«Le creux dont se motive l idée de tout» 1



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Transcription:

René Lew, pour le séminaire de Dimensions de la psychanalyse concernant la lecture du compte rendu par Lacan de son séminaire «L acte psychanalytique», le 16 octobre 2011 «Le creux dont se motive l idée de tout» 1 J ai déjà commenté au moins cinq fois ce texte de Lacan servant de compte rendu à son séminaire L acte psychanalytique, et une sixième est en attente 2 (sans parler du présent commentaire), sur telle ou telle partie. J aborderai ici un autre point du texte que ceux précédemment étudiés, un point en liaison avec la discussion entamée lors du colloque de Dimensions de la psychanalyse, le 8 octobre dernier, à propos de l universel et des universaux. J irai aussi dans le sens de ce que j ai commencé à préciser hier à la Lysimaque à propos de nominalisme et réalisme. 3 L opinion de Jeanne Lafont exprimée au colloque de Dimensions de la psychanalyse relative au hors point de vue 4, dont je prône le concept, était que le hors point de vue, en se voulant une prise d ensemble de la structure, ouvrait à l universel dans un risque totalitaire (souligné par Frédéric Dahan qui y intégrait l échappement 5, s il est mis à toutes les sauces) 6. Or je considère que le hors point de vue, intégrant l hétéros (les logiques dites «déviantes» par Quine) ne totalise aucune logique canonique. Non seulement mon usage du quadrangle lacanien intègre le vide, comme fonction d ouverture (bien marquée par le concept d échappement), mais aussi la contingence, tous deux se développant en structure d évidement de la fondation et d incertitude sur la production. 7 Pour moi (suivant Lacan), le vide s inscrit en faille dans la structure et cette faille se transcrit en manque réel, faisant bord au trou que le littoral (comme clivage mettant en continuité les éléments qu il sépare) creuse en tant que coupure. 1 J. Lacan, «Compte rendu du séminaire L acte psychanalytique», Autres écrits, Seuil, p. 379. 2-1992, colloque Lysimaque sur «L acte psychanalytique» : «Aussi bien l acte lui-même ne peut-il fonctionner comme prédicat» (cf. Autres écrits, p. 378) ; - 1995 (s.r.), séminaire sur le transfert, Bruxelles, commentaire de l aphorisme «pas de transfert du transfert», et de la référence qui, pour lui servir d appui, est donnée ici pour l unique fois (ibid., p.383) ; - 2002, colloque de Dimensions de la psychanalyse sur la formation du psychanalyste, «Théorie de la limite fondatrice en psychanalyse, son rapport à la formation du psychanalyste» ; - 2008, colloque de Dimensions de la psychanalyse : «Désidentification et désaïfication» (ibid., p. 379) ; - 2011, en réponse à un argument de Frédéric Dahan pour un colloque, «L illisible entre psychiatrie et acte analytique», «Qu est-ce que lire en situation de psychose?» (ibid., p. 382 sur l illecture) ; - 2012 : participation aux mercredis du Cercle freudien, «L incurable» (ibid., p. 381). 3 R.L., «Nominalisme, idéalisme, anti-ontologie», Lysimaque, le 15 octobre 2011 4 R.L., Le hors point de vue, Lysimaque, à paraître. 5 R.L., «L échappement ou Le ratage signifiant au centre de la cure ou Comment jouer de négativité à bon escient», Convergencia, Buenos Aires, avril 2011. 6 Je leur laisse le soin d affiner chacun son propos afin que nous avancions dans ce débat. 7 Cf. R.L., «L incertitude du signifiant», Montréal, 23 octobre 2011. 1

vide coupure clivage littoral manque trou faille non-rapport bord Quant à la contingence, j en inscris le propos dans le cheminement subjectif qui, lorsqu une décision se présente au sujet, implique la nécessité de choisir sans que ce choix soit étayé et sans qu on sache à quoi il mène de façon contingente, précisément, même si le réel qui s en détermine s impose comme tel (avec son poids d impossibilité) au sujet qui n en peut mais. Cette contingence faisant lien avec la nécessité organise un écart de celle-ci d avec le réel qui s avère produit sur le mode que je viens de décrire. Cet écart (Entstellung) invalide toute velléité d absolu, de totalisation, d universalité et même de fondement assuré par avance. écart en-plus C est surtout que l écart d avec l indifférencié produit un en-plus qui permet là encore d échapper à la totalisation 2

production indifférencié écart en-plus + - différenciation polaire tension * Je vais donc réétayer ma conception de la structure logique du sujet dans son rapport aux choses à partir du compte rendu de son séminaire de 1967-1968 par Lacan. Ce lien du contingent au nécessaire, que je viens d évoquer, Lacan le pointe d emblée à propos «du moment électif où le psychanalysant passe au psychanalyste» (p. 375). Je dirai que ce passage, de contingent qu il est initialement, devient nécessaire dès lors qu il est effectué. Qu un acte soit là en jeu, rien de plus sûr, qui change le réel, à le faire dépendre à chaque étape d une cure d un en-plus supportant en retour la fonction qui l induit. production en-plus Cela indique bien le mode de réversion (rétrogrédient) qui articule aussi la contingence à la nécessite. Cette réversivité est récursive, d impliquer dans son action ce qu elle est censée produire. Et ce qu elle est censée produire, dans l acte, est de «changer le sujet», et même de lui donner existence et consistance au sein d un monde que le regard neuf du sujet aura modulé autrement. La récursivité est d autant plus assurée qu elle opère depuis un dire (étoffé d une nomination) : (dire (fonction d acte sujet)). Cette récursivité est explicitement impliquée par Lacan dans son propos : «L acte psychanalytique semble propre à se réverbérer de plus 3

de lumière sur l acte de ce qu il soit acte à se reproduire [R.L. : à se produire] du faire même qu il commande [je souligne, R.L.]» (ibid.). Bien sûr le discours de Lacan substantive par trop les fonctions, mieux vaudrait conserver les verbes (dire, faire, agir (?) ou plus exactement : faire acte de), l évidement fonctionnel en serait plus assuré. Cependant l échappement s assure déjà ici d une involution (ce terme à prendre de La logique du fantasme) marquée comme destitution (p. 375 toujours). L après-coup vient là, en effet, comme anticipation, non sans choix, puisqu il s agit «de décider si le relais peut être pris d un acte tel qu il destitue en sa fin le sujet [R.L. : sujet supposé savoir] qui l instaure [et, réversivement, R.L. : qu il instaure]» (ibid.). Cet après-coup est rétrogrédient dans l acte d anticiper par projection sur ce qu il est supposé induire : que la destitution du sujet (supposé savoir) se présente comme a (en ce qui concerne le versant de l analyste de ce sujet réversif entre analysant et analyste). C est là toute l involution. Anticipation : cette destitution expérimentée (éprouvée?) par l analysant en fin de cure, il se la donne comme visée de sa position d analyste lorsqu il passe en acte sur l autre versant. Aussi l acte est-il bien strictement réversif. Et dans cette réversion le sujet passant analyste s informe lui-même d un avenir de destitution un devenir d objet en tant que manque. Cet objet a, Lacan le qualifie d en-soi, au moins en tant que marqueur d une consistance logique (p. 375, répété p. 377 : «rien n indique que l objet a n a pas une consistance qui se soutienne de logique pure»). commandement creux interdit tout * Au plus direct : il n y d acte que de l objet a, entendons : un manque pris en objet. Ce manque souligne objectalement que l Autre n a pas d existence garantie et, bien plus, si garantie il y a, c est plutôt de son inexistence si du moins «garantie» ici signifie : mise en jeu signifiante. Car il n y a de signifiant que dans la récursivité de son lien à un autre, ce qui ne garantit rien, pas même le passage métonymique d un signifiant à l autre. Cette récursivité fait dépendre la structure de l Autre d une logique impliquant que cette structure «ne va pas à se recouvrir elle-même» (p. 377). À l inscrire comme S(A/ ), ce non-recouvrement est assurément récursif 8, car ce qui est alors produit n est que la structure d involution spécifique du travail signifiant. J insiste : c est la récursivité du signifiant qui s inscrit en creux contre tout universalisme. Par là il n y a de psychanalyste et de cure analytique que dans la singularité qu une position analysante assumée et bien menée peut imposer. Qu on en juge par la répétition du terme de «commande(r)» qui émaille régulièrement ce texte et que je ne commente pas ici malgré tout l intérêt qu il y aurait à considérer cette modalité déontique de l impératif et de l obligation (exigence pulsionnelle, obligation de l advenue subjective, 8 Cf. R.L., «Pas sans S(A/ )», Actes de l E.C.F. n 18, 1990. 4

commandement du surmoi, impératif de jouissance, etc.), lesquelles déplacent par la diversité de leur impact tout principe de directivité signifiante monomorphe et donc de direction de la cure spécifiée par avance et unilatéralement. En face de quoi, il n y a rien d universel, ni même ce que Lacan appelle «du psychanalyste» (p.378). De toute façon, parler de logique, comme le fait Lacan, ne suffit pas. Encore faut-il spécifier celle-ci parmi l éventail des logiques «déviantes» ou, à défaut, elle reste à construire à partir de ces «raisons» à mon sens incontournables que sont la réversivité, la récursivité, l imprédictibilité, l imprédicabilité, la contingence... 9 Pour souligner la réversivité du signifiant, je dirai que l évidement contrebalance l universel, mais le fonde tout autant. La difficulté à laquelle se confronte Lacan est cependant introduite par son propre langage, essentialiste du moins dans sa forme. Car «l objet a» n est pas L objet a, ni de l objet a, mais un objet a. Un tel langage essentialiste semble contredire involution et récursivié signifiantes, mais c est en fait pour y revenir dès que possible. Reste qu au fond de l affirmation que «le psychanalyste se fait de l objet a. Se fait, à entendre : se fait produire de l objet a, avec de l objet a» (p. 379), subsiste la question de préciser comment opère cette production. Un indice et une façon de cerner la réponse à cette question tient aux quantificateurs. On sait que je leur préfère la cotification (ou quotification), façon (modale, bien sûr) d organiser la dialectique fonctionnelle intension/extensions. 10 R intension I S Cette dialectique je l ai déjà précisée comme la mise en continuité des modes de l évidement. 9 R.L., «L incertitude du signifiant», Montréal, 23 octobre 2011. 10 «Cotification» vient de «cote», traduisant le Betrag de Freud : Affektbetrag = cote affective (Freud en français : valeur affective). 5

Ces modes donnés ici, comme «le creux dont se motive l idée du tout» (ibid.), au-delà de cette raison constitutive rendent caduque la totalité elle-même, qui n est produite qu afin de disparaître ou du moins d être contrebalancée par, disons, ses négations : pas-tout, existence, inexistence, comme modes de l involution du tout. existence inexistence tout pas-tout De toute façon, l axe dominant est celui de l amour pour l objet (portant aussi l interdit de l inceste et opérant de l universel à l inexistence). Est-ce pour autant le mérite des quantificateurs de ne pas satisfaire à une prise (du sujet, disons) dans l universel (ibid.)? De toute façon, pour Lacan, il n y a d «idée de tout» qu à prendre aussi en compte en même temps tous ces modes négatifs du tout. À se départir du a on risque de tomber dans l interprétation paranoïaque du tout. De là l élation quasi paraphrénique du négateur dans le syndrome de Cotard en ce que le démenti (Verleugnung) qui y opère touche préférentiellement l objet a (le surnuméraire).. Mais l acte analytique permet d éprouver positivement la structure de la perte conclusive d une cure analytique en supposant que cet objet chu (au-delà d avoir été perdu) soit remis en jeu par la parole tierce de la passe. Au minimum, l objet focalise ce passage, noté par ailleurs comme maniaco-dépressif par Lacan. De là encore l importance du Cotard. Malgré l opinion de Lacan, je ne conçois cependant pas qu il puisse exister un cumul de l expérience analytique, parce qu il ne saurait (à la différence de ce qui implique le capitalisation de la plus-value) y avoir de cumulation de l objet a comme plus-de-jouir (Lustgewinn). Comment pourrait-on, en effet, s approprier le plus-de-jouir d un autre? Tout au plus l on peut lui soutirer la plus-value qu il produit pour la transformer de valeur d usage en valeur d échange. Quant au plus-de-jouir, il n est ni d usage ni échangeable, sauf peut-être négativement dans l amour quand «je te demande de refuser ce que je t offre parce que c est pas ça». En quoi prendre le surplus de jouissance d un autre (si faire se pouvait) m aiderait en rien dans les difficultés que j éprouve vis-à-vis de ma propre jouissance? Ici seul le narcissisme primordial de l identification paternelle opère et nullement la jouissance objectivée (ou pour le moins objectalisée) comme Autre. * Reprenons, pour le développer en ses détails, cet argument que Lacan met donc en œuvre logiquement sous une forme que je retranscris selon la compréhension que j en ai : un manque (un creux) est nécessaire au tout, et le tout étaye par cet appui les oppositions qui lui sont faites. Notons au passage que trois ans plus tard, écrivant «L étourdit», Lacan fera moins état d un manque que du vide existentiel (métaphorisé de l incorporation de l Un-Père) fondant l universel et en en contenant l extensivité. Cependant je ne pense pas que la seconde de ces options logiques chasse la première. Ce sont là deux modes de la déconstruction/construction. L un ressortit au «contien» de l universel propositionnel (et néanmoins modal) par l existentiel modal, l autre à l interdit de l inceste. Le troisième mode 6

est celui de la faille comme non-rapport sexuel entre le tout et le pas-tout. Mais de fait, cette faille empêche tout lien direct du pas-tout au tout. contien tout faille interdit de l inceste pas-tout La place laissée en creux par la chute de l objet a en fin de cure est celle, ontique, de l impossibilité (concernant le réel) et, déontique, de l interdit (concernant l inceste). Et la fonction existentielle (intensionnelle) du Père restreint l expansivité de l extension universelle. Tout cela est lisible par après dans «L étourdit» (en particulier la métaphore de l inceste pour spécifier le lien de la vérité au réel). Or l axe de l interdit de l inceste est aussi celui de l amour (masculin, selon Freud) pour l objet (maternel). P M H F C est là insister sur un passage du vide au manque et retour (par la littoralité et le bord). 11 Suivons donc le propos de Lacan en juin 1969 (la rédaction de ce compte rendu se situe à la fin de l année universitaire où Lacan a tenu le séminaire D un Autre à l autre). Comment se produit le psychanalyste à partir de et avec l objet a? Autrement dit comment, d une part, se fait le passage inverse dans mes termes, de ce qui a été construction du monde, de l Autre et du discours, cette construction allant de l intension signifiante à l extension objectale? Et, d autre part, ce passage inverse ne passerait-il pas aussi par l interdit de l inceste et le lien de contien de l extension signifiante par la parole? fonction vide anti-vertretung objet manque 11 Mais de longtemps Lacan avait avancé cette question de la place en creux du sujet, dans sa «Remarque sur le rapport de Daniel Lagache», Écrits, Seuil, en particulier pp. 668-670, 677. 7

manque tout À noter que la seconde option correspond pour une part à passer de l indifférencié à la différence (en particulier sexuelle) par la voie de l excitation et de la différenciation à la production par la voie de la décharge. production décharge indifférencié excitation H non-rapport F C est là encore une option de désaïfication. «Le prélèvement corporel» dont parle à cet égard Lacan (ibid.) est on en peut plus présent dans le syndrome de Cotard. Cela demande au psychanalyste (et surtout au psychanalysant dans la passe) de laisser de côté pulsion, motion pulsionnelle, et défense à l égard de la pulsion. Le psychanalyste ne saurait de toute façon être un père façon Shylock. En «substance», les choses du monde concernent le sujet de l idéal, idéalisant et idéaliste lui-même narcissisme 1 choses idéal du sujet sujet idéal mais dans la récursivité fondant cette structure d ensemble du sujet (hors pont de vue) en dehors de toute ontologie. 8