Le Placard. Drake Marlow

Transcription

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2 Le Placard Drake Marlow Québec, Canada, mars

3 Le placard Danny se tient debout dans sa chambre. Il a collé l oreille contre la porte du placard et écoute. Des mots à peine audibles lui parviennent à travers la paroi. Jonathan? Qu est-ce que tu fais là-dedans? demande-t-il. Encore hier, le docteur a tenté de convaincre Danny que Jonathan n est pas réel, qu il est dans sa tête. Plus tard, il a entendu à la dérobée une discussion entre le médecin et sa mère. «Le décès récent de son père, avait dit le médecin, n est pas étranger à la manifestation d un ami imaginaire. À huit ans, c est tout à fait normal et anodin. Ne soyez pas trop inquiète, chère madame, il faut simplement laisser le temps arranger les choses» Mais Danny ne croit pas une seconde ce qu a dit le médecin. Jonathan est de chair et de sang comme lui, il en est convaincu. Danny pense que le médecin est de mèche avec sa mère pour l éloigner de son ami. La voix derrière la porte s amplifie, Danny entend parfaitement ce qu elle lui dit. C est toi, Danny? Ouvre-moi la porte et je laisserai partir Jonathan. La voix est lente et grave, comme celle qu avait son père. Et ferme, aussi. Qui est-ce? se questionne-t-il, et que fait Jonathan dans le placard avec un inconnu? Qui est là, réclame-t-il. Je m appelle Victor. Ouvre, maintenant! Danny sent une vive agressivité dans le ton qu il a employé. Il se raidit, un léger frisson lui parcourt la nuque. Non. Je veux voir Jonathan. Ne lui faites pas de mal. Alors, ouvre la porte. Va-t en, t es pas mon ami. Veux-tu jouer à un jeu amusant? La voix s est subitement adoucie, laissant planer un moment d hésitation dans l esprit de Danny. Non, je vous connais pas, finit-il par dire. Partez tout de suite. 2

4 Tu sais jouer à la chasse au trésor? Si tu me rejoins dans le placard, toi, Jonathan et moi chercherons ensemble un magnifique trésor. Tu verras comme on s amusera. Danny reste indécis et pantois. La voix se met à émettre des grognements de colère, comme si l inconnu perdait patience. Danny recule d un pas. Il commence à craindre celui qui garde son ami en otage. Il se fait un sang d encre. Qu est-ce qu il va faire à Jonathan si je lui obéis pas? Qu est-ce qu il va me faire si je lui ouvre le placard? La porte de la chambre claque soudain derrière lui. Sa mère entre comme une furie, s approche de Jonathan et, les bras sur les hanches, lui dit d un ton sévère : Qu est-ce que tu fais encore debout? T as vu l heure qu il est! C est ça, tu parles de nouveau à ton Jonathan. Mais c est pas Jonathan, répond Danny, c est Victor, je crois qu il est méchant. Tu as huit ans, Danny, il est grand temps que ton Jonathan disparaisse de ta vie et que tu te fasses de vrais amis. Mais le garçon n écoute pas. Il fixe le placard. Victor retient toute son attention. Il craint le pire pour son camarade. Maman, est-ce qu on peut jouer à la chasse au trésor dans un placard? Sa mère laisse sa question en suspens. Elle lui prend la main, l entraîne jusqu à son lit et le couche. Elle semble irritée. Elle tire d un geste brusque la couette par-dessus Danny et lui plante un baiser tout sec sur la joue. Oublie ça et dors, maintenant. Elle éteint la lampe de chevet, se dirige vers la lueur diffuse du couloir, sort de la chambre. Elle ferme doucement la porte derrière elle. Danny lance un petit cri de frayeur lorsque la noirceur tombe. Son cœur cogne fort contre sa poitrine. Il repense à Victor. Il repense à son ami Jonathan prisonnier de Victor. Il ne réussit pas à se rendormir. TOC-TOC 3

5 Le bruit provient du placard. Victor est toujours là. TOC-TOC-TOC Le bruit se fait plus pressant. Danny remonte la couverture sur sa tête, se bouche les oreilles avec la paume de ses mains. Une peur comme jamais il n a connu jusqu à présent, se répand soudainement dans tout son corps. TOC-TOC Il se crispe, se recroqueville en position fœtale. Non, va-t en, je t en supplie, se répète-t-il dans sa tête. TOC-TOC Il n en peut plus. Il allume la lampe. La clarté lui donne un certain courage. Il recouvre suffisamment de sang-froid pour sortir du lit. Il s approche craintivement du placard et se met à genou devant la porte, les mains jointes. Des gouttelettes de sueur perlent sur son front. Va-t en! implore-t-il avec les larmes aux yeux. Va-t en! Victor pousse un grognement menaçant, presque animal. Si tu veux revoir Jonathan, lance-t-il avec hargne et détermination, tu dois m ouvrir tout de suite. Danny hésite. Il ne voit pas comment il pourra vivre sans son ami. Mais s il écoute Victor, il va peut-être faire ce qu il dit et libérer Jonathan. A-t-il le choix? Il pose finalement sa main tremblante sur la poignée et la tourne tout doucement. Puis il tire la porte vers lui, l ouvre tout grand. Il fait noir dans le placard, il règne un silence de tombe. Une odeur putride parvient à ses narines, comme si dans un recoin sombre, une souris pourrissait là-dedans depuis longtemps. Soudain, sort brusquement de l obscurité un bras long et flasque au bout duquel d étranges doigts biscornus se déploient comme des tentacules. Le bras, comme s il était fait d un caoutchouc souple, d une espèce de matière élastique et gluante, s étire lentement jusqu au garçon. Cette chose hideuse tétanise Danny d une peur froide et dure comme l acier. Il voit à travers ses yeux écarquillés la main au bout du bras s arrêter tout près de son visage, son index difforme et poilu lui 4

6 effleurer la joue. Danny respire par à-coups, son cœur bat la chamade. Puis l horrible doigt lui fait signe d avancer. Cette fois, souffle la voix dans l obscurité du placard, je t amène avec moi Danny veut prendre ses jambes à son cou, mais il les sent trop molles pour se lever. Pour courir. Pour fuir. Il se rend compte que son pyjama est mouillé ; Danny se dit que sa maman va le disputer. Il ferme très fort les yeux et attend pendant un petit moment, certain qu après cet instant crucial, en rouvrant les paupières, il verra Jonathan sortir du placard en riant du mauvais tour qu il vient de lui jouer. À moins que 5