Le sujet. Définition générale



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Transcription:

Le sujet Les sciences humaines sont toutes des sciences qui prennent pour objet l homme, par opposition à la nature : sa culture, sa société, son langage, son histoire, sa vie psychique, comprenant la conscience, l inconscient, etc. La question est de savoir si les sciences humaines peuvent se constituer sur le même modèle que les sciences de la nature ou si, ce faisant, elles ne réduiraient pas l homme à un objet naturel parmi les autres en manquant sa spécificité du sujet conscient, producteur de sens et doué de liberté. Définition générale C est le désir de retrouver l homme et de le comprendre comme sujet, c est-à-dire dans sa spécificité profonde et essentielle, qui a orienté certains courants des sciences humaines vers une approche plus phénoménologique de l homme en ne l abordant plus comme une simple chose, mais en tenant compte du fait non seulement qu il est avant tout producteur de sens, mais aussi qu il vit dans et par un monde de significations. Le sujet est pris dans le temps. Travail de conceptualisation : sujet, conscience, mémoire, liberté Le sujet se représente le passé comme passé. Il existe une étroite interdépendance entre cette mémoire supérieure et la conscience. En effet, d une part la mémoire nécessite la conscience, et d autre part elle la rend possible au point qu on a pu les identifier. Bergson soutient ainsi que «toute conscience est mémoire». Le sujet peut s entendre comme l antonyme de l attribut, c est-à-dire d un point de vue grammatical ; «Le sujet est ce dont tout le reste s affirme», nous dit Aristote. Il est ce à quoi s applique le prédicat. «J appelle terme ce en quoi se résout la prémisse, savoir le prédicat et le sujet dont il est affirmé» (Aristote, Les Premiers Analytiques). Dans la proposition, «Socrate est mortel», «Socrate» représente le sujet dont le prédicat est «mortel». Or, c est en biologiste qu Aristote étudie l homme, et plus particulièrement l âme. Ce qui caractérise l être vivant en général, selon lui, c est de posséder en lui-même le pouvoir de se nourrir, de croître, de se reproduire, de dépérir. C est à l ensemble de ces fonctions qu Aristote donne le nom d âme. Il explique du reste ainsi les rapports entre l âme

et le corps : «si l œil était un être un être vivant, la vue serait l âme.» Dans le Traité de l âme, il établit une hiérarchie entre les âmes, chacune supposant le degré inférieur. Ainsi, tous les vivants sans exception (y compris les plantes), possèdent le pouvoir de se nourrir, de se développer, de se reproduire ; c est ce qui correspond à l âme végétative. Les animaux possèdent en outre la sensation. C est ce qu Aristote nomme l âme sensitive. La plupart d entre eux peuvent se déplacer grâce à l âme locomotive. Seul l homme ajoute à toutes ses précédentes facultés l intelligence, qui constitue l âme rationnelle. Le sujet peut s entendre comme l antonyme de l objet, c est-à-dire en tant qu être qui connaît les objets ou qui agit sur les objets. Le sujet entendu d un point de vue politique est l individu en tant qu il est soumis aux lois de l État. La psychanalyse a également relié la mémoire à l inconscient. L homme se caractérise par sa qualité d agent libre. Rousseau est tout prêt à concéder à Descartes que l homme, en tant qu animal, n est qu une machine ingénieuse, à la différence près qu il choisit ou rejette non pas par instinct, mais par un acte de liberté. L animal ne peut s écarter de la «règle» qui lui est prescrite par nature. Dans un texte célèbre, extrait du Discours sur l inégalité parmi les hommes, Rousseau illustre cette idée de manière saisissante : «C est ainsi qu un pigeon mourrait de faim près d un bassin rempli des meilleures viandes, et un chat sur un tas de fruits ou de grains, quoique l un ou l autre pût très bien se nourrir de l aliment qu il dédaigne.» Au contraire, l homme peut s écarter de la règle qui lui est prescrite. Il serait même plus exact de dire que la nature ne le soumet à aucune règle si contraignante qu il ne puisse la contourner ou s en exempter. Pour l homme, même s il est vrai que c est un être naturel, la nature ne fait pas office de norme. C est justement parce que la nature ne dicte à l homme aucune conduite qu il peut être considéré comme un être moral. Problèmes et sujets sur le sujet L homme comme sujet Sujet : Les sciences humaines peuvent-elles adopter les méthodes des sciences de la nature? 7

Le sujet d un point de vue moral et politique Sujet : Peut-on qualifier d inhumaines certaines actions de l homme? Des références essentielles L homme comme sujet : Les sciences humaines peuvent-elles adopter les méthodes des sciences de la nature? «La question se pose de savoir si le modèle réduit, qui est aussi le chef-d œuvre du compagnon, n offre pas, toujours et partout, le type même de l œuvre d art. Car il semble bien que tout modèle réduit ait vocation esthétique et d où tirerait-il cette vertu constante, sinon de ses dimensions mêmes? Inversement, l immense majorité des œuvres d art sont aussi des modèles réduits. On pourrait croire que ce caractère tient d abord à un souci d économie, portant sur les matériaux et sur les moyens, et invoquer à l appui de cette interprétation des œuvres incontestablement artistiques, bien que monumentales. Encore faut-il s entendre sur les définitions : les peintures de la chapelle Sixtine sont un modèle réduit en dépit de leurs dimensions imposantes, puisque le thème qu elles illustrent est celui de la fin des temps. Il en est de même avec le symbolisme cosmique des monuments religieux. D autre part, on peut se demander si l effet esthétique, disons d une statue équestre plus grande que nature, provient de ce qu elle agrandit un homme aux dimensions d un rocher, et non de ce qu elle ramène ce qui est d abord, de loin, perçu comme un rocher aux dimensions d un homme. Enfin, même la grandeur nature suppose un modèle réduit, puisque la transposition graphique ou plastique implique toujours la renonciation à certaines dimensions de l objet : en peinture, le volume ; les couleurs, les odeurs, les impressions tactiles, jusque dans la sculpture ; et, dans les deux cas, la dimension temporelle, puisque le tout de l œuvre figurée est appréhendé dans l instant. Quelle vertu s attache donc à la réduction, que celle-ci soit d échelle, ou qu elle affecte les propriétés? [ ] À l inverse de ce qui se passe quand nous cherchons à connaître une chose ou un être en taille réelle, dans le modèle réduit la connaissance du tout précède celle des parties. Et même si c est là une illusion, la raison du procédé est de créer ou d entretenir cette illusion, qui gratifie l intelligence et la sensibilité d un plaisir qui, sur cette seule base, peut déjà être appelé esthétique. Nous n avons jusqu ici envisagé que des considérations d échelle, qui, comme on vient de le voir, impliquent une relation dialectique entre grandeur c est-à-dire quantité et la qualité. Mais le modèle réduit possède un attribut supplémentaire : il est construit,

man made, et, qui plus est, fait à la main. Il n est donc pas une simple projection, un homologue passif de l objet : il constitue une véritable expérience sur l objet ; or, dans la mesure où le modèle est artificiel, il devient possible de comprendre comment il est fait, et cette appréhension du mode de fabrication apporte une dimension supplémentaire à son être ; de plus nous l avons vu à propos du bricolage, mais l exemple des manières des peintres montre que c est aussi vrai pour l art, le problème comporte toujours plusieurs solutions. Comme le choix d une solution entraîne une modification du résultat auquel aurait conduit une autre solution, c est donc le tableau général de ces permutations qui se trouve virtuellement donné, en même temps que la solution particulière offerte au regard du spectateur, transformé de ce fait sans même qu il le sache en agent. [ ] Autrement dit, la vertu intrinsèque du modèle réduit est qu il compense la renonciation à des dimensions sensibles par l acquisition de dimensions intelligibles.» (Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, Plon, 1962, p. 34-36.) C est le désir de retrouver l homme et de le comprendre comme sujet, c est-àdire dans sa spécificité profonde et essentielle, qui a orienté certains courants des sciences humaines vers une approche plus phénoménologique de l homme en ne l abordant plus comme une simple chose, mais en tenant compte du fait qu il est avant tout producteur de sens, et qu il vit dans et par un monde de significations. Ainsi, la vérité de l homme ne saurait être ramenée à la vérité d une chose ou à celle d un organisme. Les sciences humaines d inspiration positiviste prétendent ramener la réalité humaine à des normes expérimentales et objectives dont elles proclament l universalité. Ce faisant : 1/ Elles réduisent l homme à un pur objet, une chose parmi les choses ; ce qu il n est pas puisque sa réalité dernière est d être sujet. L homme en effet n est pas simplement un objet de connaissance, quelque chose qui peut être connu. Il est le sujet de cette connaissance, celui qui connaît. Or, en ne considérant de l homme que ce qui est objectivable, ces sciences n atteignent jamais le sujet humain en tant que conscience. 2/ Elles morcellent l homme réduit à une chose en une multitude de fragments dont chacun fait l objet d une science particulière. Mais elles se révèlent incapables de reconstituer ce qu elles ont brisé en en rendant compte au sein d une science de l homme unitaire. Cette impossibilité de constituer une science unique reste d ailleurs le problème central des sciences de l homme, quels que soient leurs inspirations et leurs fondements épistémologiques. 9

Le courant structuraliste dans les sciences humaines prolonge celui du positivisme dans la mesure où il s efforce de fonder les sciences humaines sur des bases rigoureuses en prenant cette fois pour modèle le formalisme axiomatique des mathématiques. L adoption de la méthode structurale par les sciences humaines a conduit à une remise en cause radicale de l Idée «d homme» dans lequel on ne peut plus voir un sujet, ni même un objet, mais une entité illusoire que la science n a pas à expliquer ou à comprendre, mais seulement à dissoudre, comme le soutient Claude Lévi-Strauss. La méthode structurale pose en effet que la structure (la totalité) préexiste aux éléments qui la composent, lesquels ne peuvent être saisis que par un jeu de relations, d oppositions et de différences, interne à cette structure. Dès lors la seule réalité est celle de la structure et les éléments n ont aucune réalité indépendamment de leur relation à la totalité, puisqu ils n existent pas en dehors de cette totalité. Ce sont les structures qui dictent aux individus leurs fonctions, économiques, linguistiques, gnoséologiques, etc. En considérant donc que les réalités humaines ne forment que des systèmes qu il leur appartient de déchiffrer, les sciences humaines structurales ne voient dans la vérité de l homme qu un fonctionnement intégralement intelligible. Ainsi on pourra proclamer avec M. Foucault la «mort de l homme» entendu comme sujet, comme personne consciente, libre, singulière et irremplaçable ; les individualités humaines se révélant n être que des «lieux», de simples fonctions, dépourvues de toute essence, dans des ensembles qui les dépassent, en même temps qu ils les constituent. Le sujet d un point de vue moral et politique : Peut-on qualifier d inhumaines certaines actions de l homme? «Mais, quand les difficultés qui environnent toutes ces questions, laisseraient quelque lieu de disputer sur cette différence de l homme et de l animal, il y a une autre qualité très spécifique qui les distingue, et sur laquelle il ne peut y avoir de contestation c est la faculté de se perfectionner ; faculté qui, à l aide des circonstances développe successivement toutes les autres, et réside parmi nous tant dans l espèce que dans l individu, au lieu qu un animal est, au bout de quelques mois, ce qu il sera toute sa vie, et son espèce, au bout de mille ans, ce qu elle était la première année de ces mille ans. Pourquoi l homme seul est-il sujet à devenir imbécile? N est-ce point qu il retourne ainsi dans son état primitif, et que, tandis que la bête, qui n a rien acquis et qui n a rien non plus à perdre, reste toujours avec son instinct, l homme, reperdant par la vieillesse ou d autres accidents, tout ce que sa perfectibilité lui avait fait acquérir,

retombe ainsi plus bas que la bête même? Il serait triste pour nous d être forcés de convenir que cette faculté distinctive, et presque illimitée, est la source de tous les malheurs de l homme ; que c est elle qui le tire, à force de temps, de cette condition originaire dans laquelle il coulerait des jours tranquilles et innocents ; que c est elle, qui faisant éclore avec les siècles ses lumières et ses erreurs, ses vices et ses vertus, le rend à la longue le tyran de lui-même, et de la nature.» (J.-J. Rousseau, Discours sur l origine et les fondements de l inégalité parmi les hommes, première partie.) Si l homme est un être en progrès, il est aussi capable de décadence. Rousseau l a fort bien vu en définissant l homme comme une créature perfectible, qui peut se hausser au-dessus de l animalité. Il incluait en lui la possibilité d un recul qui pourrait le reconduire à elle, et même plus bas qu elle. De fait, remarquait Rousseau, on n a jamais vu un animal en torturer un autre, ni tuer par plaisir. L opposition morale de l humain et de l inhumain ne ferait que recouper celle de la culture et de la nature. L acte inhumain serait celui d un dénaturé, d un dégénéré. La culture nous fait perdre notre nature animale pour nous composer une seconde nature qui n a rien à voir avec elle. On touche ici la difficulté interne de la définition de l inhumain comme bestialité : on ne peut opposer la nature à la culture sans opposer la nature à elle-même. La nature, en effet, est autant bonne celle à qui l on attribue le sentiment maternel que mauvaise celle de l instinct agressif. La culture n échappe pas non plus à la contradiction : elle nous hausse au-dessus de l animalité, mais contient en germe le risque d une régression plus basse qu elle. Rousseau, là encore, a raison, quand il dit que «l homme qui vit en société est un animal dépravé» : la culture est au sens propre une dénaturation. Que pouvons-nous attendre de bon d un être dénaturé? 11

Exercices À quel problème renvoient les sujets suivants? 1. L homme est sujet connaissant. Peut-il être aussi objet connu? 2. Les sciences humaines permettent-elles de connaître l homme? 3. Peut-on construire une science de l homme sans nier la liberté humaine? 4. Un savoir sur l homme peut-il être séparé d un pouvoir sur les hommes? 5. Quelle idée de l homme suppose la constitution des sciences humaines? 6. Peut-on dire que «la conscience est l ennemie secrète des sciences humaines»? 7. Les sciences humaines donnent-elles un pouvoir sur l homme? 8. S il n y a de science que du mesurable, peut-on parler de «sciences humaines»? 9. L homme se réduit-il à ce que nous en font connaître les sciences humaines? 10. Y a-t-il des limites à la connaissance de l homme par les sciences?

Quel problème soulève le sujet «L enfant est-il une personne?» Dans la perspective du sujet précédent, quel plan proposez-vous pour traiter le sujet? 1. 2. 3. Rédigez une conclusion pour le sujet précédent. 13