Pour Jane Greenwood, avec beaucoup d amour

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1 WARHOL Eric Shanes

2 Pour Jane Greenwood, avec beaucoup d amour Page 3 : Photo d Andy Warhol à la galerie Antony d Offay, à Londres, Page 6 : Autoportrait, Peinture acrylique et sérigraphie sur toile, 50,8 x 40,6 cm, Collection privée. Auteur : Eric Shanes Traduction : Karin Py Mise en page : Baseline Co. Ltd Nguyen Hue Blvd, District 1 Hô Chi Minh City, Viêt Nam ISBN Confidential Concepts, worldwide, USA Parkstone Press Ltd, New York, USA Warhol Estate / Artists Rights Society, New York, USA Tous droits d adaptation et de reproduction réservés pour tous pays. Sauf mention contraire, le copyright des œuvres reproduites se trouve chez les photographes qui en sont les auteurs. En dépit de nos recherches, il nous a été impossible d établir les droits d auteur dans certains cas. En cas de réclamation, nous vous prions de bien vouloir vous adresser à la maison d édition. Ce livre est la troisième édition révisée de Warhol / The Masterworks par Eric Shanes parue pour la première fois à Londres en 1991.

3 WARHOL La vie et les chefs-d œuvre Eric Shanes

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5 SOMMAIRE La vie 9 Les chefs-d œuvre 96 Pêches au sirop 96 Saturday s Popeye 98 Avant et Après 100 Faites-le vous-même (Paysage) Boîtes de conserve 104 Baseball Billets de un dollar 108 Bouteilles de Coca-Cola vertes 110 Grande Boîte de soupe Campbell s à l étiquette déchirée 112 Red Elvis 114 Triple Elvis 116 Marilyn Dipt ych 118 Gold Marilyn 120 Marilyn Monroe s Lips 122 Optical Car Crash 124 Trouble Racial Rouge 126 Suicide 128 L Af faire du thon contaminé 130 Cinq Morts dix-sept fois en noir et blanc 132 L Accident de voiture orange dix fois 134 Ethel Scull 36 fois 136 Mona Lisa 138 Chaise électrique bleue 140 La Bombe atomique 142 5

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7 Elvis I and II 144 L Homme américain Watson Powell 146 Most Wanted Men (Les criminels les plus recherchés) 148 Boîtes Brillo 150 Fleurs 152 Jackie 154 Boîtes de soupe Campbell s multicolores 156 Papier peint illustré d une vache 158 Marilyn 160 Le Président Mao 162 Le Président Mao 164 Julia Warhola 166 Crâne 168 Le Marteau et la Faucille 170 Ombres 172 Truman Capote 174 Dix-huit Marilyn multicolores (Séries en négatif) 176 Portrait de Joseph Beuys 178 Dollar Signs 180 Pistolet 182 Goethe 184 Sans titre (peint en collaboration avec Jean-Michel Basquiat) 186 Soixante Saintes Cènes 188 Autoportrait camouf lage 190 Sans titre [Empreintes dans le sable] 192 Bibliographie choisie 194 Biographie 196 Liste des illustrations 202 7

8 Statue de la Liberté, Peinture acrylique et sérigraphie sur toile, Collection Daros, Zurich. 8

9 LA VIE Toute forme d art illumine en définitive la culture dans laquelle il est créé, même si cette culture ne sert ordinairement que de simple arrière-plan à la projection de quelque réalité plus idéale ou différente de l artiste. Mais dans le cas du Pop Art, c est précisément la toile de fond de la culture de masse qui a occupé le premier plan de l art lui-même. En magnifiant le manque de goût, l extrême vulgarité ou le kitsch, sous-produits incontournables d une mondialisation croissante de la culture, les artistes ont non seulement attiré ironiquement l attention sur cette dégradation du jugement, mais aussi souligné leur propre détachement à son égard, comme pour affirmer leur position d individus privilégiés, en marge de cette société et vierges de toute corruption. Pour la plupart, ces artistes se contentaient de célébrer la culture pop, mais l un d entre eux celui à qui ce livre rend hommage est allé beaucoup plus loin. En inaugurant tout un éventail de techniques, principalement à travers l isolation de l image, sa répétition et une accentuation de sa ressemblance avec des images imprimées, et par l emploi de couleurs criardes traduisant la violence visuelle si commune à la culture de masse, Andy Warhol jeta souvent une lumière directe ou indirecte sur l anomie moderne ou le dégoût du monde, le nihilisme, le matérialisme, la manipulation politique, l exploitation économique, la consommation ostentatoire, l adoration des héros médiatiques et la fabrication artificielle de besoins et d aspirations. En outre, ses meilleures peintures et sérigraphies prouvent qu il était un brillant créateur d images, doté d un extraordinaire sens de la couleur et du génie du rythme visuel d un tableau, issus de sa profonde compréhension du potentiel pictural inhérent aux formes. (Et c est parce que Warhol réalisa sa principale contribution aux arts en tant que peintre et sérigraphiste, mais aussi en tant que sculpteur occasionnel car s il n avait créé que des films, des livres et le magazine Interview, sa réputation aurait été beaucoup plus limitée et éphémère que ce livre se concentrera volontairement sur ses activités de créateur d images fixes, les activités annexes étant simplement mentionnées pour la façon dont elles déterminèrent son développement d artiste.) De prime abord, les images de Warhol peuvent sembler assez simples. Et pourtant, précisément à cause de cette simplicité, elles ont non seulement un impact visuel immédiat très fort, mais possèdent aussi le rare pouvoir de véhiculer un sens grâce aux associations mentales qu elles déclenchent. Par exemple, la répétition que Warhol employa dans un grand nombre de ses tableaux était conçue pour imiter la colossale reproduction d images utilisée dans la culture de masse pour vendre des biens et des services, y compris à travers des vecteurs de communication comme les films et les programmes TV. Et précisément, en intégrant dans ses images les techniques mêmes de la production de masse, inhérentes à la société industrielle moderne, Warhol reflétait directement les us et abus les plus importants de la culture en accentuant, jusqu à l absurdité, le détachement complet de toute implication émotionnelle qu il constatait partout autour de lui. En outre, tout en faisant partie du mouvement du Pop Art qui utilisait une imagerie inspirée de la culture populaire pour offrir une critique de la société contemporaine, Warhol poussa plus loin les assauts contre l art et les valeurs bourgeoises, inaugurés par les dadaïstes en leur temps. Ainsi, en manipulant les images et la personne publique de l artiste, il fut capable de nous jeter au visage les contradictions et la superficialité de la culture 9

10 et de l art contemporains. Et enfin, c est sa critique incisive de la culture et la vivacité avec laquelle il l exerçait, qui assureront une pertinence durable à ses œuvres, longtemps après que les objets spécifiques qu il représenta (les boîtes de soupe Campbell s et les bouteilles de Coca-Cola) seront devenus obsolètes ou que les personnages éminents qu il dépeignit (Marilyn Monroe, Elvis Presley et Mao Tsé-Tung) se seront simplement mués en superstars d hier. Andy Warhol naquit sous le nom d Andrew Warhola le 6 août 1928 à Pittsburgh en Pennsylvanie. Il était le troisième fils d Ondrej et de Julia Warhola.* Ses parents avaient tous deux émigré d un petit village situé en Ruthénie subcarpatique près de Presov en Slovaquie, ou ce qui constitue depuis 1993 cette partie de la République de Slovaquie située entre les frontières de la Pologne et de l Ukraine, mais qui appartenait alors à l Empire austro-hongrois. Le père de Warhol avait émigré une première fois vers les Etats-Unis en 1907, et avait épousé Julia Zavacky en 1909 au cours d un de ses séjours en Slovaquie. En 1912, il retourna en Amérique, chassé par la menace de conscription de l armée austro-hongroise, mais ce n est qu en 1921 que Julia Warhola put l y rejoindre. Bien que Pittsburgh ait été, et demeure l une des villes industrielles les plus dynamiques des Etats-Unis, la Dépression affecta sérieusement son économie peu après la naissance de Warhol, et son père compta parmi les dizaines de milliers d hommes laissés sans travail par la récession. Mais Ondrej Warhola était un homme plein de ressources et sa famille n eut pas à souffrir excessivement de la crise. En 1932, il retrouva son ancien travail, bien que par la suite il mena une existence assez instable, acceptant n importe quel emploi qui se présentait en Pennsylvanie ou dans les Etats voisins. Vers 1934, il avait retrouvé une aisance financière suffisante pour lui permettre d installer sa famille dans un secteur plus salubre de Pittsburgh et, peu de temps après, son plus jeune fils entra à la Holmes Elementary School où ses talents artistiques se révélèrent assez vite. Dès l âge de neuf ans, Warhol fut encouragé à participer régulièrement aux cours d éducation artistique du samedi matin au Carnegie Institute Museum of Art où son professeur, Joseph Fitzpatrick, l évoquait comme son élève le plus remarquable. Durant ces cours, comme dans son école habituelle, Warhol fut confronté à un large éventail de styles et bénéficia de quelques rudiments d histoire de l art. En outre, les cours du Carnegie Institute lui offrirent également un aperçu de la grande vie, plusieurs de ses coreligionnaires étant issus de milieux très privilégiés qui, comme il le raconta plus tard à l une de ses actrices, lui «firent entrevoir l univers de la richesse et du succès. Il n oubliera jamais ce qu il avait vu». * Andy Warhol n abrégea pas son nom de famille Warhola avant 1949, mais par la suite, nous utiliserons le nom abrégé pour distinguer le peintre de son père. 10

11 Double Autoportrait, Sérigraphie sur deux panneaux, chacune 55,9 x 55,9 cm, The Brant Foundation, Greenwich. 11

12 En 1936, Warhol fut atteint de rhumatisme articulaire aigu qui dégénéra en une légère attaque de chorée ou danse de Saint-Guy, et sa maladie désorganisa quelque peu sa scolarisation pour les années suivantes, sans pour autant affecter notablement ses résultats scolaires. Naturellement, la mère de l artiste fut aux petits soins pour le malade, et Warhol se remémora plus tard ces moments de désœuvrement forcé avec grande affection, comme des occasions de se prélasser en lisant et en découpant des bandes dessinées, ou en écoutant sa mère lui faire la lecture, ou encore en la regardant dessiner pour lui des chats tandis qu il écoutait la radio. Plus tard, comme des millions d autres enfants, Warhol découvrit les magazines dépeignant le glamour du cinéma (bien que, contrairement à la plupart de ses contemporains, lui, allait par la suite faire un usage créatif de cette découverte), et il devint naturellement un spectateur avide, idolâtrant les stars de cinéma, et particulièrement les enfants stars comme Shirley Temple et Liz Taylor. En septembre 1941, Warhol entra à la Schenley High School de Pittsburgh, où ses talents artistiques furent encore encouragés. Mais ces années furent assombries par l aggravation de la maladie et finalement la mort du père de Warhol en mai L homme souffrait depuis plusieurs années d une hépatite, contractée au cours d un de ses déplacements professionnels loin de Pittsburgh, et sa mort contraignit non seulement la famille à compter sur elle-même, mais, et cela est compréhensible, elle communiqua au futur peintre une peur de la mort et de la maladie qui allait finalement se retourner contre lui-même ; cette peur empira encore en 1945 quand Julia Warhola dut subir l ablation d une partie de l intestin, déjà atteinte par le cancer. Après le décès de Warhola senior, le deuxième fils, John, assuma le rôle de chef de famille et la perte du père renforça les liens déjà existants entre Andy et sa mère, des liens qui dureront presque jusqu à sa mort. 12

13 Publicité de chaussures pour I. Miller, The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, Inc., New York. Page 12 : A la Recherche du Shoe Perdu, Lithographie et aquarelle, chacune 24,5 x 34,5 cm, The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, Inc., New York. 13

14 Warhol obtint son diplôme de la Schenley High School en 1945 ainsi qu une place au Carnegie Institute of Technology (aujourd hui Carnegie-Mellon University) de Pittsburgh, choisissant le graphisme comme matière principale. Ses professeurs les plus importants étaient Robert Lepper et Balcomb Greene. Au début, Warhol rencontra quelques problèmes au Carnegie Tech, dont le moindre n était pas son fort accent, qui le rendait difficile à comprendre. Il souffrait aussi du besoin d affirmer sa personnalité artistique. Très fréquemment, le garçon timide et malléable produisait des œuvres visiblement conçues pour plaire à ses professeurs plutôt que pour exprimer sa propre vision des choses. Par conséquent, à la fin de sa première année (et aussi pour faire de la place aux vétérans de la guerre qui désiraient étudier en vertu de leur droit à la réinsertion), Warhol fut menacé d exclusion des cours. Ceci eut un effet galvanisant sur lui et, pendant les vacances qui suivirent, il travailla d arrache-pied à réaliser des dessins de la vie quotidienne à Pittsburgh, tout en effectuant régulièrement avec son frère Paul sa tournée matinale de livraison de fruits et légumes. A l automne, au moment où le collège reprit, Warhol avait déjà réalisé quelques excellents travaux qui non seulement lui permirent de reprendre sa place au cours de graphisme et lui valurent une exposition au sein du département artistique, mais, plus significatif encore, lui rapportèrent les 50 dollars du prix Leisser, décerné au meilleur travail de vacances réalisé par un étudiant. Cette récompense pourtant relativement insignifiante possédait une valeur inestimable pour Warhol, car elle venait renforcer sa confiance en lui, spécialement après la crainte de l expulsion. Jusqu à la fin de sa vie, Warhol eut peur de l échec et il est facile d identifier l événement qui, dans sa jeunesse, pouvait en être l origine. Warhol bénéficia d une excellente et complète formation artistique au Carnegie Institute of Technology, car le département d art prenait ses responsabilités très au sérieux : le niveau académique était par conséquent élevé, l influence du Bauhaus allemand se faisait fortement ressentir. Ceci était dû à l enseignement et aux écrits de deux membres du Bauhaus qui avaient immigré aux Etats-Unis, en l occurrence Josef Albers et Laszlo Moholy-Nagy. Warhol lut le livre de Moholy-Nagy Vision in Motion (Vision en mouvement) alors qu il étudiait au Carnegie Tech et, plus tard, il s en inspira indirectement dans certaines images. C est dans un autre livre de Moholy, The New Vision (La nouvelle vision), qu il a pu appréhender l idée que le processus mental est une composante plus importante de l acte créatif que l habilité de la main. En outre, dans The New Vision, Moholy-Nagy célébrait aussi la création d œuvres d art grâce à des moyens complètement mécaniques et détachés émotionnellement, et de telles recommandations pourraient bien avoir influencé la pratique artistique de Warhol adulte. Indirectement, un autre ancien enseignant du Bauhaus a certainement eu un effet immédiat sur le développement stylistique de Warhol. Il s agit du peintre suisse Paul Klee, dont le Pedagogical Sketchbook était également une lecture obligatoire pour les étudiants du Carnegie Tech. Mais il est clair que c est l inventivité visuelle tellement propre à Klee qui plaisait particulièrement au jeune Warhol, plutôt que ses grandes théories pédagogiques sur la nature du processus de création. Une telle idiosyncrasie visuelle fut encore renforcée par l influence d un des plus éminents peintres et designers, l Américain Ben Shahn, qui jouit d une publicité considérable à l automne 1947, lorsque le Museum of Modern Art de New York organisa une exposition de ses œuvres. L influence de Shahn devint particulièrement perceptible chez Warhol lorsque, au cours de sa dernière année au Carnegie Tech, ce dernier fut nommé directeur artistique du magazine littéraire des étudiants, Cano. Nombre d illustrations du magazine de Warhol de la fin des 14

15 Jasper Johns, Drapeau sur rectangle orange II, Encaustique sur toile, 92,7 x 37,2 cm, Collection privée. 15

16 16 Photo d'andy Warhol et Jasper Johns, vers 1964.

17 années 40 et des années 50 se rapprochent beaucoup du style des dessins de Shahn, car bien qu elles soient beaucoup plus fantasques que les œuvres de Shahn, c est sûrement à partir de la technique des lignes discontinues de Shahn que Warhol développa sa propre technique, assez similaire, mais rendue plus vivante par l aspect brouillé du trait, technique qu il utilisa tout au long de sa carrière de publicitaire. Pour ce procédé, Warhol réalisait une matrice de dessin dont il tirait ensuite un nombre incalculable d impressions offset en repassant sur les lignes à l encre ou à l aquarelle, puis en pressant le dessin humide contre une feuille de papier propre, afin d en obtenir une image inversée. Cette technique spécifique conférait au trait un aspect brouillé caractéristique, dû au ré-encrage inégal du dessin original. Cette méthode donnait aux dessins de Warhol une originalité visuelle instantanée, et fut la première de ses nombreuses techniques de reproduction d images en masse. Les autres artistes dont Warhol avait découvert la production au Carnegie Tech à la fin des années 40 étaient Marcel Duchamp et Salvador Dalí. Plus tard, Warhol posséda même des œuvres de Duchamp et, par son attitude envers la culture et son iconoclasme artistique, il se révéla certainement le digne successeur du Français, vidant la culture de ses prétentions et subvertissant les attentes de la création. En 1966, il tourna quelques courts bouts d essai pour un film sur Dalí. Mais c est auprès d une personne qui avait vraiment été témoin de l une des plus fameuses attaques de Salvador Dalí contre les valeurs artistiques confortables que Warhol pourrait avoir acquis quelque chose de plus, dont il finit par faire bon usage. Au printemps 1948, Warhol obtint un diplôme professionnel de pratique du dessin en travaillant à mi-temps pour le service artistique du plus grand magasin de Pittsburgh. Là, son patron, Larry Vollmer, l obligea à augmenter sa cadence de travail et cette plus grande efficacité rendit service à l artiste par la suite lorsqu il s installa à New York. Mais Vollmer offrit également à Warhol d autres perspectives artistiques importantes. En 1936, Vollmer était directeur de la décoration des vitrines du grand magasin Bonwit Teller de New York, lorsque Salvador Dalí se tailla une réputation nationale en détruisant la vitrine du magasin avec une baignoire, après que Vollmer eut reçu l ordre de ses supérieurs de modifier l agencement extrêmement insolite de la vitrine, décorée par le peintre surréaliste. Le fait que même un artiste mondialement connu comme Salvador Dalí trouvât parfaitement naturel de créer la décoration des vitrines de magasins ne laissa sûrement pas Warhol indifférent, pas plus que l immense importance du «choc» comme moyen artistique d attirer l attention. Warhol fit un très bon usage de la leçon en mars 1949, lorsqu il soumit un tableau intitulé The Broad Gave Me My Face, But I Can Pick My Own Nose à l exposition publique du United Artists group de Pittsburgh. Le comité de sélection de la manifestation comprenait le célèbre caricaturiste et artiste politique allemand George Grosz, mais le jury était divisé quant aux mérites et à la bienséance du tableau de Warhol (bien que Grosz l approuvât naturellement) et par conséquent, l œuvre fut rejetée. Si la première attaque de Warhol contre les valeurs du monde de l art n eut pas de succès, avec le temps il n allait pas manquer d effacer cet échec. En juin 1949, Warhol acheva au Carnegie Institute of Technology des études couronnées par un diplôme de Bachelor of Fine Arts. Le mois suivant, il s installa à New York avec son compagnon d études Philip Pearlstein. Ils avaient tous deux fait une brève excursion dans la ville, au cours du mois de septembre précédent, pour se faire une idée des milieux artistiques, et ils décidèrent d y tenter leur chance après la cérémonie de remise des diplômes. En arrivant à New York, 17

18 Capricorn Sloe Whiskey Fizz, Dessin à l'encre colorié à la main et collage sur papier, 60,3 x 45,7 cm. 18

19 Horoscopes pour l'heure du cocktail, Encre et aquarelle sur papier, 60,9 x 45,7 cm. 19

20 ils emménagèrent dans un sordide appartement du Lower East Side où ils demeurèrent une grande partie de l année, avant de s installer dans une colocation de la 21 e West Street. Lors de son premier voyage à New York en septembre 1948, Warhol avait lié connaissance avec Tina Fredericks, la directrice artistique du magazine de mode Glamour et il chercha donc à la recontacter pour lui demander du travail. Elle réagit en achetant un dessin de Warhol et lui commandant une série d illustrations de chaussures, un thème dont Warhol allait bientôt faire sa spécialité. Lorsque ces illustrations parurent dans le magazine en septembre 1949, la lettre «a» du nom de Warhol avait disparu dans les crédits (peut-être par hasard), et l artiste adopta cette orthographe par la suite. Warhol était décidé à réussir à New York et il parcourut tous les bureaux des directeurs artistiques en quête de travail, cultivant même un look de sans-le-sou, «Andy la guenille», pour gagner la sympathie de clients potentiels. Une commande en entraîna bientôt une autre et, en relativement peu de temps, Warhol fut très demandé pour ses illustrations pleines de caractère, aussi bien à l intérieur du groupe Condé Nast (auquel appartenait le magazine Glamour) qu en dehors de celui-ci. Warhol était extrêmement accommodant quand il s agissait de satisfaire ses employeurs, ainsi qu il le décrivait en 1963 : On me payait pour le faire, et je faisais tout ce qu on me demandait. S ils me disaient de dessiner une chaussure, je le faisais, et s ils me disaient de la corriger, je le faisais je faisais tout ce qu on me disait de faire, corriger et refaire après toutes ces «corrections», ces dessins commerciaux exprimaient une certaine sensibilité, ils possédaient un style. Ceux qui m employaient avaient une attitude très sensible ou quelque chose de [proche]. Ils savaient ce qu ils voulaient, ils insistaient ; ils devenaient parfois très émotifs. Produire un travail dans la publicité était un processus mécanique mais l attitude générale était pleine de sensibilité. Plus tard, dans la maturité, Warhol réagit contre toute expression de «sentiments» par les images en recourant à ses procédés quelque peu industriels, et il atteignit ainsi un degré de conformité beaucoup plus élevé entre cause et effet. En mars 1950, Warhol s installa dans un appartement de la 103 e West Street qu il partageait avec une population fluctuante, allant jusqu à 17 individus différents. Là, il travailla sur ses illustrations, nuit et jour, dans des conditions d hygiène assez douteuses, bien que, plus tard dans l année, son environnement s améliora lorsqu il emménagea dans la 24 e East Street, se retrouvant seul occupant après le départ de son compagnon pour Pittsburgh. Pendant l année 1950, la carrière de Warhol se déroula honnêtement et, l année suivante, il créait ses premiers dessins pour la télévision, réalisant non seulement des réclames pour les programmes de NBC, mais se levant même à 5 heures du matin pour dessiner les schémas nécessaires sur la carte météo du journal du matin. En septembre 1951, l un de ses dessins fut reproduit en pleine page dans le New York Times pour vanter un nouveau programme de radio sur la criminalité, ce qui favorisa grandement sa réputation professionnelle. Deux ans plus tard, cette publicité lui valut sa première médaille d or de l Art Director s Club. 20

21 Dick Tracy, Caséine et crayon sur toile, 121,9 x 83,9 cm, The Brant Foundation, Greenwich. 21