Page 1 sur 5 Version PDF Carcinomes épithéliaux cutanés Bulletin infirmier du Cancer. Volume 10, Numéro 4, 107-12, Octobre - Novembre - Décembre 2010, Dossier Auteur(s) : Christine Mateus, Marina Thomas, Service de dermatologie, Institut Gustave Roussy 114, rue Édouard Vaillant, 94805 Villejuif, France christine.mateus@igr.fr ; marina.thomas@igr.fr. Illustrations ARTICLE Introduction Faire une revue exhaustive de l ensemble des carcinomes cutanés serait difficile et beaucoup trop long. En effet, chacune des familles de cellules qui constituent notre peau peut donner naissance à une tumeur bénigne ou maligne. Nous nous limiterons ici aux tumeurs épithéliales malignes les plus fréquentes : les carcinomes épidermoïdes (CE) et les carcinomes basocellulaires (CBC). Épidémiologie Les carcinomes cutanés épithéliaux sont les plus fréquents des cancers. Leur incidence augmente régulièrement du fait de l allongement de la durée de vie et des habitudes d exposition solaire croissante (congés payés, déplacements facilités par les moyens de transport, mode «bronzage» ). En France, l incidence est de 10 à 20 pour 100 000 habitants/an pour les CE et de 70 pour 100 000 habitants/an pour les CBC. Leur incidence est dix fois supérieure pour les personnes âgées de plus de 75 ans. Le CE touche préférentiellement les hommes (deux hommes pour une femme) alors que le CBC touche autant les hommes que les femmes. Aspects cliniques Carcinome épidermoïde Le carcinome épidermoïde peut apparaître spontanément mais est souvent précédé d une lésion cutanée ou muqueuse «précancéreuse» avec une évolution en trois phases : lésion précancéreuse, kératose actinique (figures 1a- 1b) : lésion rosée ou brune, rugueuse au toucher, kératosique, non infiltrée ; CE in situ, Bowen (figure 2) : lésion plane rosée ou brun gris, finement squameuse ou kératosique, fixe, simulant une plaque d eczéma ou de psoriasis ; la lésion élémentaire la plus fréquente est une lésion ulcéro-bourgeonnante saignant au moindre contact (figures 3a-3b). Le CE peut aussi se présenter comme une lésion kératosique, infiltrée, verruqueuse ou
Page 2 sur 5 nodulaire bourgeonnante (figure 3c). Sur les muqueuses, il se développe souvent sur des lésions de lichen scléroatrophique (maladie inflammatoire chronique), de papulose bowénoïde (induit par les papillomavirus humains). Il peut prendre des aspects cliniques variés : lésions ulcérées ou en relief, végétantes voire kératosiques (figure 3d). Carcinome basocellulaire Le carcinome basocellulaire survient au contraire de novo, sans lésion préexistante. Il existe plusieurs formes cliniques : CBC nodulaire : la lésion élémentaire est une papule ou un nodule rosé ou grisâtre, lisse, translucide, télangiectasique : la «perle», qui peut être unique ou associée aux autres formes cliniques (figure 4a) ; CBC superficiel : plaque érythémateuse, plane, bien limitée parfois recouverte de fines squames d extension centrifuge (figure 4b-4c). CBC sclérodermiforme, de diagnostic difficile car il forme une zone pseudo-cicatricielle, mal limitée, lisse, brillante, scléreuse parfois déprimée. Il est de mauvais pronostic du fait de son diagnostic souvent tardif et de son caractère invasif (figure 4d). Ces trois formes cliniques peuvent s ulcérer, se pigmenter (CBC tatoué) et coexister. Le diagnostic est parfois évident cliniquement mais le diagnostic formel est histologique, sur une biopsie ou sur la pièce d exérèse. Il est préférable de réaliser une biopsie pour confirmation histologique avant l exérèse complète de la lésion, lorsque celle-ci est de grande taille ou située sur le visage avec un risque de séquelle esthétique. Bilan initial Le bilan est clinique, avec recherche : d autres lésions suspectes sur le tégument, y compris paumes, plantes, cuir chevelu et muqueuses ; d un envahissement des organes avoisinants et de ses conséquences ; d un envahissement ganglionnaire pour le CE. Un bilan radiologique par IRM ou scanner n est réalisé qu en cas de tumeur volumineuse, récidivante ou située dans des zones à risque comme la région centrofaciale. En cas d extension ganglionnaire (uniquement pour le CE), un bilan à la recherche de localisations à distance par radiographie pulmonaire et échographie abdominale est préconisé. En cas de lésions multiples ou récidivantes, des facteurs de risque devront être recherchés. Facteurs de risque Le principal facteur de risque est l exposition aux ultraviolets (UV) solaires ou artificiels. Les carcinomes épithéliaux semblent induits par l exposition chronique plutôt qu aiguë et intermittente. C est pourquoi on observe ces lésions dans plus de 85 % des cas sur les zones photoexposées (tête et cou, mains, avant-bras, épaules, haut du dos, mollets), sur des patients de plus de 50 ans. Le traitement de certaines dermatoses (psoriasis par exemple) par puvathérapie (psoralènes per os, puis irradiation UVA) entraîne à long terme des carcinomes, y compris sur les parties génitales si elles n ont pas été protégées. Nous ne sommes pas tous «égaux» face aux expositions UV. Le facteur constitutionnel, ou phototype, joue un rôle également important. Les patients de phototype clair (cheveux clairs ou roux, yeux clairs, peau blanche, qui rougissent toujours et bronzent mal) sont plus fréquemment atteints que les patients de phototype
Page 3 sur 5 foncé, naturellement protégés. Le déficit immunitaire (traitements immunosuppresseurs, hémopathies (LLC)) favorise la survenue du CE, qui est le carcinome le plus fréquent chez les transplantés d organes, avec inversion du rapport carcinome basocellulaire/carcinome spinocellulaire observé dans la population générale. L exposition aux radiations ionisantes (accidentelle, radiographies multiples, radiothérapie) favorise la survenue de carcinomes plus de vingt ans après l irradiation. Le tabac favorise le CE des lèvres au même titre que les cancers ORL. L infection par des Human Papilloma Virus (HPV 6, 11, 16, 18) prédispose aux CE des muqueuses (anogénitales) ou périunguéaux (figure 3d). Certaines maladies chroniques (lichen) ou cicatricesplaies chroniques favorisent la survenue de CE. Certaines génodermatoses (maladies génétiques de la peau) prédisposent aux carcinomes cutanés : l albinisme (caractérisé par l absence de mélanine), le xeroderma pigmentosum ou «enfant de la lune» (caractérisé par une sensibilité extrême aux UV), l épidermodysplasie verruciforme (caractérisée par une infection cutanée chronique à HPV). Évolution - pronostic Tout CE est potentiellement agressif. L évolution peut être locale (envahissement des organes voisins), par voie lymphatique (atteinte ganglionnaire locorégionale) (figure 3e) ou hématogène (métastases pulmonaires, hépatiques puis autres). À cinq ans, le taux de récidive locale est d environ 8 % et le taux de métastases de 5 %. Les métastases ganglionnaires sont plus fréquentes en cas de CE muqueux, 20 % contre environ 2 % en cas de CE cutanées. À l inverse le CBC n entraîne pas de métastases, mais son potentiel invasif local peut aboutir à des destructions délabrantes parfois létales (figure 4e). Les facteurs de risque de récidive ou de mauvais pronostic pour les carcinomes épithéliaux cutanés sont la localisation (muqueuse ou médiofaciale), la taille de la tumeur, la survenue chez un patient immunodéprimé, le caractère multirécidivant de la lésion et certains soustypes histologiques (sclérodermiforme, infiltrant, neurotropisme ). Traitement Pour les formes de mauvais pronostic et les récidives, la prise en charge thérapeutique nécessite une discussion et décision en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP). Pour le CE comme pour le CBC, le traitement repose sur la chirurgie (annexe I). Celle-ci doit être carcinologique, c est-à-dire que l examen histologique de la pièce opératoire doit confirmer le caractère complet de l exérèse et en préciser les marges. Pour les CE plus agressifs, des marges de 5 à 10 mm sont exigées. L analyse histologique des berges en peropératoire (examen extemporané) est indiquée lorsque la tumeur est large et qu une plastie sera nécessaire. Si l examen extemporané n est pas réalisable, il est préférable d effectuer la reconstruction au cours d un deuxième temps opératoire, après s être assuré du caractère complet de l exérèse. La radiothérapie (par électronothérapie ou curiethérapie) est proposée : lorsque la chirurgie est récusée ; lorsque l exérèse est incomplète et qu une reprise chirurgicale n est pas possible ; lorsque la tumeur est multirécidivante ; lorsqu il existe des facteurs de mauvais pronostic à l histologie ;
Page 4 sur 5 après curage ganglionnaire (valable uniquement pour le CE qui récidive en ganglionnaire). Une chimiothérapie sur membre perfusé isolé peut être réalisée en cas de CE inopérable sur un membre, soit à visée de réduction tumorale avant un traitement chirurgical, soit à visée palliative. Cette technique consiste à injecter de fortes doses de chimiothérapie (melphalan +/- TNF) sur le membre mis en circulation extracorporelle et en hyperthermie. La chimiothérapie systémique est proposée en cas de métastases à distance. Plusieurs protocoles peuvent être prescrits. Les principales molécules utilisées sont les sels de platine, le fluoro-uracile, les taxanes et les anti-egfr (Epidermal Growth Factor Receptor). À tous les stades, des mesures préventives devront être mises en place : enseigner et réitérer les conseils de photoprotection ; pour les transplantés présentant des tumeurs multiples, la mesure la plus efficace est de diminuer l immunosuppression si cela est possible ; les rétinoïdes per os (vitamine A) peuvent réduire la survenue du nombre de CE, mais ils ne sont que suspensifs et entraînent des effets secondaires non négligeables ; destruction des lésions pré-cancéreuses ou superficielles par différents procédés : cryothérapie (azote liquide) : traitement de référence par une ou deux applications à un mois d intervalle ; chimiothérapie locale par 5 FU 5 % crème (Efudix ) (AAM - remboursée), une application par jour pendant quatre semaines (annexe II) ; immunothérapie locale par imiquimod 5 % (Aldara ), une application trois fois par semaine pendant quatre semaines (annexe II) ; photothérapie dynamique (AMM remboursée) : l application d un produit photo sensibilisant suivi d une exposition à la lumière rouge entraîne une réaction photochimique avec inflammation et destruction des cellules anormales ; laser, qui nécessite une anesthésie locale et entraîne une cicatrisation lente, douloureuse, souvent inesthétique et dyschromique. Surveillance Une surveillance clinique régulière annuelle est recommandée pour les formes de pronostic bon à intermédiaire. La fréquence semestrielle voire trimestrielle pour les CE est souhaitable ainsi que pour les CE et CBC de mauvais pronostic ou récidivés. Le but de la surveillance est de dépister une récidive locale ou ganglionnaire pour les CE, mais aussi l apparition de nouveaux carcinomes cutanés. En effet, le risque de nouveau carcinome cutané après le premier est de 35 % à trois ans et de 50 % à cinq ans. Des examens d imageries (échographie, scanner, IRM) sont utiles pour la surveillance des tumeurs ayant nécessité une reconstruction chirurgicale complexe. Conclusion L incidence des cancers cutanés ne cesse d augmenter. L exposition solaire en est le principal facteur de risque. Le dépistage précoce de ces tumeurs est un élément clé pour une baisse de la morbidité. Ce dépistage doit être réalisé par tous les professionnels de santé y compris les infirmières. La prévention par l éducation à une photoprotection efficace est également indispensable et doit également être réalisée par l ensemble des professionnels de santé y compris les infirmières.
Page 5 sur 5 Références 1. Institut national du cancer, www.e-cancer.fr 2. Prise en charge diagnostique et thérapeutique du carcinome basocellulaire de l adulte. Recommandations. ANAES, mars 2004. www.anaes.fr 3. http://www.igr.fr/fr/page/cancers-de-la-peau_1084 Copyright 2007 - Tous droits réservés