Déclaration des droits sur Internet 1
Préambule Internet a décisivement contribué à redéfinir l espace public et privé, à structurer les rapports entre les personnes et entre celles-ci et les institutions. Il a effacé les frontières et a forgé de nouvelles modalités de production et d utilisation de la connaissance. Il a élargi les possibilités d intervention directe des personnes dans la sphère publique. Il a modifié l organisation du travail. Il a permis l essor d une société plus ouverte et plus libre. Internet doit être considéré comme une ressource mondiale répondant au critère d universalité. L Union européenne est aujourd hui la région du monde où la protection constitutionnelle des données à caractère personnel est la plus élevée ; elle est explicitement reconnue par l article 8 de la Charte des droits fondamentaux de l Union européenne, qui est le point de référence nécessaire pour préciser les principes de fonctionnement d Internet également dans une perspective mondiale. Cette Déclaration des droits sur Internet est fondée sur la pleine reconnaissance de la liberté, de l égalité, de la dignité et de la diversité de toute personne. La garantie de ces droits est la condition nécessaire afin que le fonctionnement démocratique des institutions soit assuré et qu on évite la dominance de pouvoirs publics et privés qui pourraient conduire à une société de la surveillance, du contrôle et de la sélection sociale. Internet se dessine comme un espace de plus en plus important pour l autoorganisation des personnes et des groupes et comme un outil essentiel pour promouvoir la participation individuelle et collective aux processus démocratiques ainsi que l égalité substantielle. Les principes concernant Internet tiennent également compte du fait qu il se configure comme un espace économique qui permet l innovation, la juste concurrence et la croissance dans un cadre démocratique. Une Déclaration des droits sur Internet est un outil incontournable pour fournir une base constitutionnelle aux principes et aux droits dans la dimension supranationale. Art. 1 Reconnaissance et garantie des droits 1. Sur Internet sont garantis les droits fondamentaux de toute personne reconnus par la Déclaration universelle des droits de l homme des Nations Unies, par la Charte des droits fondamentaux de l Union européenne, par les Constitutions nationales et par les déclarations internationales en la matière. 2. Ces droits doivent être interprétés de façon à assurer leur caractère effectif au sein de la Toile. 3. La reconnaissance de droits sur Internet doit être fondée sur le plein respect de la dignité, de la liberté, de l égalité et de la diversité de toute personne, qui constituent les principes sur la base desquels s effectue l équilibre avec d autres droits. Art. 2 Droit d accès 1. L accès à Internet est un droit fondamental de la personne et une condition de son plein développement individuel et social. 2
2. Toute personne a le même droit d accéder à Internet dans des conditions d égalité, suivant des modalités technologiquement adéquates et actualisées qui lèvent tout obstacle d ordre économique et social. 3. Le droit fondamental d accès à Internet doit être assuré dans ses fondements substantiels et pas seulement comme possibilité de connexion à la Toile. 4. L accès comprend le libre choix des dispositifs, des systèmes d exploitation et des applications, même distribuées. 5. Les institutions publiques assurent les interventions nécessaires pour surmonter toute forme de fracture numérique, dont celles provoquées par le genre et les conditions économiques, ainsi que par les situations de vulnérabilité personnelle et d incapacité. Art. 3 Droit à la connaissance et à l éducation sur la Toile 1. Les institutions publiques assurent la création, l utilisation et la diffusion de la connaissance - entendue comme un bien accessible et utilisable par tout acteur - sur le réseau. 2. Il faut prendre en compte les droits découlant de la reconnaissance des intérêts moraux et matériaux liés à la production des connaissances. 3. Toute personne a le droit d être mise en condition d acquérir et d actualiser les capacités nécessaires à utiliser Internet de manière consciente pour exercer ses droits et ses libertés fondamentales. 4. Les institutions publiques promeuvent, notamment à travers le système de l éducation et de la formation, l éducation à l utilisation consciente d Internet et interviennent pour éliminer toute forme de retard culturel qui empêche ou limite l utilisation d Internet par les personnes. 5. L utilisation consciente d Internet est la garantie fondamentale pour le développement de possibilités égales d épanouissement individuel et collectif ; le rééquilibrage démocratique des différences de pouvoir sur la Toile entre les acteurs économiques, les institutions et les citoyens ; la prévention des discriminations et des comportements à risque et de ceux préjudiciables aux libertés d autrui. Art. 4 Neutralité de la Toile 1. Toute personne a droit à ce que les données qu elle transmet et reçoit sur Internet ne subissent aucune discrimination, restriction ou interférence en ce qui concerne l expéditeur, le destinataire, le type ou le contenu des données, le dispositif utilisé, les applications ou, en général, les choix légitimes des personnes. 2. Le droit d accès neutre à Internet dans sa totalité est la condition nécessaire pour que les droits fondamentaux de la personne aient un caractère effectif. 3
Art. 5 Protection des données à caractère personnel 1. Toute personne a le droit à ce que les données qui la concernent soient protégées pour garantir le respect de sa dignité, identité et confidentialité. 2. Ces données sont celles qui permettent de remonter à l identité d une personne ; elles comprennent également les données d'identification des dispositifs, ce qui est généré par ceux-ci et leurs acquisitions et élaborations, comme celles liées à la production de profils. 3. Toute personne a droit à accéder aux données recueillies qui la concernent, d en obtenir la rectification et l effacement pour des raisons légitimes. 4. Les données doivent être traitées en respectant les principes de nécessité, finalité, pertinence et proportionnalité, en tous les cas, le droit de toute personne à l autodétermination informative prévaut. 5. Les données ne peuvent être collectées et traitées qu avec le consentement éclairé effectif de la personne concernée ou sur la base d un autre fondement légitime prévu par la loi. Le consentement est révocable. Pour le traitement de données sensibles, la loi peut prescrire que le consentement de la personne concernée doive être accompagné d autorisations spécifiques. 6. Le consentement ne peut constituer une base juridique pour le traitement, au cas où il existerait un déséquilibre significatif de pouvoir entre la personne concernée et l acteur qui effectue le traitement. 7. L accès et le traitement des données à des fins même indirectement discriminatoires sont interdits. Art. 6 Droit à l autodétermination informative 1. Toute personne a le droit d accéder à ses données à caractère personnel, quel que soit le sujet qui les détient et le lieu où elles sont conservées, pour demander qu elles soient intégrées, rectifiées, effacées, conformément aux modalités prévues par la loi. Toute personne a le droit de connaître les modalités techniques de traitement des données qui la concernent. 2. La collecte et la conservation des données doivent être limitées au temps nécessaire, en tenant compte, en tout cas, des principes de finalité et de proportionnalité et du droit à l autodétermination de la personne concernée. 3. Art. 7 Droit à l inviolabilité des systèmes, des dispositifs et des domiciles informatiques 1. Les systèmes et les dispositifs informatiques de toute personne et la liberté et le secret de ses informations et communications électroniques sont inviolables. Des dérogations sont possibles uniquement dans les cas et selon les modalités prévu(e)s par la loi et avec l autorisation motivée de l autorité judicaire. 4
Art. 8 Traitements automatisés 1. Aucun acte, mesure judiciaire ou administrative, décision de toute manière destinée à peser significativement sur la sphère personnelle, ne peut être basé(e) uniquement sur un traitement automatisé des données à caractère personnel visant à définir le profil ou la personnalité de la personne concernée. Art. 9 Droit à l identité 1. Toute personne a droit à la représentation intégrale et actualisée de ses identités dans la Toile. 2. La définition de l identité concerne la libre construction de la personnalité et ne peut être soustraite à l intervention et à la connaissance de la personne concernée. 3. L utilisation d algorithmes et de techniques probabilistes doit être portée à la connaissance des personnes concernées qui, dans tous les cas, peuvent s opposer à la construction et à la diffusion de profils les concernant. 4. Toute personne a le droit de fournir uniquement les données strictement nécessaires à l accomplissement d obligations prévues par la loi, à la fourniture de biens et de services, à l accès aux plates-formes qui opèrent sur Internet. 5. L attribution et la gestion de l identité numérique de la part des institutions publiques doivent être accompagnées de garanties adéquates, notamment en termes de sécurité. Art. 10 Protection de l anonymat 1. Toute personne peut accéder à la Toile et communiquer électroniquement en utilisant des outils, même de nature technique, qui protègent l anonymat et évitent la collecte de données à caractère personnel, notamment pour exercer les libertés civiles et politiques sans subir des discriminations ou des censures. 2. Des limitations ne peuvent être prévues que lorsqu elles sont justifiées par l exigence de protéger un intérêt public important et quand elles sont nécessaires, proportionnées, basées sur la loi et dans le respect des caractères propres à une société démocratique. 3. Dans les cas de violation de la dignité et des droits fondamentaux, ainsi que dans les autres cas prévus par la loi, l autorité judiciaire peut, moyennant une mesure motivée, disposer que l auteur de la communication soit identifié. Art. 11 Droit à l oubli 1. Toute personne a le droit d obtenir que les références et les informations qui, de par leur contenu ou à cause du temps écoulé depuis le moment de leur collecte, n aient plus d importance publique, soient effacées des indexations des moteurs de recherche. 5
2. Le droit à l oubli ne peut pas limiter la liberté de recherche et le droit de l opinion publique à être informée, qui constituent des conditions nécessaires au fonctionnement d une société démocratique. Ce droit peut être exercé par des personnes connues ou ayant des fonctions publiques, uniquement si les données qui les concernent n ont aucune importance en ce qui concerne l activité ou la fonction publique exercée. 3. Si la demande d effacer les données des indexations des moteurs de recherche a été accueillie, quiconque peut attaquer cette décision en justice, pour garantir l intérêt public à l information. Art. 12 Droits et garanties des personnes sur les plates-formes 1. Les responsables des plates-formes numériques sont tenus de se comporter avec loyauté et correction à l égard des usagers, des fournisseurs et des concurrents. 2. Toute personne a le droit de recevoir des informations claires et simplifiées sur le fonctionnement de la plateforme, de ne pas voir les conditions contractuelles modifiées arbitrairement, de ne pas subir des comportements pouvant déterminer des difficultés ou des discriminations concernant l accès. Toute personne doit être, en tout cas, informée des modifications des conditions contractuelles. Dans ce cas, elle a le droit de mettre fin à leur rapport, d obtenir une copie des données qui la concernent sous forme interopérable, d obtenir l effacement de la plateforme des données qui la concernent. 3. Les plates-formes qui opèrent sur Internet, au cas où elles se présenteraient en tant que services essentiels à la vie et à l activité des personnes, assurent, aussi dans le respect du principe de concurrence, des conditions pour une interopérabilité adéquate de leurs principales technologies, fonctions et données avec d autres plates-formes, à des conditions contractuelles égales. Art. 13 Sécurité sur la Toile 1. La sécurité sur la Toile doit être garantie en tant qu intérêt public, par l intégrité des infrastructures et leur protection contre les attaques, ainsi que comme intérêt individuel des personnes. 2. Aucune limitation de la liberté de manifestation de la pensée n est admise ; il faut garantir la protection de la dignité des personnes contre les abus liés à des comportements tels que l incitation à la haine, à la discrimination et à la violence. Art. 14 Critères pour la gouvernance de la Toile 1. Toute personne a le droit à ce que ses droits soient reconnus au niveau national et international. 6
2. Internet nécessite de règles conformes à sa dimension universelle et supranationale, visant à la pleine application des principes et des droits susindiqués, pour garantir son caractère ouvert et démocratique, empêcher toute forme de discrimination et éviter que sa règlementation ne dépende du pouvoir exercé par des acteurs plus forts sur le plan économique. 3. Les règles concernant la Toile doivent tenir compte des différents niveaux territoriaux (supranational, national, régional), des opportunités fournies par des formes d autoréglementation conformes aux principes indiqués, de la nécessité de sauvegarder la capacité d innovation, également à travers la concurrence, de la multiplicité d acteurs qui opèrent sur la Toile, en facilitant leur implication dans des formes qui assurent la participation diffuse de tous les acteurs concernés. Les institutions publiques adoptent des instruments adéquats pour assurer cette forme de participation. 4. En tout cas, l innovation règlementaire en matière d Internet est soumise à une évaluation d impact sur l écosystème numérique. 5. La gestion de la Toile doit assurer le respect du principe de transparence, la responsabilité des décisions, l accessibilité aux informations publiques, la représentation des acteurs concernés. 6. L accès et la réutilisation des données générées et détenues par le secteur public doivent être garantis. 7. La création d autorités nationales et supranationales est indispensable pour garantir effectivement le respect des critères indiqués, même par le biais d une évaluation de conformité des nouvelles normes aux principes de cette Déclaration. 7