L Equithérapie en Milieu Carcéral :

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1 SOCIETE FRANÇAISE D EQUITHERAPIE L Equithérapie en Milieu Carcéral : «Le Cheval, un chemin de liberté pour les détenus» MEMOIRE Présenté par Anne Mahieu en vue de l obtention du diplôme d équithérapeute SFE Session 3 promotion 2007 / 2009 Novembre 2009

2 Citation Toute société qui prétend assurer aux hommes la liberté, doit commencer par leur garantir l'existence. Léon Blum Remerciements Des remerciements particuliers à ma sœur et à mon mari pour leur soutien dans la réalisation de ce travail.

3 RESUME Ce mémoire traite de la question de l équithérapie en milieu carcéral. Comment le cheval peut-il soulager les souffrances des détenus liées à l enfermement carcéral? Dans les représentations collectives, le cheval est un symbole de liberté. Cette symbolique rejoint les différents concepts qui fondent la notion de liberté en elle-même. Faire entrer le cheval au sein de la prison, c'est permettre à cette dimension symbolique de prendre tout son essor. Dans ce milieu privatif, le vécu psycho-émotionnel des détenus est exacerbé par la présence des chevaux ; face aux carences éprouvées (privation relationnelle et affective, stigmatisation négative, infantilisation, monotonie...), le contact des chevaux leur procure des ressentis bienfaisants. Cet état de fait démontre que l'équithérapie peut véritablement trouver sa place et jouer un rôle important au sein de la prison ; avec le média cheval et un accompagnement ajusté, l équithérapeute peut proposer un soutien de qualité pour soulager les maux de la prison qui oppriment les détenus. SUMMARY This essay deals with the question of Therapeutic Horseback-Riding in a prison setting. How can the horse ease the inmates distress resulting from the imprisonment? In collective representations, the horse is a symbol of liberty. This symbolism joins the different concepts that establish the notion of liberty in itself. Permitting a horse to enter within a prison, is to allow this symbolic dimension to take-on all of its meaning. In this closed-off environment, the inmates personal psycho-emotional experience is heightened by the presence of the horses; in view of the deficiencies perceived (interpersonal and emotional deprivation, negative stigmatization, infantilization, monotony ), the contact with the horses procures them beneficial sensations. This fact proves that Therapeutic Horseback-Riding can genuinely find it s place and play an important role within a prison; through the horse vector and an adapted accompaniment, the Therapeutic Horseback-Rider can provide quality support to ease the troubles of the prison that oppress the detainees.

4 SOMMAIRE Citation & Remerciements Sommaire Résumé français & Anglais Introduction Générale... p.1 CHAPITRE I APPROCHE THEORIQUE DE L HYPOTHESE Première partie : La question de la symbolique de liberté chez le cheval... p.4 I.1 La symbolique... p.4 I.2 La liberté... p.5 I.3 Le cheval : symbole de liberté... p.8 I.3.1 Le cheval : un animal qui évolue dans un contexte de vie de liberté I.3.2 Le cheval : image de l être consciemment libre Deuxième partie : Les souffrances liées à l enfermement carcéral... p.15 II.1 De l enfermement à l enfermement carcéral... p.15 II.1.1 L enfermement II.1.2 L enfermement carcéral II.2 Les souffrances liées à l enfermement carcéral... p.19 Conclusion : Le cheval, un chemin liberté pour les détenus : des souffrances de l enfermement, aux sensations de liberté retrouvées... p.22 CHAPITRE II DE LE METHODOLOGIE A LA VERIFICATION DE L HYPOTHESE Première partie : Le cadre de l enquête... p.25

5 I.1 Le terrain de l enquête : lieu, contexte & population... p.26 I.1.1 Le lieu : présentation de la centrale de Poissy I.1.2 Le contexte : l action équestre de Cheval et Insertion I.1.3 La population de l enquête I.2 L approche analytique... p.29 I.2.1 Les sources I.2.2 Méthodologies d analyse I.2.3 Grille de lecture de l analyse Deuxième partie : L analyse des témoignages recueillis dans les articles de journaux p.32 II.1 La symbolique de liberté du cheval en prison... p.32 II.1.1 Citation du mot «liberté» II.1.2 Les représentations de la symbolique de liberté du cheval exprimées par la population de l enquête II.2 De la symbolique de liberté du cheval au soulagement des maux... p.35 Conclusion : L hypothèse à l épreuves des faits... p.42 CHAPITRE III ESSAI SUR L EQUITHERAPIE EN MILIEU CARCERAL I. Le positionnement de l équithérapeute en prison... p.45 II. Le cadre thérapeutique... p.46 II.1 Discours de l équithérapeute... p.46 II.2 Le déroulement de l activité... p.47 III. Conclusion... p.51 Conclusion Générale... p 52

6 INTRODUCTION GENERALE

7 Malgré les quatre années qui se sont écoulées depuis la création de l'activité équestre au sein de la prison de Poissy (78), les articles de journaux qui ont ponctué l'action soulignent toujours l'aspect insolite de l'évènement ; dans Yvelines Matin de juin 2005, nous pouvons lire : «Huit chevaux dans la prison!... C'est une image exceptionnelle : des prisonniers dangereux qui font du cheval au coeur de la centrale de POISSY!». En septembre 2009, l association Cheval & Insertion se rendait pour la cinquième fois à la maison centrale de Poissy et pour la première fois au centre pénitentiaire pour mineurs de Porcheville (78). Au total six interventions en milieu carcéral et autant d'articles de journaux! Pourquoi tant d'étonnement? Il est vrai que la pratique de l'équitation n'est pas de coutume en établissement pénitentiaire, mais qualifier l'évènement d'incroyable soulève quelques questionnements. Est-ce le fait de voir les chevaux hors de leur environnement naturel? Est-ce le fait de voir des chevaux et des détenus réunis? Pourtant ces derniers ne sont-ils pas que des hommes qui un temps de leur vie, purgent une peine... Où les hommes sont-ils allés sans que les chevaux ne les accompagnent? «Instruments» de travail, de guerre, de sport ou de loisir, l'histoire des chevaux et l'histoire des hommes sont intimement liées... Alors voir des chevaux en prison, lieu où de nombreux hommes passent plusieurs années de leur vie, finalement, cela est-il si incroyable? Pour tenter d'apporter une réponse à cet aspect «évènementiel» de la situation, peut-être devons nous entendre différemment les questions posées... N'est-ce pas la rencontre de deux mondes symboliquement opposés qui finalement crée l'étonnement? La prison symbole d'enfermement par excellence et le cheval symbole de liberté par excellence : vu sous cet angle, il y a effectivement de quoi bousculer nos représentations collectives. Se trouve sans doute là le coeur de la question; deux mondes symboliquement opposés qui, par leur rencontre, deviennent complémentaires. En effet, bien plus qu une activité physique et divertissante, la présence des chevaux au sein de la prison crée un impact fort et à chaque fois renouvelé. Les bienfaits qu'en ressentent les détenus et le personnel carcéral qui les entourent sont 1

8 indéniables. Les différents journalistes témoins de l activité se rejoignent pour souligner dans leurs conclusions l aspect bénéfique de l action. La Directrice de la prison, Nadine PICQUET, citée dans le journal 20 minutes de juin 2006, expliquait : «ils (les détenus) vivent mieux leur détention et nous, on gère mieux la prison. Cela permet d instaurer une relation de respect mutuel.» Le cheval aurait-il des vertus particulières auprès des détenus? La question reste posée ; mais il apparaît évident que ces hommes qui vivent un temps de leur vie dans le contexte de l enfermement carcéral, apprécient la présence et le contact des chevaux. Ils en retirent un bénéfice certain. Un détenu, toujours cité dans le journal 20 minutes de juin 2006 disait : «Dans les deux mois qui suivent, on reste avec des sensations de tendresse». Un autre détenu dans un article du journal Le Courrier des Yvelines en juin 2005 s exprimait ainsi : «Le premier plaisir c est le contact avec l animal ( ) il y a une certaine fascination». Les ressentis des détenus au contact des chevaux sont décuplés par rapport à ceux qu ils pourraient avoir dans la même situation, à l extérieur des murs. La différence, dans ces deux situations, ce n est pas la rencontre entre l homme et l animal, mais bien le contexte d enfermement carcéral ; il semblerait donc que l état des souffrances liées à l enfermement carcéral vécu par les détenus, trouve, au contact du cheval, une réponse, un soulagement Le cheval, être vivant à la symbolique bien particulière, paraît disposer d atouts bien singuliers pouvant apporter une réponse aux souffrances des hommes vivant dans ce milieu. Ce constat nous amène à nous poser la question suivante : comment le cheval peut-il soulager les souffrances des détenus liées à l'enfermement carcéral? Dans la revue Cheval Magazine, les propos d un détenu nous aiguillent vers une tentative de réponse : «la présence de ces chevaux, c est un moment de liberté incroyable». Le mot est lâché : «LIBERTE»! Que la liberté manque aux détenus, cela semble évident ; mais ce rapprochement entre la liberté et la présence des chevaux au sein de la prison ne peut que nous conforter dans l'idée que le 2

9 cheval véhicule une symbolique forte autour de cette dimension, qui prend tout son sens au sein du contexte carcéral. Face à cette observation, nous formulons l hypothèse suivante : Parce que le cheval s'impose comme un symbole de liberté dans les représentations collectives, il se révèle être un vecteur puissant pour soulager les souffrances liées à l'enfermement carcéral. Afin d étayer cette hypothèse, notre étude s organise en trois chapitres : - le premier chapitre se veut être une approche théorique de l hypothèse. Nous y développerons les concepts de la symbolique de liberté du cheval et des souffrances liées à l enfermement carcéral ; en conclusion, nous y analyserons comment la rencontre de ces deux entités est propice à un soulagement et un apaisement des souffrances des détenus. - Afin d illustrer l approche conceptuelle, nous proposerons au cours du second chapitre méthodologique, une classification et une analyse des témoignages recueillis dans les différents articles de journaux, au regard de l hypothèse posée. - Enfin, au cours du troisième chapitre, nous développerons un essai sur la place de l équithérapie en prison ; nous y émettrons des propositions sur la façon dont elle peut proposer un soutien face aux souffrances engendrées par ce milieu. 3

10 CHAPITRE I Approche Théorique de l hypothèse

11 CHAPITRE I - PREMIERE PARTIE LA QUESTION DE LA SYMBOLIQUE DE LIBERTE CHEZ LE CHEVAL La question même de la symbolique de liberté chez le cheval véhicule différents concepts qu il nous paraît pertinent de définir dans un premier temps, afin de pouvoir développer notre sujet. I.1 La Symbolique Selon les termes de Jung 1, le symbole est «un terme, un nom ou une image qui, même lorsqu'ils nous sont familiers dans la vie quotidienne, possèdent néanmoins des implications, qui s'ajoutent à leur signification conventionnelle et évidente. Le symbole implique quelque chose de vague, d'inconnu, ou de caché pour nous.» [ ] «un mot ou une image sont symboliques lorsqu'ils impliquent quelque chose de plus que leur sens évident et immédiat. Ce mot ou cette image, ont un aspect "inconscient" plus vaste, qui n'est jamais défini avec précision, ni pleinement expliqué.» Ainsi le symbole est une «chose» qui représente autre chose, par une implication plus vaste que le sens immédiat, par corrélation naturelle, par convention ou rapport culturel. En d autres termes, nous pouvons dire que le symbole recrée un univers autour de l objet, avec de nouvelles analogies, de nouvelles données sensorielles et émotionnelles. Il représente un état en son absence. Cette définition nous conforte dans l idée, bien acquise déjà, que le cheval est un symbole dans l imaginaire collectif. De part son histoire, ses légendes (mythologiques, fantastiques ) et ses représentations (conscientes et inconscientes, individuelles et collectives), il apparaît être bien plus 1 Psychiatre suisse (Kesswil, Thurgovie, 1875-Küsnacht, près de Zurich, 1961). 4

12 qu un animal réduit à sa plus simple expression. «Non contents d'en faire une monture, les hommes en ont fait le véhicule de leur imaginaire. Symbole tantôt de virilité, tantôt de féminité ; alternativement incarnation des forces vitales et messager de la mort ; allégorie de la force, de la vitesse, de la liberté, de la fécondité, de l'amour, le cheval est certainement l'animal le plus «connoté» de la création.» 2 Ces propos de Marc-André WAGNER soulignent le fait que la représentation symbolique du cheval est extrêmement riche et diversifiée. C est avant tout ici sa symbolique de liberté qui nous intéresse ; cependant, la symbolique de liberté que véhicule le cheval est-elle pour autant la même pour tous? En effet, selon les différents points de vue des individus, elle pourrait l être, à priori, pour de multiples raisons. Ce postulat nous renvoie d emblée vers une autre question. S intéresser à la question de la symbolique de liberté du cheval nous amène à nous intéresser à la question de la liberté en ellemême. Qu est-ce que la liberté? I.2 La liberté De toute évidence, une définition du sens commun serait de considérer la liberté comme la possibilité de faire ce que l on désire sans rencontrer d'obstacle. C'est l'indépendance, l absence de contrainte et de limite. Dans ce cas précis, la notion même d emprisonnement carcéral qui cloisonne l individu dans un espace fermé où il est assujetti à des règles strictes, fait référence à cette liberté-là même que le détenu a perdu. Il s agit de la liberté de mouvement, d aller et venir où bon nous semble, sans assujettissement. Néanmoins, lorsque les détenus associent le temps passé auprès des chevaux comme «un formidable moment de liberté», il paraît pertinent de se demander s il s agit bien de 2 Marc-André Wagner, Historien et cavalier, - Dictionnaire mythologique et historique du cheval 5

13 cette liberté là, à laquelle ils font référence, alors même qu ils ne sont pas sortis de l enceinte de la prison. Sans vouloir écarter cette hypothèse, s'en tenir là, serait certainement réducteur. Pour tenter d élargir davantage la question, nous nous sommes intéressés à différents dictionnaires ou encyclopédies, lesquels nous ont proposé pas moins de vingt-quatre définitions du mot liberté selon l approche qui lui est conférée : philosophique, sociale, politique, religieuse Cette investigation nous permet de proposer une synthèse sur la question, pouvant nous éclairer sur les différentes représentations de la liberté. La théorie la plus classique qui définit la liberté comme absence de contraintes et libre jeu des passions est celle de Calliclès, sophiste du quatrième siècle avant Jésus-Christ. Cette détermination négative a le mérite de mettre en avant une condition essentielle de la liberté : pour être libre, il faut disposer d'un minimum de latitude, de capacité de choix. Toutefois, la liberté ne peut pas être définie par ce simple trait négatif : d'abord parce qu'il ne suffit pas de ne pas être contraint pour être libre, ensuite parce que la liberté recouvre des domaines distincts, psychologique, éthique, politique, que l'absence de contrainte ne permet pas de discerner. Selon une approche psychologique, la liberté se caractérise par la capacité à être l'auteur de son acte. Le sujet accomplit sa liberté lorsqu'il fait un choix, lorsqu'il élimine les possibles à l'exception d'un seul. Descartes 3 est un des grands penseurs de la liberté ainsi conçue. Le rationalisme cartésien nous montre qu'une volonté infiniment libre, mais privée de raison, est une volonté perdue. Les critiques de ce schéma reposent sur la mise en question de cette autodétermination du sujet : l'impression de se déterminer soi-même tient peut-être à l'ignorance des causes déterminantes : la classe sociale, l'hérédité, l'inconscient... Il reste toutefois que la capacité de réflexion est principe de la liberté : à supposer que l'on soit déterminé par des causes latentes, la 3 Philosophe, mathématicien et physicien français (La Haye, aujourd'hui Descartes, Indre-et-Loire, 1596 Stockholm 1650) 6

14 connaissance que l'on en prend rend possible une conversion de la passivité en activité. Comprendre la nécessité, ce n'est plus subir mais la faire sienne. Le lien entre morale et liberté est essentiel : un être non libre n'a pas de rapport au bien et au mal, il est ce qu'il est sans pouvoir être autre. Le domaine des valeurs lui est étranger. Inversement, la morale révèle la liberté : la capacité à se déterminer d'après une valeur absolue, et non d'après des intérêts conjoncturels, prouve une liberté effective par rapport aux conditionnements. Kant a nettement montré en quoi la morale est révélatrice de la liberté de l'homme. Selon lui, si une action humaine est répréhensible, si nous sommes en mesure de condamner certains comportements ou conduites, c'est que l'homme est libre. La liberté est, de plus, essentiellement liée à la responsabilité. L'homme porte le poids de ses propres actions, comme chaque auteur porte son oeuvre. Sartre 4, à l'époque moderne, écrira : «Je suis responsable pour moi-même et pour tous». La liberté se découvre dans l'angoisse du choix que nous avons à faire afin de devenir nous-mêmes, elle s'accompagne d'une totale responsabilité. La liberté politique doit être distinguée de la liberté psychologique et morale. La politique ne prend pas en compte l'intériorité, la conscience que le sujet a de lui-même, mais seulement les relations entre les sujets. La définition de la liberté est donc ici plus étroite. Par liberté, il faut entendre la capacité d'action sans contrainte. La loi est donc ce qui donne le cadre au sein duquel la liberté peut exister. L'oeuvre de Montesquieu 5 au Siècle des Lumières définit la liberté politique comme le droit de faire ce que les lois permettent. Le lien entre liberté et égalité est donc clair : il faut que tous soient soumis aux mêmes lois pour que tous aient la même liberté. Si quelqu'un est audessus de la loi, la liberté s'efface au profit du rapport de force. La logique républicaine trouve ainsi l'une de ses légitimations les plus claires. 4 Philosophe et Ecrivain français, Paris 1905 id. 1980) 5 Ecrivain français (Château de la Brède, près de Bordeaux, 1689 Paris 1755) 7

15 La liberté se dessine à la fois comme une valeur abstraite et normative de l action humaine, et à la fois comme une réalité concrète et vécue. Elle est une dimension globale de l être, qui au-delà d une possibilité physique de se mouvoir, de se déplacer, concerne toutes les sphères d un individu ; la liberté interpelle l intériorité de l être (psychologique, sociale, morale ) et l environnement dans lequel il évolue (cadre, limites, latitude, autorité, relation à autrui ). Du point de vue de l intériorité, la liberté est liée à la capacité de l individu à faire des choix et à les assumer. Il s agit de l autodétermination du sujet qui est auteur et responsable de ces actes. Bien que beaucoup de paramètres peuvent l influer, l homme libre, avant tout, poursuit ses valeurs absolues. Concernant l environnement qui l entoure, ce dernier est libre dans une société régie par des lois (un cadre) qu il accepte, sans s y sentir contraint, ni oppressé ; il est un sujet relationnel, ouvert au monde et aux êtres qui l environnent et qu il respecte. Il est libre de se mouvoir et de se déplacer où bon lui semble. de liberté? Face à cet étayage, il est maintenant intéressant de ce demander en quoi le cheval est-il symbole I.3 Le cheval : un symbole de liberté Puisque la symbolique révèle les représentations de chacun, il est approprié ici de présenter les résultats d une enquête sur les différentes représentations qu'ont les français de l'équitation. Une enquête SOFRES 6 intitulée «Les français et l Equitation», effectuée en 1985 sur un échantillon national de 1951 personnes représentatif de la population âgée de 15 ans et plus, s est intéressée aux raisons pour lesquelles les français sont attirés par l équitation. 6 Créé dans les années 60, SOFRES est un leader français en référence des études marketing et d opinion. 8

16 Parmi les résultats produits, les plus forts taux de pourcentage ont été recueillis pour les réponses suivantes : - Les français considèrent l équitation comme un sport idéal pour les personnes qui aiment la nature (54%). - les français expriment la possibilité de faire des randonnées ou promenades en campagne, en forêt (63%). - Ils recherchent le contact, l harmonie entre l homme et le cheval (56%). - Ils aiment la beauté, l élégance du cheval (55%). Face à ces données, les conclusions de l enquête soulignent : «le cheval semble donc porter en lui essentiellement les notions de liberté, de retour à l état naturel grâce à une complicité harmonieuse qui s établit à la fois entre le cavalier et sa monture et entre l homme et la nature. Le cheval appelle les qualités de beauté, d élégance, de vitesse, de puissance.» Le cheval, symbole de liberté, serait ainsi identifié comme un «trait d union» entre l homme et la nature, pourvu de qualités prestigieuses aux yeux des hommes. La représentation de liberté que les hommes lui prêtent recouvre donc une dimension d intériorité et une dimension physique. Les réponses extraites de l enquête étant celles les plus évoquées par les sujets sondés, nous pouvons légitimement penser que les détenus, qui représentent eux-mêmes une partie de la population française, rejoignent pour une part, ces différentes représentations du cheval. Les propos des français mis en exergue par l enquête, nous permettent de constater que les différentes notions de la liberté développées précédemment, apparaissent à plusieurs niveaux dans les représentations qu ils attribuent aux chevaux; 9

17 Il est intéressant à présent d identifier quels sont les facteurs (historiques, éthologiques ) qui peuvent expliquer cette dimension symbolique particulièrement prégnante chez le cheval. I.3.1. Le cheval : un animal qui évolue dans un contexte de vie de liberté Du point de vue de l environnement, 54% des français considèrent l équitation comme un sport idéal pour les personnes qui aiment la nature. De ce fait, nous pouvons supposer que la liberté révélée par la vision ou la pensée du cheval évoque pour le sujet un retour à l état naturel, à la source, à «mère nature». Les sujets sondés extrapolent ici sur l image du cheval sauvage dans son contexte de vie d origine : au sein d une nature brute, étendue, dépourvue d intervention humaine. Nous pouvons également discerner dans cette représentation, le tempérament du cheval sauvage, non dressé, instinctif et naturel, sans conditionnement initié par l homme. La notion de liberté véhiculée ici par le cheval est une liberté sauvage, sans contrainte, indépendante, démunie de toute forme de subordination. 63 % des français interrogés aiment faire du cheval pour les randonnées et les promenades en campagne ou en forêt. La notion de liberté perçue dans ce cas présent, fait référence à la liberté de mouvement, de déplacement ; cette allégorie trouve son origine dans plusieurs représentations du cheval. Nous pouvons faire un lien avec la capacité de vitesse, de portage et/ou de traction du cheval, qui permet à l homme de parcourir ou de randonner dans les différentes contrées. Nous percevons de nouveau, la vision du cheval dans son contexte de vie naturel, à l état sauvage, qui bien qu étant un animal territorial, réalise sur une même journée un déplacement sur plusieurs dizaines de kilomètres. Enfin, nous discernons aussi un lien avec l histoire qui unit l homme et le cheval. En effet, selon l évolution de l utilité du cheval pour l homme, il a tour à tour été «instrument» de travaux, de transports, de voyages. Les époques des croisades, des échanges commerciaux ou des extensions 10

18 territoriales sont encore bien prégnantes dans nos esprits de part les récits historiques, mais aussi de part l univers fantasmagorique des légendes, des contes Cette notion de liberté de mouvement, de déplacement, réfère d une manière plus large, à l absence de lien physique ou psychologique qui enserre : absence de mur, de barrière, de grillage, de frontière, de règlement, de pression d autrui, qui cloisonne et oppresse l individu dans un même lieu ou dans des comportements conditionnés. I.3.2 Le cheval : image de l être consciemment libre La notion d intériorité de la liberté se distingue à deux niveaux dans les réponses recueillies. Les résultats de l enquête SOFRES mettent en avant une attirance des français vers le cheval pour son aspect prestigieux, élégant, beau (55%). «Le cheval marche sur les pointes. Quatre ongles le portent. Nul animal ne tient de la première danseuse, de l étoile du corps de ballet, comme un pursang en parfait équilibre, que la main de celui qui le monte semble tenir suspendu, et qui s avance à petits pas en plein soleil. Degas l a peint d un vers ; il dit de lui : "Tout nerveusement nu dans sa robe de soie".» Cette métaphore poétique de Paul Valéry 7 souligne l esthétisme du cheval qui fait figure de beauté. Par là même, le cheval est source de fierté pour celui qui le monte ou le mène. Cette dimension qui interpelle l estime de soi, la valorisation du sujet, est en lien avec la confiance que l individu se porte à lui-même. Nous abordons présentement une dimension centrale pour que l individu soit libre de ses actes et de ses choix dans sa vie. Parce que le cheval est associé à la fois au courage et à la beauté, qui forme un tout, il est source de valeurs. «Dieu Créa d abord l homme, puis la femme, Quand il eut le temps, il créa le cheval, qui possède le courage et l ardeur de l homme en 7 Ecrivain français Sète 1871 Paris

19 même temps que la grâce et la beauté de la femme» 8 Les hommes prêtent leurs propres valeurs au cheval, qui devient donc lui-même source de valorisation pour celui qui est à son contact. Les valeurs transmises par l éducation, les expériences de vie, sont des dimensions centrales qui fondent l action et les choix d un être libre. «le cheval et les activités qu il induit, développent le courage, la volonté, la persévérance et peut permettre à certains jeunes en difficulté d être valorisés et de reprendre confiance en eux.» 9. En effet, pour des jeunes, des adultes qui ont subi des carences éducatives dans leur enfance, les activités en lien avec le cheval, source de valeurs, vont jouer un rôle éducatif et valorisant pour les aider à se reconstruire. La notion de liberté que nous percevons ici fait référence à l indépendance du sujet libre, qui, animé par ses valeurs propres, pose ses choix avec confiance et responsabilité. Enfin, les résultats de l enquête mettent en avant la dimension relationnelle (contact, harmonie) du cheval (56%). Le cheval, nous invite a une communication multi-sensorielle, essentiellement infra-verbale ; être en relation avec lui implique un langage corporel, kinésique (que se soit en selle ou au sol). «Le dialogue très sensitif qui s établit entre le cheval et le cavalier révèle en fait les composantes physiques et psychiques de chacun d eux» 10. Au contact du cheval, tous nos sens sont en éveil ; il nous ouvre à nos propres ressentis, émotions, et par là même, il nous ouvre aux autres et au monde : son contact stimule l expression de nos envies, de nos émotions, de nos affects. L ouverture au monde, aux autres, est par opposition, le contraire de l enfermement sur soi-même. Dans cette dimension d harmonie et de contact, nous touchons aux notions de holding et de handling développées par Winnicott 11. L harmonie du dialogue corporel entre le cheval et son cavalier (en selle ou au sol) évoque la notion de «holding», qui veut dire tenir, retenir, soutenir, notion éminemment 8 Proverbe brésilien 9 VACCA, Valérie, L activité Cheval Que du bonheur! De la relation éducative à la rééducation par le cheval pour les adolescents en difficultés dans un centre de formation professionnelle Mémoire DEES juin CLEMENT, Fabienne, Le cheval révélateur d humanité Thèse présentée à l Université Claude Bernard LYON 1, Ecole Nationale Vétérinaire de Lyon Février WINNICOTT, Donald (7 avril 1896 à Plymouth - 28 janvier 1971) Pédiatre, Psychiatre et Psychanalyste britannique. 12

20 en résonance avec l attachement sur un plan physique et psychique. Winnicott fait de cette fonction «une condition première d un processus de maturation correcte». Dans le «handling», Winnicot évoque la notion de soins apportés par la mère à l enfant ; soins physiques (alimentation, hygiène ), mais également soins affectifs (démonstration de l amour de la mère envers son enfant par des gestes tendres et précautionneux). Cette notion, transférée en équithérapie, fait état de l harmonie du dialogue émotionnel entre le cheval et l individu, à tous les instants (soins, travail, détente ). Ainsi, ces dimensions de «holding» et de «handling», liées à une atmosphère de contact, de relation favorable entre le cheval et l individu renvoie à la relation à la mère dans la prime enfance. Nous touchons ici à la symbolique maternante du cheval doux, rond, confiant, qui permet avec confiance de rouvrir le dialogue avec soi, au travers de ses ressentis, mais aussi avec son environnement. Elisabeth BARTIN, Orthophoniste et Cavalière, souligne cette capacité d ouverture du cheval : «le cheval oblige le sujet à travailler sur l ouverture du «Je» à soi, puis à l autre, et enfin au monde environnant.» 12 Il est donc un vecteur de dialogue, de communication, d ouverture, pouvant aider à vaincre le repli sur soi. Dans cette dimension, nous abordons toujours par analogie un sens du mot liberté qui est l ouverture aux autres, au monde, par opposition à l enfermement sur soi. Nous sommes ici dans une dimension psychologique et sociale de la liberté, où le sujet, autonome et spontané, adopte une attitude volontaire d ouverture aux autres. Comme nous venons de le développer, la symbolique de liberté que véhicule le cheval est vaste, elle recoupe des dimensions environnementales, physiques, psychologiques et sociales issues à la fois de son histoire, des connaissances éthologiques et des aptitudes physiques et psychomotrices de l animal. 12 BARTIN, Elisabeth, Intervention à la SFE «Orthophonie et Equithérapie» - mai

21 De manière métaphorique, le cheval représente à la fois : - la liberté intériorisée de l être : liberté assumée du sujet qui agit en fonction de ses valeurs et qui, confiant et courageux, fait des choix qu il assume de manière responsable ; c'est donc un être ouvert à ses ressentis, ses émotions et ses affects, désireux de communiquer avec autrui et le monde qui l environne. - La liberté liée à l univers dans lequel l individu évolue : un environnement dépourvu de contrainte matérielle et de subordination d autrui, où le sujet se sent libre de ses actes, de ses mouvements et de ses déplacements. Ces différents aspects nous laissent supposer que la liberté tant évoquée par les détenus au contact du cheval, pourrait être, vraisemblablement, l expression de tout ce qu ils ont perdu (ou qui s est appauvri) en se retrouvant derrière des barreaux. Ce constat nous amène à nous intéresser à la deuxième partie de ce chapitre : les souffrances liées à l emprisonnement. 14

22 CHAPITRE I - DEUXIEME PARTIE LES SOUFFRANCES LIEES A L ENFERMEMENT CARCERAL «Dans les faits, en France, c est détenus au 1 er octobre 2008 pour moins de places, et un nombre moyen de trois détenus par cellule de 15 m 2. Où petits malfrats croisent grands délinquants, où ceux qui sont en instance de jugement croisent ceux qui sont en détention à perpétuité. On dénombre 96 suicides et morts suspectes depuis le 1 er janvier Ces détenus purgent des peines relatives à leur crime, par décision de justice. Mais dans quelles conditions?» 13 L enfermement carcéral véhicule beaucoup de fantasmes dans l inconscient collectif, ainsi, pour mieux le connaître et comprendre les souffrances qu'il génère, il nous semble opportun de s interroger sur la notion même d enfermement, afin de discerner quelle est la différence entre l enfermement au sens littéral du terme, et l enfermement carcéral. Une fois cette première notion développée, il nous sera plus aisé de comprendre quelles peuvent être les souffrances spécifiques provoquées par l emprisonnement. II.1 De l enfermement à l enfermement carcéral Après avoir réfléchi sur la notion de liberté puis sur la dimension symbolique que revêt cette notion chez le cheval, il nous paraît à présent pertinent de s'interroger sur la notion d'enfermement carcéral. Qu'est-ce que l'enfermement carcéral? Qu est-ce qui le différencie de l enfermement en luimême? 13 Rapport «la santé en prison», coordonnée par Marc Gentilini, Médecin, président en 2008 de l Académie nationale de médecine et Jean-Pierre Olié, chef du service de santé mentale et de thérapeutique de l hôpital Sainte-Anne à Paris. 15

23 II.1.1 L enfermement Le terme «fermer» 14 (1080) est né du latin classique «firmare» : «rendre ferme, solide», d où «fortifier» et «clore» (les villes fortifiées sont fermées par les remparts ). En ancien français, fermer va signifier «fixe», «attacher» ; d où le glissement vers l idée (1160) de «barricader» et (1574) de «supprimer l accès à quelque chose». De ces termes est né au XII ème siècle, le mot «enfermer» ; il signifie «la suppression d une sortie, soit que l on place quelqu un dans un milieu clos pour l empêcher de sortir ou une chose pour la ranger, soit que l on entoure quelque chose de haies D où le sens sorti d usage d encercler». De ce mot est née la notion d enfermement. Le dictionnaire Le Robert donne du mot enfermement, la définition suivante : «fait d enfermer (quelqu un) ou d être enfermé, emprisonnement, intérieurement, renfermement ; au sens figuré : le fait de s enfermer, l enfermement dans le silence, la folie.» Ainsi, l enfermement est utilisé par les hommes à des fins diverses. Il peut, par exemple, revêtir des fonctions politiques, mais aussi religieuses ou sanitaires : le couvent, les hôpitaux psychiatriques et également la prison. Cette approche étymologique du terme «enfermement», nous permet de constater que tout comme la liberté, l enfermement revêt des notions liées à l environnement et à l intériorité du sujet. A présent, intéressons nous plus spécifiquement aux particularités de l'enfermement carcéral. II.1.2 L enfermement carcéral L enfermement carcéral ou l emprisonnement, désigne le fait de mettre quelqu un en prison. 14 Dictionnaire Historique de la langue française, éd. Le Robert. 16

24 Ses objectifs étant d enfermer de force les malfaiteurs pour protéger la société, de les punir et éventuellement de les réadapter. Les fonctions de l enfermement carcéral Dans la théorie pénologique, la prison a quatre fonctions : dissuader, neutraliser, rétribuer et réhabiliter. Dans la pratique, la sociologue Claude Faugeron 15 analyse trois modalités de l enfermement. : «Il y a l enfermement de sécurité, qui vise à mettre derrière les barreaux l individu qui nuit aux autres. Il y a ensuite un enfermement d autorité, qui vise à réaffirmer l autorité de l Etat, en tant que représentant collectif de la société. Ensuite, vous avez un troisième enfermement, qui est l enfermement de ségrégation, visant à mettre à l écart des groupes considérés comme indésirables ou déviants.» Malgré les différentes fonctions que peut prendre l enfermement, nous remarquons deux caractéristiques immuables : l éloignement et l isolement. «Dans ces lieux d enfermement, des clôtures, séparent les internés du monde de l échange libre, échange sexuel, celui des biens et de la parole.» 16 La différence, non négligeable, est que certains l ont choisi (les moines) et que d autres, y sont contraints (les prisonniers). Cette distinction, qui est le fondement de l enfermement carcéral, a un impact important sur la manière dont la personne va vivre son enfermement. Celui qui l a choisi poursuit un idéal intérieur qui lui permet de supporter les contraintes, celui qui ne l a pas choisi souffre des contraintes d un enfermement qui lui paraît étouffant. Nous revenons présentement au cœur de notre question, qui est la question de la liberté. En effet, au détour de cette dimension d enfermement choisi ou imposé, nous touchons à une des dimensions les plus importantes de la liberté de l homme : la dimension du choix de sa destinée, en lien avec ses valeurs propres, essentielle, à l épanouissement d un individu. La dimension psychologique et morale de la liberté 15 Claude FAUGERON, Sociologue Française, membre du groupement de recherche CNRS. 16 ESCORBAR MOLINA, A., L enfermement Espace Temps Clôture, éd. Klincksieck, Paris,

25 paraît donc aussi essentielle que la liberté de mouvement pour qu un individu s épanouisse. Le prisonnier, contraint à l enfermement, se sent encerclé par celui-ci. Le milieu carcéral lui est omniprésent et interfère sur toutes les dimensions de son être. «La prison enveloppe le prisonnier dans un jeu où la société se défend de lui, l isolant et l enfermant pour éviter qu il ne continue à s attaquer à elle ; en même temps la société le punit ; le conduisant au miroir de la prison, qui lui renvoie sa faute.» 17 Presque inévitablement, la souffrance, vient compléter le régime de l enfermement carcéral. Tout se passe comme si elle était nécessaire au processus d introspection qui va permettre à l individu de «guérir» (de ne pas récidiver). N y aurait-il pas ici une déformation religieuse? Pas de guérison sans rédemption : c est la théologie de la rétribution : «tu as fait mal, tu dois payer pour réparer». Il s agit d une pénitence (ne parle-t-on pas de pénitenciers!) tarifée. Ainsi, la souffrance est issue du monde contraignant de l enfermement qui prive, qui sépare, qui enserre, qui modifie les habitudes «Les prisonniers ne doivent en aucun cas se sentir bien. Les prisonniers ne parlent pas, ils crient ce que la durée tenaille en eux.» 18 Cette analyse de l enfermement carcéral met en lumière les caractéristiques pour lesquelles ce milieu génère de la souffrance chez l individu qui le subit : cloisonnement de contrainte, il est source d introspection, de privation, de traitements dégradants. Ce constat nous fait cheminer vers le deuxième questionnement qui fonde cette réflexion sur l emprisonnement : quelles sont les souffrances liées à l enfermement carcéral? 17 L enfermement Espace Temps Clôture, Op. Cit. Note L enfermement Espace Temps Clôture, Op. Cit. Note

26 II.2 Les souffrances liées à l enfermement carcéral A l instar de la liberté, l enfermement, touche les dimensions d intériorité et d environnement de l être. Les impacts de l emprisonnement sont nombreux, ils touchent les sphères psychosociales et affectives, et ils plongent les individus dans une souffrance plus ou moins aiguë selon les résistances individuelles. L emprisonnement stigmatise l individu parce «qu être incarcéré, c est se voir rejeté et mis à l écart par la société et c est souvent se définir soi-même comme perdant.» 19 La prison sépare l individu de ses proches, lui attribue un nouveau statut, celui de prisonnier, et l assujettit à un régime institutionnel. Comment peut-il en sortir indemne? Une des premières souffrances engendrées par l enfermement carcéral est la blessure narcissique liée à une perte d individualité, qui laisse place à un «nous» (détenus) impersonnel et négatif qui fait écho à la peine, au crime commis. Le passage en prison est une expérience que l individu va prendre en compte et intérioriser pour évaluer son estime de lui-même. L arrestation puis l incarcération entraînent une remise en question de l identité. «Elles marquent la stigmatisation de la personne comme délinquante.» 20 Ou criminelle, selon les cas. L individu se sent dévalorisé. D autre part, la prison coupe l individu de son milieu familial et social pour le placer dans un univers contraignant. Extrait de son environnement, il voit ces liens relationnels appauvris (professionnels, familiaux, amicaux ). La souffrance affective qui en découle, bien que s exprimant différemment, est notoire chez les détenus. De l enfermement «matérialisé», il n y a qu un pas vers l enfermement sur soi, accentué par 19 PAUGAM, Serge, L exclusion L état des savoirs, coll Textes à l appui, éd. La découverte, Saint-Amand, L exclusion l Etat des savoirs, Op. Cit. Note

27 la particularité de l univers carcéral qui crée des relations humaines malsaines (tensions, malveillances, marchandages, chantages, méfiances ) ; la dimension relationnelle du sujet déjà appauvrie, se confronte à de nouveaux liens induits par la «pseudo société» du monde carcéral. Le détenu doit apprendre à vivre avec son délit ou sa faute ; Ses modes relationnels se pervertissent car ce dernier se doit de déterminer sa place dans la hiérarchie carcérale, son acceptation dans certains groupes (les «toxicos», les «braqueurs» ) ou son rejet par les autres (les «pointeurs», ceux qui ont commis des délits sexuels ou les «infanticides» ). Cette altération de la sphère relationnelle est une véritable souffrance affective et psychosociale pour le sujet. Enfin, la personne incarcérée est dépouillée de ces effets personnels, elle perd la maîtrise du temps, de son emploi du temps, elle ne peut plus préserver son intimité (œilleton, fouille, promiscuité ). Cet assujettissement jusqu aux gestes les plus simples de la vie (se laver, manger, dormir ) fragilise et humilie l individu, qui se retrouve dans une situation infantilisante où il est dépourvu de sa dimension d adulte responsable. Cet étayage nous permet de mettre en évidence quatre grandes catégories de souffrances liées à l enfermement carcéral : Les souffrances psycho corporelles liées à un environnement hostile et cloisonné - Monotonie du quotidien : rythme de vie identique chaque jour, dans les mêmes lieux, même espace, sans échappatoire - Un environnement matériel agressif : Les bruits (clés en fer dans les serrures des portes, cris des détenus, résonances des bruits dans les tuyauteries ) ; locaux froids, impersonnels, souvent sales et dégradés. 20

28 Les souffrances morales liées à la dévalorisation du sujet stigmatisé et blessé dans son estime personnelle. - Stigmatisation négative de l emprisonnement - Honte et culpabilité auprès des proches à l extérieur - Sentiment d inutilité du fait de l exclusion sociale et de l inactivité Les souffrances affectives et relationnelles liées à l appauvrissement et à la perversion des liens - Privation des liens avec les proches, l environnement social et professionnel - Perversion des relations induites par la pseudo société carcérale Souffrances psychologiques liées à un assujettissement infantilisant et la déresponsabilisant - Déplacement surveillés, quantifiés, limités. - Humiliation quotidienne liée aux règles infantilisantes et aux jeux de pouvoir - Irrespect de l individu : promiscuité et perte de l intimité Cet état des lieux, nous permet de comprendre, que dans bien des domaines, le détenu est atteint dans sa liberté. Bien au-delà de la liberté de mouvement liée au cloisonnement, c est toute la dimension de liberté intérieure de l être qui est éprouvée : liberté morale, relationnelle, psychologique Face à ce constat, il paraît à présent intéressant d analyser comment le cheval, dans toute sa symbolique de liberté, peut apporter des réponses, un soulagement dans ce milieu de souffrances. 21

29 CHAPITRE I - CONCLUSION LE CHEVAL, UN CHEMIN DE LIBERTE POUR LES DETENUS : DES SOUFFRANCES DE L ENFERMEMENT, AUX SENSATIONS DE LIBERTE RETROUVEE Nous avons vu précédemment que la symbolique de liberté du cheval se rattachait aux différentes dimensions de la notion de liberté en elle-même : physique, psychologique, sociale, morale De la même manière, les souffrances liées à l enfermement carcéral atteignent l individu dans la globalité de son être (corps et esprit) : nocivité des lieux, humiliation, appauvrissement et perversion des relations, carences affectives La prison paraît donc priver l individu de sa liberté, dans toutes les significations du terme. Les souffrances des détenus sont donc le cri de cette liberté manquante : liberté d agir, liberté d expression, liberté d indépendance, de choix Nous pouvons donc aisément démontrer que le cheval, en apportant des représentations de liberté au sein de la prison, peut se révéler un soutien, bienvenu et bénéfique pour les détenus. Mais concrètement, comment se lien se produit-il? Quels sont ses bienfaits? La réponse que nous proposons vient du fait qu il existe une forme de liberté que la prison ne peut enlever à l homme : la liberté de rêver! Loin d être ironique, cette constatation est essentielle et même salvatrice pour les détenus. 22

30 Comment la dimension de symbolique de liberté du cheval pourrait-elle agir autrement? En effet, si le cheval créé un déclic lorsqu il entre prison, si sa présence vient connoter la liberté et apporter une «bouffée d oxygène» aux détenus, c est certainement parce que les différentes représentations qu il dégage entrent directement en lien avec les souffrances des détenus. Cet état de fait majeur est possible parce qu il est en réalité induit par le milieu de l'enfermement lui-même. En introduction, nous soulignions le fait que les ressentis des détenus auprès des chevaux étaient exacerbés, décuplés. Ce phénomène est dû à l investissement important que les détenus portent à la dimension imaginaire et représentative. C est le phénomène d assimilation. Il faut entendre ici le sens psychologique du terme : l assimilation signifie que l individu, même dans les situations extrêmes, possède une marge de liberté qui lui donne la possibilité d agir en tirant profit des éventualités du milieu lui-même et en développant une marge de créativité. C est donc une forme d adaptation de l individu à son milieu. En prison, milieu privatif, l adaptation est souvent pathologique (déviances, repli sur soi..). Une des résultantes de ce phénomène d assimilation est également, par effet de compensation, le surinvestissent de l esprit pour panser les carences de la réalité ; pour «échapper» au milieu néfaste, omniprésent et oppressant de la prison, l imaginaire est décuplé : l esprit voyage alors que le corps est enserré dans un espace clos. C est ainsi que nous comprenons que les détenus, bien plus que d autres, sont particulièrement sensibles à l aspect représentatif et symbolique du cheval. De ce fait, face au cheval, par effet de réminiscence, de souvenirs, d extrapolation, de transfert, les détenus voient leur imagination stimulée ; le cheval vient directement créer dans leurs esprits le trait d union avec la dimension la plus manquante en prison : la liberté dans toutes ses significations. prison : Par là même, le cheval, symbole de liberté, agit sur les souffrances les plus sensibles en - la liberté de mouvement face au cloisonnement ; 23

31 - la liberté relationnelle et affective (ouverture du sujet) face à l appauvrissement et la perversion des liens - la liberté morale face à la dévalorisation du sujet stigmatisé - la liberté psychologique face à la perte d autonomie liée à l assujettissement infantilisant et déresponsabilisant L'assimilation, mode compensatoire du psychisme, est donc cette «passerelle» qui va permettre au détenu, au contact du cheval - symbole de liberté, de ressentir un bienfait, une sensation d'apaisement et de soulagement de ses maux. Au terme de ce premier chapitre, nous pouvons déduire que le cheval peut être un véritable soutien auprès des détenus car il est une réponse à leurs souffrances; vecteur des différentes représentations de la liberté, il stimule les esprits des détenus, et provoque des sensations de soulagement et d apaisement. Dans un second temps, afin de confronter notre hypothèse à la réalité, il nous paraît pertinent d illustrer nos propos conceptuels avec les dires et ressentis des détenus face aux chevaux. 24

32 CHAPITRE II De la Méthodologie à la Vérification de l hypothèse

33 Ce chapitre se veut être une approche méthodologique de la recherche. Succédant à la partie théorique, nous y élaborons une enquête de validation. Selon BLANCHET et GATMAN 21, l enquête est «l ensemble des opérations pour lesquelles les hypothèses vont être soumises à l épreuve des faits et qui doit permettre de répondre à l objectif qu on s est fixé.» Son objet est de valider, d invalider ou de nuancer notre hypothèse, formulée ainsi : «parce que le cheval s impose comme un symbole de liberté dans les représentations collectives, il se révèle être un vecteur puissant pour soulager les souffrances vécues liées à l enfermement carcéral». Dans une première partie nous présenterons le cadre de l enquête : le terrain, le contexte, la population et la méthode d analyse ; dans un second temps, nous analyserons les propos recueillis au sein des différents articles de journaux dans le but de vérifier les concepts posés par l hypothèse. CHAPITRE II PREMIERE PARTIE LE CADRE DE L ENQUETE Au cours de ma formation d'equithérapeute, à l'occasion d'un stage, j'ai découvert l association Cheval et Insertion avec laquelle je me suis rendue au sein de la Centrale de Poissy, afin d y mener une action avec les chevaux auprès des détenus. La Centrale de Poissy, établissement pénitentiaire situé dans les Yvelines, est donc le terrain 21 BLANCHET Alain, GOTMAN Anne, l Enquête et ses méthodes, l entretien, éd. Nathan Université, Paris,

34 d enquête qui va nous permettre d illustrer et de vérifier notre hypothèse. Jusqu il y a peu de temps 22, cette prison était la seule en France, à proposer aux détenus une activité en lien avec des chevaux. I.1 Le Terrain de l enquête : lieu, contexte & population I.1.1 Le lieu : présentation de la Centrale de Poissy Une maison centrale reçoit les condamnés ayant les peines les plus longues. Le régime de détention est essentiellement axé sur la sécurité. La maison centrale de Poissy accueille des hommes majeurs pour une capacité de 230 places. L établissement pénitentiaire est situé au centre historique de la vieille ville, à proximité de la Collégiale, dans un ancien couvent de religieuses ursulines fondé en 1645, en partie détruit pendant la Révolution et transformé en 1810 en dépôt de mendicité. De 1811 à 1817, les bâtiments ont été transformés pour y recevoir les blessés de l'armée. L'Ordonnance du 3 octobre 1821 convertit le lieu en maison centrale de correction. En 1975, un nouveau bâtiment cellulaire est construit sur quatre niveaux pour accueillir des hommes condamnés dans le ressort de la Cour d'appel de Versailles. I.1.2 Le contexte : l action équestre de Cheval et Insertion Depuis l année 2005, l association Cheval et Insertion 23 se rend une semaine par an au sein de la Centrale de Poissy avec des chevaux. L activité proposée aux détenus se veut être avant tout une approche en immersion dans leur lieu de vie : la prison. Cheval et Insertion s adapte au site et au 22 En septembre 2009, l Etablissement Pénitentiaire pour Mineurs de Porcheville (78) a ouvert ses portes pour la 1 ère fois aux chevaux de Cheval et Insertion, pour une action expérimentale de 2 jours auprès des mineurs incarcérés. 23 Cf. ANNEXE 1: présentation de l association Cheval et Insertion 26