Comité des droits de l homme des parlementaires CM01 DIEUDONNE AMBASSA ZANG Rapport de Maître Simon Foreman sur sa mission d observation de l audience du 17 septembre 2014 devant le Tribunal criminel spécial 1. À la demande du Comité des droits de l homme des parlementaires je me suis rendu à Yaoundé le 16 septembre 2014 pour assister à une audience du Tribunal criminel spécial du Cameroun dans l affaire Dieudonné Ambassa Zang, cas dont le Comité est saisi depuis 2009. Alors que plusieurs témoins à charge devaient être entendus pendant cette audience, seul l un d entre eux s est présenté. La mission a également été l occasion de rencontrer le Président du Tribunal criminel spécial, ainsi que le Procureur général et les avocats de M. Ambassa Zang. Le présent rapport donne un aperçu du déroulement de la mission et comporte des observations sur certains aspects du cas relatif à M. Ambassa Zang. F 1 A. Mission au Cameroun 2. Je me suis rendu au Cameroun le 16 septembre 2014 et suis rentré en France par avion le jour suivant, après avoir assisté à l audience. Lors de mon arrivée, j ai été accueilli à l aéroport par M. Cyriaque Diny Esseba, de l Assemblée nationale camerounaise qui s est très bien occupé de moi, mettant à ma disposition un agent des services du Protocole de l Assemblée nationale, ainsi qu un chauffeur pour toute la durée du séjour. 3. L audience du Tribunal criminel spécial consacrée à l affaire Dieudonné Ambassa Zang et autres 1 a eu lieu le 17 septembre au matin. Quatre autres défendeurs sont poursuivis en même temps que M. Ambassa Zang : M Mekongo Abega (qui, comme M. Ambassa Zang, n a pas comparu et a fui le pays); M. Mengue Meka; Mme Bikie; et M. Nna Obono. L Ordonnance de renvoi (émise par le juge d instruction pour saisir le Tribunal et résumant les accusations portées contre les cinq défendeurs) donne à penser que la seule relation entre ces cinq affaires est que tous les défendeurs sont d anciens fonctionnaires du Ministère des transports publics, à l exception de M. Ambassa Zang qui n est plus en charge du Ministère.
Le Parquet avait annoncé l audition de quatre témoins : - Un représentant du Ministère des travaux publics - Mme Nolla Bata - M. Kimaka Dieudonné - M. Moussi Manfred Emile. Seul un témoin était présent, le représentant du Ministère des travaux publics. 4. Avant qu il ne soit entendu, un des défendeurs a soulevé une exception préjudicielle : l avocat de la défense, conseil de M. Mengue Meka, a prié le tribunal de constater qu il n était pas saisi à bon droit puisqu il apparaissait que les accusations figurant dans l ordonnance de renvoi devant le tribunal n étaient pas les mêmes que celles qui avaient été initialement portées à son encontre. Le Tribunal a décidé qu il se prononcerait sur cette exception dans son jugement définitif 2. 5. Le Tribunal a ensuite appelé à la barre le seul témoin présent. Le nom du témoin ne figurait pas dans la liste des témoins à charge; il n était désigné que par l appellation «Représentant du Ministère des travaux publics». Il s agissait de M. Valery Baoken. Une telle situation ne va pas sans poser de problèmes puisque le Ministère des travaux publics est partie au procès. En tant que victime présumée, ce dernier s était constitué partie civile, conformément au système en vigueur dans les pays de droit romain qui permet aux victimes de participer aux procès pénaux en qualité de partie civile. Lors de l audience, le Ministère était donc représenté par un avocat, Mme Mbenoun, qui a déclaré au Tribunal qu elle n avait été désignée par le Ministère que la veille. M. Baoken a prêté serment en tant que témoin. Néanmoins, il semblait avoir des doutes sur son statut puisqu il a lui-même demandé s il devait être considéré comme témoin ou comme représentant de l Etat. Le Procureur a répondu qu en tant que victime, le Ministère était le témoin principal de l accusation et l a interrogé sur les audits concernant le Ministère des travaux publics pour la période allant de 2003 à 2006. L audience n a duré qu une demi-heure environ. M. Baoken, s appuyant sur les documents qu il avait apportés avec lui et dont aucune copie n avait été remise aux parties, a résumé les conclusions des divers audits effectués sur l exécution du budget du Ministère pour la période 2003-2006. Il m est très clairement apparu que M. Baoken ne maîtrisait pas les informations qu il communiquait au Tribunal et qu il se bornait en réalité à résumer les conclusions des audits entrepris par le bureau d audit du Contrôle supérieur de l Etat. 6. Après avoir recueilli le témoignage de M. Baoken, l avocat du Ministère des travaux publics, Mme Mbenoun, a demandé la suspension de l audience, expliquant qu elle aurait souhaité interroger le témoin (qui n est autre que son client) mais qu elle avait besoin de temps pour étudier l affaire et préparer ses questions. Compte tenu de l absence des trois autres témoins à charge, et de manière à permettre à Mme Mbenoun de se préparer, le Tribunal a ajourné l audience jusqu au 2 octobre 2014, date à laquelle l audience a de nouveau été reportée jusqu au 16 octobre en raison de l absence du Président. 7. J ai profité de ma présence à Yaoundé le 17 septembre pour rencontrer l équipe chargée de la défense de M. Ambassa Zang, composée de M. Ebaa Manga et de M. Etienne Abessolo, et pour m entretenir avec M. Nsoga Emile Zephyrin, Procureur général, et avec M. Yap Abdou, Président du Tribunal criminel spécial. Je les remercie tous d avoir bien voulu m accorder du temps. 2 Dans la mesure où l accusation portée contre M. Mengue Meka ne semble pas liée aux accusations portées contre M. Ambassa Zang, cet incident n aura pas de consequences sur l affaire le concernant. 2
B. Observations sur certains aspects du cas relatif à M. Ambassa Zang 8. Les différentes étapes de la procédure qui a abouti au renvoi de M. Ambassa Zang devant le Tribunal criminel spécial peuvent être résumées comme suit : Le 23 août 2006, le bureau d audit du Contrôle supérieur de l État a engagé un audit de l exécution des budgets du Ministère des travaux publics pour la période 2003-2006. Le rapport d audit, daté du 30 janvier 2009, conclut que diverses malversations financières ont été commises pendant la période susmentionnée. Ce rapport a donné lieu à une enquête de police au cours de laquelle l immunité parlementaire de M Ambassa Zang a été levée, le 7 août 2009. Il a apparemment été mis fin à l enquête de police le 15 mars 2011. Le 11 juin 2013, soit deux ans plus tard, le Procureur général du Tribunal criminel spécial a renvoyé 15 personnes devant le juge d instruction de cette juridiction, y compris M. Ambassa Zang. Le même jour, une action pénale a été engagée pour des infractions qui auraient été commises 10 ans auparavant, alors que l intéressé était Ministre des travaux publics. Le juge d instruction a mené sa propre enquête et émis un mandat d arrêt contre M. Ambassa Zang le 30 octobre 2013. Le 9 juin 2014, il a finalement émis une ordonnance de renvoi de l intéressé et des quatre autres défendeurs devant le Tribunal criminel spécial. 9. Il importe de souligner que l ordonnance de renvoi devant le Tribunal émise par le juge d instruction, qui dresse la liste des chefs d inculpation retenus contre M. Ambassa Zang, ne fait nullement état d une quelconque forme d enrichissement personnel de ce dernier. La plupart des accusations portées contre lui s expliquent par le fait que les auditeurs n ont trouvé aucun document justifiant diverses dépenses budgétaires, pour lesquelles il n a pas donné d explication. Vu qu en règle générale, les ministres n emportent pas avec eux les documents comptables lorsqu ils cessent leurs fonctions, les arguments présentés par M. Ambassa Zang pour sa défense reposent pour l essentiel sur des documents susceptibles d être consultés aux archives du Ministère des travaux publics ou du Ministère des finances. Quoi qu il en soit, son incapacité à fournir les justificatifs détaillés de dépenses engagées 10 à 12 ans plus tôt (2002-2004) ne suffit pas à établir l infraction de détournement de fonds. En l absence d intention criminelle, on ne peut guère parler d autre chose que d irrégularités de gestion, lesquelles appellent une sanction disciplinaire. La lecture de l ordonnance du juge ne fait apparaître aucune mention d une quelconque forme d intention criminelle et à plus forte raison, d enrichissement personnel. 10. Au cours de la période de deux ans qui s est écoulée entre la fin de l enquête de police initiale (mars 2011) et l inculpation devant le Tribunal criminel spécial (juin 2013), l option tendant à engager des poursuites pénales contre M Ambassa Zang semblait avoir été abandonnée puisque le Conseil de discipline budgétaire et financière (CDBF) a été saisi le 15 octobre 2012 à la suite d instructions données en ce sens par le Chef de l État. Pendant la procédure devant le CDBF, M. Ambassa Zang a été autorisé à être représenté par son avocat, M. Ebaa Manga. Un rapporteur a été désigné, qui a soumis plusieurs demandes de renseignements à M. Ambassa Zang et à son avocat, demandes auxquelles des réponses ont été apportées quant au fond. Toutefois, après la présentation par M. Ambassa Zang et son avocat de leurs moyens de défense au CDBF, les intéressés n ont reçu aucune nouvelle de la part de cette institution jusqu à ce qu ils apprennent que la procédure pénale avait repris. Il semble y avoir eu une période, au cours du deuxième semestre 2013, pendant laquelle la procédure disciplinaire et la procédure pénale ont été menées en parallèle, puisque le rapporteur du CDBF a prié M. Ambassa Zang de communiquer des renseignements complémentaires en août et en novembre 2013, c est-à-dire après que des accusations pénales ont été portées contre lui au mois de juin de la même année. Parmi les personnes que j ai rencontrées pendant mon séjour à Yaoundé, aucune n a pu me donner de renseignements sur l état de la procédure devant le CDBF. Il semblerait que celle-ci n ait pas été officiellement close et, par une lettre en date du 10 septembre 2014 au Ministre en charge du Contrôle 3
supérieur de l Etat, qui est également le Président du CDBF, M. Ebaa Manga a prié le Ministre d examiner la question. 11. Lors de mon entretien avec le Procureur général, j ai appris que le Tribunal criminel et le CDBF n étaient pas saisis des mêmes faits parce que le CDBF, organe disciplinaire, est tenu de se prononcer sur des questions disciplinaires tandis qu il revient au système de justice pénale de se prononcer sur les infractions pénales. Il ressort pourtant de l examen de l ordonnance du juge d instruction en date du 9 juin 2014, essentiellement axée sur les audits effectués par le Contrôle supérieur de l État, que les faits sont pourtant rigoureusement identiques. L audience du 17 septembre a également confirmé que les griefs examinés par le Tribunal criminel spécial étaient exactement les mêmes que ceux dont était saisi le CDBF : les questions posées par le Parquet à M. Baoken, censées étayées les accusations portées à l encontre de M. Ambassa Zang, de même que les réponses de M. Baoken, renvoient toutes exclusivement à l audit effectué par le Contrôle supérieur de l État. Lors de l échange que j ai eu avec lui après l audience, M. Nsoga Emile Zephyrin, Procureur général, s est référé au principe général du droit pénal français selon lequel le criminel tient le civil en l état pour expliquer pourquoi rien ne justifiait que le Tribunal criminel spécial attende le résultat de la procédure devant le CDBF. Le renvoi à ce principe confirme que les deux ensembles de procédures ont bien traits aux mêmes faits : si des malversations financières ont effectivement été commises, elles seront probablement considérées comme des fautes disciplinaires et des infractions pénales. Il importe de relever qu en droit français, le principe selon lequel «le criminel tient le civil en l état» ne s applique pas à l infraction de détournement de fonds publics. Dans le système français, dont le système camerounais est directement inspiré, les juridictions pénales peuvent bien entendu être saisies en cas de suspicion de détournement de fonds publics; toutefois, en règle générale, elles suspendent la procédure dans l attente d une décision de la Cour des comptes qui est compétente pour se prononcer sur l existence d une telle infraction. Si celle-ci décide que l infraction de détournement de fonds publics a bien été commise, la procédure suit alors son cours et la juridiction pénale saisie se prononce sur les aspects pénaux de l accusation (existence d une intention criminelle, existence de circonstances atténuantes, peine à appliquer...). Compte tenu de ce qui précède, ma mission a consisté à déterminer pourquoi les autorités avaient décidé de reprendre la procédure pénale alors que le Chef de l État avait donné pour instruction de renvoyer l affaire au CDBF, même si le droit camerounais autorise semble-t-il que ces deux procédures soient menées de front au risque toutefois d aboutir à des résultats contradictoires. 12. Dans un tel cas, l on risque en effet d aboutir à des résultats contradictoires. La législation camerounaise ne permet pas à l accusé d être représenté par des conseils auprès d une juridiction pénale s il ne comparaît pas lui-même. Dans ce cas, une décision est rendue par contumace. M. Yap Abdou, Président du Tribunal criminel spécial, m a confirmé que même si M. Ambassa Zang avaient été représenté aux audiences du Tribunal, ses avocats n auraient pas pu s exprimer en son nom ni intervenir dans la procédure à quelque égard que ce soit. M. Yap Abdou a aussi indiqué que même si les avocats de M. Ambassa Zang avaient soumis des documents ou d autres moyens de preuve, le Tribunal n aurait pas pu les examiner. Autrement-dit, en l absence du défendeur, la décision du Tribunal repose essentiellement sur l accusation et sur les éléments de preuve apportés par le Parquet. La Cour européenne des droits de l homme a estimé à plusieurs reprises qu on pouvait comprendre que les juridictions pénales puissent sanctionner les défendeurs qui refusent de comparaître devant les tribunaux chargés de les juger, mais que les priver ainsi de tout droit d être défendu était une violation du droit à un procès équitable. Ainsi, la France avait-elle dû modifier sa législation en conséquence. La Convention européenne des droits de l homme n est bien évidemment pas applicable au Cameroun, mais le droit à un procès équitable est également consacré par des instruments internationaux qui sont contraignants pour ce pays, par exemple le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ou la Charte africaine des droits de l homme et des peuples. 4
Les principes d un procès équitable visent non seulement à protéger l accusé, mais permettent en outre d assurer une justice de meilleure qualité. Quand elles reposent sur les arguments d une seule partie, les conclusions d un tribunal sont beaucoup moins crédibles. Il est intéressant de relever à cet égard que M. Ambassa Zang peut être représenté devant le CDBF en son absence. Même s il ne m appartient pas de donner mon avis sur le fond des accusations portées à son encontre et sur les arguments qu il fait valoir pour sa défense, j ai pourtant lu les arguments très détaillés et très substantiels soumis par écrit par M. Ambassa Zang et ses avocats, qui répondent à chaque accusation par des explications et arguments précis. Ceux-ci doivent être dûment examinés et pris en considération. Ainsi qu indiqué ci-dessus, la mise en suspens de la procédure pénale dans l attente du résultat de la procédure engagée devant le CDBF serait un moyen approprié d organiser la traduction simultanée de M. Ambassa Zang devant les deux organes concernés, même si l intéressé se trouve au Cameroun. Or en son absence, et compte tenu de l impossibilité pour le Tribunal criminel spécial de tenir compte de ses arguments, une mise en suspens serait des plus sages si l objectif du Tribunal est que l intéressé bénéficie du procès le plus équitable possible dans cette situation et en l état actuel de la législation camerounaise. * * * Paris, 11 octobre 2014 5