Christophe Dossou Agbodji La Chute du mur de Karakachie Tragédie en trois actes 2
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En mémoire de Jeanne, ma mère dont la vie fût bien amère Je t ai promis, Pauvre Maman que ton souvenir restera mon amant que la saveur de l encre de mon stylo servira à peindre ces princes envoyés là-haut pour le seul péché d avoir pensé haut Tout changera, tu l as prophétisé Quand nous suivrons Saralolé. 2 3
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Prologue La scène est faiblement éclairée. Sur fond de musique douce, on entend une voix qui la présente et la commente. Le côté droit est occupé par un vieil homme et une femme avancée en âge. Non loin d eux, se tient un jeune homme. Une jeune fille et un autre jeune homme se laissent découvrir au milieu de la scène. A l extrême gauche, totalement plongées dans le noir, l on devine à peine quelques têtes d hommes. 2 5
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Une voix Mesdames et Messieurs, bienheureux êtes vous, car il vous est offert de découvrir l existence d un peuple. Ces gens que vous voyez sur la scène sont tous, à l exception de la jeune fille, du même royaume : celui de Karakachie. Ils forment un seul peuple : on les appelle les Karakaches. Les Karakaches ont aussi un vœu, un seul et même vœu : celui de voir la mer ; cette mer dont ils entendent, quand les bêtes arrêtent de bêler et de meugler, le roulement des eaux. Petits et grands ne rêvent que d une seule et même chose : découvrir cette mer dont ils hument souvent l air, assis à la porte de leur maison. Pourtant, la mer est tout proche d eux, seulement à quelques mètres des confins de leur royaume. Cet homme que vous voyez là-bas, ce sexagénaire allongé dans son fauteuil avec une pipe en main est le roi. Les Karakaches ne lui connaissent pas un autre nom que celui de roi. Contentons-nous donc de ce joli nom. Le roi, puisqu il s agit de lui, est vieux et 2 7
fatigué. Il confesse souvent à sa femme, la reine, ses peines et ses chagrins. Certains soirs, après le cri du hibou, le roi appelait la reine et lui parlait de regrets et de remords. Mais, qu est ce qui chagrine autant ce roi et son épouse qui devraient passer une bien jolie vieillesse? Nous le saurons tout à l heure. Laissons le roi et la reine bavarder et occupons-nous du jeune homme qui se tient non loin d eux. Celui là, au moins, a un nom. Il est le plus jeune des enfants de la reine et du roi et il s appelle «Saralolé». Ne m en demandez pas la signification. Je ne serais en mesure de vous le dire puisque je n en sais vachement rien. J ai ouvert tous les livres en différentes langues des divers royaumes et je ne lui pas trouvé de sens. Ce nom est, tout de même, le symbole d une prise de conscience des karakaches et d un retour aux sources des couleurs endogènes. Ce nom est aussi l emblème d une césure, celle de la falsification des grimaces des gens du royaume de la jeune fille. Ce jeune, puisqu il faut parler de lui et c est de lui que nous parlerons et c est lui que vous verrez le plus, tout à l heure : ce jeune homme est un prince. Que dis-je? Ce jeune homme est le Prince. Il sera dans les minutes qui vont suivre être choisi par son peuple pour le guider dans la réalisation de son rêve : son seul et sempiternel rêve qui est de voir la mer. Il refusera. L on lui forcera la main. De peur de se voir traiter de peureux, d irresponsable et de faible, il acceptera de jouer à ce héros qui prend déjà corps 28
dans les idées des karakaches. Intéressons-nous un peu à la jeune fille. Elle risque de se fâcher si nous ne faisons que parler des autres acteurs. Craignons la colère d une femme. Elle s appelle Kopine et tout le monde se plait à l appeler «Princesse Kopine». Elle est la fille du roi Gotro, roi du royaume voisin. Autrefois, les Karakaches étaient au service du roi Gotro. Mais ce fut «autrefois» et autrefois veut dire il y a belle lurette ou encore il y a bien longtemps. Parlons du temps présent. Dans le royaume de la jeune fille dont son père est roi, il y a la mer : cette mer dont rêvent les Karakaches. Et, ceux-ci y vont pour assouvir leur soif de rêve. Le roi Gotro, son père la donnera en mariage à Saralolé. Mais, est-ce vraiment une épouse que celle qui lui a été offerte? Oh, elle me gronde des yeux. Je ne dirai plus rien à son sujet. Regardez maintenant cet autre homme qui est assis au pied de la princesse. Il s appelle Cheffon. Il représente le peuple au palais. Observez-le bien. Oh là là. Il me semble qu il nous entend. Ne parlons plus de lui. Et ce peuple? Ce malheureux peuple pourra-t-il suivre Saralolé jusqu au bout de son rêve? Pourra-t-il faire écrouler ce mûr qui le sépare de la mer et qui l empêche de la voir? Toute l intrigue sera construite autour de ce mûr qui refuse de tomber et dont l odeur, nauséabonde et détestable, commence déjà à rendre la vie difficile aux Karakaches. 2 9
D autres hommes que vous ne pourrez voir feront aussi leur apparition dans la pièce. Ils se nomment les «hommes d honneur». Ce sont des gens de l ombre. Ils font pression sur le peuple et s évertuent à l empêcher d atteindre son rêve. Ne vous en faites pas, ils ne diront rien et on peut parler d eux autant que l on veut. Ils ne bougeront pas. Pourtant, ce sont eux que le peuple suit et ils ont des intérêts à protéger. Chers lecteurs ou spectateurs, prenez soin de défendre les vôtres en nous faisant l honneur de bien suivre cette pièce. Votre histoire y est peut être narrée. 210