Pour guérir Reportage L'ÉQUIPE DE ROBIN FAHRAEUS, AU CENTRE, À PARIS CHERCHE À DÉCRYPTER LES VOIES DE RÉGULATIONS DE P53. p53, Saint Graal La protéine p53 dévoile ses secrets. Des chercheurs de l équipe «Cibles thérapeutiques» de l Institut de génétique moléculaire ont peut-être trouvé le moyen de restaurer les fonctions du «suppresseur de tumeur» le plus célèbre. A dossé à l hôpital Saint-Louis, à Paris, l Institut de génétique moléculaire (IGM) et ses couloirs plutôt vétustes ne laissent pas imaginer ce qui s y trame. Robin Fahraeus et son équipe «Cibles thérapeutiques du cancer» (Inserm U 940) se disent en effet «à la recherche du SaintGraal», à savoir le décryptage d une protéine fondamentale en cancérologie. p53, la plusco nnue des protéines classée «suppresseur de tumeur» fait l objet de pas moins de 75 000 publications scientifiques à ce jour. Mais si les découvertes se multiplient, personne n est encore arrivé à assembler toutes les pièces du puzzle pour comprendre précisément comment elle agit, ou plutôt comment elle 54_VIVRE_JUIN 2012
COMPRENDRE LA FAÇON DONT P53 EST ACTIVÉE DANS LA CELLULE POUR TROUVER UN MOYEN DE LA RESTAURER DANS LES CELLULES CANCÉREUSES CONSTITUE UN DÉFI MAJEUR. Apprentis Chercheurs Laurence Malbert-Colas, qui a rejoint l équipe de Robin Fahraeus il y a cinq ans, s emploie également à faire découvrir la recherche scientifique à des adolescents. En effet, un mercredi après-midi par mois, cette jeune ingénieure d étude devient ambassadrice de la recherche et accueille un binôme de collégiens dans le laboratoire. Les élèves abordent le questionnement et la démarche scientifique, élaborent un projet et réalisent de petites expériences concoctées par la biologiste. Cette action, organisée par l association l Arbre des connaissances 1 mène les élèves à présenter leurs travaux en public à la fin de l année scolaire, lors du congrès des Apprentis Chercheurs. Ils reçoivent alors un diplôme d initiation à la recherche remis par les directeurs d Institut. «C est intéressant, cela m oblige à vulgariser mon travail et à répondre de façon simple à des questions naïves, commente Laurence Malbert-Colas.J ai toujours aimé partager!» 1 www.arbre-des-connaissances-apsr.org n agit pas. Une des découvertes de l équipe parisienne, publiée en janvier 2012 dans la revue prestigieuse Cancer Cell, prouve que cette quête n est pas vaine. Explications. p53 : une pierre angulaire Contrairement aux cellules saines, le processus de division des cellules tumorales s emballe et provoque leur prolifération de manière anarchique. Les cellules cancéreuses deviennent immortelles et la tumeur se développe. La protéine p53 est là pour prévenir cet emballement. Découverte en 1979, elle s est révélée être un acteur clé de notre organisme dans la lutte contre le cancer. Comment intervient-elle? Le corps régénère plusieurs millions de cellules toutes les secondes. A chaque fois, REPÈRES P53 est une protéine qui suscite un intérêt majeur. En effet, cette «gardienne du génome» est désactivée dans la moitié des cancers. L objectif des chercheurs est de disséquer les mécanismes d actions de p53 afin de la réactiver et de freiner ainsi la propagation des cellules cancéreuses. L équipe de Robin Fahraeus, à l Institut de génétique moléculaire de Paris (IGM), participe à cette quête. Elle a découvert un des acteurs qui participe à la régulation de p53 et propose un nouvel axe thérapeutique pour restaurer les fonctions de cette protéine bienfaitrice. VIVRE_JUIN 2012_55
Pour guérir / Reportage LES RECHERCHES SONT MENÉES SUR LA PROTÉINE P53 ELLE-MÊME, ISSUE AUSSI BIEN D'UNE PRODUCTION IN VITRO, QU'À PARTIR DE MODÈLES CELLULAIRES IN VIVO. L'ÉQUIPE TRAVAILLE SUR DES CULTURES CELLULAIRES ISSUES DE LIGNÉES SAINES OU CANCÉREUSES. l ADN, le cœur de l information cellulaire, se duplique selon un processus ingénieux pour donner naissance à une cellule fille. Si une erreur se glisse, des molécules gardiennes, dont p53, interviennent en stimulant les mécanismes naturels de réparation de la cellule ou, si les dommages sont trop importants, en ordonnant à la cellule de s autodétruire. Molécule indispensable au maintien de l intégrité des cellules, p53 est souvent nommée «gardienne du génome». Le gène qui lui est associé est muté dans plus de 50 % des cancers, ce qui signifie que p53 est inactivée dans plus de la moitié des cas de cancer. La relation étroite entre disparition de p53 et cancer fait de cette protéine une cible thérapeutique de choix. Les biologistes espèrent trouver le moyen de la réactiver. Il y a quelques années, la communauté scientifique a repéré une nouvelle pièce du puzzle. Cette dernière se nomme Mdm2, une protéine régulatrice de p53. Rendre p53 fonctionnelle passerait donc par le contrôle de Mdm2. «Il est nécessaire de comprendre tous les acteurs qui interviennent dans l activation ou l inactivation de p53, raconte Robin Fahraeus. Mdm2 en fait partie, mais elle n agit pas toute seule. Notre équipe a pour objectif de décomposer la cascade des événements qui participent à la régulation de p53». qui livre ses secrets Une étape vient d être franchie. En effet, la petite équipe de l IGM, qui compte 15 chercheurs et ingénieurs, a découvert un nouvel acteur essentiel dans l environnement de p53. Il s agit de la protéine kinase ATM. 56_VIVRE_JUIN 2012
Marie-Christine, colonne vertébrale de l équipe «Elle est mon bras droit, un pilier pour l équipe», résume Robin Fahraeus. De qui parle-t-il? D une chercheuse de renom, d une ingénieure experte dans les techniques d imagerie de haut vol? Non, le directeur de l équipe souligne l importance d une femme de l ombre, qui ne compte pas ses heures et sans qui les scientifiques ne pourraient pas travailler. Marie-Christine Larrière, arrivée en 2004 dans le laboratoire, en est le maillon administratif. «Je m occupe de la gestion des crédits de recherche, des appels à projets, je passe les commandes pour tout le matériel, entre autres!», explique-t-elle. Fiches de traçabilité et contrats de maintenance n ont plus de secrets pour elle. «La gestion s alourdit d année en année car nous devons faire appel de plus en plus à des financements extérieurs. Les subventions de l Etat ont encore diminué de 10 % cette année, regrette la gestionnaire. Il faut donc jongler avec les budgets». Robin Fahraeus nous explique son importance : «Dans une cellule normale, où tout se passe bien, p53 n a pas de raison d agir. Elle est donc désactivée par Mdm2. Par contre, quand la cellule est endommagée, le gène p53 doit être traduit en protéine pour la réparer et l empêcher de proliférer. Mdm2 intervient là aussi, mais a besoin d intermédiaires. Nous avons montré que la protéine kinase ATM est un de ceux-là». L équipe a en effet mis en évidence que Mdm2 est modifiée par la protéine kinase ATM, elle-même activée en cas de stress cellulaire. Cette modification de Mdm2 est cruciale pour qu elle puisse activer à son tour p53, pour conduire in fine à une augmentation de la quantité de p53 dans la cellule. Ainsi, sans la protéine kinase ATM, Mdm2 ne peut pas faire son office et p53 ne peut pas être activée! Vers une nouvelle thérapie ciblée? De nombreuses années de recherche ont été nécessaires pour parvenir à ce résultat. Avec ce travail de longue haleine, les chercheurs montrent combien la recherche en amont ouvre de nouveaux horizons à la cancérologie. «Nous voulons proposer des stratégies aux laboratoires pharmaceutiques, s enthousiasme le directeur de l équipe. Une de nos idées consiste à mimer l action de la protéine kinase ATM avec une thérapie ciblée. Contrairement à la chimiothérapie classique, qui vient détruire les cellules cancéreuses mais aussi beaucoup de cellules saines, cette tactique consiste à rétablir le système naturel de régulation de notre organisme. Il ne s agit donc pas d une arme de destruction massive». Les effets collatéraux du traitement sont donc réduits. Du temps est nécessaire avant de VIVRE_JUIN 2012_57
Pour guérir / Reportage L'ÉQUIPE DE ROBIN FAHRAEUS EST LABELLISÉE PAR LA LIGUE. savoir si cette stratégie portera ses fruits. Mais si tel est le cas, l avancée sera majeure, car applicable dans la plupart des cancers. La première étape consiste à valider in vivo les mécanismes mis à jour en éprouvette. Pour cela, l équipe de Robin Fahraeus collabore avec l Institut Curie, qui met au point des modèles de souris. La route continue Après cette belle découverte, les chercheurs parisiens continuent leur bonhomme de chemin pour percer les secrets de p53. Ils étudient de près une molécule jumelle de Mdm2, dénommée Mdmx. Laurence Malbert-Colas, ingénieur d étude, et Anne-Sophie Tournillon, étudiante en thèse, ont déjà montré que Mdmx joue un rôle important dans la régulation de p53. Avec peut-être de nouvelles pistes thérapeutiques à la clé pour restaurer les fonctions réparatrices de p53. Stéphanie Delage Oncologie canine Les travaux de Robin Fahraeus sont axés sur la recherche fondamentale. Toutefois, le scientifique déploie des talents dans d autres champs de la cancérologie. «Le coût des essais cliniques est faramineux, explique-t-il. Sur 100 molécules testées en phase préclinique, 10 iront jusqu aux tests cliniques et seulement une seule parviendra à obtenir une autorisation de mise sur le marché. Letaux de réussite est donc médiocre en raison des pertes entre la préclinique et la clinique. Notre idée est d améliorer ce taux en élargissant nos connaissances au domaine vétérinaire. Nous travaillons ainsi en étroite collaboration avec un réseau de vétérinaires et de propriétaires de chiens ayant développé des tumeurs cancéreuses». En effet, les chiens présentent un patrimoine génétique proche de celui de l homme et développent des cancers similaires. Tester une molécule sur un chien avant d entrer en phase clinique permettrait de faire d une pierre deux coups : déployer des stratégies thérapeutiques pour guérir ces chiens et augmenter sensiblement le taux de réussite des essais avant une application potentielle chez l homme. Robin Fahraeus fédère un réseau composé de cliniciens de l Hôpital Saint- Louis et de vétérinaires oncologistes. Les scientifiques débutent avec le lymphome et étendront leurs travaux au sarcome, au mélanome et au cancer du pancréas. 58_VIVRE_JUIN 2012
LES CHERCHEURS OBSERVENT LES CELLULES GRÂCE À LA MICROSCOPIE À FLUORESCENCE. VIVRE_JUIN 2012_59