DISCUSSION La colonisation des produits de construction par les moisissures résulte de deux phases : la bioadhésion et la croissance du microorganisme sur un substrat. A ces étapes succède la dissémination à l'ensemble du local des moisissures, sous forme d aérosols de spores, issues de la nouvelle biomasse fongique produite. Nos travaux ont consisté à caractériser les étapes de colonisation des produits de construction par les moisissures en étudiant, plus particulièrement, l'impact de ces matériaux sur le développement fongique. Les recherches réalisées à ce jour sur la colonisation des supports inertes par ce type de microorganismes consistent essentiellement en des études de terrain (Botton et al., 1985; Samson et al, 1994; Beguin et Nolard, 1994; Beguin, 1995; Hyvärinen, 2002). D'un point de vue normatif, une méthodologie destinée à évaluer l'action des microorganismes sur les matériaux plastiques existe (NF EN ISO 846, 1997). A notre sens, cette procédure de test, peu instructive, est limitée méthodologiquement tant au niveau du mode de contamination que des techniques mises en œuvre pour évaluer la colonisation. Concernant la contamination liquide préconisée, outre de modifier les caractéristiques physico-chimiques du produit qui conditionnent la bioadhésion, elle ne tient pas compte du stress spécifique auquel les microorganismes aérosolisés sont naturellement soumis. Ce stress va conditionner leur survie et leur développement sur les supports. Une solution intermédiaire serait de reproduire la contamination via un aérosol liquide, solution adoptée par Griffiths (1996). Cependant, ce mode d'aérosolisation réduit considérablement le taux de spores capables de se développer : de l'ordre de 20 % pour des spores de Penicillium expansum issues d'une culture de 7 jours (Griffiths et al., 1996). Dans ce contexte et de manière à reproduire le plus fidèlement possible la contamination naturelle des surfaces par les moisissures, nous avons mis au point un montage original d aérobiocontamination utilisant la dispersion, par soufflage d'air, des spores fongiques à partir d'un milieu de culture solide. La caractérisation de notre système, selon divers paramètres biologiques et physiques, montre que, dans des conditions de fonctionnement adéquates, ce banc expérimental permet de générer un aérosol dont 85 % des spores issues d'une culture de 7 jours sont capables de germer. - 107 -
Néanmoins cette proportion diminue avec l âge de la culture, car rappelons le, après 28 jours d'incubation, 60% des spores collectées se développent. Ce phénomène serait le résultat de l autolyse des cellules, ou plus probablement le passage des spores à l'état quiescent, ces dernières étant susceptibles d'être revivifiées après stimulation chimique ou thermique (Locquin, 1984). Outre son effet sur la capacité des spores à se développer, nous avons démontré que l âge de la culture a un impact sur la dissémination des particules fongiques, la dispersion étant d autant plus importante que la culture est âgée. La propension des spores à être aérosolisées dépend également de l espèce considérée et de l état d hydratation de la culture dont elles sont issues, résultats qui viennent compléter ceux obtenus par Pasanen (1991). En pratique, ces résultats impliquent la nécessité, pour estimer correctement la qualité microbiologique des locaux, de combiner des prélèvements de surface et atmosphérique. Par ailleurs, notre banc expérimental nous permet de simuler la contamination de surfaces d un bâtiment qui seraient fortement contaminées avec des niveaux de contamination supérieurs à 10 4 part/cm 2, ou d'obtenir une aérobiocontamination très faible des supports (moins de 10 part/cm 2 ), permettant ainsi d'étudier le comportement individuel des particules biologiques. De plus le dispositif permet de contaminer les surfaces avec une ou plusieurs espèces fongiques représentatives de la flore fongique des environnements intérieurs et impliquées dans la contamination des produits de construction (Botton et al., 1985; Hunter et al; 1988; Pasanen et al., 1992; Beguin et Nolard, 1994; Beguin, 1995; Samson et al, 1994). Nous avons étudié le phénomène d adhésion, étape primordiale dans la colonisation des matériaux de construction par les moisissures. Actuellement, les recherches sur ce sujet concernent essentiellement la fixation des moisissures pathogènes sur des tissus biologiques (Nicholson et al., 1993; Bouchara et al., 1994; Osherov et May, 2001). Nos essais, réalisés in situ sur des surfaces inertes, révèlent que, en ne tenant pas compte de leur topographie, l'hydrophobicité des supports est un paramètre déterminant dans le phénomène de fixation des particules fongiques. Ainsi, nous identifions les surfaces hydrophiles lisses comme étant un des moyens pour limiter la fixation et donc la colonisation des supports par les moisissures. - 108 -
Toutefois, de telles surfaces hydrophiles sont susceptibles de favoriser l'adhésion d'autres microorganismes tels que certaines bactéries aéroportées hydrophiles (Robine, 1999). Par ailleurs, comme l'a démontré Boulange-Petermann, en 1993, des traitements de surfaces tels que le nettoyage, le polissage ou encore l'encrassement, peuvent modifier les propriétés de surfaces, rendant un support initialement défavorable à l'adhérence des particules biologiques, finalement propice à leur fixation. Une fois fixés sur le substrat, les microorganismes vont s'y développer, si les conditions sont favorables. La littérature nous a permis d'identifier la teneur en eau, le ph et le ratio carbone-azote comme étant les principaux facteurs conditionnant la croissance des moisissures (Adan, 1994; Carlile et Watkinson, 1994; Dix et Webster, 1995). Toutefois la quasi-totalité des études réalisées sur le développement des moisissures dans les environnements intérieurs se focalisent exclusivement sur le rôle de l'humidité du support et/ou de son environnement, négligeant l'impact de la nature du substrat. Par ailleurs, concernant l'évaluation de la colonisation des produits de construction par les moisissures, une approche qualitative est généralement adoptée (observation macro et microscopique) (NF X 41-520, 1968 ; NF EN ISO 846, 1997 ; Andersson et al, 1997 ; Ritschkoff et al., 2000). Cette approche, facile à mettre en œuvre, ne permet pas d'évaluer finement une croissance qui se produirait exclusivement dans la matrice d'un matériau composite, par exemple. En effet, lors de sa fabrication ou son stockage, un produit peut être contaminé, dans sa masse, par des moisissures, qui, à l occasion d un dégât des eaux vont pouvoir, même dans un environnement "microbiologiquement sain", se développer. Bien qu'invisible, cette colonisation peut se révéler nocive pour les occupants, de par les mycotoxines et composés organiques volatils émis par les microorganisme lors de leur développement (Malléa et Charpin ; 1986 ; Miller, 1990 ; Schiefer, 1990 ; Tuomi et al, 2000). En complément des méthodes d'observation classiques, nous avons ainsi utilisé une technique, basée sur le dosage biochimique d un constituant cellulaire spécifique des moisissures, l ergostérol, qui nous permet de quantifier la biomasse fongique totale produite. Abordé en microbiologie environnementale, en particulier pour définir la qualité des sols (Davet, 1996), nous avons démontré l'importance du ratio carbone-azote couplé au ph dans le développement des moisissures sur les produits de construction. Ainsi, des essais réalisés sur des supports tests nous ont permis de montrer que, selon leur - 109 -
composition, certains substrats présentent une croissance mycélienne dès huit heures d'incubation, d'autres «résistent» à l'attaque des moisissures plus de cinquante heures. Pour ces derniers, il est possible que leur séchage intervienne avant que le microorganisme n'ait eu le temps de sporuler et donc se disséminer dans l'ensemble du local. Outre de différer le développement des moisissures, la nature du substrat influe sur la biomasse produite. Nous avons exprimé ce paramètre sous la forme d'un modèle mathématique qui traduit les potentialités du substrat en s'affranchissant des paramètres environnementaux, notamment l'humidité, qui est le principal facteur considéré dans les modèles de croissance fongique publiés (Viitanen, 1997; Clarke et al., 1999; Patriarca et al., 2001; Sautour et al., 2001). Si la détermination du C/N n'a pu être réalisée sur les matériaux, nous avons démontré qu'une augmentation de la teneur en azote d un produit initialement propice au développement fongique est efficace pour réduire cette croissance. A l inverse l apport de nutriments via l encrassement des surfaces peut entraîner le développement des moisissures sur des matériaux initialement inertes. Ainsi, l'ensemble des expériences réalisées lors de notre étude et la maîtrise de nouveaux outils adaptés tant à la contamination qu à l évaluation de la croissance fongique sur tous types de supports, nous a permis d'établir une classification des produits (Tableau I). Classification CF (-) CF (0) CF (+) Résultats Absence de croissance fongique sur le support propre et encrassé. Le produit est considéré comme fongistatique Absence de développement fongique sur le support propre mais croissance sur l'échantillon encrassé. Le matériau est inerte Croissance fongique sur le produit propre : le matériau contient des substances nutritives permettant le développement fongique. Le matériau est vulnérable Tableau I : Classification des produits de construction selon leur vulnérabilité vis-à-vis d'une contamination fongique aéroportée - 110 -
D'après cette hiérarchisation, parmi les sept produits de construction testés, on peut considérer que le béton est fongistatique CF (-), son caractère fortement alcalin étant probablement à l'origine de l'absence de développement que le matériau soit propre ou encrassé. Concernant la dalle de parement, elle apparaît comme un support inerte CF(0). La composition exclusivement minérale de ce produit est sans doute responsable de l'absence de croissance fongique. Les cinq autres matériaux testés sont classés vulnérables CF(+), la toile de verre étant le produit le plus propice au développement d Aspergillus niger, la plaque de plâtre se révélant la plus défavorable à ce microorganisme. Au sein du groupe CF(+), le dosage quantitatif de la biomasse produite permet de classer plus finement ces produits. Ainsi du plus favorable au plus résistant vis-à-vis des moisissures, nous avons : Toile de verre > papier peint vinyle > liège > dalle de plafond > plaque de plâtre. - 111 -