La Princesse de Montpensier. Les figures maternelles

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Transcription:

La Princesse de Montpensier Les figures maternelles

Problématiser Elles sont résolument absentes de la nouvelle de Mme de LF. La seule figure maternelle Catherine de Médicis est désignée comme la «Reine» et non comme la mère de Charles IX et Henri III. Les autres figures féminines qui sont mentionnées dans la nouvelle sont des figures de filles ( Marguerite de Valois, Catherine de Guise ), d épouse ( M.de Valois, Catherine, Mme de Portien) ou d amante (Mme de Noirmoutiers) Au contraire, dans La Princesse de Clèves, c est Madame de Chartres qui préside à l éducation de sa fille alors que le père n est jamais mentionné. Dans La Princesse de Montpensier, les enfants ont des pères mais leurs mères sont absentes.

Chez Bertrand Tavernier : intégration des figures maternelles : les deux jeunes époux sont tous les deux dotés d une mère. le rôle de Catherine de Médicis est renforcé alors qu elle est simplement mentionné dans le film. Elle est flanquée d Anjou et évoque Charles IX : ce n est pas seulement la figure royale qui est en jeu mais aussi la figure maternelle.

D où quelques premières réflexions Madame de LF inclut son héroïne dans un univers résolument masculin en décuplant la puissance des pères. Bertrand Tavernier propose une adaptation dans laquelle ces figures sont présentes.

D où quelques problématiques possibles : Quel sens faut-il donner à cette présence ou cette absence? En quoi ( comme dans le traitement des personnages secondaires ) les choix de l auteure et du cinéaste nous permettent-ils d observer la façon dont l Histoire est traitée et la manière dont se réalise l adaptation?

I-Des choix face au matériau historique Mme de LF et Tavernier à sa suite empruntent leurs personnages à une réalité historique.. 1-Une logique d effacement?

Anne d Este, mère d Henri de Guise est née en 1531 et morte en 1607. Elle est une figure importante à la Cour, pendant les guerres de religion. Elle poursuivit l Amiral de Coligny qu elle jugeait responsable de l assassinat de son mari et après l assassinat de son fils en 1588, elle devient une ardente partisane de la Ligue. Anne d Este peinte au XVIème s par un artiste inconnu.

Jacqueline de Longwy (1520-1561) duchesse de Montpensier et dauphine d Auvergne mariée en 1538 et confidente de Catherine de Médicis. J. de Longwy, Clouet.1550. Musée Condé, Chantilly.

Gabrielle de Mareuil Epouse de Nicolas d Anjou. Mariage en 1541. Elle serait morte vers 1582 soit bien après son mari (mort en 1569) Elle est représentée sur un vitrail de l église de Mézières en Brenne à l occasion de son mariage.

Catherine de Médicis (1519-1589) Elle est l objet comme les derniers Valois d une «légende noire» la peignant comme une créature acariâtre avide de pouvoir. Elle tente d instaurer une certaine tolérance à l égard des protestants (Edit de Janvier 1562) Mais on lui attribue un rôle de premier plan dans le Massacre de La St Barthélémy en août 1572. Atelier de Clouet, Musée Carnavalet

Que conclure de cette mise au point historique? Dans deux cas au moins ( Guise et la duchesse de Mézières ), Madame de LF efface la présence de femmes qui étaient encore vivante au moment où s ouvre le récit ( mariage de Mlle de Mézières) Dans le cas de la mère de Guise, elle efface une femme qui a joué un rôle de premier plan et a eu une place dans le contexte des guerres de religion.

On voit ainsi que Mme de LF prend d incontestables libertés avec la réalité historique. On voit également qu elle choisit de placer son héroïne dans un univers essentiellement masculin régenté par des hommes. C est une façon de marquer le poids des conventions sociales dans une société patriarcale ; mais c est aussi peut-être une manière de renforcer la solitude de Mme de Montpensier. C est aussi une manière de placer son héroïne au coeur du ballet amoureux en en faisant le centre de tous les désirs masculins.

2-Une réhabilitation des figures maternelles?

Quant à Bertrand Tavernier : d une certaine façon, il peut sembler réhabiliter la réalité historique : il donne un rôle à la mère de Marie qui est encore vivante à l époque. mais on voit clairement que ce n est nullement la conformité à la vérité historique qu il privilégie: Il donne au jeune Montpensier une mère décédée en 1567. Il maintient Guise sous l autorité de ses oncles en respectant la nouvelle de Mme de LF En revanche, il rééquilibre en enrichissant le «personnel féminin» dans le film ( de la même façon qu il insère une servante, une duègne, étoffe la présence de Catherine ). Marie de Montpensier se retrouve donc au coeur d un univers qui n est pas seulement un monde d hommes et de pères.

Conclusion Là où Mme de LF semble effacer délibérément les figures de mères, BT paraît les réhabiliter. Reste donc à se demander quelles fonctions elles occupent dans le film et selon quelle composition le cinéaste les insère dans la fiction.

II-Deux figures maternelles construites en opposition. 1-L épouse du Duc de Montpensier est traitée sur le mode comique et satirique.

De façon significative, elle est absente de la cérémonie de mariage tout comme du banquet : le jeune Montpensier se trouve donc momentanément privé de mère : BT insiste ainsi sur le fait que le père est le seul décisionnaire Sa première apparition se fait à l occasion de la séquence intérieur nuit qui met en scène les époux Montpensier chez eux à Champigny à 37mn environ. Le duc fait le récit des tractations du mariage : «Il a été question d attendre votre guérison mais j ai craint que Mézières se reprenne»

La mère semble en parfaite adéquation avec le négoce Sa première réplique : «Et la dot?» BT introduit une notation satirique : «J adore les paons» : cette affection est en parfaite adéquation avec le personnage qui s exprime avec une voix aiguë, aussi peu agréable que le cri du paon. Le dialogue sur les mérites comparés des chiens et des paons introduit lui aussi des notes satiriques même si le réalisateur ne traite pas ses personnages sur le mode de la caricature.

Extraits de dialogue -J adore les paons. Pourquoi ce refus? -Vous oubliez nos chiens qui la nuit montent la garde; ils auraient tôt fait de dévorer les paons -Enfermez les chiens; les paons sont aussi bons gardiens que les paons pour avertir des mauvaises visites! -Les chiens avertissent et mordent. -Mais ils ne pondent pas!

«Mais j adore les paons! Pourquoi ce refus?»

Sa deuxième apparition qui suit immédiatement la précédente ( scène du départ de Champigny)est travaillée par le même registre satirique On perçoit d abord ses geignements hors-champ avant que le personnage apparaisse à l écran. Elle est moquée par la servante : «Elle n arrête pas de se plaindre.» et on continue d entendre ses cris hors-champ tandis qu elle est dans la voiture et que son fils reçoit l ordre de partir sur le champ de bataille.

«Oh, je vais mourir!»

Conclusion Le personnage est malade, alité et cette maladie qui la conduit à la mort : elle est ensuite mentionnée comme «ma défunte» par le veuf joyeux mais BT choisit plutôt la satire et le burlesque ; le spectateur n est pas en empathie. Enfin on voit bien comment elle relaie, approuve la conduite de son mari qui négocie son fils par pur intérêt. La mère apparaît alors comme un autre relais du poids des conventions sociales.

2-Le personnage de la mère de Marie fait l objet d un traitement bien différent Tavernier lui fait faire son entrée à 18mn 47: comme le jeune Montpensier et Chabannes, elle est le témoin de l altercation entre le père et sa fille. BT la montre d abord dans l ombre, puis la fait rentrer dans la lumière en l immobilisant avant de la faire entrer brusquement dans le champ pour parer les coups.

Non!

Elle apparaît également comme une vraie figure maternelle dans la discussion qu elle a avec sa fille Son père était mort jeune, et l avait laissée sous la conduite de Mme de Chartres, sa femme, dont le bien, la vertu et le mérite étaient extraordinaires. Après avoir perdu son mari, elle avait passé plusieurs années sans revenir à la cour. Pendant cette absence, elle avait donné ses soins à l éducation de sa fille ; mais elle ne travailla pas seulement à cultiver son esprit et sa beauté, elle songea aussi à lui donner de la vertu et à la lui rendre aimable. La plupart des mères s imaginent qu il suffit de ne parler jamais de galanterie devant les jeunes personnes pour les en éloigner. Mme de Chartres avait une opinion opposée ; elle faisait souvent à sa fille des peintures de l amour ; elle lui montrait ce qu il a d agréable pour la persuader plus aisément sur ce qu elle lui en apprenait de dangereux ; elle lui contait le peu de sincérité des hommes, leurs tromperies et leur infidélité, les malheurs domestiques où plongent les engagements ; et elle lui faisait voir, d un autre côté, quelle tranquillité suivait la vie d une honnête femme, et combien la vertu donnait d éclat et d élévation à une personne qui avait de la beauté et de la naissance ; mais elle lui faisait voir aussi combien il était difficile de conserver cette vertu, que par une extrême défiance de soi-même et par un grand soin de s attacher à ce qui seul peut faire le bonheur d une femme, qui est d aimer son mari et d en être aimée. Cette héritière était alors un des grands partis qu il y eût en France ; et quoiqu elle fût dans une extrême jeunesse, l on avait déjà proposé plusieurs mariages. Mme de Chartres, qui était extrêmement glorieuse, ne trouvait presque rien digne de sa fille ; la voyant dans sa seizième année, elle voulut la mener à la cour. La Princesse de Clèves, Madame de Lafayette, 1678.

Reprenez-vous, orgueilleuse et soumettez-vous. Vos sentiments pour Henri de Guise sont trop éclatants.( ) et confiez plutôt à votre raison l examen de l avenir.

Ah! ma fille, l amour est la chose la plus incommode du monde.

Plusieurs remarques : Madame de Mézières tient à sa fille un discours de raison et BT place dans sa bouche un extrait de la Correspondance de Mme de LF. Le personnage semble animé d authentiques sentiments pour sa fille : un plan en plongée suggère son émotion au début de la scène de mariage. Fort significativement, BT joue du travelling arrière et de la profondeur de champ pour relier le regard de la mère sur sa fille, et au ciel à lui de Marie comme s il s agissait là de mesurer la continuité entre le sort des deux femmes.

Nicolas d Anjou raconte l art et la manière de nourrir les lamproies Elle donne le signal pour aller récupérer le drap. Dans la chambre nuptiale elle pose sa main sur son ventre.

Qu en conclure? Tavernier semble donner une certaine complexité au personnage: à la fois elle semble authentiquement préoccupée et émue du sort de sa fille. Le rapprochement que l on peut faire avec Mme de Chartres dans La Princesse de Clèves confirme sa posture d éducatrice. plusieurs signes ( travelling lors du mariage, mais posée sur le ventre la nuit de noces) suggèrent qu elle revit à travers le destin de sa fille, ce qui lui est arrivé. La condition des femmes semble donc se perpétuer : Madame de Mézières s oppose à la brutalité de son mari, semble lassée de son mariage (expression d ennui au banquet tandis que son mari parle) mais elle perpétue les rites et ne donne pas d autres conseils à sa fille que celui de suivre la raison et de se soumettre. Elle est animée par le poids des conventions sociales que vise peutêtre à marquer l usage du plan en plongée sur les deux femmes en demiensemble.

III-Une figure de mère remarquable La reine Catherine de Médicis est dotée d une scène dans le film de BT alors qu elle fait une brève apparition dans la nouvelle. Pour mesurer les choix de Bertrand Tavernier, comparons ses choix avec ceux de Patrice Chéreau dans La Reine Margot en 1994 dans lequel le rôle est beaucoup plus développé.

Catherine de Médicis avec son fils, le duc d Alençon Catherine avec le duc d Anjou

1-Une figure maternelle traitée sur le mode comique. BT lui donne un physique de matrone ( différent de celui de V.Lisi qui est plutôt traitée sur le mode arachnéen) La bonne mère : elle se préoccupe de la toux de Charles IX et réclame le sirop comme s il s agissait d un jeune enfant et non du Roi de France. «Subito lo siropo» Elle parle des amours de Guise avec sa fille. L entremetteuse pétrie d astrologie : son discours apparaît plein de superstition ets oppose au discours de Chabannes sur les astres. L opposition entre le mouvement autour d elle et son immobilité lui donne un caractère empesé, tout comme l aspect mécanique de sa diction allié à son fort accent étranger.

Le roi, il est malade, derrière le paravent il désobéit.

2-Mais elle apparaît également comme une figure du pouvoir elle semble d abord faire forte impression sur Marie de Montpensier comme le montrent le jeu du champ/contre-champ et l usage de la plongée et de la contre-plongée qui indiquent que le réalisateur nous donne à voir chacune à travers les yeux de l autre. cette autorité est également suggérée par le silence hiératique d Anjou d ordinaire très disert à qui elle tient finalement la main. Elle partage avec Anjou la capacité de déchiffrer les êtres et de les percer à jour : cf le discours sur les forces contraires qui agitent Marie : Saturne, la droiture et Vénus, la sensualité. Son «Qui va gagner?» suggère qu elle est le relais des études psychologiques de Mme de LF: elle exprime directement ce que la nouvelliste observe. La figure du pouvoir est également induite par une référence à la peinture d histoire : Les Ménines, par exemple. Enfin, le pouvoir est suggéré par les bribes de dialogue au début de la scène ( BT projetait d abord de les mettre à part) mais il se rallie finalement à ce que fait Mme de LF qui suggère un entretien entre Guise et Catherine de Médicis dont le lecteur peut supposer qu il s agit d ourdir en secret la journée de la Saint-Barthélémy. Ses premiers mots «après la messe, Doppo la misa» suffisent à rappeler son attachement à la religion catholique.

Il y a deux puissances contraires sur vous. Réglez cette affaire sans moi! Je veux seulement la conclusion.

Le photogramme permet de montrer les liens entre Catherine et Anjou Elle a fait en sorte que son fils devienne roi de Pologne. Elle facilite son accès au pouvoir ( ce que P. Chéreau, reprenant le roman de A.Dumas reprend à son compte)

Conclusion Les mères sont absentes de la nouvelle de Mme de LF : l éventail des personnages est resserré, ce qui convient bien à l esthétique de la nouvelle ; mais c est aussi un moyen pour l auteure de maintenir son héroïne dans un monde que les hommes régentent. C est Charles IX p 62 qui apparaît bel et bien comme la figure du pouvoir politique et non pas la reine mère comme dans le film de BT. Bertrand Tavernier inclut dans son film 3 figures maternelles en créant des oppositions de registres qui se trouvent mélangés dans le traitement de C. de Médicis. Comme l ensemble des personnages secondaires, les figures maternelles introduisent des variétés tonales qui éloignent le film de la pure reconstitution historique. (cf Que la fête commence du même Tavernier) Les deux mères des époux relaient le discours paternel et contribuent à asseoir l autorité des pères et à confirmer les conventions sociales, qu elles soient sans scrupules et menées par l intérêt (Mme de Montpensier ) ou qu elles soient plus conscientes (comme Mme de Mézières) Mais Catherine de Médicis incarne chez BT une véritable forme de pouvoir : elle sait tout ; agit à des affaires dont on ne sait pas le contenu, préside aux mariages et aux liaisons et comme chez Mme de LF elle est désignée comme une instigatrice possible de la Saint-Barthélémy. Il est important de voir que ces figures maternelles apparaissent possiblement comme le relais de l auteure: Mme de Mézières tient à sa fille des propos empruntés à la correspondance de l auteure Catherine de Médicis sur un mode décalé et travaillé possiblement par le burlesque explicite la lutte entre la vertu et l amour que la nouvelliste s emploie à observer chez son héroïne.