OUVERTURE DU MARCHE DE L'ENERGIE LA NOUVELLE DONNE [ EXPLICIT (présentation en dernière page) Octobre 2000 ] ~ ~ ~ L'électricité et le gaz naturel sont des produits comme les autres! C'est le message des directives européennes 96/92 du 18 décembre 1996 et 98/30 du 21 juillet 1998 (application à partir du 10 août 2000) qui oblige les états membres à ouvrir les marchés de l électricité et du gaz. Avec un seul objectif : la volonté de faire baisser les prix de l'électricité et du gaz naturel pour que l'ensemble des consommateurs de l'union en tire profit. Moins de coûts énergétiques, c'est donc moins de charges pour les entreprises. Mais cela signifie aussi si l'ouverture va jusqu'à eux - un moindre coût supporté par les ménages. Cette révolution annoncée du panorama énergétique a commencé dans plusieurs pays d'europe et, grâce à l'intégration européenne, devrait à terme toucher la France qui n'a pas une position d'avant-garde dans ce domaine. Quelles seront les conséquences en France de cette ouverture, à la fois pour le système énergétique et pour les consommateurs? C est à cette question que tente de répondre cette note. 1. Les nouvelles dispositions La directive et sa transcription en droit français La directive européenne relative au marché intérieur de l'électricité, de même que celle relative au marché du gaz naturel, se justifie par le besoin d'assurer un approvisionnement énergétique à moindre coût, garant de la compétitivité, de la sécurité d'approvisionnement énergétique et de l'indépendance de l'europe et respectant l'environnement et par conséquent les engagements internationaux de l'europe. Le texte de la directive "électricité" est très général. A la demande de pays comme la France ou le Portugal, il laisse une grande latitude aux états dans le degré d ouverture de leur marché. La France, qui a adopté la loi au mois de février 2000 avec une année de retard, a opté pour une solution à minima. Elle n a dans un premier temps ouvert son marché de l électricité qu aux clients ne consommant pas plus de 100 GWh/an. Pour le gaz, la situation est en partie comparable. L esprit de la directive est similaire à celui de la directive électricité : ouverture graduelle du marché avec abaissement des seuils d éligibilité, fin du monopole de transport distribution de GDF au profit d autres distributeurs. Là encore, la France a pris du retard dans la transposition de cette directive. Toutefois, en conformité avec ses exigences, GDF a ouvert son réseau le 10 août 2000. L'ouverture du marché est graduelle mais s'accélère Qui peut changer de fournisseur d'électricité ou de gaz? Ouvrir le marché signifie donner au client la possibilité de choisir son fournisseur. Les directives fixent des seuils d'ouverture du marché et définissent les critères d'éligibilité des consommateurs. Pour l'électricité, la Commission a fixé un niveau d'ouverture minimal du marché de 26 % en 1999 (ouverture), 28 % en 2000, 33 % en 2003. 1
Pour le gaz, l'ouverture sera fixée au minimum exigé par la directive, c'est à dire à 20 % du marché. Elle concernera donc au départ, et jusqu'en 2003, 150 sites qui consomment plus de 25 millions de m 3 par an. En 2003, la part ouverte sera portée à 28 % du marché (environ 300 sites consommant plus de 11 Mm 3 /an), puis 33 % en 2008 (environ 700 sites consommant plus de 5 Mm 3 /an). L'éligibilité sera acquise d'office aux producteurs d'électricité à partir de gaz quel que soit leur niveau de consommation, excepté les cogénérateurs qui se voient soumis à un régime particulier : ceux qui bénéficient d'un contrat d'achat au titre de l'obligation d'achat définie à l'article 10 de la loi sur l'électricité ne pourront pas être éligibles. On ignore comment seront traités ceux qui ont bénéficié de l'obligation d'achat qui existait avant la loi du 10 février dernier. Une différence majeure entre l'ouverture du marché du gaz et celle de l'électricité est le statut des régies : à la différence de la loi sur l'électricité, les distributeurs non nationalisés, essentiellement les régies, pourront être éligibles. Mais l'ouverture ne s'arrêtera pas là : en 2006, lorsqu'on fera le point de la situation, un certain nombre de pays auront ouvert le marché à 100 % (un ménage pourra s'abonner ou se désabonner au super marché, comme cela se pratique pour les télécommunications). Les niveaux d'ouverture minimale fixent automatiquement des seuils de consommation ; en France, le premier niveau correspond à 40 GWh par an, le second (2000) à 20 GWh et le troisième (2003) à 9 GWh. Ce sont naturellement les établissements industriels qui sont concernés, et quelques gros établissements du secteur tertiaire 1. En Lorraine, pour la seule industrie, on dénombre 135 établissements qui pourront, lorsque le mouvement de libéralisation sera arrivé à son terme, choisir leur fournisseur d'électricité. Ils seront 51 à pouvoir changer de fournisseur de gaz (tableaux ci-dessous). Cela signifie que 91 % des consommations d'électricité industrielles et 64 % des consommations de gaz industrielles seront ouverts à la concurrence dans un avenir proche. Tableau des entreprises éligibles "gaz" en Lorraine selon les critères initiaux de la directive (base 1998) De 0 à 5 Mm 3. De 5 à 11 Mm 3. De 11 à 25 Mm 3. + de 25 Mm 3. Total Etablissements 646 30 9 12 697 Tableau des entreprises éligibles "électricité" en Lorraine selon les critères initiaux de la directive (base 1998) De 0 à 9 GWh De 9 à 20 GWh De 20 à 40 GWh De 40 à 100 GWh + de 100 GWh Total Etablissements 562 69 23 28 15 697 Pour l'électricité, l'ouverture du marché sera plus rapide. En effet, les autorités ont souhaité aller plus vite et ont fixé le seuil d'éligibilité à 16 GWh/an. 1200 établissements environ ont d'ores et déjà la possibilité de changer de fournisseur 2. Dès la fin de l'année 2000, le seuil des 9 GWh devrait être atteint. Pour le gaz, la transcription de la directive européenne a pris du retard. Si le projet de loi sur "la modernisation du service public du gaz et le développement des entreprises gazières" a été adopté le 17 mai 2000 par le Conseil des Ministres, il n'a pas toujours pas été adopté par le Parlement. Qui peut produire de l'électricité? Toute entreprise qui le souhaite. Elle doit pour cela solliciter une autorisation auprès du Ministère de l'industrie qui statue en fonction de critères technico-économiques (site, sécurité et sûreté, nature de la source d'énergie, service public, etc.). Le refus doit être motivé. 1 On pourrait aussi penser aux grandes communes, mais elles ne sont pas éligibles, pour l'instant, car elles ont de multiples points de livraison. 2 La liste des consommateurs éligibles au titre des articles 1, 2 et 6 du décret du 29 mai 2000 est consultable sur le site du ministère de l'industrie : http://www.industrie.gouv.fr/. On dénombre à l'heure actuelle 81 établissements éligibles en Lorraine. 2
Le transport reste un monopole Pour que la concurrence fonctionne il faut que les clients éligibles et leurs fournisseurs aient accès au réseau électrique : d'autres agents que le propriétaire du réseau ont donc accès au réseau qui fonctionne comme un intermédiaire de l'échange. L'accès régulé 3 est la formule la plus répandue et celle que préconise la CE. Les tarifs sont fixés par les autorités compétentes et s'appliquent à tous les utilisateurs, ils sont publics. Le principe de tarification retenu en France, comme dans la plupart des autres pays est la tarification dite "timbre poste". En Europe les sociétés intégrées (production, transport, distribution) sont la règle. Or la concurrence ne peut fonctionner que si tous les acteurs ont accès au transport, mis à la disposition de tous. Pour que le marché soit ouvert, en particulier sans favoritisme pour la filiale "production" de la société intégrée, il faut créer les conditions de l'indépendance du réseau de transport. En conséquence la directive impose de respecter trois obligations : dissocier le "management" du réseau du reste des activités, dissocier la comptabilité du transport et de la distribution, instituer des mécanismes pour empêcher la communication d'informations confidentielles par le GRT (gestionnaire du réseau de transport). L apparition d une autorité de régulation La régulation est indispensable au fonctionnement des marchés de l'énergie. Son but est d'éviter tout abus de position dominante, au détriment notamment des consommateurs, et tout comportement prédatoire. Dans un pays comme la France, dans lequel le poids des opérateurs historiques est très important, le rôle du régulateur sera particulièrement délicat. En premier lieu il s'agit de savoir ce que recouvre la fonction qui n'existait pas jusqu'à récemment. Aux yeux de certains, le Conseil de la concurrence était en mesure d'assurer ce rôle alors que l'organe de régulation, dans l'esprit de la directive, est " de nature plus dynamique, plus mobile et plus coercitive que la simple surveillance de la concurrence" 4. Plus arbitre que gendarme, son rôle consiste à contrôler les activités monopolistiques et à s'assurer que le libre jeu des forces du marché s'exerce à l'avantage des consommateurs, tout en permettant une saine concurrence entre les entreprises. Le projet de loi française est bien timide, ne conférant à la Commission de régulation qu'un office de proposition et d'avis, sans pouvoir de contrainte sur les opérateurs. En laissant au seul ministre le pouvoir de sanction, et en mettant ainsi en évidence une certaine confusion des genres qui n'est pas pour surprendre : l'etat régulateur est aussi la tutelle d'edf, opérateur dominant du secteur, mais pas unique. On est encore loin du régulateur autonome exigé par la directive communautaire 5. De plus, des obligations de service public et de protection de l'environnement ainsi que les impératifs de la planification nationale limitent la marge de manœuvre des opérateurs et par conséquent celle du régulateur. 3 L'autre formule est l'accès négocié, ou chaque producteur négocie avec le gestionnaire du réseau les conditions d'accès. Cette formule, moins transparente, est utilisée dans un nombre réduit de pays européens, dont l'allemagne. 4 Article de M. A. Frison Roche dans le Monde du 6 octobre 1998 : "Les autorités de régulation ont du mal à s'imposer en France". 5 En revanche, le président de la Commission de Régulation vient d'être nommé, il s'agit de Jean Syrota, ex-pdg de la COGEMA. 3
2. Les évolutions possibles à moyen terme Que va-t-il se passer en Lorraine? Rappelons que, de par son caractère très industriel, le nombre de clients éligibles est important en Lorraine. En 2001, ils devraient être au nombre de 135 environ. Comment peuvent-ils se préparer à cette ouverture? Comme toujours, à la veille de changements majeurs, il est difficile de décider. Les conseils de spécialistes indépendants étant alors extrêmement souhaitables, rares sont certainement les consultants en mesure de conseiller ces industriels (mais il en existe, au moins à l'étranger, et comme on l'a signalé ils se paient sur l'écart entre l'ancien et le nouveau prix ). Les dispositifs mis en place par l'ademe (pré-diagnostics, diagnostics, etc. ) peuvent répondre aux attentes des industriels. 2000-2003-2006 Que se passera-t-il? Les états membres ouvrent leur marché à des rythmes différents : de 26 % à 100 % ; le Royaume Uni, l'allemagne, la Suède et d'autres ont ouvert à 100 %. La France semble vouloir se limiter au minimum : 33 % en 2003. Mais en 2006 la directive européenne sera examinée et le degré d'ouverture pourrait être réajusté. A terme, on peut envisager que la totalité du marché de l'électricité soit ouvert à la concurrence. La directive contient en effet une clause spécifique qui permet aux états membres qui vont au-delà des exigences de la directive de limiter l'accès à leur marché aux producteurs implantés dans les états où le secteur de l'électricité est moins libéralisé. La compagnie nationale d'un pays peu libéralisé, par exemple, ne peut aller sur les marchés plus ouverts : la directive prévient la concurrence déloyale et implique le principe de réciprocité. Ce principe pourrait jouer contre EDF qui développe une politique d'acquisition de compagnies européennes, au Royaume Uni notamment. Il y a des obligations : le service public, les énergies renouvelables et les modes de production Le maintien du service public a été l'un des chevaux de bataille dans la discussion de la directive européenne. Pour l'heure, la péréquation tarifaire n'est pas remise en cause et, d'une façon plus générale, le service public dans sa forme actuelle devrait perdurer. En cas d'ouverture du marché à tous les consommateurs, y compris domestiques, il appartiendrait au régulateur de fixer les règles permettant la desserte de tout le territoire dans des conditions financières supportables pour les clients. De même, s'agissant de la production, la loi votée en février 2000 laisse aux pouvoirs publics une grande latitude dans l'implantation des sites de production (procédure dite d'autorisation). En d'autres termes, l'ouverture du marché ne devrait pas se traduire par le développement anarchique des moyens de production sur le territoire. L'électricité produite à partir d'énergies renouvelables (solaire, hydraulique, éolienne, biomasse, etc.) est dite "propre" : pas d'émission de CO 2, ou le CO 2 émis est compensé par une capacité supplémentaire d'absorption de gaz (biomasse). L'utilisation de ces sources contribue aussi à la diversification de la production et renforce la sécurité d'approvisionnement. L'UE en fait donc la promotion. Mais leur coût est en général supérieur à celui des sources conventionnelles. Il faut donc éviter de fausser les conditions du commerce et de la concurrence sur le marché unique de l'électricité. 4
Une directive est en préparation pour faciliter l'accès de l'électricité issue des énergies renouvelables au marché intérieur. L'utilisation des énergies renouvelables doit donc être encouragée. Dans la loi française, l'électricité produite par des énergies renouvelables (de même que par la cogénération jusqu'au seuil de 12 MW) bénéfice d'une obligation d'achat de la part d'edf et des DNN (distributeurs non nationalisés). L'espoir de la Commission, en promouvant l'usage des énergies renouvelables, est l'apparition d'un "marché unique de l'électricité issue des renouvelables", qui apporterait une contribution décisive aux engagements de l'ue vis à vis du protocole de "Kyoto". Ouverture du marché et évolution des prix et des services : risques et opportunités La directive a pour objectif d'ouvrir le marché de la fourniture d'électricité à la concurrence mais cela donne la possibilité aux nombreux "fournisseurs" qui voudront bien se déclarer de conquérir un "marché" jusqu'alors inexistant : l'usager devient client, le fournisseur doit donc se plier aux contraintes du client. La prestation du fournisseur sera de moins en moins la simple fourniture de kwh et se fera de plus en plus sous forme de services, adaptés à l'outil de production du client, pour le rendre plus performant et compétitif. La concurrence aidant, vendre des kwh deviendra de moins en moins rentable 6, le fournisseur proposera obligatoirement un service, ne serait-ce que pour optimiser sa propre fourniture, car lui aussi devra maîtriser la courbe de charge. La concurrence faisant baisser le prix du kwh, sa marge diminue ; en revanche, en incitant le client à investir en MDE (ou en cogénération), il gagne sur un autre terrain, celui de la technologie et du service. Depuis la fin 1998 le prix directeur a baissé de plus de 40 % Il y a surabondance de l'offre, les prix vont encore baisser, et les services vont inévitablement prendre le relais. Cette situation est celle observée dans un certain nombre de pays qui ont d ores et déjà ouverts leur marché : un industriel allemand, par exemple, quelle que soit sa consommation, se voit sollicité par une multitude d'opérateurs et son coût d'approvisionnement électrique chute rapidement. Dans un premier temps, l'ouverture du marché de l'électricité se traduira par une baisse importante des tarifs de l'électricité. Il faut enfin mentionner des pratiques totalement inconnues en France, telle que le trading de l'électricité, l'ouverture de bourses celle de Francfort s'annonce particulièrement active qui vont transformer de fond en comble les métiers de l'énergie : l'ingénieur sera immanquablement remplacé par le financier et par l'agent commercial, une aubaine pour les clients, qui pourront ainsi trouver des "produits'" physiques et financiers dans des conditions optimales de coût en minimisant les risques. Toutefois, pour que cette vision se réalise, c est à dire celle d une baisse des prix et d une amélioration du service, un certain nombre de conditions doivent être remplies. La première d entre elle est que le régulateur puisse jouer pleinement son rôle. En d autres termes, la concurrence que se livre les opérateurs pour conquérir le plus de parts de marché ne doit pas tourner à la guerre des prix. Dans ce cas, l aspect «service» serait alors relégué au second plan, les producteurs ne cherchant à séduire les clients que par les prix. Ainsi faut-il que des prescriptions quant à la nature et la qualité du service puissent être édictées. 6 Ce qui explique la demande de remise en cause par EdF du "principe de spécialité" qui limite les activités de l'entreprise publique à la production, au transport et à la distribution d'électricité. 5
Autre risque, observé en Grande Bretagne au milieu des années 90, celui de la cartellisation du marché : après une période de concurrence exacerbée, les grandes compagnies ont campé sur leur position, assurant le maintien de leur rente et empêchant l entrée de nouveaux acteurs. Là encore, seule une régulation ferme peut éviter l instauration de pratiques anticoncurrentielles. En définitive, l effet de l ouverture des marchés de l énergie sur les prix varie selon les catégories de consommateurs. Les plus gros, c est à dire ceux qui ont les moyens techniques de mettre en concurrence plusieurs offres, en bénéficieront pleinement. En revanche, pour les autres catégories de consommateurs, l effet de l ouverture des marchés dépendra en grande partie de la capacité de l autorité de régulation à éviter les pratiques anticoncurrentielles. ~ ~ ~ Société EXPLICIT 13, rue du Faubourg Poissonnière 75009 PARIS Téléphone : 01 47 70 47 21 Télécopie : 01 47 70 47 11 E-Mail : explicit@worldnet.fr C'est un bureau d'études économiques, spécialisé dans l'énergie et l'environnement, indépendant de tout groupe industriel ou financier, sans relation avec les opérateurs énergétiques. Il coopère régulièrement avec des professionnels du secteur énergétique, français et étrangers. Les projets réalisés par EXPLICIT sont des études technico-économiques ou des études de programmation à composante stratégique dont le point commun est l'énergie et la protection de l'environnement. Il intervient notamment en sous-traitance de grands organismes français ou étrangers. 6