre_non_nul ::= 1 2 3 4 5 6 7 8 9 où le symbole ::= indique une définition, et la barre verticale dénote une alternative (similaire à l utilisation de ce symbole dans une définition de type OCaml). On peut alors définir un chiffre comme : chiffre ::= 0 chiffre_non_nul et un entier naturel comme : naturel ::= 0 (chiffre_non_nul chiffre ) où la juxtaposition se lit comme «suivi de» et chiffre représente une séquence éventuellement vide d éléments de chiffre. Cette notation est appelée la notation des expressions rationnelles. Les expressions rationnelles servent à désigner de façon concise des ensembles de mots sur un alphabet. Si Σ est un alphabet, l ensemble des mots sur Σ, noté Σ, est l ensemble de toutes les séquences possibles d éléments de Σ. L opération qui sert à construire les séquences est la concaténation, et est notée par simple juxtaposition. Si m 1 et m 2 sont des mots de Σ, alors leur concaténation m 1 m 2 est aussi un mot de Σ. Le mot vide est noté ɛ, et est neutre pour la concaténation. La concaténation est une opération associative. Les entités que nous avons nommées ci-dessus chiffre ou naturel désignent en fait des sousensembles de mots sur un alphabet qui contient notamment les dix chiffres. On appelle langage un sous-ensemble de Σ, pour Σ donné. La notation que nous avons utilisée pour identifier les langages chiffre_non_nul, chiffre et naturel est appelée expression rationnelle. Définition (expressions rationnelles) Étant donné un alphabet Σ, on appelle expression rationnelle une expression construite par les règles suivantes : tout élément de Σ est une expression rationnelle ; si e 1 et e 2 sont deux expressions rationnelles, alors la concaténation e 1 e 2 est une expression rationnelle ; le mot vide noté ɛ est une expression rationnelle ; si e 1 et e 2 sont deux expressions rationnelles, alors l alternative e 1 e 2 est une expression rationnelle ; si e est une expression rationnelle, l itération e est une expression rationnelle. L opérateur est appelée itérateur de Kleene. On utilise quelquefois le terme expression régulière, au lieu d expression rationnelle : cela est dû à la langue anglaise qui les nomme regular expressions. Étant donnés Σ et e une expression rationnelle sur Σ, le langage L(e) désigné par l expression rationnelle e peut être défini de la manière suivante. 40

2.2. Interprétation directe des expressions rationnelles Le langage L(e) désigné par une expres- Définition (langage désigné par une expression rationnelle) sion rationnelle e sur l alphabet Σ est défini par : L(ɛ) = {ɛ} L(a) = {a}, où a Σ L(e 1 e 2 ) = {m 1 m 2 avec m 1 L(e 1 ) et m 2 L(e 2 )} L(e 1 e 2 ) = L(e 1 ) L(e 2 ) L(e ) = {ɛ} L(e) L(ee)... = i=0 L(ei ) On utilise bien sûr un parenthésage pour grouper les constructions, et on adopte la convention que la concaténation est prioritaire vis-à-vis de l alternative, de sorte que et l étoile sera prioritaire sur les autres opérateurs : e 1 e 2 e 3 e 4 sera lu comme (e 1 e 2 ) (e 3 e 4 ) e 1 e 2 e 3 sera lu comme (e 1 (e 2 )) e 3 À partir de cette notation de base, on utilise très souvent des formes dérivées qui représentent des combinaisons des constructions de base ci-dessus. Par exemple : e? désigne un e optionnel, c est-à-dire e ɛ e + désigne ee [abc] désigne (a b c) [a 1 -a 2 ] désigne l un des éléments de Σ compris entre a 1 et a 2, ce qui suppose que les éléments de Σ soient totalement ordonnés [ˆabc] désigne l un des éléments du complémentaire de {a, b, c} dans Σ notons aussi que les définitions de langages de programmation utilisent aussi souvent les crochets [ et ] pour encadrer les éléments optionnels, et les accolades { et } pour encadrer les occurrences multiples. Ainsi, on a, dans ces cas : [e] pour e ɛ {e} pour e {e} + pour ee Au vu de toutes ces possibilités (non exhaustives), il est prudent, en présence d un document utilisant de telles notations, de vérifier l interprétation qu il faut en faire. 2.2 Interprétation directe des expressions rationnelles Utiliser une expression rationnelle pour spécifier la forme des lexèmes sert assez aisément de référence pour programmer la reconnaissance des lexèmes correspondants. Par exemple, pour les chiffres non nuls, on pourrait écrire une fonction de reconnaissance qui indique si le début d une liste de caractères contient ou non un chiffre non nul : let chiffre_non_nul cs = match cs with (( 1 2 3 4 5 6 7 8 9 ) as d) :: rcs Some((Char.code d Char.code 0 ), rcs) _ None val chiffre_non_nul : char list (int char list ) option = <fun> La fonction précédente reçoit une liste de caractères en entrée et produit un résultat booléen qui indique si la reconnaissance s est opérée avec succès ainsi que le reste non consommé de la liste d entrée. Nous pouvons maintenant programmer la reconnaissance d un chiffre en utilisant le type option : 41

2.2. Interprétation directe des expressions rationnelles let chiffre cs = match cs with 0 :: rcs Some(0, rcs) cs chiffre_non_nul cs val chiffre : char list (int char list ) option = <fun> En fait, les fonctions d ordre supérieur d OCaml permettent de coder directement la séquence, l alternative ainsi que l étoile : let rec zero_ou_plus e cs = match e cs with Some(r, rcs1) (match zero_ou_plus e rcs1 with Some(rs, rcs2) Some((r::rs), rcs2) None Some([r], rcs1)) None Some([ ], cs) val zero_ou_plus : (α (β α) option) α (β list α) option = <fun> let et_puis e1 e2 cs = match e1 cs with Some(r1, rcs1) (match e2 rcs1 with Some(r2, rcs2) Some((r1,r2), rcs2) None None) None None val et_puis : (α (β γ) option) (γ ( d e) option ) α ((β d) e) option = <fun> let ou_bien e1 e2 cs = match e1 cs with Some(r1, rcs1) as res1 res1 None e2 cs val ou_bien : (α (β γ) option) (α (β γ) option) α (β γ) option = <fun> let zero cs = match cs with 0 :: rcs Some (0, rcs) _ None val zero : char list (int char list ) option = <fun> let naturel cs = ou_bien zero (et_puis chiffre_non_nul (zero_ou_plus chiffre)) cs val naturel : char list ((int int list ) char list ) option = <fun> Nous pouvons maintenant tester l analyseur naturel en définissant au préalable une fonction qui convertit une liste de caractères en en entier : let digits_to_int digits = let rec digirec ds = match ds with [ ] 0 d :: ds (Char.code d Char.code 0 ) + 10 (digirec ds) in 42

2.3. Automates finis digirec (List.rev digits) val digits_to_int : int list int = <fun> let nat cs = match naturel cs with Some((d,ds), cs) Some(digits_to_int (d::ds), cs) None None val nat : char list (int char list ) option = <fun> let _ = nat [ 1 ; 2 ; 3 ; 4 ; z ] : ( int char list ) option = Some (1234, [ z ]) # nat [ 0 ; 1 ; z ] : (int char list) option = None En fait, même s il s agit d un exercice de programmation intéressant, cette interprétation directe a des limites. Par exemple, le codage présenté ici produit un programme qui ne termine pas lorsqu on interprète naïvement (ɛ a), qui va conduire à itérer à l infini l analyseur associé à ɛ. 2.3 Automates finis Une phase de compilation des expressions rationnelles se révèle donc nécessaire à l implémentation correcte des analyseurs associés. Il se trouve que les expressions rationnelles sont équivalentes à ces sortes de machines virtuelles que sont les automates finis. Un automate fini déterministe est une machine dotée d un ensemble fini d états, et qui lit des éléments d un alphabet, faisant passer la machine d un état à un autre à chaque lecture. Formellement : Définition (automate) Un automate fini déterministe est la donnée de : un alphabet fini Σ ; un ensemble fini d états Q ; une fonction de transition δ : Q Σ Q ; un état initial p 0 ; un ensemble d états finaux F. Un automate fini non-déterministe est un automate qui offre plusieurs changements d état pour un même symbole, voire même des changements d états spontanés, c est-à-dire sans lire aucun symbole. La fonction de transition d un automate fini non-déterministe est donc de la forme δ : Q (Σ {ɛ}) P(Q). Le langage accepté par un automate A sur un alphabet Σ est l ensemble des mots sur Σ qui permettent de faire passer A de l état initial à un état final. Par exemple, l automate suivant, composé de deux états p 1 et p 2, représente l expression rationnelle (1..9)(0..9) qui correspond aux entiers naturels donnés ci-dessus. L état p 1 est final, et nous avons remplacé les 9 transitions sur chacun des caractères de l ensemble 0..9 par une seule transition étiquetée 1..9. Cet automate se lit de la manière suivante : initialement, l automate est dans l état p 0. S il lit un élément de 1..9, l automate passe à l état p 1, sinon on s arrête en échec. Puisque l état p 1 est un état final (que l on dessine avec un double cercle), l automate est autorisé à s y arrêter. On dit alors que la reconnaissance 43

2.3. Automates finis s est opérée avec succès. Si l on lit un élément de 0..9, on retourne dans l état p 1, et on peut de nouveau choisir de continuer ou d arrêter. On voit que cet automate déterministe nous laisse le choix de continuer ou d arrêter lorsqu on a reconnu un mot acceptable qui est préfixe d un autre. Les analyseurs lexicaux sont très souvent confrontés à de tels choix lorsque, par exemple, un préfixe d un identificateur est un mot-clé du langage (par exemple, en OCaml, le mot-clé let est un préfixe de l identificateur lettre). On fait toujours le choix de continuer quand c est possible : c est ce qu on appelle la sémantique du filtrage le plus long ou de longest match en anglais. Un automate non déterministe peut, quant à lui, offrir des points de choix aux états qui ont plusieurs transitions possibles sur un même élément de l alphabet. Par exemple, l automate suivant, qui reconnaît tous les mots composés d au moins une lettre sur l alphabet {a,b}, offre deux possibilités de reconnaissance du mot ab à partir de l état initial grisé : une possibilité part vers la gauche pour arriver à l état final 3 et l autre vers la droite pour arriver à l état final 2. Par bonheur, les automates finis non-déterministes sont équivalents aux automates finis déterministes! À l évidence, un automate déterministe est un cas particulier d automate non déterministe, mais c est vrai aussi dans l autre sens : il existe un algorithme qui traduit un automate non-déterministe en automate déterministe. À partir d un automate non déterministe N, l algorithme procède à la construction d un automate déterministe D dont les états seront des ensembles d états de N. L état initial d 0 de D est constitué de l état initial de N et des états de D qui sont accessibles, directement ou indirectement, par des transitions sur ɛ. Ensuite, pour chaque élément s de Σ sur lequel l un au moins des éléments de d 0 a une transition, on construit une transition sur s partant de d 0 vers un nouvel état constitué de l ensemble des états destination des transitions sur s au départ de l un des éléments de d 0. On complète cet état en y ajoutant les états de N accessibles par des transitions spontanées issues de l un de ses éléments. On procède ainsi récursivement pour chacun des états ainsi créés. Les états finaux de D seront les états qui contiennent un état final de N. L alphabet étant fini, ainsi que l ensemble des ensembles d états de N, on est certain que le processus termine. Voici l automate déterministe obtenu à partir de l automate non-déterministe ci-dessus, en utilisant cet algorithme : 44

2.3. Automates finis Il nous reste à voir comment passer systématiquement d une expression rationnelle à un automate non-déterministe. Il s agit d une compilation qui va traduire une expression rationnelle en une représentation d automate non déterministe. Cette traduction est donnée par la table suivante, qui décrit un processus récursif de traduction, défini par cas selon la structure de l expression à traduire. Les boîtes correspondent aux automates générés pour les sous-expressions de l expression considérée. Pour celles-ci, l état initial est toujours à gauche, et l état final à droite. Lorsque ces boîtes sont intégrées dans un automate englobant, ces états perdent leur statut particulier, et l état initial du résultat est grisé, alors que l état final est doublement cerclé. Si l expression rationnelle est on produit a Σ ɛ MN M N M 45

2.4. Générateurs d analyseurs lexicaux Les générateurs d analyseurs lexicaux reçoivent essentiellement une expression rationnelle, et produisent un automate déterministe. L inconvénient de la procédure que nous avons décrite ici est que la déterminisation peut produire des automates avec un grand nombre d états. On peut ensuite leur faire subir un processus de minimisation qui va fusionner certains de leurs états. Nous ne décrivons pas ici ce processus : de plus amples informations peuvent se trouver aisément dans l abondante littérature consacrée à la théorie des automates. 2.4 Générateurs d analyseurs lexicaux Nous décrivons dans cette section le générateur d analyseurs lexicaux ocamllex. La commande ocamllex produit un analyseur lexical à partir d un ensemble d expressions rationnelles auxquelles sont attachées des actions dites «sémantiques», qui sont exécutées à chaque fois qu une expression rationnelle a été reconnue. L exécution de : $ ocamllex monlexer.mll produit le fichier monlexer.ml contenant le code OCaml de l analyseur lexical correspondant. Les fonctions produites prennnent en argument une mémoire tampon (un buffer) d analyse lexicale, reconnaissent dans ce buffer une occurrence d expression rationnelle et produisent une des valeurs spécifiées dans les actions sémantiques. Un buffer peut être construit à partir d une des fonctions suivantes : La fonction : Lexing.from_channel : in_channel lexbuf Lexing.from_string : string lexbuf Lexing.lexeme : lexbuf string extrait de la mémoire tampon la chaîne correspondant à l expression rationnelle reconnue. La syntaxe des définitions d analyseurs lexicaux est la suivante : { header } let ident = regexp... rule entrypoint [arg 1... arg n ] = parse regexp { action }... regexp { action } and entrypoint [arg 1... arg n ] = parse... and... { trailer } L en-tête «header», nécessairement placée à l intérieur d accolades est du code OCaml qui sera recopié au début du fichier produit. Idem, mais à la fin, pour «trailer». Les règles définissent des «points d entrée» des fonctions dotées de paramètres qui sont les analyseurs lexicaux définis. En général un seul de ces points d entrée est utilisé par les fonctions appelantes. Par contre, ces points d entrée sont là pour d une part structurer les définitions d analyseurs lexicaux, en nommant des analyseurs auxilliaires, mais aussi pour procéder à des appels récursifs qui sortent du cadre strict des expressions rationnelles (voir chapitre suivant). Les regexp sont des expressions rationnelles, dans une syntaxe plus riche que celle que nous avons vue jusque là, et les «action» entre accolades sont des expressions OCaml qui seront renvoyées en résultat lorsqu un «entrypoint» a reconnu une «regexp». L exemple de la reconnaissance des entiers naturels que nous avons vu au début de ce chapitre peut s écrire : 46

2.4. Générateurs d analyseurs lexicaux { } exception Erreur let chiffre_non_nul = [ 1 9 ] rule naturel = parse chiffre_non_nul ( 0 chiffre_non_nul) { int_of_string (Lexing.lexeme lexbuf) } [ \ n \ t ] { naturel lexbuf } _ { raise Erreur } { } La compilation se fait par : $ ocamllex naturel.mll 4 states, 267 transitions, table size 1092 bytes et donne quelques informations au sujet de l automate produit. Le code OCaml de l analyseur produit se trouve dans le fichier naturel.ml qui a été engendré par la commande ci-dessus : $ cat naturel.ml # 1 "naturel.mll" exception Erreur # 6 "naturel.ml" let ocaml_lex_tables = { Lexing.lex_base = "\000\000\253\255\254\255\010\000"; Lexing.lex_backtrk = "\255\255\255\255\255\255\000\000"; Lexing.lex_default = "\001\000\000\000\000\000\255\255"; Lexing.lex_trans = "\000\000\000\000\000\000\000\000\000\000\000\000\000\000\000\000\... \000\000\000\000\000\000"; Lexing.lex_check = "\255\255\255\255\255\255\255\255\255\255\255\255\255\255\255\255\... \255\255\255\255\255\255"; Lexing.lex_base_code = ""; Lexing.lex_backtrk_code = ""; Lexing.lex_default_code = ""; Lexing.lex_trans_code = ""; Lexing.lex_check_code = ""; Lexing.lex_code = ""; 47

2.4. Générateurs d analyseurs lexicaux } let rec naturel lexbuf = ocaml_lex_naturel_rec lexbuf 0 and ocaml_lex_naturel_rec lexbuf ocaml_lex_state = match Lexing.engine ocaml_lex_tables ocaml_lex_state lexbuf with 0 # 9 "naturel.mll" ( int_of_string (Lexing.lexeme lexbuf) ) # 105 "naturel.ml" 1 # 11 "naturel.mll" ( naturel lexbuf ) # 110 "naturel.ml" 2 # 12 "naturel.mll" ( raise Erreur ) # 115 "naturel.ml" ocaml_lex_state lexbuf.lexing.refill_buff lexbuf; ocaml_lex_naturel_rec lexbuf ocaml_lex_state # 14 "naturel.mll" # 125 "naturel.ml" Pour utiliser cet analyseur, nous devons le compiler, le charger et l appeler : $ ocamlc naturel.ml $ ocaml OCaml version... # #load "naturel.cmo" # Naturel.naturel ( analyseur lexical ) : Lexing. lexbuf int = <fun> # Naturel.naturel (Lexing.from_string "1234abcd") : int = 1234 # let buf = Lexing.from_string "1234abcd" ( on nomme le tampon de lecture ) val buf : Lexing. lexbuf = {... } # Naturel.naturel buf ( quel est le prochain lexème? ) : int = 1234 # Naturel.naturel buf ( reste t il un lexème? ) Exception: Naturel. Erreur. 48