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Transcription:

1 LA REVUE EN LIGNE DU BARREAU de LIEGE - JURISPRUDENCE - Tribunal de première instance de Liège (6 ième chambre ) 16 juin 2003 Assurance incendie Sinistre volontaire - Déchéance ou exclusion Charge de la preuve Clause abusive Acquittement de l assuré - Autorité de chose jugée au pénal sur le civil Surassurance Preuve Retard d indemnisation par l assureur Pas de concours de responsabilité contractuelle et extracontractuelle 1. Le caractère impératif de la loi du 25/6/1992 sur les assurances terrestres autorise le juge du fond à vérifier la qualification d une clause d un contrat d assurance incendie qui pourrait être une clause de déchéance tout en étant présentée sous forme de clause d exclusion par l inversion de la charge de la preuve. En outre, toute clause d un contrat d adhésion imposant un tel renversement de la preuve est abusive au sens des articles 31 et 33 1 de la loi du 14/7/1991 sur les pratiques du commerce dans la mesure où cette clause impose à l assuré de rapporter le fait négatif de l absence de sinistre volontaire. En l espèce, il incombe donc à la Cie d assurance de prouver que l incendie est un sinistre volontaire imputable à l assuré. 2. Compte tenu de l autorité de chose jugée au pénal sur le procès civil ultérieur, l acquittement de l assuré du chef d incendie volontaire empêche la Cie d assurance de démontrer l existence d un sinistre volontaire. Par contre, suite à l acquittement pour tentative d escroquerie, il n y a pas autorité de chose jugée au pénal quant au montant de l indemnisation du dommage réel résultant de l incendie. 3. Une surassurance ne se déduit pas d une différence importante entre la valeur vénale d un bien et sa valeur de reconstruction dès lors que la grille d estimation de la valeur assurée a été remplie avec l aide d un courtier selon les critères forfaitaires proposés par l assureur. 4. La réparation d un dommage résultant du retard d indemnisation par l assureur ne peut pas être accordée sur base de l article 1382 du Code civil. Le concours de responsabilité doit être écarté car ce dommage ne résulte pas (A. et B. / C. )... I Les faits Les demandeurs étaient propriétaires d'un immeuble qu'ils ont fait assurer en incendie auprès de la défenderesse. Selon la grille remplie lors de la souscription d'assurance, l'immeuble fut assuré pour une valeur de 101.345,81 euros et le contenu pour 24.799,35 euros

2 L'immeuble, propriété des demandeurs, est ravagé par un incendie le 18/10/1998. Le dossier répressif monté par les services du parquet est classé sans suite dans le courant du mois de janvier 1999 Les demandeurs peuvent prendre connaissance de ce dossier répressif dès le ler février 1999. La défenderesse, quant à elle, en a eu connaissance dès avant le 07/01/1999. - En date du 01/03/1999, les demandeurs lancent citation à l'encontre de la défenderesse pour l'audience du 10/03/1999. La cause, à l'audience d'introduction, est remise au 21/04/1999. En date du 20/04/1999, la défenderesse porte plainte avec constitution de partie civile entre les mains d'un juge d'instruction à l'encontre des demandeurs pour incendie volontaire, faux et usage de faux et tentatives d'escroquerie à l'assurance. Les arguments contenus dans sa plainte se résument comme suit : - il existe, dans la région du sinistre, plusieurs immeubles où le feu a pris naissance de manière identique à partir du divan se trouvant dans le salon, - il y a sur-assurance, - elle n'a pas, à ce jour, pu prendre connaissance du dossier répressif. L'expert désigné par le parquet conclut à l'existence d'un incendie criminel au seul motif qu'il identifie deux foyers d'incendie dans le canapé. Renvoyés par la chambre du conseil devant le tribunal correctionnel, les demandeurs sont acquittés par jugement prononcé par la 12ème chambre du tribunal correctionnel de Liège en date du 17/12/1999. La défenderesse estimera devoir interjeter appel de ce jugement ; elle ne sera pas suivie par le parquet. La cour d'appel de Liège, appelée à statuer uniquement sur les intérêts civils, par arrêt prononcé en date du 27/06/2002, confirme le jugement dont appel. II Ob jet de l'action Les demandeurs postulent que, sur base de la police souscrite, la défenderesse soit condamnée à leur verser une somme de 25.653,46 euros, somme à majorer des intérêts compensatoires et moratoires à dater du 11 /01 / 1999. En outre, les demandeurs postulent sur base de l'article 1382 du code civil, estimant le refus d'indemnisation abusif, l'octroi d'une somme de 12.196,34 euros pour le trouble de jouissance subi, pour les loyers qu'ils ont dû décaisser pour occuper un logement décent du 15/01/1999

3 au 15/06/2000 et pour les indemniser de l'atteinte à l'honneur subie, le tout à majorer des intérêts compensatoires et moratoires. III Discussion 1. La défenderesse refuse de couvrir le sinistre au motif que les demandeurs restent en défaut d'apporter la preuve qu'il ne s'agit pas d'un incendie volontaire. Elle conclut que l'origine accidentelle (telle une cigarette mal éteinte) est peu probable dès lors que : - il y a deux foyers d'incendie, - le type de revêtement du divan de type vinylique rend peu probable la propagation du feu, - un cendrier se trouvait posé sur une table à quelque 60 centimètres du divan - l'intention d'obtenir un profit illicite est rapportée d'une part par la sur-assurance et la surévaluation des dommages, les demandeurs ayant accepté de réduire de 30% leurs prétentions et d'autre part par la demande d'octroi d'un trouble de jouissance et d'un remboursement de loyer pour une période où leur maison était à nouveau parfaitement habitable. En outre, elle oppose également comme causes de déchéance l'existence d'une sur- assurance et le non-respect par les demandeurs de leurs obligations en matière de déclaration de sinistre et du dommage ( articles 19 et 20 de la loi du 25/06/1992). 2.a Selon l'article 17 de la police souscrite sont exclus «les dommages causés par les faits suivants : l'acte intentionnel commis par ou avec la complicité du preneur, de son conjoint ou de ses mandataires. Aussi, selon la défenderesse, s'agissant d'une cause d'exclusion, il appartient aux demandeurs de rapporter la preuve que le sinistre tel qu'il s'est réalisé n'est pas exclu et donc qu'il ne s'agit pas d'un sinistre volontaire. L'imputation de la charge de la preuve à l'une ou l'autre partie suppose que l'on détermine préalablement si le sinistre intentionnel constitue une cause de déchéance ou une cause d'exclusion. Dans le premier cas, la charge de la preuve repose sur l'assurance ; dans le second cas, elle repose sur l'assuré. Sous l'empire de la loi de 1874, le fait intentionnel de l'assuré était constitutif d'une cause d'exclusion de la garantie ( M. Fontaine, Droit des assurances, Larcier, 2ème éd., n 309). Par contre, nombreux sont les auteurs qui considèrent que, vu le libellé de l'article 8 de la loi du 25 juin 1992, le sinistre volontaire est devenu une cause de déchéance( E. Vieujean, «Le

4 contrat d'assurance aujourd'hui», in Questions de droit des assurances, vol I, jeune barreau de Liège, 1996, p 231 - B. Dubuisson, «L'assurance des risques du mineur» Journal du dr. des jeunes, 1997, p.389). Toute clause entraînant la suppression automatique du droit à la garantie à titre de sanction d'une obligation contractuelle est une clause de déchéance. Il n'est pas contesté que l'article 8 al.ler de la loi du 25/06/1992 énonce une déchéance personnelle d'un droit et non une exclusion de portée générale ( Liège ( 16 ème ch.) 23/11/2001, J.dr. jeun.2002, liv. 217, 42- Liège (16è Ch.) 02/02/2001, J.dr. jeun. 2002, liv. 215, 44, note ; R.R.D. 2001, liv.100, 330- Comm. Mons (3 ème ch.) 16/02/2002, liv6, n 123.577 ; R.D.C. 2000, 774). Dès lors, dans sa formulation actuelle, le sinistre intentionnel est une cause de déchéance selon la loi du 25/06/1992. Il importe peu que les travaux préparatoires manifestent clairement l'intention du législateur de maintenir la solution antérieure, soit la cause d'exclusion. En effet, on ne peut faire prévaloir les travaux préparatoires sur le libellé de l'article 8 de la loi du 25 juin 1992 dès lors que toute interprétation du texte légal, notamment en utilisant les travaux préparatoires, est interdite lorsque le texte de la loi est précis et dépourvu d'ambiguïté ( Cass.22/12/1994, Pas. 1, 1139). Le libellé de l'article 17 de la police souscrite n'est que la transcription dans la police de l'article 8 de la loi du 25/06/1992 si ce n'est que cet article inverse la charge de la preuve, transformant une cause de déchéance en cause d'exclusion. L'article 1315 du code civil n'étant pas d'ordre public, il est permis aux parties de prévoir conventionnellement une modification des règles normales relatives à la charge de la preuve sauf dans les cas où ces règles sont établies par des dispositions impératives. Or, selon l'article 3 de la loi du 25/06/1992, «sauf lorsque la possibilité d'y déroger par des conventions particulières résulte de leur rédaction même, les dispositions de la présente loi sont impératives". Dès lors, le caractère impératif de la loi autorise le juge du fond à vérifier la qualification des clauses qui pourraient être des causes de déchéance mais qui sont présentées sous une autre qualification ( Formation permanente CUP Droit de la preuve, volume XIX-octobre 1997 p.30). En outre, toute clause d'un contrat d'adhésion imposant un pareil renversement de la preuve est abusive au sens des articles 31 et 33 1 de la loi du 14/07/1991 sur les pratiques du commerce dans la mesure où cette clause impose à l'assuré de rapporter un fait négatif au lieu d'imposer à l'assureur la charge d'un fait positif. En conséquence, il incombe à la défenderesse de rapporter par toutes voies de droit que l'incendie est un sinistre volontaire imputable aux demandeurs.

5 2.b La défenderesse n'est pas recevable à démontrer l'existence d'un sinistre volontaire à charge des demandeurs compte tenu de l'autorité de chose jugée qui s'attache aux décisions rendues au pénal. Lorsque le juge répressif a déclaré en termes généraux la prévention non établie, il nie à la fois la culpabilité du prévenu et la participation de celui-ci au fait matériel ( Trousse «L'autorité de la chose jugée au répressif sur le procès civil ultérieur, Rev. Dr. Pén. 1966-1967, p 708 ). La solution n'est pas différente si le juge a prononcé l'acquittement pour défaut de preuves suffisantes ou au bénéfice du doute( Cass. 26/02/1965, Pas. 1965,1, 654 ; Liège, 16/01/1962, RGAR 1962 n 7190). En effet «il est impossible de donner une valeur différente aux décisions du juge, parce qu'ils ont exprimé celles-ci en termes plus ou moins affirmatifs. Il suffit qu'ils affirment ou qu'ils nient ; un jugement n'a pas plus d'effet parce qu'il est fondé sur une certitude plus complète»( Griolet, De l'autorité de la chose jugée en matière civile et criminelle- extrait de la Rev. Part. de dr. Franç. T. XXIII et XXIX, 1876-1868, P. 359) Une décision répressive, une fois prononcée, acquiert une existence indépendante des preuves sur lesquelles elle s'appuie de telle sorte que l'acquittement au bénéfice du doute met un terme définitif à l'action publique tout aussi bien que s'il niait l'existence de faits incriminés. Un fait déclaré non prouvé est judiciairement inexistant ; ce serait contredire la décision rendue au pénal et proclamer «le défaut d'information, de perspicacité ou de conscience du juge répressif» ( Pirson et De Villé, Traité de la responsabilité civile extra-contractuelle, Bruxelles, Bruylant, 1935, T, I n 319) que d'affirmer que cette preuve, qui n'a pas été rapportée devant le juge répressif, a été faite par la suite devant le tribunal civil. Il n'y a donc pas de cause de déchéance pour sinistre volontaire. 3. C'est erronément que la défenderesse conclut à une sur-assurance. En effet, une sur- assurance ne se déduit pas de l'existence d'une différence importante entre la valeur vénale d'un bien et sa valeur de reconstruction. La valeur assurée a été obtenue < en se servant de manière tout à fait correcte des critères forfaitaires proposés à cet effet par l'assureur ( cfr arrêt de la 6ème chambre correctionnelle de la Cour d'appel de 27/06/2002). En outre, cette grille a été remplie avec l'aide d'un courtier dont tout le monde s'accorde sur son grand professionnalisme. On ne peut exiger de tout un chacun de pouvoir faire une juste évaluation de la valeur de construction de son immeuble; pareille compétence est du seul ressort des architectes et des gens travaillant dans la construction.

6 Le tribunal constate en outre que l'expert de la défenderesse n'a jamais évoqué l'existence d'une sur- assurance. C'est d'ailleurs en raison de cette difficulté d'estimation de la valeur assurée que des grilles ont été élaborées pour faciliter le travail de tout un chacun. Aussi, la sur-assurance ne peut être invoquée comme cause de déchéance de la couverture. 4. Il n'y a pas autorité de chose jugée au pénal quant à l'inexistence d'une tentative d'escroquerie en ce qui concerne le montant de l'indemnisation à percevoir. En effet, la prévention B.2 dont les demandeurs ont dû répondre vise exclusivement l'obtention des dommages tels qu'arrêtés par le procès verbal d'expertise. La défenderesse ne démontre pas une surestimation volontaire des dommages subis. En effet, la transaction conclue sur le montant des dommages, dès lors qu'elle suppose l'existence de concessions réciproques, ne donne aucune indication quant au dommage réel du dommage. De même, la seule affirmation de l'expert X. quant à cette surévaluation est insuffisante à démontrer une tentative d'escroquerie à l'assurance dès lors que cette déclaration peut manquer d'objectivité compte tenu des relations existant entre cet expert et la défenderesse. Enfin, si les demandeurs ont admis avoir rentré une évaluation maximale de leur préjudice, il ne s'induit pas de cet aveu que les sommes réclamées seraient sans aucune commune mesure avec le préjudice réellement subi. Enfin la défenderesse n'allègue aucune manœuvre, tromperie ou mensonge dans le chef des demandeurs ayant eu pour objectif de surévaluer les dommages. En effet, l'état de perte a été préparé et défendu par un tiers, le bureau Y. En outre, la demande quant à une indemnisation pour un trouble de jouissance après que celui ait pris apparemment fin est sans incidence quant à la couverture d'assurances dès lors que cette demande est formulée sur base de l'article 1382 du code civil et non en exécution de la police souscrite. 5. Les demandeurs soutiennent qu'en retardant sans justes motifs le paiement des sommes dues en exécution de la police souscrite, la défenderesse a commis une faute délictuelle qui a engendré comme dommage outre un trouble de jouissance supérieur à celui prévu dans le cadre de l'évaluation des dégâts, l'obligation pour eux de devoir pendant un certain temps se loger ailleurs avec pour corollaire le paiement d'un loyer outre le remboursement de leur crédit hypothécaire.

7 C'est erronément que les demandeurs fondent leur action sur l'article 1382 du code civil pour obtenir le dommage complémentaire qu'ils invoquent et consécutif au retard apporté à leur indemnisation. En effet, «la responsabilité d'une partie contractante ne peut être engagée sur le plan extracontractuel, du chef d'une faute commise lors de l'exécution du contrat, que si la faute qui lui est imputée constitue un manquement non pas à une obligation contractuelle mais à l'obligation générale de prudence et que si cette faute a causé un dommage autre que celui qui résulte de la mauvaise exécution du contrat»( Cass. 14/10/1985, RCJB 1988 p. 341). Or, le contenu obligationnel de tout contrat comprend non seulement ce que les parties ont expressément convenu, ( article 1143 al 1 du code civil) mais aussi les obligations dérivées de l'exécution de bonne foi de la convention ( article 1134 al 3 et 1135 du code civil). Ainsi le concours des responsabilités doit être écarté pour sanctionner l'abus de droit en matière contractuelle dès lors que s'il y a abus, cet abus est un manquement à la bonne foi qui doit présider à l'exécution du contrat ( Cass 19/09/1983, RCJB 1986 p. 282). En application de l'article 1153 du code civil, dans les obligations qui se bornent au paiement d'une somme d'argent, les dommages et intérêts résultant du retard dans l'exécution ne consistent jamais que dans des intérêts légaux, sauf les exceptions prévues par la loi et s'il y a dol du débiteur. Les parties ne se sont pas expliquées sur le point de savoir si les faits qualifiés d'abusifs par les demandeurs peuvent ou non être qualifiés de dol. Une réouverture des débats sur ce point s'impose. 6. Selon l'article 67 2 de la loi du 25 /06/1992, l'indemnité est due dans les trente jours qui suivent la clôture de l'expertise. Cependant cette indemnité n'est pas payable et exigible dans ce délai s'il existe des présomptions suivant lesquelles le sinistre peut être dû à un fait intentionnel dans le chef de l'assuré ou du bénéficiaire de l'assurance ou si le bénéficiaire qui réclame l'indemnité est poursuivi pénalement. Compte tenu des circonstances de la cause, le simple écoulement du délai ne vaut pas mise en demeure puisqu'il y a eu poursuite au pénal. Aussi les intérêts sont-ils dus à dater de la citation. 7. Les demandeurs postulent chacun 2.500 euros pour procédure téméraire et vexatoire et pour atteinte à leur honneur. Le fait d'avoir intenté une action judiciaire que les tribunaux ont repoussée ne saurait être considéré en soi comme une faute justifiant l'octroi de dommages et intérêts.

8 Par contre est fautif le fait d'intenter une action dans des conditions qui auraient dû déterminer la demanderesse à s'abstenir. In casu, la défenderesse, qui avait connaissance du dossier répressif avant l'introduction de la plainte déposée au pénal et qui savait que l'existence de deux foyers pouvait se discuter a introduit une action dont elle savait que l'issue favorable était loin d'être évidente Le tribunal peut cependant comprendre que la défenderesse ait, malgré tout, porté plainte au pénal vu la prolifération de sinistres identiques dans la région, élément de fait qu'elle connaissait de par les sinistres enregistrés au sein de sa propre société. De même, l'appel de la décision d'acquittement n'est pas en soi abusif, compte tenu du libellé de cette décision. Par contre, le tribunal ne peut admettre que la défenderesse se soit entêtée en refusant, malgré la teneur et le libellé de l'arrêt de la cour d'appel de Liège du 27/06/2002, de prendre le sinistre en charge alors que les arguments actuellement avancés par elle pour justifier son refus ont été rencontrés par la cour d'appel de manière incidente. En équité, il sera alloué de ce chef à chacun des demandeurs une somme de 625 euros, intérêts compensatoires compris. 8. L'exécution provisoire d'une décision rendue en premier ressort est une mesure exceptionnelle. Compte tenu des différents problèmes de principe que tranche cette décision, de l'absence de danger d'insolvabilité dans le chef de la défenderesse, de l'absence d'une urgence rapportée qui rendrait nécessaire une exécution provisoire du jugement, il n'y a pas lieu d'accorder l'exécution provisoire. (Dispositif conforme aux motifs) Du 16 juin 2003 Civ. Liège (6 ième Ch.) Siég.: Mme E. Rixhon Greffier: Mme V. Kaye Plaid.: Mes Ph. Delfosse et de Decker (loco B. Cartuyvels). Publié par le Tribunal de1ère Instance de Liège 2004-002 Ordre des Avocats du Barreau de Liège