Les agents anticancéreux dirigés contre le récepteur



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Effets secondaires dermatologiques des inhibiteurs du récepteur à l EGF Cutaneous side effects of EGF receptor inhibitors D. Bessis 1, O. Chosidow 2, N. Dupin 3 ( 1 Service de dermatologie, hôpital Saint-Éloi, Montpellier ; 2 Service de dermatologie, hôpital Henri-Mondor, Créteil ; 3 Service de dermato-vénérologie, hôpital Cochin, Paris) Les agents anticancéreux dirigés contre le récepteur à l Epidermal Growth Factor (EGFR), ou inhibiteurs de l EGFR, regroupent les anticorps dirigés contre la portion extracellulaire de l EGFR, tels que le cétuximab et le panitumumab, ainsi que des molécules de petit poids moléculaire dirigées contre l adénosine triphosphate (ATP) lié à la portion intracellulaire du récepteur, telles que le géfitinib, l erlotinib et le lapatinib (tableau I) [1, 2]. La connaissance et la maîtrise des différents effets indésirables cutanéo-muqueux induits par les inhibiteurs de l EGFR sont essentielles à une meilleure prise en charge des malades. Classification, fréquence et chronologie d apparition Les effets dermatologiques indésirables liés à l utilisation d inhi biteurs de l EGFR sont très fréquents plus de la moitié des patients traités sont concernés, et leur chronologie d apparition est relativement stéréotypée (tableau II). On peut classiquement distinguer : les réactions d hypersensibilité immédiate, en particulier liées au cétuximab, de présentation clinique et de prise en charge communes avec l ensemble des molécules anticancéreuses, et témoignant d un mécanisme allergique, généralement de type IgE-dépendant ; les réactions retardées et survenant à la suite de l action pharmacologique des anti-egfr sur les tissus cutanés, avec, pour cible préférentielle, les kératinocytes, cellules constitutives de l épiderme. Tableau I. Inhibiteurs de l EGFR. DCI* Principe actif Indications actuelles Dose et voie d administration Cétuximab Anticorps monoclonal chimérique IgG1 anti-egfr (domaine extracellulaire) Cancer colorectal métastatique (en association avec l irinotécan) Carcinome épidermoïde de la tête et du cou, en combinaison avec la radiothérapie 400 mg/m 2 à la 1 re dose puis 250 mg/m 2 /sem. en i.v. Panitumumab Géfitinib (en ATU**) Erlotinib Lapatinib Anticorps monoclonal recombinant humain IgG2 anti-egfr (domaine extracellulaire) ITK*** (domaine intracellulaire de l EGFR) ITK*** (domaine intracellulaire de l EGFR) ITK*** (domaine intracellulaire de l EGFR) Cancer colorectal métastatique exprimant l EGFR et présentant le gène KRAS non muté en seconde ligne Cancer pulmonaire non à petites cellules, avancé ou métastatique, non répondeur à une chimiothérapie standard Cancer pulmonaire non à petites cellules, avancé ou métastatique, non répondeur à une chimiothérapie standard Cancer du pancréas métastatique (en association avec la gemcitabine) 6 mg/kg toutes les 2 semaines en i.v. 250 mg/j, voie orale 100 à 150 mg/j, voie orale Cancer du sein avancé ou métastatique 1 250 mg/j, voie orale avec surexpression des récepteurs ErbB-2, non répondeur à un traitement incluant une anthracycline, un taxane et le trastuzumab (en association avec la capécitabine) * DCI : dénomination commune internationale ; ** ATU : autorisation temporaire d utilisation ; *** ITK : inhibiteur de tyrosine kinase. 58

Tableau II. Principaux effets dermatologiques indésirables liés aux inhibiteurs des EGFR. Atteinte dermatologique Caractéristiques cliniques Fréquence Chronologie d apparition et évolutivité d apparition (% de cas) Réactions d hypersensibilité flush 2 à 3 Dès le premier jour du traitement urticaire anaphylaxie Réactions papulo-pustuleuses Papules et pustules folliculaires, monomorphes, prurigineuses et cuisantes, localisées sur le visage, le cou et le tronc Xérose et fissures cutanées, réactions eczématiformes Paronychie aseptique Modifications pilaires Sécheresse cutanée Plaques érythémato-squameuses et/ou vésiculeuses du visage et des membres Érythème, œdème et douleur des tissus périunguéaux Évolution progressive vers la formation d un bourgeon charnu Modifications de la texture des cheveux, sourcils et cils Trichomégalie, hypertrichose, alopécie 60 à 80 (fréquence accrue avec le cétuximab et le panitumumab) 4 à 35 (fréquence accrue avec le géfitinib) 1 à 3 semaines après le début du traitement Possibilité d aggravation progressive ou de rémission spontanée lors de la poursuite du traitement Résolution constante après l arrêt du traitement Survenue fréquente, inconstante après les réactions papulo-pustuleuses 10 à 15 2 à 3 mois après le début du traitement Risque de surinfection staphylococcique Persistance plusieurs mois après l arrêt du traitement 5 à 6 Délai de survenue variable : quelques semaines à plusieurs mois Mucite Érythème et érosions muqueuses, aphtes 2 à 36 Délai de survenue variable Réactions papulo-pustuleuses Ces réactions sont observées en moyenne chez 60 à 80 % des patients traités par les inhibiteurs de l EGFR. La fréquence d apparition semble plus élevée en cas de traitement par les anticorps monoclonaux comme le cétuximab (75 à 90 %) et le panitumumab (68 à 100 %) ou lors de l utilisation des anti-egfr à de fortes doses. peuvent se développer lors de la résolution de l éruption sur le visage, les oreilles et le tronc. L absence de comédons est constante, rendant impropre et obsolète la dénomination initiale d éruption acnéiforme ou d acné. Dans quelques cas, la Clinique La présentation clinique est stéréotypée. Il s agit de lésions initialement érythémateuses et œdémateuses, souvent prurigineuses et cuisantes, débutant en moyenne 1 semaine après la première prise de la molécule (parfois seulement après 2 à 3 jours). Elles apparaissent exceptionnellement de façon plus retardée, parfois jusqu à 6 semaines après l instauration du traitement. L intensité maximale de la réaction est classiquement atteinte entre la 3 e et la 5 e semaine du traitement. Les topographies électivement atteintes sont le visage, en particulier les zones dites séborrhéiques centro-faciales (figures 1 et 2), le cou, les épaules et la partie haute du tronc (figure 3). Le cuir chevelu, l abdomen, les fesses, les membres supérieurs et inférieurs peuvent également être touchés, mais les paumes et les plantes sont toujours épargnées. Une nécrose cutanée peut témoigner d une réaction grave et des télangiectasies Figure 1. Éruption papulo-pustuleuse du visage 4 semaines après l instauration d un traitement par cétuximab chez un patient ayant un carcinome épidermoïde. 59

Figure 2. Éruption papuleuse et suintante très inflammatoire du visage chez une femme traitée par cétuximab. Figure 4. Dermite périorale érythémato-croûteuse sous cétu ximab. L évolutivité est variable et imprévisible. Une amélioration spontanée partielle ou complète, malgré la poursuite du traitement, peut parfois s observer. Les réactions sont toujours régressives à l arrêt de la molécule, le plus souvent en 4 semaines, parfois au prix d une hyperpigmentation résiduelle (notamment chez les sujets à peau foncée), d une xérose cutanée, plus rarement de cicatrices. Traitement Figure 3. Éruption pustuleuse médio-dorsale (même patient qu en figure 1). présentation clinique est trompeuse et simule une dermatite séborrhéique. Des tableaux cliniques proches d une dermite péri-orale (figure 4), voire d une dermatose neutrophilique à type de syndrome de Sweet peuvent également être observés. La sévérité de l éruption semble plus marquée avec le cétuximab, se traduisant par des croûtes hémorragiques confluentes, notamment au niveau de la pyramide nasale. Sur le plan anatomo-pathologique, la lésion papuleuse ou pustuleuse correspond à un infiltrat neutrophilique plus ou moins abondant, situé dans la partie haute du derme, et localisé avec prédilection autour et dans l infundibulum folliculaire. Le caractère amicrobien des lésions, en particulier des pustules, est attesté par la négativité répétée des prélèvements bactériologiques et mycologiques. Le traitement curatif n est pas codifié en l absence d études contrôlées comparatives. À l échelon individuel, la possibilité d une amélioration spontanée rend par ailleurs difficile l appréciation de l efficacité des thérapeutiques. Les traitements antibiotiques locaux (érythromycine, clindamycine, métronidazole, etc.) ou anti-inflammatoires (peroxyde de benzoyle) ont initialement été prescrits par analogie avec le traitement d une d acné inflammatoire et semblent apporter des effets positifs. L utilisation de rétinoïdes topiques est déconseillée, en raison du risque irritatif et de l absence constante de comédons. La corticothérapie locale est fréquemment proposée via l utilisation d un dermocorticoïde fort ou assez fort en fonction des zones atteintes, et ce quotidiennement ou de façon séquentielle (par exemple 5 jours par semaine) pendant 3 à 4 semaines. Il n existe cependant pas d étude de fort niveau de preuve permettant de conclure définitivement. Les traitements généraux ont également été proposés, par analogie avec l acné. L utilisation d une antibiothérapie générale de la classe des tétracyclines, et notamment la doxycycline, repose sur les propriétés anti-inflammatoires et non anti-infectieuses de ces molécules. Elles sont généralement prescrites sur des durées prolongées de plusieurs mois. L utilisation d antihistaminiques anti-h1 pour combattre le prurit 60

Tableau III. Traitement des réactions papulo-pustuleuses en fonction du grade de toxicité. Soins d hygiène, cosmétiques et de photoprotection Privilégier les douches courtes (moins de 3 mn) aux bains, en utilisant de l eau tiède (pas plus de 33 C) Préférer un syndet en pain ou des savons surgras et éviter les savons désséchants (du type savon de Marseille), les gels douche et moussants Utiliser des crèmes hydratantes non comédogènes aux dépens des pommades (trop grasses et occlusives), une à deux fois par jour Éviter les antiseptiques au long cours, les lotions ou les gels alcoolisés Se protéger du soleil, surtout grâce aux vêtements Grade 1 Grade 2 ou 3 Formes peu sévères (grade 2) Formes de sévérité moyenne ou sévères (grades 2-3) Pas de traitement nécessaire mais possibilité d un traitement identique à celui de la forme peu sévère (grade 2) : émollients ; soins cosmétiques de camouflage éventuels. Application biquotidienne, sur des zones peu étendues : d antibiotiques locaux : érythromycine ; clindamycine ; métronidazole ; de peroxyde de benzoyle. En cas de prurit, antihistaminiques de type anti-h1 Antibiothérapie orale : doxycycline, 100 mg/j pendant 3 à 4 semaines ; lymécycline, 300 mg/j pendant 3 à 4 semaines. Application quotidienne et intermittente (par exemple 5 jours par semaine) d un dermocorticoïde de classe adaptée. En cas de persistance ou d aggravation, envisager une réduction de la posologie ou un arrêt transitoire du traitement. est le plus souvent utile. Une brève antibiothérapie générale antistaphylococcique durant 5 jours peut être proposée en cas de surinfection documentée à partir de prélèvements bactériologiques. Le risque de surinfection herpétique est rare, mais justifie un traitement antiviral per os (valaciclovir) ou intraveineux (aciclovir). En pratique, l attitude thérapeutique est adaptée au grade de toxicité et au degré de gêne ressentie (tableau III). Dans tous les cas, des mesures simples d hygiène et de soins cosmétiques doivent être indiquées : abandon des savons désséchants de type savon de Marseille au profit de syndets (pains sans savon) ou de savons surgras ; éviction des antiseptiques au long cours en raison de l absence habituelle d étiologie infectieuse et du caractère irritatif et éventuellement allergisant de ces produits ; utilisation de crèmes hydratantes hypoallergéniques et non comédogènes, en évitant les pommades, trop grasses et occlusives. L utilisation de cosmétiques de camouflage est déconseillée en phase aiguë, lors de toxicité cutanée moyenne ou sévère, en raison du risque occlusif. Une photoprotection est constamment indiquée en raison du rôle potentiellement aggravant de l exposition solaire et du risque d hyperpigmentation postinflammatoire. Aucun traitement préventif n a actuellement apporté la preuve d une quelconque efficacité. Plusieurs hypothèses pathogéniques, probablement intriquées, sont évoquées pour expliquer l apparition de réactions papulopustuleuses (3) : le développement d une occlusion du follicule pileux secondaire à une diminution de prolifération, de différenciation et de cohésion des kératinocytes. Ce bouchon kératinocytaire serait responsable d une rupture mécanique du follicule pileux, favorisant un passage de sébum dans le derme et le déclenchement d une réaction inflammatoire secondaire ; une sécrétion kératinocytaire accrue de diverses cytokines pro-inflammatoires, directement responsables d un recrutement et d une migration cutanée folliculaire de polynucléaires neutrophiles, de lymphocytes et de macrophages, à l origine de la production locale de cytokines et d enzymes responsables d une apoptose kératinocytaire ; l absence de passage des poils en phase catagène, ce qui provoque une dégénérescence des follicules pileux et leur persistance sous la forme de reliquats reconnus par l organisme comme des corps étrangers, et secondairement responsables d une réaction inflammatoire. Certaines études rétrospectives suggèrent que les patients développant des réactions papulo-pustuleuses sous cétuximab ou panitumumab ont une meilleure réponse que les autres. Ces données n ont pas été confirmées avec le géfitinib. Xérose, prurit et éruptions eczématiformes La xérose cutanée, caractérisée par une peau sèche et craquelée, prurigineuse, est un effet indésirable fréquent des inhibiteurs de l EGFR (35 %), plus particulièrement observé au cours du traitement par géfitinib. Elle est généralement diffuse, affectant le tronc, les extrémités des membres et le visage, plus particulièrement les zones touchées par les réactions papulo-pustuleuses comme les lèvres et le pourtour périoral. Une sécheresse muqueuse génitale y est parfois associée. Cette xérose cutanée serait plus fréquente chez les sujets âgés, les patients déjà traités par plusieurs lignes de chimiothérapie ou ayant des antécédents d atopie. Elle favorise le développement de fissures cutanées des extrémités 61

Tableau IV. Traitement de la xérose cutanée et des réactions eczématiformes. Grade 1 à 3 Xérose cutanée Fissures cutanées Hyperkératose localisée (talons, pulpes) Soins d hygiène et de cosmétiques (tableau II) Application quotidienne ou biquotidienne de crèmes émollientes à base d urée (2 à 3 %), de lactate d ammonium (14 %), de corps gras, de vaseline Application de crème épaisse (du type Neutrogena, crème pieds très secs et abîmés, Neutrogena, crème mains sèches et abîmées) Application de crèmes ou de pommades kératolytiques et exfoliantes : par exemple, préparation d acide salicylique (5 à 30 %), d urée (10 à 50 %) et d acide lactique (5 %) Dermocorticoïdes associés à de l acide salicylique Réactions eczématiformes Application quotidienne de dermocorticoïdes de classe moyenne à forte (tableau III) en alternance avec un émollient Antihistaminique oral anti-h1 avec un effet sédatif marqué (hydroxyzine 25 à 100 mg/j) ou peu sédatif (lévocétirizine, dichlorhydrate ou desloratadine, 1 cp/j), uniquement en cas de prurit important et persistant malgré le traitement local ou d une éruption eczématiforme diffuse. Elle peut également prédisposer à des infections locales (à Staphylococcus aureus, plus rarement au virus Herpes simplex de type 1) ou systémiques en raison de l altération de la barrière cutanée. Quel que soit le grade de toxicité, le traitement repose sur la toilette, à l aide de savons doux surgras (non détergents) et l application régulière d émollients (contenant des corps gras, de la vaseline, de l urée à 2 ou 3 %, du lactate d ammonium à 14 %) sur une peau sèche ou humide (à la sortie de la douche) [tableau IV]. Il est également indiqué d éviter le soleil ou de s en protéger par le port de vêtements couvrants, et d utiliser des écrans solaires à fort indice de protection (SPF [ Sun protection factor] 35). Une éruption eczématiforme peut survenir quelques semaines après le début du traitement. Sa fréquence est difficile à apprécier, car ce type d éruption est peu individualisé dans les études cliniques. Il s agit de plaques érythémato-squameuses ou vésiculeuses qui apparaissent d abord sur le visage ou les membres. Les lésions tendent à se propager et à se chroniciser, sous la forme d un érythème squameux plus ou moins diffus (figure 5). Le prurit est majeur. Une pulpite sèche des doigts et des talons, quelquefois douloureuse et invalidante, lui est fréquemment associée. Dans certains cas, l éruption est strictement photodistribuée, évoquant une photosensibilisation à ce produit. Le traitement consiste en une application quotidienne d une crème dermocorticoïde de classe modérée à forte sur une période courte de 1 à 2 semaines (une prescription le soir est en général plus commode pour le patient). En cas de lésions kératosiques et douloureuses, particulièrement sur les talons et les pulpes des doigts, l application de crèmes kératolytiques à base d urée est préconisée, seule ou associée avec une pommade combinant un corticoïde et de l acide salicylique. Un traitement antibiotique local (acide fusidique par exemple) peut être indiqué en cas de surinfection à S. aureus, voire sous forme systémique (céfuroxime axétil, 500 mg à 1 g/j en 2 prises, cloxacilline, 500 mg x 2 à 3/j, durant 5 à 10 jours) Figure 5. Lésions maculeuses érythémateuses et squameuses de topographie périflexurale chez un patient traité par géfitinib pour un cancer du poumon. en cas d infection sévère. Dans les cas de surinfection virale herpétique, un traitement antiviral peut être nécessaire (valaciclovir, aciclovir i.v.). Anomalies unguéales Le développement de paronychies aseptiques est noté dans 10 à 15 % des cas, et constitue un effet indésirable tardif des inhibiteurs de l EGFR, survenant en moyenne après 1 à 2 mois de traitement (parfois jusqu à 6 mois après). Ces réactions sont associées dans près de 1 cas sur 2 à la présence ou à un antécédent de réactions papulo-pustuleuses. Ces paronychies aseptiques sont cliniquement similaires à celles observées avec certaines molécules antirétrovirales (indinavir, lamivudine) 62

ou avec les rétinoïdes systémiques (isotrétinoïne, étrétinate). Elles sont localisées électivement sur les pouces et les gros orteils, mais peuvent toucher tous les doigts. Elles se manifestent initialement par un aspect d ongle incarné, associant à des degrés variables un érythème, un œdème, des fissures et une douleur des tissus périunguéaux (bords latéraux, pulpe) [figure 6]. L évolution est progressive vers la formation d un bourgeon charnu, saignant facilement lors d un traumatisme minime, ou d un abcès périunguéal dans les cas sévères. Une onycholyse peut être associée. Des surinfections bactériennes secondaires à S. aureus, ou fungiques, à Candida albicans, sont communes, notamment aux pieds. L interruption du traitement permet une régression progressive et constante de la paronychie, généralement sur plusieurs mois. Les autres manifestations unguéales se résument à des ongles friables ou à une onycholyse. Aucune corrélation entre la survenue d une toxicité unguéale ou périunguéale et une réponse thérapeutique ou un éventuel bénéfice clinique n a pu être établie. Le mécanisme physiopathogénique suspecté fait intervenir des troubles de la kératinisation des tissus périunguéaux et de la matrice unguéale, sur un éventuel terrain de prédisposition anatomique. Ces troubles de la kératinisation seraient à l origine : d une fragilité et d un amincissement tissulaire favorisant un conflit traumatique entre la tablette et le tissu périunguéal (1, 2) ; d une rétention de squames et de débris de la tablette unguéale s enfouissant dans les replis de l ongle et entraînant une réaction inflammatoire à corps étrangers (1, 2). Le traitement repose sur des mesures antiseptiques locales biquotidiennes : application de compresses imbibées d antiseptiques et bains de pieds antiseptiques (tableau V). En cas de surinfection clinique avérée et après prélèvement bactériologique, une courte antibiothérapie orale antistaphylococcique est Figure 6. Périonyxis avec écoulement purulent (même patiente qu en figure 2). préconisée. En l absence d infection, l application quotidienne de dermocorticoïdes sous pansement occlusif (de type Blenderm ) ou l injection intralésionnelle d un corticoïde retard (tel que le Kenacort Retard ou le Diprostène injectable) dans le bourgeon charnu après une anesthésie locale améliore la symptomatologie inflammatoire. Les tétracyclines, comme la doxycycline, peuvent également être proposées en cas de formes sévères, notamment en présence de lésions bourgeonnantes. L application hebdomadaire d un bâton de nitrate d argent sur le bourgeon charnu (en prévenant le patient de la coloration noirâtre provoquée par le nitrate d argent) ou d acide trichloracétique (à 50 %) peut également être réalisée par un dermatologue expérimenté. En cas de persistance, un traitement chirurgical Tableau V. Traitement des paronychies. Grade 1 à 3 Œdème et érythème périunguéaux Bourgeon charnu initial Bourgeon charnu persistant Soins antiseptiques biquotidiens : bains de pieds ou compresses imbibées Application quotidienne ou biquotidienne de dermocorticoïdes de classe forte sous pansement occlusif Port de chaussures confortables et peu serrées Correction éventuelle des troubles de la statique plantaire Soins de pédicurie doux et non traumatisants pour les cuticules Coupe droite, régulière et pas trop courte des ongles Meulage régulier des ongles épaissis En cas d écoulement purulent, une antibiothérapie à visée antistaphylococcique est indiquée En l absence d infection cutanée patente et en cas d échec d un traitement dermocorticoïde préalable : injection intralésionelle d un corticoïde retard ; application d un bâton de nitrate d argent ou d acide trichloracétique (à 50 %) ; doxycycline 100 mg/j pendant 3 à 4 semaines. Prévention Traitement chirurgical sous anesthésie locale : débridement ; phénolisation ; avulsion unguéale si nécessaire. 63

du bourgeon charnu par débridement, électrodessication ou phénolisation, voire avulsion unguéale peut s avérer nécessaire. Le traitement préventif sera fondé sur une hydratation régulière et quotidienne des tissus périunguéaux par l application d émollients. La suppression de tout facteur traumatique (frottement, pression) du lit unguéal sera conseillée, notamment grâce au port de chaussures adaptées, confortables et peu serrées, à la correction des troubles éventuels de la statique plantaire, à des soins de pédicure doux et non traumatisants pour les cuticules, à une coupe régulière, droite et pas trop courte des ongles, et à un meulage régulier des ongles épaissis. Anomalies pilaires Elles surviennent tardivement, généralement après 2 à 5 mois de traitement, et sont réversibles à l arrêt de celui-ci. Une croissance pilaire ralentie et une modification de la texture des cheveux qui deviennent fins, cassants et secs sont classiques. Le raidissement des cheveux naturellement frisés ou le phénomène inverse ont pu être observés avec l erlotinib. Une augmentation de la pousse et de l épaisseur des poils aux extrémités, un allongement des cils (trichomégalie), un épaississement des sourcils, une diminution de fréquence du rasage de la barbe chez l homme et une hypertrichose à duvet chez la femme ont également été parfois décrits. Un hirsutisme a été rapporté chez près de la moitié des femmes recevant le panitumumab durant plus de 6 semaines. Le développement d une alopécie androgénique, se corrigeant parfois spontanément malgré la poursuite du traitement, a également été signalée de façon ponctuelle. Le traitement de l hypertrichose repose sur une épilation du visage par laser en évitant les agents dépilatoires chimiques (trop irritants), en cas de retentissement esthétique et psychologique. Les sourcils et les cils pourront être coupés par un ophtalmologiste en cas de gêne oculaire. Aucun traitement médicamenteux n a apporté de bénéfice en cas d alopécie persistante, mais la présence éventuelle de lésions papulopustuleuses du cuir chevelu peut justifier un traitement local quotidien par des dermocorticoïdes en solution. Télangiectasies Le développement précoce de télangiectasies peut toucher le visage, la région rétroauriculaire, le thorax et les membres inférieurs. Ces télangiectasies peuvent être isolées, mais sont le plus souvent secondaires ou associées aux réactions papulo-pustuleuses. Leur régression est progressive à l arrêt du traitement anti-egfr, mais peut laisser place à une hyperpigmentation résiduelle. En l absence de préjudice esthétique (ce sont les cas les plus fréquents), aucun traitement particulier n est nécessaire, à l exception, éventuellement de soins cosmétiques de camouflage. En cas de gêne persistante et à distance de l arrêt des anti-egfr, un traitement par laser vasculaire peut être envisagé. Hyperpigmentation Une hyperpigmentation postinflammatoire est classique après le développement de réactions papulo-pustuleuses ou d un eczéma secondaire aux anti-egfr. Elle peut être plus prononcée chez le sujet à peau noire. Elle touche plus particulièrement le visage, le tronc et les membres inférieurs, généralement après plusieurs mois de traitement, et elle est aggravée par l exposition solaire. Histologiquement, elle se traduit par une hyperpigmentation basale et par la présence de mélanophages (macrophages ayant phagocyté le pigment mélanique) du derme superficiel. L évolution est souvent spontanément favorable en quelques mois. La survenue de ces séquelles justifie un traitement plus précoce et plus agressif des lésions papulo-pustuleuses. La photoprotection est particulièrement recommandée. L indication d un traitement dépigmentant éventuel sera posé par un dermatologue. Atteintes des muqueuses Diverses lésions muqueuses buccales, nasales ou génitales non spécifiques sont signalées dans 2 à 36 % des cas ; elles sont généralement de sévérité minime ou modérée : chéilite, glossite, sécheresse muqueuse. Des observations d aphtes buccaux et d ulcérations nasales responsables d épistaxis ont également été décrites. Réactions d hypersensibilité immédiate Des réactions d hypersensibilité sévères immédiates (urticaire sévère, angiœdème, réactions anaphylactiques) liées au cétuximab sont rapportées en moyenne chez 3 % des patients. Elles surviennent durant la première heure de perfusion intraveineuse et sont d évolution fatale dans 0,1 % des cas. La majeure partie d entre elles (90 %) sont observées lors de la première administration de la molécule, malgré une prémédication effectuée en routine. Elles imposent un arrêt immédiat de la perfusion intraveineuse et un traitement approprié en fonction des signes de gravité : vasopresseurs, corticostéroïdes, antihistaminiques, bronchodilatateurs, oxygénothérapie. L administration avec succès du panitumumab chez 3 patients ayant un antécédent de réaction d hypersensibilité immédiate sévère (grade 3) au cétuximab a été rapportée. II Références bibliographiques 1. Hu JC, Sadeghi P, Pinter-Brown LC, Yashar S, Chiu MW. Cutaneous side effects of epidermal growth factor receptor inhibitors: clinical presentation, pathogenesis, and management. J Am Acad Dermatol 2007;56:317-26. 2. Robert C, Soria JC, Spatz A et al. Cutaneous side-effects of kinase inhibitors and blocking antibodies. Lancet Oncol 2005;6:491-500. 3. Lacouture ME. Mechanisms of cutaneous toxicities to EGFR inhibitors. Nat Rev Cancer 2006;6:803-12. 64