Cass. civ. 2 e, 30 avril 2014, n 13-16.901 Contrat d assurance Droit commun Faute intentionnelle Exclusion conventionnelle de garantie Validité de la clause Obs. : La Cour de cassation remet le feu aux poudres en matière d appréciation de la faute intentionnelle La faute intentionnelle ne cesse de poser question en pratique et, conséquemment, d alimenter une réflexion doctrinale sur la pertinence des évolutions jurisprudentielles récentes (en ce sens, V. spéc. S. Abravanel-Jolly et A. Astegiano-La Rizza : «La faute intentionnelle : le caractère mouvant de la jurisprudence est-il intentionnel?» in ce numéro V. également notre commentaire, «Crêpage de chignons autour de l article L. 113-1 C. ass.», note sous Cass. 2 e civ., n 13-10.160 in www.actuassurance 2014, act. jurisp., n 35). Dans l arrêt commenté, il s agissait de déterminer l ampleur de l intention d une personne ayant provoqué un incendie et d en déduire ou non une exclusion de garantie. La situation pourrait apparaître tout à fait banale sauf que l incendie a semble-t-il dépassé assez largement les ambitions destructrices de l incendiaire. Mme Y avait en effet décidé de mettre le feu au véhicule automobile de M. X. L histoire ne dit pas pour quelles raisons cette personne a procédé de la sorte ; quoi qu il en soit, cet acte de destruction entraîna des conséquences évidemment préjudiciables pour M. X mais pas seulement. Ce véhicule était en effet stationné à l intérieur d un parking exploité par la société Toulousaine de stationnement sous l enseigne Vinci Park. L incendie du véhicule de M. X s est donc propagé à d autres véhicules et à la structure même du bâtiment. Les dégâts sont d une importance considérable puisque le préjudice est évalué à près de 400 000. Dans le cadre d une instance pénale, Mme Y est reconnue coupable de dégradation et destruction du bien d autrui par un moyen dangereux pour les personnes, faits prévus et réprimés par l article 322-6 du Code pénal. Sur l action civile formée par la société Toulousaine de stationnement, il a été reconnu que son assureur lui avait versé une somme et qu en conséquence celui-ci se trouvait subrogé dans les droits de cette dernière pour obtenir auprès de Mme Y et de son assureur (Axa France IARD) le paiement de la somme réglée. La Cour d appel de Toulouse, dans un arrêt du 5 mars 2013, a condamné la société Axa France IARD solidairement avec Mme Y à verser à l assureur de la société Toulousaine de stationnement la somme en règlement des dommages assortie d intérêts. Les juges du fond ont également condamné l assureur à garantir Mme Y de l ensemble des condamnations prononcées à son encontre. Pour décider ainsi et rejeter l exclusion de garantie invoquée par l assureur, la Cour d appel de Toulouse se fonde sur l interprétation classique de la faute
intentionnelle de l article L. 113-1 du Code des assurances. Si ce raisonnement peut justifier le maintien de la garantie (I), la Cour de cassation estime qu il est néanmoins contraire aux clauses conventionnelles d exclusion de garantie intégrées au contrat de Mme Y (II). I. Le maintien de la garantie justifié au regard de l article L. 113-1, alinéa 2 du Code des assurances En précisant que «l assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d une faute intentionnelle ou dolosive de l assuré», l article L. 113-1, alinéa 2 du Code des assurances nous indique que le périmètre de la garantie de l assureur est fonction de l ampleur de l intention malveillante de l assuré. Par ailleurs, suivant une jurisprudence constance, une exclusion de garantie fondée sur la faute intentionnelle de l assuré ne sera justifiée qu à partir du seul instant où il est démontré que celui-ci avait la «volonté de créer le dommage tel qu il est survenu» (en ce sens, V. not. Cass. civ. 2 e, 18 mars 2004, n 03-11.573 ; RGDA 2004, p. 370, note J. Kullmann Cass. civ. 1 re, 6 avr. 2004, n 01-03.494 ; Bull. civ. I, n 108 Cass. civ. 2 e, 9 avril 2009, n 08-15.867 ; Resp. civ. et ass. 2009, comm. 197 Cass. civ. 2 e, 18 févr. 2010, n 08-19.044 ; Resp. civ. et ass. 2010, comm. 137 Cass. civ. 2 e, 1 er juill. 2010, n 09-10.590 ; Bull. civ. II, n 129 Cass. civ. 2 e, 28 avr. 2011, n 10-17501 ; Resp. civ. et ass. 2011, comm. 306 Cass. civ. 3 e, 29 mai 2013, n 12-20.215 Cass. civ. 6 févr. 2014, n 13-10.160, www.actuassurance, n 35, note L. de Graëve). En d autres termes, l exclusion de garantie ne joue que si d une part l assuré a agi volontairement et en pleine connaissance de la dangerosité de son comportement et si, d autre part, il a recherché le résultat dommageable précis tel que celui-ci est constaté. La Cour d appel de Toulouse s inscrit dans cette tendance jurisprudentielle. L exclusion légale de garantie n a point vocation à s appliquer ici dans la mesure où les faits de l espèce ne semblent pas démontrer que Mme Y ait eu l intention, au-delà de la dégradation du véhicule de M. X, de dégrader les autres véhicules ainsi que l immeuble abritant le parking. Puisque Mme Y n a pas eu la volonté de causer les dommages tels qu ils sont survenus, elle doit dès lors jouir de sa garantie pour les dommages qui ne sont pas nés de son intention malveillante. Si cette lecture des faits ne peut recevoir une quelconque critique au regard des dispositions législatives telles que malheureusement interprétées par la jurisprudence, c est au regard des clauses du contrat que l appréciation des juges du fond est plus contestable. II. L exclusion de garantie justifiée au regard des clauses du contrat? Dans les conditions générales du contrat conclu entre Mme Y et la société Axa France IARD, il est indiqué que le «contrat ne garantit pas [ ] les dommages ou leur aggravation intentionnellement causés ou provoqués par les personnes ayant la qualité d'assuré ou avec leur complicité». Selon la Deuxième Chambre civile, la Cour d appel a violé les articles 4 et 5 du Code de procédure civile sur la détermination de l objet du litige par les prétentions des parties. En retenant, pour condamner à garantir Mme Y, que la société Axa France IARD n a invoqué aucune disposition particulière de la police d assurance pour précisément dénier sa
garantie, les juges du fond ont méconnu les textes susvisés. En effet, dans ses écritures, la société Axa France IARD invoquait au contraire l exclusion légale de l article L. 113-1, alinéa 2 du Code des assurances mais également l exclusion contractuelle de garantie contenue dans les conditions générales du contrat. Si la cassation doit effectivement être encourue au regard de la violation des articles 4 et 5 du Code de procédure civile, est-il pour autant évident que la prise en considération de la clause d exclusion permette à la société Axa France IARD de dénier sa garantie? Rien n est moins sûr. La lecture de la clause conventionnelle d exclusion de garantie nous rapproche en effet assez sensiblement de l article L. 113-1, alinéa 2 du Code des assurances. Les dispositions contractuelles font état des dommages causés intentionnellement mais également des aggravations causées intentionnellement par l assuré. Ainsi, suivant une lecture stricte de ces dispositions contractuelles, pour permettre une exclusion de garantie, il conviendrait de prouver que Mme Y ait eu non seulement l intention de détériorer le véhicule de M. X mais également de provoquer les dégradations aux autres véhicules et au bâtiment abritant le parking. L exigence étant alors identique à celle procédant de l article L. 113-1, alinéa 2 du Code des assurances. Or, en l espèce, il est certain que Mme Y a souhaité dégrader le véhicule de M. X ; en revanche, il n est nullement établi qu elle ait souhaité dégrader les autres véhicules et l ensemble immobilier. En conséquence et nonobstant la disposition contractuelle la société Axa France IARD devrait sa garantie puisque les dommages constatés ne découlent pas tous de la faute intentionnelle de Mme Y. Il semblerait donc que le renvoi à la clause d exclusion formelle ne soit d aucun secours pour l assureur de Mme Y ; la sévérité à son égard demeure dans la mesure où les termes de cette clause ne lui permettraient pas de dénier sa garantie. Si la validité de la clause n était pas vraiment discutée dans la mesure où l exclusion était formelle et limitée, on retiendra cependant qu elle manquait d efficacité. Il aurait fallu qu elle envisage les dommages causés intentionnellement ainsi que les aggravations consécutives, que celles-ci aient été ou non souhaitées par l assuré ; l essentiel étant que ces dommages consécutifs procèdent du comportement initial et volontaire de l assuré. La cassation au visa des articles 4 et 5 du Code de procédure civile et non de l article L. 113-1 du Code des assurances semble laisser supposer que la Cour de cassation n a pas forcément et bien malheureusement abandonné son interprétation traditionnelle et ubuesque de la faute intentionnelle laquelle suppose, pour dénier sa garantie, de relever de la part de l assuré une volonté malveillante tournée vers la réalisation du sinistre tel qu il a pu être constaté. Gageons que le jour viendra où la Cour de cassation prendra conscience de son inconscience dans le maintien d une telle appréciation de la faute intentionnelle
Loïc de GRAËVE L arrêt : Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'un incendie s'est déclaré dans un parking exploité par la société Toulousaine de stationnement, à l'enseigne Vinci Park, assurée par la société Sagena, dégradant plusieurs véhicules et atteignant la structure du bâtiment ; que la procédure pénale diligentée a révélé que cet incendie avait pris naissance dans un véhicule appartenant à M. X... et avait pour auteur Mme Y..., assurée auprès de la société Axa France IARD pour sa responsabilité civile ; que par jugement correctionnel du 24 novembre 2008, confirmé par arrêt du 31 mars 2010, devenu définitif, celle-ci a été déclarée coupable du chef de dégradation et destruction du bien d'autrui par un moyen dangereux pour les personnes ; que sur l'action civile formée par la société Toulousaine de stationnement, le tribunal a donné acte à celle-ci de ce que la société Sagena lui avait versé une certaine somme ; que cette dernière, se disant subrogée dans les droits de la société Toulousaine de stationnement, a assigné Mme Y..., ainsi que la société Axa France IARD en paiement de la somme qu'elle avait réglée à la suite de cet incendie ; Attendu que le premier moyen n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ; Mais sur le second moyen, pris en sa première branche : Vu les articles 4 et 5 du code de procédure civile ; Attendu que pour condamner la société Axa France IARD solidairement avec Mme Y... à verser à la société Sagena une certaine somme assortie d'intérêts et la condamner à garantir Mme Y... de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre, l'arrêt énonce qu'aux termes de l'article L. 113-1 du code des assurances, les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l'assuré sont à la charge de l'assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police ; que toutefois, l'assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d'une faute intentionnelle ou dolosive de l'assuré ; qu'en l'espèce, pour dénier sa garantie, la société Axa France IARD, qui n'invoque aucune disposition particulière de la police d'assurance, fait valoir que les dommages causés à la société Vinci Park services proviennent d'une faute intentionnelle de son assurée, Mme Y... ; que toutefois aucun élément tiré de la procédure pénale ne permet d'affirmer que celle-ci, qui cherchait à dégrader le véhicule automobile de M. X..., avait également l'intention de dégrader la propriété immobilière de la société Vinci Park services ; que dès lors, l'exclusion de garantie prévue à l'article L. 113-1 du code des assurances n'a pas vocation à s'appliquer ; Qu'en statuant ainsi, en se fondant exclusivement sur ce dernier texte, alors que la société Axa France IARD faisait valoir, dans ses conclusions d'appel, que les conditions générales visées dans les conditions particulières de la police, précisent en page 23, paragraphe «exclusions générales», c'est-à-dire qui s'appliquent à toutes les garanties, y compris celles qui sont facultatives, que «ce contrat ne garantit pas, indépendamment des exclusions énumérées
précédemment, les dommages ou leur aggravation intentionnellement causés ou provoqués par les personnes ayant la qualité d'assuré ou avec leur complicité», la cour d'appel a dénaturé les termes de ces écritures, et a violé, en conséquence, les textes susvisés ; PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du second moyen : CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il porte des condamnations envers la société Axa France IARD, l'arrêt rendu le 5 mars 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'agen ;