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Année 2009 - Numéro12 Recherche ebs Sciences de Gestion IRebs Institut de Recherche de l European Business School 12

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Sommaire L éditorial d Etienne Bressoud p. 5 JEUX PROMOTIONNELS : FONDEMENTS HISTORIQUES ET PSYCHOLOGIQUES Marc du Peloux p. 6 GESTION DE LA RELATION CLIENT ET E-COMMERCE : EXPLORATIONS CONCEPTUELLES Ahlem Abidi-Barthe p. 18 LA CONFIANCE DU CONSOMMATEUR ENVERS L ENSEIGNE : ANTÉCÉDENTS ET CONSÉQUENCES Souheila Kaabachi p. 32 RECENSEMENT DES VARIABLES EXPLICATIVES DES VENTES : ÉLABORATION D UN CADRE CONCEPTUEL APPLIQUÉ AUX JEUX VIDÉO Etienne Bressoud p.48 3

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L éditorial d Etienne Bressoud Par définition, le consommateur est au cœur de toutes les problématiques marketing auxquelles est consacré ce second cahier de recherche de l Institut de Recherche de l EBS (IREBS). Le consommateur constitue donc naturellement le point commun aux quatre articles présentés et qui traitent de ses attitudes et sa relation avec les produits, les marques ou encore les enseignes. Par delà ce fil conducteur, ces articles diffèrent quant à l approche qu ils proposent. Ces divergences se structurent autour de quatre objectifs de la recherche en marketing : décrire, comprendre, expliquer et prévoir. Décrire. C est ce que fait Marc du Peloux en nous présentant les mécanismes des jeux de hasard qui fondent le jeu promotionnel proposé par les marques aux consommateurs. Son article expose «un éclairage sur les aspects historiques et psychologiques des jeux de hasard» en vue d une mise en relation avec les mécanismes du jeu promotionnel. Comprendre. Ahlem Abidi-Barthe clarifie plusieurs concepts récents centrés sur la relation avec le consommateur. Le CRM, le One-to-One, la personnalisation, le sur-mesure de masse et la mass-customisation sont définis pour indiquer en quoi ils représentent des facteurs clefs de succès pour les entreprises qui les intègrent dans leur stratégie marketing. Expliquer. Dans un troisième article, Souheila Kaabachi analyse la confiance du consommateur envers l enseigne grâce à plusieurs variables explicatives. Prévoir enfin. L estimation des ventes est un objectif pour lequel Etienne Bressoud propose un cadre conceptuel appliqué au jeu vidéo. La prévision du niveau des ventes y est dépendante de variables liées au produit et à l attitude du consommateur. Ce cahier de recherche consacré au Marketing, et donc fédéré autour du consommateur, propose différentes approches que nous vous laissons le plaisir de découvrir. Etienne Bressoud Responsable du Pôle Marketing de l EBS Paris 5

JEUX PROMOTIONNELS : FONDEMENTS HISTORIQUES ET PSYCHOLOGIQUES MARC DU PELOUX Directeur de la 4 è année, EBS Paris Introduction La part des budgets marketing des entreprises de grande consommation consacrée à la communication «média» (hors Internet) tend à stagner depuis plusieurs années en France et dans les pays développés. Celle consacrée aux opérations dites «hors-média» (promotion des ventes, marketing direct, évènementiel ) ne cesse de progresser, (Irep 2006). Aux Etats-Unis, le hors-média a représenté 28,5 % des dépenses marketing en 2003, contre 17,5 % pour la communication média, selon le magazine spécialisé Promo Magazine. La promotion des ventes n est plus seulement un outil ponctuel utilisé pour obtenir des résultats à court terme. Une enquête de la Promotion Marketing Association publiée aux Etats-Unis en 2004 indique que 52,4 % des responsables marketing l utilisent dans le cadre d une stratégie marketing globale, 12.1 % en association avec une campagne de publicité, et seulement 34,5 % pour des raisons purement tactiques, liées à des objectifs de court terme. La promotion des ventes a représenté 15 % du budget de communication des entreprises françaises en 2006 (Irep). Au sein de cette activité, les promotions à caractère ludique, ont représenté environ 13 % des opérations répertoriées en France par la banque de données BIPP pendant la même année. Ces opérations utilisent des mécanismes proches, regroupés sous l appellation «jeux, concours et loteries». La législation française distingue les jeux basés sur le talent et la sagacité du participant, avec obligation d achat du produit porteur, et les jeux basés sur le hasard, qui doivent être gratuits et sans obligation d achat. Conçus et mis en œuvre pour atteindre des objectifs multiples, au sein de secteurs d activité également forts différents, les jeux représentent des techniques promotionnelles originales, uniques, à fort contenu émotionnel. Les caractéristiques intrinsèques de l activité ludique, l intervention du hasard, la valeur perçue des gains, permettent de proposer au consommateur des stimuli radicalement différents de ceux des autres mécanismes promotionnels. Ce domaine particulier de la promotion des ventes, le jeu et ses différents aspects, a fait l objet de peu de recherche conceptuelle dans la littérature marketing française et anglosaxonne. Plusieurs raisons peuvent expliquer cela. Les actions promotionnelles ont historiquement porté le plus souvent sur la modification du prix, variable clé du mix marketing, et sur les nombreuses techniques qui s y rapportent (réductions de prix, coupons, offres de remboursement, soldes ). L efficacité à court terme de ces méthodes, le développement du couponing aux Etats-Unis et l influence de la grande distribution en France ont entraîné une concentration de la recherche sur les promotions à caractère monétaire. La promotion des ventes est encore souvent associée à un bénéfice d ordre utilitaire, souvent immédiat, direct et certain (coût en moins, produit en plus, prime ). Les aspects ludiques, hédoniques, incertains des jeux et concours s éloignent de ces principes, leurs effets sur les ventes et leur influence sur la perception de la marque sont à plus long terme et plus diffus. 6

Parallèlement, le poids économique et social des jeux de hasard ne cesse d augmenter. «Il est probable que l on a jamais autant joué en France qu à l heure actuelle», indique le Sénateur François Trucy dans son rapport de mission sur les jeux de hasard et d argent. En 2003, les 180 casinos de France ont réalisé un chiffre d affaires (appelé «produit brut des jeux») de 2.54 milliards d Euros, dont 90 % grâce aux machines à sous. La Française des Jeux a réalisé en 2006 un chiffre d affaires de plus de 9,4 milliards d Euros, grâce à une palette étendue de jeux et loteries, à gains immédiats ou différés, dont les principes sont souvent repris par les concepteurs d opérations promotionnelles. Environ 30,5 millions de français jouent à au moins un des jeux de la Française des Jeux chaque année alors que les sommes redistribuées aux gagnants (60 % des mises en moyenne), sont nettement inférieures à celles que redistribuent les casinos (90 %), ou le PMU (70 %). Le jeu sous des formes multiples est devenu un élément clé de notre économie, de notre société, de notre vie quotidienne. Les jeux d argent entraînent également certains comportements extrêmes. Les psychiatres Valleur et Bucher (1997) estiment à 300 000 le nombre de personnes qui entretiennent un rapport problématique avec les jeux d argent. Le nombre de joueurs dits «compulsifs» serait de 1 % à 3 % de ceux qui s adonnent aux jeux, selon les sources américaines et canadiennes citées par le rapport du Sénat Français de 2003. Les jeux promotionnels connaissent un essor remarquable, alimenté par l apparition de nouveaux vecteurs (Internet, téléphonie mobile ) particulièrement adaptés à un public jeune, avide de divertissement. Loteries, tirages aux sorts, sweepstakes 1 sont largement utilisés par les marques pour stimuler la demande et valoriser leur image. Approfondir notre connaissance des multiples formes du jeu et des motivations des joueurs est un préalable indispensable à la compréhension du comportement du consommateur face à un stimulus ludique. Cet article présente certains aspects historiques et psychologiques du jeu, en préambule à une recherche doctorale en cours sur l influence des jeux promotionnels sur le consommateur et sur sa perception de la marque. 1. Fondements historiques 1.1 Définitions et évolutions Le dictionnaire Larousse en 3 volumes répertorie 21 définitions du mot «jeu». La littérature relative au jeu traduit la richesse d un concept dont les multiples acceptions rendent toute tentative de définition unique illusoire. «Il arrive que le mot «jeu» soit pris comme une sorte de fourre-tout linguistique désignant l ensemble des activités non répertoriées dans d autres catégories» (Harter, 2001). L étymologie même du mot est incertaine. Il semble que le substantif jeu provienne de «geu» (1160), lui-même issu de «giu», (1080), dérivé du latin «jocus» : jeu en parole, plaisanterie, badinage. «Jocus» fut sans doute associé à «ludus» (jeu en action) et finit par l absorber, ne laissant subsister que l adjectif «ludique», d après le dictionnaire historique de la langue française. Le français «jeu» regroupe ainsi le divertissement libre et l activité réglée, plus ou moins structurée, contrairement à de nombreuses autres langues comme l anglais, où «play», «gamble» et «game» désignent des facettes distinctes du jeu. Le point commun entre un calembour, une partie de tennis, un ticket de loterie ou une performance d acteur semble se limiter en français à ce substantif polysémique. Composante clé de l activité humaine depuis l origine même de notre espèce («le jeu est partout. C est un invariant humain», Caillois, 1967) le jeu, ses origines, ses fonctions, et ses différentes formes ont été appréhendés relativement récemment par la recherche en sciences sociales, puisque jusqu à l ouvrage de Johan Huizinga, «Homo Ludens, essai sur la fonction sociale du jeu» (1938) le phénomène ludique est plutôt ignoré ou entouré de mépris par les philosophes. Pour Aristote, «une vie vertueuse ne va pas sans effort sérieux et ne consiste pas dans un simple jeu». (Editorial de la revue «Sciences Humaines», n 52, août 2004, Le jeu en vaut-il la chandelle?). Au XVIII è siècle, l encyclopédie de Diderot et d Alembert définit le verbe «jouer» avec la 7

condescendance qui reflète l opinion des moralistes et de l Eglise : «se dit de toutes les occupations frivoles auxquelles on s amuse ou on se délasse, mais qui entraînent quelquefois aussi la perte de la fortune et de l honneur». Activité supposée légère, voire futile, le jeu apparaît néanmoins à travers les siècles dans les domaines les plus sérieux et les plus complexes comme la psychologie, la sociologie, l économie ou les mathématiques. Blaise Pascal définit les bases de la théorie des probabilités en aidant son ami, le Chevalier de Méré, joueur compulsif, à estimer ses chances de gagner et de perdre aux dés, alors même que la partie n est pas achevée. Leibniz prolonge l approche scientifique en proposant au mathématicien Bernouilli un «traité mathématique des jeux», qui distingue les jeux de raison, de hasard pur ou de «demi hasard». Les mathématiciens Morgenstern et von Neumann (par ailleurs joueurs de poker) élaborent en 1944 une «théorie des jeux» inspirée de leurs travaux sur le comportement économique et les stratégies de décision. Autrefois restreint aux activités enfantines libres et désintéressées, sa symbolique, la force de ses mécanismes, notamment lorsqu il implique la mise et le gain d argent, lui font rencontrer des domaines aussi multiples que la culture, l art, le sacré, le combat, la justice. Henriot (1989) développe l aspect métaphorique et symbolique du jeu, avec une définition qui conclut son travail de recherche et d analyse : «On appelle jeu tout procès métaphorique résultant de la décision prise et maintenue de mettre en œuvre un ensemble plus ou moins coordonné de schèmes consciemment perçus comme aléatoires pour la réalisation d un thème délibérément posé comme arbitraire.» Jouer c est «faire semblant», créer son propre monde, «transposer les choses dans un ordre nouveau tout à sa convenance». Le jeu est un état mental, un voyage intérieur, un «imaginaire en acte». Il n est pas nécessairement libre, incertain, ou limité dans le temps. Cette valeur symbolique du jeu apporte une dimension importante au concept. Pour Fink (1966) «l homme se transcende lui-même dans le jeu, il dépasse les déterminations dont il s est entouré et dans lesquelles il s est réalisé, [ ], il peut tout recommencer et rejeter le fardeau de son histoire.». Le jeu n est autre que le «symbole du monde». 1.2 Un concept fécond et ambivalent Cette ambiguïté du jeu, la complexité de sa nature, la variété de ses acceptions ont été illustrées par de nombreux artistes et écrivains, qui bien avant le développement des sciences sociales avaient compris l importance d une activité plus sérieuse qu elle ne paraissait à leurs contemporains. Pour Schiller, «L homme n est totalement lui-même que quand il joue», le jeu est alors l expression de sa liberté. Le jeu n est plus abordé sous l angle moral ou utilitariste, il est un fait social qui mérite d être étudié pour lui-même, comme élément important de l activité humaine. Dostoïevski, par l intermédiaire du joueur compulsif de son roman d inspiration autobiographique «Le Joueur» (1866) nous invite à considérer très sérieusement les origines de la passion qui l auto détruit : «Je trouve plus ridicule encore l opinion généralement admise qui estime qu il est ridicule d attendre quoi que ce soit du jeu». Valleur et Bucher (1997) citent Ernest Cassel, banquier d Edouard VII, qui illustre les liens entre les principes du jeu et certaines activités économiques supposées plus sérieuses : «Jeune homme on me disait joueur. Quand mes affaires ont prospéré je suis devenu spéculateur. Maintenant on m appelle banquier. Or, tout ce temps je n ai fait que la même chose» Alors que le jeu chez l enfant fait l objet d études depuis Platon, Aristote, ou Rousseau, Huizinga (1938) sort le jeu de son univers enfantin, pour lui donner un rôle fondateur dans la formation de toute culture humaine. Il y livre une définition nouvelle et riche du concept : «Le jeu est une action ou une activité volontaire, accomplie dans certaines limites fixées de temps et de lieu, suivant une règle librement consentie mais complètement impérieuse, pourvue d une fin en soi, accompagnée d un sentiment de tension ou de joie, et d une conscience d être «autrement» que dans la vie courante». Le jeu n est pas le produit de la civilisation, il est un élément moteur de la construction de la société et de ses règles : les arts, le droit, la re- 8

ligion, les règles du pouvoir et de la guerre sont nés grâce au ferment instillé par les différentes formes du jeu. Les jeux du cirque et du stade de la Rome antique construisent l identité et l unité du peuple, ils ont un droit sacré, dont la tauromachie d aujourd hui est la continuité. Caillois (1958) prolonge le travail de Huizinga sur l interdépendance du jeu et de la culture. Il propose une définition et une classification des jeux qui va servir de référence à la plupart des recherches publiées sur ce sujet ainsi qu aux encyclopédistes. Le jeu pour Caillois ne peut faire l objet d une définition unique, tant certaines de ses caractéristique sont presque mutuellement exclusives. Formellement, le jeu est en effet une activité qui doit être : «1- Libre : à laquelle le joueur ne saurait être obligé sans que le jeu perde aussitôt sa nature de divertissement attirant et joyeux ; 2 Séparée, circonscrite dans les limites d espace et de temps précises et fixées à l avance 3- Incertaine, dont le déroulement ne saurait être déterminé ni le résultat acquis préalablement [ ] 4- Improductive : ne créant ni biens ni richesses, ni élément nouveau d aucune sorte, et sauf déplacement de propriété au sein du cercle des joueurs, aboutissant à une situation identique à celle du début de la partie ; 5- Réglée : soumise à des conventions qui suspendent les lois ordinaires et qui instaurent momentanément une législation nouvelle, qui seule compte ; 6- Fictive : accompagnée d une conscience spécifique de réalité seconde ou de franche irréalité par rapport à la vie courante» Ces critères peuvent s appliquer, pris un par un, à autre chose qu au jeu, mais ce qu il importe de savoir, c est si l ensemble de ces critères ne peut s appliquer, globalement, qu au jeu. La variété infinie des jeux conduit Caillois à déterminer une classification qui contribue à clarifier le concept, et qui fera la renommée de ses travaux. Les jeux sont regroupés en 4 grandes catégories fondamentales : ceux dominés par la compétition, la chance, le simulacre ou le vertige. Au sein de chaque classe, le jeu peut revêtir un caractère qui va du plus libre et spontané, «paida», au plus réglé, «ludus». Compétition, «agôn» : activités engageant les compétences et les qualités des joueurs. On y trouve les sports, les jeux d adresse ou de réflexion comme les échecs, les dames. Chance, «alea» : jeux de hasard comme les dés, la roulette, les loteries. Simulacre, «mimicry» : jeux d imitation, d illusion, comme le théâtre. Vertige, «ilinx» : recherche du «frisson», des sensations physiques extrêmes, comme les attractions foraines, la voltige. Caillois déduit de cette segmentation des jeux une forme institutionnelle, acceptable, intégrée à la vie sociale, et une forme qualifiée de corruption du jeu, et donc moralement inacceptable : Formes institutionnelles Corruption Compétition : Concurrence commerciale Violence, ruse, volonté de puissance, tricherie Chance : Spéculation boursière Superstition, astrologie, voyance Simulacre : Uniforme, cérémonial Aliénation, schizophrénie Vertige : Jeux de foires, Alcoolisme, sports extrêmes drogue Cette corruption correspond pour Caillois à la suppression de la frontière entre le jeu et la réalité, celui-ci devenant alors subordonné aux exigences de la vie. Caillois apporte une vision et une clarification du concept de jeu issue de sa connaissance des cultures et sociétés humaines, même si ses aspects quelque peu systématiques et moraux furent ensuite critiqués. L approche de Caillois est en effet catégorique : les jeux sont obligatoirement distincts de la vie réelle, leurs conséquences sur celle-ci ne peuvent être que des corruptions du jeu, comme les jeux d argent, la spéculation financière, les sports professionnels. Le jeu est par essence improductif, les sommes qu il brasse ne sont qu un transfert sans création de richesse. Le jeu chez Caillois s oppose au sérieux, à l utilité, à la réalité. La correspondance entre la classification de Caillois et certains aspects du marketing et de la gestion est facile à établir : Loteries, sweepstakes, et jeux de hasard, en faisant miroiter des gains parfois considéra- 9

bles, allient l «alea» et l «ilinx», Les concours se rapprochent de l «agôn», dans la mesure où ils mettent en concurrence les capacités et la sagacité des participants. Les jeux de divertissement purs combinent souvent hasard, compétition, et sensations plus ou moins fortes. Dans un autre domaine du management, le simulacre se retrouve dans les techniques de jeux d entreprise, de jeux de rôles, utilisées notamment pour former et entraîner les équipes commerciales ou dirigeantes à la prise de décision et à la gestion des conflits. 1.3 Histoire L histoire des civilisations montre que les jeux sont souvent à l origine liés au sacré, aux fêtes religieuses, au divin. Les cités romaines organisent leurs jeux et s affrontent entre elles, «le jeu apparaît alors comme un rite social exprimant et renforçant l unité du groupe, dont les oppositions internes s extériorisent et se résolvent précisément dans ces manifestations ludiques» (Dictionnaire des symboles, 1969, Robert Laffont, Paris). Les jeux, consacrés aux Dieux, développent sens civique, lien social et sentiment national. Les Jeux Pythiques de la Grèce antique célèbrent la victoire d Apollon, les Jeux Olympiques, selon la légende, sont créés sur les conseils de la Pythie de Delphes, en hommage à Zeus. Ils donnent lieu à une trêve sacrée pendant leur durée. Ils revêtent également un caractère divinatoire, prophétique, les résultats de tirages au sort ou de jeux de hasard sont supposés exprimer la volonté divine et remplacer les prédictions des oracles. Au Moyen Age, les ordalies bilatérales (duel à mort entre individus) déterminent le droit, le vainqueur étant supposé incarner le choix de Dieu. Cette façon d interpréter la volonté divine à travers le hasard sera définitivement réfutée par Saint Thomas d Aquin au XIII è siècle. Dans la littérature sanscrite, (le Mahabahrata, 300 avant J-C), les dés attribuent le pouvoir et décident du sort du royaume. Les dés apparaissent en Chine dès le VII è siècle avant J-C, le mot «hasard», viendrait d ailleurs de l arabe al-zahr, qui signifie «dé». Plusieurs scènes de jeux d enfants ornent les fresques égyptiennes (poupée, balle ). La Rome antique, il y a plus de 2000 ans, voit naître une loi contre les jeux d argent, en raison des excès de certains qui parient toute leur fortune, mais aussi leurs biens, leurs revenus futurs, leurs esclaves, leurs familles. L origine du terme «addiction» provient du terme latin qui signifiait «esclavage pour dettes». Des loteries servant à attribuer des terres sont mentionnées dans l Ancien Testament. Elles firent ensuite partie des jeux du cirque à Rome, avec des récompenses matérielles ou humaines, et elles permirent également de financer certains grands travaux. Le Loto, dont la forme actuelle date de 1976, aurait été inventé en Italie au XVI è siècle, où le mot lotto signifie destin. Il servait à l origine à choisir les sénateurs qui allaient gérer la ville. Importé en France, il donna naissance à la première loterie en 1539. Louis XV fonda la Loterie Royale de l Ecole Militaire en 1776 pour réduire la dette de l état, et les autres loteries furent interdites afin de lui assurer le monopole des recettes. Aujourd hui encore, loteries et autres jeux de hasard, sauf dérogations précises, sont interdits, depuis une loi datant de 1836, sous Louis-Philippe. La loterie d Etat renaîtra en 1933 sous le Président Lebrun. Les échecs dans leur forme actuelle apparaissent en Inde au VI è siècle, les cartes en Italie au XIV è siècle. Les jouets se développent véritablement au XIX è siècle avec l ère industrielle. Ils deviennent le support d une multitude de jeux, sans pour autant apporter de caractéristiques vraiment nouvelles aux variantes de jeux déjà connues. cisions managériales dans le cadre d une simulation où chacun est le patron d une entreprise en concurrence avec les autres. Il existe aujourd hui des milliers de jeux d entreprise permettant ce type de formation à la gestion et à la prise de décision : Shadow Manager, Markstrat etc Charles Fey, mécanicien de profession, élabore la première «machine à sous» aux Etats-Unis en 1895. Elle sera interdite dans 45 Etats sur 50. Les premiers jeux d entreprise apparaissent aux Etats-Unis dans les années 1950. «The Top Management Decision Simulation» entraîne les participants à prendre les bonnes dé- 10

Le premier jeu vidéo, Space War, naît aux Etats-Unis en 1960 au sein du MIT de Boston, Pong en 1970, marque le début du succès de cette catégorie de jeux auprès du grand public. Les jeux vidéo apportent un nouveau support, une nouvelle interactivité, et connaissent un succès commercial considérable. 1.Les theories psychologiques explicatives du jeu Les raisons qui poussent un individu à entreprendre une activité ludique ont été traitées par plusieurs courants de la psychologie. Une théorie en sciences sociales peut être définie comme «un ensemble de concepts, définitions, et propositions inter reliés qui présentent un point de vue systématique d un phénomène en spécifiant les relations entre variables dans le but de l expliquer et de le prévoir.» (Kerlinger, 1986). Les différents courants de la psychologie ont tenté de définir et comprendre les aspects et le sens du jeu et d expliquer les motivations du joueur. Ces théories peuvent être classées plus ou moins chronologiquement en «classiques» et en «modernes» (Ellis, 1973). Certains apports de la psychologie peuvent paraître éloignés du domaine de la promotion des ventes. Répertorier et connaître l ensemble des travaux sur le sujet semble néanmoins utile pour construire ultérieurement un panorama complet des ressorts psychologiques du joueur, quel que soit le type de jeu pratiqué. 2.1 Les théories classiques Groos (1898), apporte les premières tentatives de description et d explication du jeu, à partir de l observation d animaux et d enfants. Ces différentes théories dites «classiques», basées sur l instinct du jeu, seront ensuite contestées et contredites par l expérimentation, il est cependant intéressant de les évoquer brièvement avant d appréhender les travaux plus récents. a. La théorie du surplus d énergie Développée à partir de l observation d animaux et d enfants dès la fin du XIX è siècle (Groos, 1898) elle réduit le jeu au besoin d utiliser un excédent d énergie destiné à l origine à alimenter l instinct de survie. Grâce à certains facteur externes (sécurité de l environnement, protection familiale) cette force vitale n est que partiellement utilisée, et l excès d énergie disponible doit être libéré par des actions non productives comme le jeu. Tolman (1932) dépasse l instinct de survie et parle d «appétit ludique et artistique» à satisfaire, une fois que les besoins primaires (alimentation, sexe, socialisations, repos) ont été rassasiés. Les limites de cette théorie sont nombreuses : l observation du jeu chez l enfant et l animal indique qu un état d épuisement important (où le surplus d énergie est supposé complètement utilisé) n arrête pas la poursuite d une activité ludique, si le stimulus est suffisamment motivant. Des sujets inactifs, comme des animaux sauvages en captivité, ou des enfants dont les troubles psychiques réduisent l interaction avec l environnement, ne sont pas pour autant plus aptes à s engager dans des activités ludiques intense, supposées éliminer un tropplein d énergie a priori très fort. Ils se contentent le plus souvent d activités répétitives, stéréotypées, et faibles consommatrices d énergie (Davenport & Menzel, 1963). Beach (1945) souligne l aspect subjectif et imparfait du raisonnement sur lequel la théorie du surplus d énergie est construite : c est l observateur lui-même qui décide que l animal joue (par exemple à attraper une balle), ou ne joue pas (en attrapant une souris) et donc dépense un surplus d énergie ou une énergie vitale. L observation d enfants hyperactifs (supposés posséder une surabondance d énergie) montre que leur dépense d énergie totale quotidienne n est pas supérieure à la moyenne, et l activité ludique d un groupe d enfants peut-être facilement augmentée ou réduite par les chercheurs, indépendamment de leur état de fatigue (Wade, Ellis et Bohrer, 1971). L énergie est nécessaire pour jouer (fatigue ou mauvais état de santé en diminuent la production) mais elle n explique pas le phénomène. A l opposé du surplus d énergie, la théorie de la relaxation postule que le jeu serait un moyen de récupérer de l effort et du travail, le repos et l inaction ne constituant pas une réponse suffisante aux conséquences d une activité intellectuelle intense, (Patrick, 1916). 11

Ces deux approches sont conciliables si l on considère qu il n existe pas une source unique d énergie, dont la consommation affecterait une unique ressource centralisée : différentes sources d énergie sont utilisées pour différents types de réponses. Chaque individu possède de nombreux systèmes de réponses, qui alternent les phases d action et de récupération, les besoins les plus urgents étant satisfaits en priorité (Groos, 1898). Cette théorie ne prédit cependant pas quelles réponses seront prioritaires, et n explique pas pourquoi certaines réponses ne seront jamais émises, elle ne peut constituer un modèle de prédiction et d explication de l activité ludique. b. La théorie de l instinct Elle postule que le jeu est un comportement inné, instinctif, résultant d un ou plusieurs besoins préexistants, au même titre que la curiosité, la peur, la reproduction. L instinct est de nature biologique, le comportement qu il entraîne est la manifestation visible de la réponse de la structure neuronale aux pressions de l environnement. Pour Beach (1951) la théorie de l instinct s éteindra dès que l on arrivera à établir les relations entre gènes et comportements, et lorsque l on pourra déterminer la nature des multiples facteurs qui influencent les différentes réponses comportementales. L instinct ne serait qu une explication par défaut, faute d explication scientifique. Dans le prolongement de la théorie de l instinct, le jeu est également expliqué comme une préparation, un entraînement à la vie adulte, qui complèterait les prédispositions innées. L instinct du jeu permettrait à l enfant et à l animal, notamment par l imitation des comportements des aînés, de se préparer à la vie adulte (Groos, 1898). Cette théorie est contredite par l observation empirique : peu d espèces animales jouent, celles qui rencontreront l environnement le plus hostile et le plus dangereux ne sont pas celles qui s adonnent le plus au jeu, les jeux enfantins sont le plus souvent sans liens avec les supposées difficultés du monde des adultes (Beach, 1951). Les adultes qui ont pratiqué des activités ludiques appropriées dans leur jeunesse sont vraisemblablement plus aptes à affronter les pressions de leur environnement, mais cela ne permet pas d en conclure que le jeu constitue une préparation aux comportements futurs (Ellis, 1973). 2.2. Les théories modernes Apparues à partir du milieu du XX è siècle, elles tentent de dépasser les approches classiques par une analyse causale basée sur l observation des comportements, l expérience des individus. a. Le jeu reflet du travail : la théorie de la compensation et de la généralisation de l activité Ces deux approches tentent d expliquer l activité ludique à partir de la perception de l activité professionnelle. La théorie de la généralisation de l activité (task generalization), suppose que les individus choisissent leurs divertissements en fonction des activités professionnelles qui leur ont apporté le plus de satisfaction (Kimble, 1961). La théorie de la compensation, symétriquement, postule que les individus choisissent les pratiques ludiques qui permettent d éviter les comportements psychiquement insatisfaisants rencontrés dans leur activité professionnelle, et satisfont ainsi des besoins non satisfaits. Ces théories supposent que certains aspects du travail procurent aux individus satisfaction ou insatisfaction, et que l on puisse comprendre et identifier ces facteurs, ainsi que leur lien de causalité avec les activités de divertissement. Cette causalité pourrait d ailleurs être de sens inverse, si l on suppose que les individus choisissent comme activité professionnelle celle qui leur procurera le même type de satisfaction obtenue par leurs activités de divertissement. Hagedorn et Labovitz, (1968), dans le domaine de l interaction sociale, démontrent que les personnes à haute responsabilité managériale sont également plus impliquées dans tâches de gestion des hommes durant leur temps libre et s investissent plus lourdement dans la gestion des association, des communautés locales etc. Les travailleurs occupant des tâches occasionnant peu de contacts formels et informels auraient également tendance à s impliquer plus 12

fortement dans la vie associative, validant ainsi l hypothèse de compensation. Cette théorie et celle de la généralisation de l activité ne sont cependant pas confirmées par les expérimentations de Witt et Bishop (1970) de plus elles n établissent pas de distinctions entre les tâches, ni entre les différents effets à court terme. b. La théorie de la catharsis Elle postule que le jeu fait partie des activités qui permettent d évacuer les tensions, le tropplein d émotions, sans entraîner de dommages pour l individu (Catharsis vient du grec «purification»). Cette théorie reprend la pensée d Aristote, pour qui le théâtre, et notamment la tragédie antique «purgeaient» l auditoire de ses excès d émotions, de ses inclinations coupables, au spectacle des personnages et des situations mis en scène. La psychologie moderne l associe au besoin de se libérer d un comportement agressif, d évacuer colères et pulsions. La catharsis par le jeu, et notamment par le sport, permet au sujet de remplacer un comportement socialement inacceptable (l agressivité, l hostilité) par une activité régulée, inoffensive pour la collectivité. L observation empirique de groupes d enfants soumis à des situations générant agressivité et effet cathartique supposé ne confirme pas cette théorie (Kenny, 1953). La nature des jeux utilisés dans l expérience et les comportements qui en résultent influencent fortement la réduction du niveau d agressivité. L agressivité «socialement inacceptable», physique ou morale, n est pas significativement influencée par la pratique d activités de substitution «acceptables». Mallick et McCandless (1966) résument l état de la recherche sur l effet cathartique : Un comportement agressif ne réduit pas nécessairement l agressivité née d une frustration. L agression sans sentiment de haine ou de colère n a pas d effet cathartique. L agression verbale envers un sujet tend à augmenter, et non à réduire l agressivité. c. La théorie psychanalytique Le jeu intervient à deux niveaux dans la théorie psychanalytique, comme objet d étude du comportement et comme outil d analyse, lorsque le patient est un enfant, notamment grâce aux travaux de Melanie Klein à partir de 1928. Le jeu chez l enfant illustre pour Freud (1922) le principe de plaisir. La motivation du joueur réside dans la satisfaction, la récompense qu il procure. Celle-ci peut être extrinsèque (gains, résultats obtenus par le jeu) ou intrinsèque (l activité ludique elle-même procure la satisfaction recherchée). Le jeu ne s oppose pas au sérieux mais à la réalité, il permet de recréer son propre univers où les expériences heureuses peuvent être reproduites librement et à l infini. Le jeu participe au processus de développement du «Moi» chez l enfant. Partiellement détaché de la réalité, il lui permet d appréhender les conflits du «Ça» et du «Surmoi», et de trouver un équilibre entre ces forces internes conflictuelles. Jeux et rêves ont un effet auto thérapeutique, cathartique, ils permettent de reproduire et de maîtriser les situations réelles sources d angoisse et d inquiétude. La reproduction ludique d expériences désagréables vécues par l enfant est aussi une façon pour lui de prendre une sorte de revanche, grâce aux substituts que sont ses camarades de jeux ou ses jouets : l enfant joue au dentiste qui l a fait souffrir, à l instituteur qui l a persécuté. La répétition du jeu permet une assimilation progressive des expériences négatives, permettant de réduire leur impact résiduel. Le jeu est également une façon d exprimer le souhait de grandir, en imitant le comportement des adultes. Winnicott (1971) définit le jeu comme un phénomène transitionnel important, indispensable à l enfant. d. L apport de Jean Piaget Pour Piaget (1963) une activité ludique spécifique correspond à chaque stade et sous stade du développement intellectuel de l enfant, et participe à l équilibre du mécanisme d assimilation-adaptation permettant à l enfant d appréhender son environnement. Le jeu, librement construit et interprété par l enfant, facilite l assimilation d éléments du monde réel, et développe sa capacité d adaptation, 13

par interaction avec l environnement. La répétition ludique d une activité facilite sa compréhension, et développe sa capacité d exploration, d apprentissage. Le jeu devient de plus en plus complexe, réaliste et rationnel avec l évolution cognitive de l enfant, les jeux à règles élaborées étant pour Piaget les seuls qui perdureront à l âge adulte. Eiferman (1971) observe au contraire que cet attrait pour des jeux régis par des règles semble plafonner vers l âge de 7 ans (4 th grade) avant de décliner, remplacé par le goût de l enfant pour le risque, le défi (challenge) et l excitation (arousal) liés à l incertitude du résultat. e. Les théories de l apprentissage et du conditionnement Le jeu y est considéré comme une réaction à un stimulus extérieur, un réflexe conditionné, (expérience du physiologiste Pavlov, 1903). Le principe central de la théorie de l apprentissage est qu un stimulus a plus de chance de déclencher un comportement s il est accompagné par un élément ou un renforcement agréable. Jouer est perçu comme un comportement qui répond à un stimulus non vital, influencé par les résultats passés de stimuli identiques (école behavioriste). Hull (1952) à partir de résultats empiriques, démontre l importance de la récompense dans l apprentissage, qu elle soit primaire (but du comportement) ou secondaire (encouragement à suivre tel comportement). Skinner (1957) développe la théorie du conditionnement instrumental, ou opératoire. Il s intéresse à la façon dont stimuli, réponses et récompenses inter agissent, il démontre notamment l importance de la fréquence et de l intensité du renforcement pour qu un apprentissage se développe. La réponse au stimulus n est plus innée, elle est influencée par l expérience de comportements préalables, positifs ou négatifs. Suivant la satisfaction ou la déception déjà vécue lors de la réponse au stimulus, le sujet développera un renforcement positif ou négatif qui l incitera à renouveler ou non le comportement qui en est à l origine. Ce conditionnement instrumental est largement présent dans les mécanismes promotionnels, notamment pour les opérations de fidélisation, où l attribution plus ou moins aléatoire et régulière de gratifications, points bonus, primes etc. constitue un renforcement puissant. Berlyne (1960) identifie des facteurs susceptibles d amplifier la force du stimulus, comme la nouveauté, le changement, la surprise, l incongruité, le conflit, la complexité ou l incertitude. Ces facteurs, s ils sont d une intensité relative et non excessive, incitent l organisme à réagir plus rapidement et à adopter un comportement basé sur des expériences passées similaires. Incertitude, suspense, créent un état de tension qui peut renforcer le stimulus, si dans le passé des expériences similaires ont laissé un souvenir favorable, comme le «frisson» (thrill) engendré par les jeux de hasard. Lewin (théorie du champ de 1951) précise l importance de la perception du contexte global de la situation dans le choix du comportement (prolongement de la Gestalt-théorie). Individu et environnement sont interdépendants, la perception de l environnement conditionne consciemment ou inconsciemment le comportement. Suivant son âge, son humeur, son environnement, une activité ludique sera perçue comme anodine ou passionnante, amusante ou ennuyeuse (Millar, 1968). Conclusion, perspectives et limites Cet article montre que le jeu et les mécanismes psychologiques qui sous tendent les motivations du joueur ont inspiré une recherche abondante et variée. Ces travaux constituent une base théorique indispensable pour comprendre la richesse et la complexité des phénomènes ludiques. D autres aspects importants méritent également d être appréhendés en complément. Des caractéristiques psychologiques comme l illusion du contrôle ou des tendances superstitieuses vont vraisemblablement inciter le consommateur à jouer à un jeu d argent ou à participer à un jeu promotionnel. La participation des français au Loto augmente par exemple de 20 % les vendredis 13, alors que la probabilité de gain (sans doute ignorée de la plupart des joueurs) est identique. Comment le consommateur évalue-t-il ses chances de gagner, comment la présentation du jeu et des gains influence-t-elle son intention de participer, quels seront les effets d un gain ou d une perte sur son attitude envers la marque et sur son intention de rejouer, ou de participer à un 14

jeu subséquent? Ces thèmes essentiels à la compréhension du fonctionnement d un jeu promotionnel basé sur le hasard doivent faire l objet de recherches et d expérimentations scientifiques. Les résultats quantitatifs d une opération promotionnelle ludique (nombre de participants, gains distribués, ventes générées etc.) ne suffisent pas à expliquer les effets à court et long terme du jeu sur le consommateur. Une voie de recherche intéressante nous semble être la mesure de l effet d un gain ou d une perte à un jeu promotionnel sur la perception de l image de la marque par le consommateur joueur. Résumé : Les jeux de hasard existent depuis les origines de l homme, et sont présents dans quasiment toutes les cultures. Leurs caractéristiques et leurs mécanismes sont aujourd hui régulièrement utilisés dans le cadre d actions promotionnelles. Au-delà du simple divertissement, les jeux de hasard favorisent des comportements que la psychologie sociale nous aide à comprendre et à expliquer. L objectif de cet article est d apporter un éclairage sur les aspects historiques et psychologiques des jeux de hasard, en préambule à une recherche doctorale sur l impact du résultat d un jeu promotionnel sur l attitude envers la marque. Un panorama des définitions du jeu et des théories psychologiques explicatives du comportement du joueur est présenté. Mots clés : jeux promotionnels, psychologie du joueur, histoire des jeux. Summary : Playing for stakes and gambling date back to the beginnings of all culture. Their main aspects and mechanisms are nowadays widely used as sales promotion techniques. Their benefits go far beyond entertainment. They foster behaviours that Social Psychology helps us understand and explain. The objective of this paper is to provide an insight into the historical and psychological aspects of games of chance. This work is part of broader research on the impact of promotional games on attitudes towards brands. An overview of the definitions of play, games and gambling is proposed, the main theories explaining consumer motivation and behaviour towards play are presented. Key-words : sales promotion, psychology of play, history of play. Bibliographie : American Promotion Association, (2004), Promo Marketer Trends, Bellevue, Primedia Business Publication & Media Inc. Aristote, (édition de 1990), Ethique à Nicomaque, éd. Vrin, Avedon E.M., Sutton-Smith B., (1971), The Study of Games, New-York, John Wiley & Sons. Beach F.A., (1945), Current concepts of play in animals, American Naturalist, 79, 523-41. Beach F.A. (1965), Sex and Behavior, John Wiley. Berlyne D.E., Piaget J. (1960), Théorie du comportement et opérations, Paris, PUF. Bernardet J.-P., Chandon P et alii (1997), La promotion des ventes en France : évolution et révolutions, Décisions Marketing N 12, 9-21. Caillois R., (1958, édition révisée en 1967), Les jeux et les hommes, Paris, Gallimard. Caillois R. (1967), Jeux et sports, Paris, La Pléiade. Dictionnaire historique de la langue française, 2000, Paris, Le Robert, Dostoïevski F., (éd. 2003), Le joueur, Paris, Folio classique, Gallimard. Eiferman R.R. (1971), Social play in childhood, in R.H. Erron et B. Sutton-Smith, Child s play, p 270-297, New-York, John Wiley & Sons. Ellis M.J., (1973), Why people play, Englewood Cliffs, Prentice Hall, University of Illinois. 15

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GESTION DE LA RELATION CLIENT ET E-COMMERCE : EXPLORATIONS CONCEPTUELLES AHLEM ABIDI-BARTHE Enseignant chercheur EBS Paris Introduction u début des années 90, l accélération Atechnologique, l avènement de la Société de l Information et surtout d Internet ont vu apparaître de «nouveaux» comportements du consommateur et de «nouveaux» modèles d affaires. En effet, le développement des sites web marchands s inscrit dans une perspective d hyper-segmentation de la demande avec pour corollaire l atomisation de l offre (Dubois et Vernette, 2001). Des concepts marketing comme le One-to-One (Peppers et Rogers, 1997) font leur apparition à tel point que l on a pu s interroger sur l éventualité d un changement de paradigme en marketing (Abidi, 2000 ; Marion, 2000). Depuis l année 2000, avec le développement de l e-business, on entend de plus en plus parler, surtout dans les milieux professionnels, du CRM (le Customer Relationship Management), qui éclipse le marketing One-to-One, du moins dans la terminologie. Le CRM ou gestion de la relation client, comme le marketing One-to-One, est un concept d origine nord-américaine qui témoigne de la volonté des entreprises de recentrer leur activité autour du client et de focaliser leur stratégie sur lui. Le but recherché ici, tout comme pour le marketing relationnel, est la fidélisation du client. Avant de définir les différentes notions marketing «orientées client» ainsi que la notion de personnalisation qui les sous-tend, une interrogation s impose : pourquoi cet enthousiasme pour le CRM, le One-to-One et la personnalisation? Est-il vraiment nécessaire de personnaliser la relation entreprise-clients en investissant dans des outils de CRM, d e- CRM, etc. ou est-ce juste une lubie d informaticiens, de concepteurs des bases de données sophistiquées et de consultants? De même, et dans le cadre spécifique de l e-commerce, le monde académique et professionnel s interroge : quelles stratégies doit adopter un distributeur pratiquant le commerce électronique dans sa relation avec le consommateur et quelles sources de création de valeur peutil actionner (Filser, 2001)? Les approches One-to-One ou de personnalisation et la masscustomization sont-elles forcément des stratégies gagnantes dans le monde de l Internet (Liechty, Ramaswany et Cohen, 2001)? Peu de recherches académiques en France et ailleurs existent sur ces thèmes (Dubois et Vernette, 2001). L objectif ici est de clarifier et spécifier les «nouveaux» concepts qui gravitent autour de l approche marketing «orientée clients». Des éléments de réponses à ces interrogations seront apportés : le CRM, le One-to-One, la personnalisation, le sur-mesure de masse, la mass-customization, de quoi parle-t-on exactement? Ces pratiques managériales présentent-elles des stratégies source d avantage concurrentiel dans l environnement actuel et si oui, de quelle manière? Pour y répondre, le propos sera articulé en trois parties. Dans une première partie une définition des différents concepts regroupés sous le nom générique de «démarches marketing orientées clients» (marketing orienté client, marketing relationnel, marketing One-to-One et CRM) sera apportée. Dans une seconde partie, une analyse critique des différences et similitudes entre ces concepts sera élaborée. Dans une troisième partie, les enjeux qui sous-tendent ces concepts dans le cadre particulier de l e-commerce seront mis en avant. 18

1. Les approches marketing orientees clients : definition des concepts Depuis déjà trente ans, les entreprises recherchent la flexibilité et le développement d une culture et d une «orientation client». Cette logique devient non seulement un idéal stratégique et organisationnel mais aussi un projet d ensemble pour l entreprise (Badot, 1997). Il a été même suggéré que le seul fil conducteur et la certitude unique dans l environnement concurrentiel actuel, se trouvent dans la concentration du management et de la stratégie sur le consommateur (Jallat, 2002). Dans ce contexte, l orientation client apparaît comme étant le cap ultime, la destination finale qui donne à l entreprise sa cohérence et une vision de long terme. Le marketing orienté client (en anglais «customer-centric marketing») peut être défini comme étant «le marketing qui se concentre sur la compréhension et la satisfaction des besoins, désirs et ressources des consommateurs et clients individuels, à la place de ceux des segments de marchés ou du marketing de masse. Dans le marketing orienté client, les Hommes marketing traitent chaque consommateur individuellement» (Sheth, Sisodia et Sharma, 2000). Par conséquent, dans l approche marketing orientée client, l individu consommateur est au centre du nouveau mode de pensée dirigé vers des rapports commerciaux de nature relationnelle. La gestion individuelle et personnalisée des contacts marchands est devenue la norme. On parle de mutation de paradigme où un marketing «traditionnel» s intéressant surtout à un avantage concurrentiel «produit» et à son positionnement, laisse progressivement la place à un marketing client focalisé sur la globalité relationnelle. La figure (1) illustre l évolution vers le marketing orienté client. Figure 1 : Evolution vers le marketing orienté client (Sheth, Sisodia et Sharma, 2000) Perspective Orientation Organisation Marché de masse Orientation produit Organisation produit Segments larges Orientation marché Organisation marché Segments de niches Un seul client Orientation client Organisation client A la suite du développement et de l évolution de cette approche marketing orientée client, plusieurs concepts comme le marketing relationnel, le CRM et le One-to-One sont apparus. La littérature managériale et académique utilise ces concepts pour désigner la même chose ou son contraire. Une définition de ces concepts ainsi qu une analyse critique et comparative seront proposées. 1.1 L approche relationnelle Le marketing relationnel connaît un succès considérable, particulièrement depuis une vingtaine d années. Des numéros spéciaux y sont consacrés (International Journal of Service Industry Management en 1994, International Business Review et Journal of the Academy of Marketing Science en 1995, Industrial Marketing Management et Psychology and Marketing en 1997). Après s être longtemps fondées sur des analyses de séquences d achat, les recherches en comportement du consommateur ont peu à peu évolué vers une vision moins séquentielle de l acte d achat et commencé à intégrer la notion de la relation acheteur-vendeur (Bozzo et Palmero, 2002). Ce changement correspond à l introduction du marketing relationnel qui se définit comme : «l ensemble des actions marketing visant à établir, développer et maintenir des relations d échange fructueuses» (Morgan et Hunt, 1994). La mise en place d un marketing relationnel sous-entend l adoption d une vision à long-terme de l interaction entre le client et le fournisseur. Cette nouvelle vision se traduit par une nécessaire personnalisation des échanges basées sur des données individuelles qui permettant de connaître le client. Le but, ici, est de fidéliser le client. Cette fidélisation passe par «la volonté de sacrifier des avantages de court terme dans l espoir d une permanence sécurisante au sein de la relation» (Earp et al., 1999). 1.2 Le Customer Relationship Management : CRM et e-crm La gestion de la relation client connue sous le nom de CRM (Customer Relationship Management) s inscrit dans le courant du marketing relationnel. C est une stratégie dirigée vers la satisfaction et la fidélité de la clientèle. Elle vise à offrir un service plus adapté aux besoins des clients. En raison de son lien avec les NTIC, le CRM apparaît comme relativement jeune. Pourtant, la notion même date proba- 19