Témoignages de Anne-Marie Benoit et Martine Boudreault Première partie Pour débuter et afin de vous mettre en contexte je vais vous expliquer comment la maladie mentale et l Islam se sont installés dans ma vie. J avais terminé un baccalauréat en psychologie à l Université de Trois-Rivières ainsi qu un Certificat en Immigration et Relations Interethniques à l Université du Québec à Montréal en 1996-1997. Durant mon séjour là-bas, j ai rencontré un réfugié politique du Yémen. Pour ceux qui ont lu le livre intitulé : «Les manipulateurs sont parmi nous» de Isabelle Nazare-Aga, j ai constaté, grâce à cette lecture, qu il avait tous les critères d un «MANIPULATEUR» en plein contrôle de son art. J ai vécu avec lui de février 1997 à avril 1998. Après cet épisode de ma vie, j ai sombré tranquillement dans la folie. Le Yéménite m avait tellement déprogrammé l esprit, qu il était en plein contrôle de mon existence. Il me disait lire dans mes pensées et me contrôler à distance grâce à une mèche de mes cheveux. Il me faisait croire au gri gri africain et se servait de l Islam d une manière malveillante afin de posséder mon avenir et chaque moment de mon existence. Je voyais des ombres et j avais des sensations corporelles étranges et inconfortables. Bref, je n étais plus sûr de rien et ma confiance en moi s est détériorée. Je ne m appartenais plus. Je suis retournée vivre chez mes parents et nous sommes déménagés au sud de Québec en juillet1998. À l automne 1998, je me suis inscrite à un certificat en sciences humaines des religions à l Université Laval dans le but de comprendre ce qui m était arrivé. Cependant, le mal était déjà fait et la manipulation avait fait son œuvre. Je me perdais dans des discussions à n en plus finir avec mes parents et en avril 1999 j ai rencontré mon psychiatre pour la première fois à l Hôtel-Dieu de Lévis. Je souffrais profondément et je me frappais la tête avec les poings, seule dans ma chambre. J avais l impression que mes professeurs me trouvaient étrange. Selon mon psychiatre j étais en psychose brève. Ce n était pas encore la schizophrénie paranoïde malgré que le Yéménite occupait souvent mes pensées. Mon psychiatre m a prescrit du Zyprexa à l époque sans savoir que mon poids corporel augmenterait de 100 livres en très peu de temps. Je ne me sentais pas mieux mentalement et malgré cela je suis partie seule apprendre l anglais à Ste-Catherine en Ontario en mai 1999. Je me questionnais énormément. Je n étais pas stable émotivement et j étais devenue extrêmement influençable. Je planais au-dessus de la société. Je ne faisais plus partie du monde d ici-bas. Je voulais me purifier pour guérir de ma maladie.
Durant mes cours d anglais intensifs, j ai participé à un événement multiculturel. Il y avait une porte ouverte dans une Mosquée et je me suis convertie à l Islam. C était le seul moyen pour moi de continuer à atteindre l ultime purification. Après ma conversion tout s est mis à s amplifier, mes symptômes s alourdissaient, je priais souvent. J étais toujours la première à la Mosquée pour la prière du vendredi. J étais très encouragée dans mes démarches parmi la communauté musulmane de l Université. Je croyais que tous les musulmans lisaient dans mes pensés, donc je devais me purifier l esprit en apprenant jusqu aux moindres petits détails de cette religion. Je ne m appartenais plus, j étais un «disciple d Allah». La vie d ici-bas ne comptait plus, je cherchais la perfection pour entrer au Paradis. La maladie prenait trop de place et je me promenais d une famille musulmane à l autre ayant arrêté mes cours d anglais. Finalement, je suis retournée chez mes parents avec le voile musulman sur la tête. Ceux-ci ont eu un choc culturel en me voyant. Quelque temps après je suis entrée d urgence à l hôpital en secteur protégé à Lévis. Je vivais désormais avec la schizophrénie paranoïde. Mes parents voulaient me protéger et avaient de la difficulté à accepter ma conversion à l Islam puisque la maladie mentale me faisait souffrir. Les deux états en moi s entremêlaient, je me sentais souvent persécutée et ce n étais pas causé seulement par la maladie, la religion me demandait beaucoup d efforts et je n étais plus capable mentalement et physiquement de satisfaire aux exigences de l Islam. J avais peur d être rejetée et je me sentais coupable. Je m auto-stigmatisais. Je continuais à fréquenter un Imam (chef religieux musulman) par téléphone et mes parents voulaient que mon psychiatre m empêche de faire des projets d avenir avec lui. Bien entendu ce n était pas possible. L Islam étant la deuxième religion au monde, je n étais pas dans une secte. Malgré le désaccord de mes parents, ma mère repassait mes foulards. Comme si elle voulait me faire comprendre qu elle serait toujours là peu importe les épreuves que nous vivions ensemble. Mes parents ne m ont jamais stigmatisée au contraire ils voulaient me protéger de tout de moi, de la maladie, de la religion, des gens malveillants qui peuvent profiter d une jeune adulte en souffrance. À la fin de l été 2000, je suis tout de même allée rejoindre l Imam. Je me suis inscrite à l Université d Hamilton en Ontario pour suivre un programme d étude Islamique en anglais. Quelques semaines plus tard la maladie avait pris toute la place. J ai dû abandonner mes études. J ai donc cherché du travail à l Immigration au gouvernement. Je ne ressentais pas la stigmatisation étant constamment dans le cercle vicieux de la purification. Il ne faut pas oublier que je croyais encore que les gens que je côtoyais lisaient dans mes pensées et je souffrais beaucoup d être dévoilée intérieurement de la sorte. J étais épuisée!!! «Maman au secours vient me chercher!!!». Sachant que l Imam était absent pour deux jours mes parents sont venus me chercher d urgence. Encore un séjour à l hôpital
Je n ai jamais été stigmatisée par la communauté musulmane. Les musulmans croyaient peut-être que j avais une Foi si grande que j étais très proche d Allah que les épreuves à surmonter étaient à l égal de mes capacités, donc j en étais capable seule. J ai commencé à me sentir stigmatisée le jour où j ai débuté ma recherche d emploi dans la ville de Québec. Cependant, je veux mentionner que je cherchais un travail en intervention sociale avec le voile musulman sur la tête. Plus tard, j ai compris qu une Québécoise avec le voile et prenant une médication psychiatrique ce n était pas chose courante, donc la confiance des employeurs envers moi était quelque peu ébranlée. À un certain moment je ne savais plus quoi faire de ma vie et croyais ne plus être en mesure de travailler étant sur l aide sociale «contrainte sévère à l emploi». Cet état de fait en disait long sur la catégorisation avec laquelle je devrais vivre désormais. Je demeurais stable mais mélancolique et immobile, j avais perdu ma faculté de développer mes projets d avenir. Mes rêves étaient disparus. C est à ce moment que mon psychiatre m a suggéré d assister aux ateliers de l hôpital de jour de l Hôtel-Dieu de Lévis. Mon but n était pas d apprendre de la théorie mais bien de partager avec des êtres humains. Qu ils soient utilisateurs de services comme moi ou spécialistes, les échanges étaient chaleureux et bienfaisants. Je me sentais mieux et plus vivante et recommençais à avoir des buts. Ensuite, j ai habité dans un appartement supervisé et je voulais travailler. Mon travailleur social m a trouvé un boulot dans un centre de travail adapté à Duberger. J allais donc travailler deux jours semaine et ma santé mentale allait mieux. Peu à peu ma vie a changé. J avais plus d énergie et après trois ans de travail comme secrétaire-réceptionniste, j ai cherché un autre endroit pour travailler. Je cherchais une opportunité qui me permettrait d utiliser mes compétences en intervention que j avais acquises durant mon Baccalauréat en psychologie. Mais le doute d avoir un tel emploi un jour me limitait dans mes démarches et ma confiance en souffrait beaucoup. En janvier 2008, j ai été engagé à l AQRP (Association Québécoise pour La Réadaptation Psychosociale). J aidais à l organisation du XIVe Colloque qui a eu lieu à l automne 2008. De plus, j ai eu la chance de participer à la première formation des Pairs Aidants au Québec. Durant la formation, j ai appris à me servir de mon cheminement de rétablissement pour faire émerger une étincelle d espoir dans l esprit de ceux vivant comme moi la maladie mentale. Donc j étais devenue pair aidante. Suite à cela toutes mes actions pour m en sortir menaient à des succès. J ai appris à vivre avec la maladie. Pendant un an et demi j ai travaillé au Café Le Globe du Pavois de Québec comme animatrice-responsable et également, avec fierté, comme pair aidante. Je travaille actuellement au CLSC comme pair aidante au sein de l équipe régionale du plan novateur d intégration sociale.
Le temps passe vite mais jamais je ne vais oublier toutes les personnes qui m ont donné du courage. Parfois un sourire, d autre fois une parole chaleureuse et humaine. Malgré l enfer des psychoses, il y a de l espoir et c est très précieux. Je souhaite que ce petit bout de texte vous fasse réfléchir, car c est possible d avoir une qualité de vie même avec un vécu parsemé d embuches et surtout un diagnostique qui peut être mal interprété par des gens qui ignorent la maladie mentale. Il n en tient qu à nous de refuser la stigmatisation tout en se donnant les moyens de se rétablir. Deuxième partie La deuxième partie de l atelier sera consacrée au témoignage de Martine Boudreault. Voici un bref résumé : Je vous présente ici mon long chemin comme personne vivant avec le trouble bipolaire aidé par un proche, c est-à-dire de mon amoureux qui demeure toujours aussi présent dans ma vie d aujourd hui. En fait, au début de mes études, j ai toujours été une personne avec de grandes ambitions professionnelles. Après avoir réussit ma technique en éducation spécialisée, j ai poursuivi mes études en psycho-éducation tout en travaillant pour certains organismes en même temps. Mon expérience m a amené à travailler en centres d accueil pour jeunes délinquants; à la maison de transition Expansion-Femmes de Québec pour les femmes délinquantes; ainsi qu à la cour criminelle au palais de justice de Québec afin de proposer à leur clientèle des alternatives à la détention. C est malheureusement au moment où je poursuivais mes études à la maitrise en counseling et orientation de l université Laval que ma vie a complètement basculée. Après une dépression majeure qui dura entre 2 à 3 mois, mon psychiatre m a diagnostiqué le trouble affectif bipolaire de type 2. À ce moment là, j étais en couple depuis 8 ans avec l homme que j aimais et avec qui je devais me marier prochainement. Je travaillais de nuit à la maison de transition tout en passant beaucoup d heures en journée afin d avancer mon essai de maitrise sans compter mon temps passé pour la maison et les amis(es). Je ne me voyais pas aller et c est ainsi que je n ai rien vu venir de cette déprime et de ces idées noires.
Âgée que de 25 ans, je me rappelle que la relation avec mon conjoint de l époque s est vite détériorée dû à de nombreuses actions stigmatisantes que je reconnais davantage aujourd hui. Tels que le terme trouble de santé mentale, les nombreuses étiquettes attribuées si facilement et le fameux diagnostique psychiatrique. Je ressentais de sa part une honte et une incompréhension totale face à mon diagnostique! J ai aussi perdu mon travail rapidement et sans compter les nombreux amis(es) qui avec le temps me laissaient tomber. Fort heureusement, mes parents m ont hébergé pendant tout ce temps à la maison familiale tout en continuant à me soutenir quotidiennement durant cette descente aux enfers qui dura une dizaine d années. Quelques personnes seulement sont demeurées auprès de moi, certaines amies et mon copain Luc qui a prit le temps de m aider à mieux comprendre et combattre tout ce que mes préjugés me faisaient vivre. C est durant cette longue période ou de l espoir au découragement, Luc, mon ami de longue date, devint mon amoureux. Il m apportait cette force afin de mieux comprendre ce qui me causait tant de souffrances intérieures. Je parle ici de cette auto-stigmatisation qui prenait beaucoup de place en moi. Ensembles, tous les deux depuis 17 ans nous avons beaucoup travaillé sur cet aspect de la maladie et, au fil des années, nous sommes parvenus à cheminer avec un certain succès. Aujourd hui je travaille, ma vie sociale est plus que satisfaisante et ma confiance en moi s améliore de jour en jour. Bien sur il y a encore des périodes plus difficiles mais ma capacité à les accepter fait en sorte que j en ressorts toujours plus forte.