LES ARTS NUMÉRIQUES L'Atelier Auteur «ATELIER RACONTÉ» : LE VJING Romuald Beugnon Date 2010 Descriptif Témoignage d'un réalisateur intervenant sur le Vjing : présentation d'une démarche menée dans le cadre d un atelier destiné aux enfants et aux adolescents. «J ai eu plusieurs fois l occasion, au cours d ateliers, de proposer une initiation au VJing. Cette pratique a toujours eu un succès immédiat auprès des jeunes qui en apprécient l aspect intuitif et direct. Toutefois, au-delà de ce côté ludique, le VJing me semble être un puissant outil d éducation à l image. I. Pourquoi un atelier Vjing? Un rapport direct à la matière La méthodologie employée pour réaliser un film en atelier, qui passe par toutes les étapes, de l écriture au montage, est très pertinente, mais elle reste parfois abstraite pour des jeunes qui n ont pas l habitude de s investir sur un projet à moyen ou long terme. Dans le cas d un atelier VJing, les participants peuvent manipuler et obtenir des résultats dès la première demi-heure. Même si, par la suite, comme nous le verrons plus tard, le processus d élaboration d une performance s apparente à celui d un film, ce rapport direct à la matière est préservé : chaque nouvelle image tournée peut instantanément être ajoutée dans le programme de VJing pour y être retravaillée de manière intuitive. Ces allers-retours incessants permettent aux participants de visualiser progressivement leur travail final. Il faut ajouter à cela la dimension instrumentale du VJing. Une performance s apparente plus à un concert qu à la projection d un film fini et son rendu n est jamais meilleur que lors de sa présentation publique. Un autre regard sur les images Une des difficultés que l on peut rencontrer lorsqu on anime un atelier de fiction, c est de faire comprendre qu un film n est pas qu une affaire de narration et de dialogues, qu une image peut avoir une qualité esthétique qui crée du sens et que ce sens peut être renforcé par le montage. Les logiciels de VJing, qui permettent de jouer, en temps réels, sur les paramètres plastiques d une image, inversent le rapport habituel entre «le fond» et «la forme». En s affranchissant de la narration et de la nécessité de finaliser un film, le VJing fait passer cette expressivité au premier plan. On peut, par exemple, demander aux jeunes de créer des images qui leur plaisent et de les faire interagir en libre association. Ils sont souvent surpris de découvrir que leurs plans ne sont pas univoques, qu ils prennent différents sens en fonction de leur étalonnage, de leur vitesse de défilement, et des autres images avec lesquelles ils sont associés. Il est d ailleurs intéressant de faire «jouer» le même ensemble de plans par différents participants et de comparer leurs «interprétations». 1/5
Une pratique transversale Un VJ, dans sa performance, va le plus souvent utiliser des images vidéo qu il a mises en scène. Mais il peut aussi y adjoindre des plans documentaires, des images d archives, du found-footage, des photos, des dessins, des infographies, des plans en stop-motion Une fois les images collectées, il va procéder à différents pré-montages ou libres associations et faire, s il le souhaite, un travail d effets spéciaux ou de compositing. Enfin, les images seront associées le plus souvent à une musique, mais il est également possible de faire un travail de bruitage, de design sonore ou même d écrire un texte qui sera lu (voire chanté) en direct. Suivant la durée de l atelier et les éventuelles compétences initiales des participants, tous ces domaines peuvent être abordés par les jeunes successivement ou même simultanément. Ainsi, récemment, j ai eu l occasion de partager un atelier en trois groupes : le premier tournait des images de danse, le second réalisait des plans en animation d objets, tandis que le troisième choisissait avec moi l étalonnage des images déjà validées. Bien organisé, un atelier VJing devient, en quelque sorte, un atelier audiovisuel à la carte, offrant la possibilité d aborder différentes pratiques habituellement cloisonnées. II. Difficultés spécifiques Il me semble important de souligner quelques difficultés qui, si elles ne sont pas bloquantes, restent à étudier avant d envisager d organiser un atelier VJing. Une pratique méconnue Pour quelqu un qui n y a jamais assisté, il est difficile d imaginer à quoi peut ressembler une performance de VJing. C est vrai pour les jeunes, c est vrai également pour leurs parents et pour les personnes travaillant dans la structure d accueil. Il est compliqué, dès lors, d inciter les jeunes à s inscrire à une activité qu on est bien en peine de leur décrire. Pourtant, une fois l atelier en place, il suffit de quelques minutes de démonstrations et d essais pour que les participants comprennent de quoi il retourne. Plutôt que d expliquer de manière abstraite le concept de mix vidéo, il est en fait souhaitable d évoquer avec les futurs participants le déroulement de l atelier, les différentes activités qui le composeront et, surtout, la valorisation qui en est envisagée. Une relative difficulté technique Si, comme je l ai déjà indiqué, les jeunes sont capables dès les premières minutes de s amuser à mixer les images de manière intuitive, il leur faut, par la suite, un certain temps pour maitriser réellement les outils, et être en mesure d obtenir un résultat satisfaisant. Je pense qu un atelier long, où l on va tenter d acquérir cette maitrise, est plus adapté à des jeunes de plus de 14 ans ou ayant déjà une pratique de la vidéo, de la musique ou du DJing. Une absence de produit fini Le but d un VJ est de produire une performance live, un objet éphémère et fluctuant, et non un film destiné à la projection. Il est heureusement possible d enregistrer les rendus vidéos. Mais ces enregistrements ne seront jamais aussi spectaculaires qu une prestation en temps réel. Cette absence de produit fini peut apparaitre comme frustrante si elle n est pas prise en compte dès la conception de l atelier. C est pourquoi, dans l idéal, un atelier de VJing devrait être associé à un événement, festival, concert, fête de quartier où les jeunes auront l occasion de montrer leur travail face à un vrai public. Cette représentation peut d ailleurs donner lieu à une captation vidéo qui sera le véritable «produit fini». Si cette valorisation n est pas possible, il est peut-être pertinent de requalifier l atelier comme j ai déjà été amené à le faire. Par exemple, je peux citer le cas d'un atelier où, bien que nous ayons fait du VJing pendant 4 jours, notre objectif final a été de produire un clip musical. Les improvisations des jeunes ont ainsi été enregistrées puis remontées dans un logiciel de montage traditionnel. 2/5
III. Elaboration d une performance En atelier, la conception d une performance doit s élaborer en collaboration avec les jeunes : à chaque étape, l intervenant professionnel déterminera ce qui est accessible et intéressant pour eux. Je précise que si les étapes se succèdent de manière chronologique, il est possible et souhaitable de les mélanger ou de recommencer plusieurs fois le processus afin de construire une maquette qu on affine progressivement jusqu au rendu final. Cette façon de procéder, outre qu elle évite la monotonie de journées consacrées à une seule tâche, permet de valider les idées au fil de l eau et de stimuler l imagination. Ecriture Suivant l âge des participants, cette phase de conception sera plus ou moins développée. Il convient, la plupart du temps, de définir un thème en amont, ou un cadre pour la valorisation. Supposons, par exemple, que la valorisation prévue soit d accompagner visuellement un groupe local lors d une fête de quartier. On pourra écouter chaque morceau avec les jeunes, puis faire des tours de table où chacun parlera des images que le morceau lui évoque. Cette «écriture» devra, en règle générale, se construire autour de brainstormings et de libres associations verbales plutôt qu individuellement avec un papier et un crayon. Collecte des images Durant cette phase, on proposera à chaque participant de fabriquer un type d images différent suivant ses goûts et ses capacités. J ai eu par exemple l occasion de confier à un jeune, moins à l aise avec le groupe et la caméra mais plus appliqué que ses camarades, la responsabilité d un mini-atelier d animation d objet. Si l on souhaite utiliser des images d archives mais qu on ne dispose pas d un fond particulier, on pourra récupérer des images libres de droit sur des sites comme archive.org. Pour le tournage, les unités DV sont idéales dès qu on recherche une certaine qualité. Elles incitent les jeunes à utiliser le pied de caméra et à penser leur image en termes de cadre. Toutefois, si on souhaite favoriser la spontanéité, on peut aussi utiliser la fonction caméra d un téléphone portable ou d un appareil photo. J utilise, par exemple, un compact de la gamme Lumix de Panasonic, ces appareils ayant le gros avantage de produire des vidéos directement exploitables dans les logiciels de VJing. Suivant le nombre de participants, il faudra prévoir une ou deux unités de tournage. Même si, a priori, le son n est pas une priorité, une perche et un micro peuvent être utiles pour enregistrer voix off et bruitages. Par ailleurs, il arrive que l on décide d utiliser le son synchrone de quelques images. Si l on envisage de faire de l animation d objets image par image, il faudra prévoir une petite salle à l écart, un pied et un appareil photo (idéalement un reflex numérique, mais un compact disposant d un mode «manuel» peut suffire). Pour l éclairage, des «mandarines» (projecteurs 800w de cinéma) sont idéales, mais on fait aussi des merveilles avec des halogènes et des lampes de bureau. Dérushage et composition de la performance L'objectif est de choisir collégialement les images ou boucles «intéressantes». Après une éventuelle conversion des images, les boucles seront placées sur la grille du logiciel. Une nouvelle phase, plaisante pour les participants, est celle du choix des différents réglages d images (colorimétrie, vitesse ) et des effets divers. Assignation et prise en main Le travail d assignation offre de nombreuses possibilités qui dépassent de très loin ce que l on peut proposer en atelier. A moins de travailler avec un petit groupe de jeunes adultes que cette phase pourrait intéresser, l intervenant aura pris soin de définir, en amont, des assignations simples et adaptées à son public. En revanche, la phase de pratique instrumentale et de répétition de la performance constituera, avec les différents tournages, le cœur même de l atelier. 3/5
IV. Propositions d ateliers Si le contenu doit être défini par les organisateurs et l intervenant en fonction de la durée, du public, des moyens à disposition et des attentes, je vous propose la description de trois ateliers «type», qui vous permettront de constater la flexibilité de l outil. Je précise qu il ne s agit pas là de solutions «clefs en main», et que la présence d un intervenant professionnel est un pré-requis. Initiation au VJing Durée : 2 à 4 heures. Il ne s agit pas ici d un véritable atelier mais d une simple découverte de l outil. Après avoir expliqué ce qu est le VJing, l intervenant fera une démonstration avant de proposer à quelques participants d essayer l outil. Pour donner à chacun une chance de manipuler, on pourra proposer aux jeunes de mixer à quatre mains (l un clique sur les samples, l autre mixe les images ou applique des effets). La démonstration se fera avec des decks simples crées en amont par l intervenant. Toutefois, dans la version de 4 heures, on pourra rajouter un petit tournage en demandant, par exemple, à quelques participants de danser devant un fond neutre pour les incruster dans l image. Atelier «clip» Durée : 5 jours. Les morceaux de musique utilisés peuvent soit avoir été crées par les jeunes, soit être issus du commerce. Dans ce dernier cas, toute diffusion sera plus difficile. Jour 1 Initiation au VJing en utilisant des decks de l intervenant (voir plus haut). Visionnage d une sélection de clips. Ecoute des morceaux proposés par les jeunes et brainstorming. Jour 2 Ecriture du projet : choix des images à tourner ou à collecter. Tournage. Jour 3 Test des images de la veille. Tournage de plans «synchrones» (playback, mise en scène narrative correspondant à des paroles précises de la chanson ). Jour 4 Montage traditionnel des plans «synchrones». Ce montage servira de base par-dessus laquelle se grefferont les improvisations. Par groupe : prise en main de l outil / nouvelle collecte d images. Jour 5 Derniers tournages et collecte. Manipulation de l outil jusqu à obtention d un résultat. Export d un VJing qui pourra, éventuellement, être affiné dans un logiciel de montage «classique». Atelier VJing avec valorisation Durée : 10 jours (pas forcement consécutifs). Pour cet exemple, je pars du principe que l atelier se déroule dans le cadre d un événement bien particulier comme un concert, un spectacle de danse, une soirée dansante animée par un DJ, etc. Il faut, dans un cas comme celui là, que les «artistes associés» acceptent d intégrer les jeunes VJs à leur prestation, et soient prêts à échanger avec eux en les laissant filmer des répétitions (pour un spectacle) ou (pour les DJs et musiciens) en leur donnant les morceaux joués ce jour là. Globalement, l organisation par journée reprend celle de l atelier «clip» avec davantage de pratique et un travail de conception plus poussé. La durée relativement longue permet plus de souplesse dans l emploi du temps et ouvre la possibilité d explorer différentes idées. Si les journées ne sont pas consécutives, ont peut imaginer que, dans les intervalles, les participants puissent tourner des images (avec, par exemple, leurs téléphones portables), faire des dessins, récupérer des archives ou s entrainer avec le logiciel. Une demi-journée sera consacrée à une rencontre avec l artiste. Et la dernière journée sera exclusivement dédiée à la 4/5
représentation elle-même, avec installation du matériel, répétions, mise en scène et, bien sûr, performance. Autres pistes Le monde du VJing et de la performance audiovisuelle est très large, et suivant les circonstances, on pourrait imaginer d autres options : - Remixer un film réalisé lors d un atelier précédent ; - Accompagner de A à Z la création d une pièce de théâtre en assurant la partie vidéo ; - Remixer l intégralité d un festival de courts-métrages et participer à la soirée de clôture (par exemple, en jouant des extraits des films primés pendant que les lauréats gagnent la scène)» 5/5