Ethique du point de vue philosophique Janette Friedrich (Université de Genève)
1. Lesquelles de nos actions ont-elles (lesquels de nos jugements ont-ils) un caractère moral? 2. La quête de justification ou la fonction des philosophies morales 3. Contre la réduction de la morale à un exercice de nos pouvoirs rationnels 4. En quoi cela concerne les éthiques professionnelles?
1. Lesquelles de nos actions ont-elles (lesquels de nos jugements ont-ils) un caractère moral?
Les actions qui sont réalisées selon un ordre - respect d autorité selon l habitude - satisfaction selon un but - efficacité selon l envie - plaisir Les actions pour lesquelles on décide de décider, on choisit de choisir, on décide de dire oui ou non après avoir réfléchi deux fois font partie du domaine de la morale. Savater, F. (1994). Ethique à l usage de mon fils. Paris : Seuil.
Comment réagirais-tu maintenant si je te disais qu à la porte de l éthique bien comprise n est inscrite que cette consigne: «Fais ce que voudras»? Liberté «L homme est libre de vouloir faire ce qu il doit faire» I. Kant Devoir
«En règle générale, pour qu un problème soit d ordre moral, il doit mettre notre action en rapport avec des exigences supérieures, une norme ou un idéal dont nous reconnaissons la valeur et auquel nous nous sentons obligés de répondre.» (p. 5) Dans le domaine de la morale nous soumettons nos actions à des critères d évaluation plus exigeants que les critères immédiats et élémentaires que sont l efficacité, la satisfaction, la conformité ou le plaisir immédiat. «La morale introduit dans notre agir des idées d élévation et de dignité.» Métayer, M. (1997). La philosophie éthique. Enjeux et débats actuels. Québec : Ed. du Renouveau Pédagogique.
Ordre supérieur d exigence: 1. Un idéal religieux 2. Un système de valeurs sociales 3. Le principe de rationalité (vérité morale) 4. Un idéal de la vie personnelle (vertus) 5. Un principe moral à respecter: «La Morale est la recherche de la plus juste relation possible avec l autre.» (E. Fuchs) «Lorsque nous agissons, nous devrons choisir l action qui procure le plus de bonheur à l humanité.» (Utilitarisme)
Le choix de l action bonne Action jugée par rapport à système supérieur d exigence décidée - par rapport à - bien(s) supérieur(s) règles Libre de faire cette action. Libre de décider de faire cette action. Liberté liée avec une quête de justification et avec un jugement prescriptif (pas descriptif). Schéma 1: Le domaine de la Morale
2. La quête de justification ou la fonction des philosophies morales
«Si une action est morale pour moi et non morale pour quelqu un d autre, cela ne peut pas être seulement parce que nous sommes lui et moi deux personnes différentes.» Henry Sidgwick (1907) Peut-on dire que l action est morale pour un, étant donné ce qu il est, mais elle ne l est pas pour l autre, simplement parce que l autre est une autre personne et seulement pour cela? Supérieur veut dire universalisable!
L universalité des maximes d action est un critère de moralité. L impartialité doit être un ingrédient de toute conduite morale. - Qui dit «il faut», «on doit», «il est permis» doit normalement avoir de bonnes raisons pour le dire. - Qui dit «il est permis d utiliser des souris dans les expérimentations à but scientifique» affirme d avoir de bonnes raisons pour pouvoir justifier sa position. - «C est ton opinion, moi j ai une autre» ne vaut pas en éthique comme argument. - Si on demande de l autre de ne pas mentir exclusivement car on n aime pas les mensonges, on ne s engage pas dans une argumentation à caractère éthique.
Les philosophies morales: proposent des principes moraux solides, argumentent leur légitimation et remplissent par là une fonction régulatrice et d orientation comment? - elles ont un lien direct avec l expérience morale courante, avec la manière dont les jugements moraux sont réalisés contenu normatif et empirique à partir de la réflexion sur l action morale - elles font partie de notre héritage culturel et scientifique (allant de soi), longue histoire de reconnaissance en conséquence des luttes politiques et des débats philosophiques Chaque philosophie morale forme un ensemble cohérent d arguments et est caractérisée par une démarche réflexive.
Quelques philosophies morales: (Doctrines éthiques) 1. «Il faut juger les actes à leurs conséquences pour le plus grand bien-être de tous.» (utilitarisme, conséquentialisme) 2. «Il faut respecter inconditionnellement un certain nombre de droits et de devoirs et promouvoir la volonté bonne.» (philosophies kantiennes) 3. «Il y a un bien supérieur qu il faut respecter et auquel il faut se conformer.» (l excellence et perfection personnelle, ordre objectif des valeurs, épanouissement de l humanité) (vertuisme, objectivisme, communautarisme) 4. «La légitimité d une norme dépend de la justesse de la procédure selon laquelle elle a été adoptée.» (Habermas)
Le choix de l action bonne Action jugée par rapport à système supérieur d exigence décidée bien(s) supérieur(s) règles Justification par des philosophies morales par un savoir systémique et raisonné Schéma 2: Le domaine de la Morale
Utilisation des philosophies morales dans la prise des décisions éthiques: Dans ce contexte les philosophies morales sont identifiées à un savoir, on parle d une forme de savoir méthodiquement assis. Ce savoir permet aux acteurs de produire des jugements moraux qui se fondent sur les arguments intelligibles pour tous (des jugements universalisés). La méthode utilisée dans la prise des décisions éthiques consiste à inscrire des situations/des problèmes en question dans une ou plusieurs philosophies morales. Un exemple:
Est-il moralement acceptable (légitime) qu un état (ou ses représentants) donne l ordre d abattre un avion avec des passagères innocents si il est en mains des terroristes et la menace existe qu il va être utilisé pour détruire une zone fortement peuplée dans une des grandes villes de l'europe? 1. Conséquentialisme. De l abattre présenterait un mal moral, mais cet acte pourrait être justifié, car il est fortement probable que beaucoup plus de gens innocents seront tués si l avion s écrase sur une ville. Les conséquences d un crash seront beaucoup plus graves que les conséquences de détruire l avion. Cela veut dire: pour éviter un maximum de dommage, il peut être permis d utiliser des moyens qui dans d autres situations pourraient être jugés comme moralement inacceptables. 2. Déontologisme: D abattre l avion est moralement inacceptable, car il existe des actions qu on ne devrait pas réaliser sous aucune condition, comme tuer, torturer, mentir etc. Ces actions sont moralement mauvaises, même si le résultat de leur omission n est pas souhaitable. Chaque être humain a le droit que sa vie soit respectée et ne soit pas sacrifiée pour sauver la vie d autres. 3. Vertuisme: Celui qui donnera l ordre peut se demander quel homme suis-je si je donne cet ordre? Qu est-ce que cela signifie par rapport à ce que je considère comme une vie bonne, une vie bien vécue dans la communauté des êtres humains? Qu estce qu est dans cette situation un agir avec vertu?
Le tribunal constitutionnel fédéral d Allemagne a déclaré le 15 février 2006 qu une loi de sécurité aérienne qui permet d abattre un avion dans le cas d un tel scénario est contraire à la constitution allemande. De tuer des innocents pour sauver la vie d autres hommes n est pas compatible avec la garantie de la dignité humaine inscrite dans la constitution allemande.
L expérience de Milgram Est-il moralement acceptable de manipuler les participants à une expérimentation, en leur faisant croire qu ils envoient une décharge électrique de plus en plus violente aux «élèves»? Des réponses bien différentes et justifiables sont possibles de point de vue des philosophies morales. Pluralisme Conflit des valeurs Incommensurabilité conceptuelle de différentes philosophies morales
Mais la modestie obligée des théories morales lorsqu elle sont confrontées à des situations concrètes ne suffit aucunement à justifier l existence d une expertise éthique affranchie de ces théories et indépendante de toute considération philosophique. Une des tâches que les philosophes vont être appelés à accomplir dans les prochaines années sera de définir les formes d intelligibilité et de compréhension permettant d éclairer des questions difficiles, sans que la complexité de la chose fasse que certains d entre eux renoncent à y voir une responsabilité philosophique et sans permettre non plus un recours de simple convenance à la philosophie. Monique Canto-Sperber & Ruwen Ogien: La philosophie morale, Paris: PUF, Que sais-je? 2004, p. 17.
3. Contre la réduction de la morale à un exercice de nos pouvoirs rationnels «il y a quelque chose dont le cursus académique ignore l existence» Alasdair MacIntyre, (1981), Après la vertu. Etude de la théorie morale, Paris: PUF, 1997.
L éthique sur le sol de la vie quotidienne: Cora Diamond La pensée morale ne se déroule pas seulement sous forme de jugements! On s obsède encore et toujours d «évaluations», de «jugements», de raisonnement moral explicite conduisant à la conclusion que quelque chose vaut la peine, ou est un devoir, ou est mauvais, ou devrait être fait ; notre idée de ce que sont les enjeux de la pensée morale est encore et toujours «c est mal de faire x» contre «c est autorisé de faire x» ; le débat sur l avortement est notre paradigme de l énoncé moral. (47) Cora Diamond, L esprit réaliste, Wittgenstein, la philosophie et l esprit. Paris: PUF, 2004.
1. Reconnaissance d une diversité de formes de la pensée morale 2. Analysons la physionomie de notre vie avec des concepts moraux: une conception de la moralité vécue 3. Dans nos réactions éthiques se montre qui nous voulons être. 4. L éthique qui identifie le domaine de la morale avec nos jugements moraux nous éloigne de nos expériences en tant qu être moral.
Lui ou la classe? Description de la situation : Un élève de 8P perturbe la classe, il a de sérieuses lacunes dans ses apprentissages et accumule les retards. Par exemple, il ne maîtrise pas l'addition. Il accapare l'enseignante au détriment des autres élèves. Le dilemme se situe du point de vue de l'enseignante : doit-elle s'occuper un maximum de cet élève dans l'espoir qu'il progresse, au détriment du reste de la classe ou alors doit-elle se concentrer sur les difficultés des autres élèves au risque que cet élève soit dirigé en spécialisé?
«moi, je ne laisserai jamais tomber un enfant et même si je devais l inviter chez moi à la maison pour rattraper avec lui certains domaines, je le ferai, je ne peux pas faire autrement» (E. à la sortie du séminaire éthique) G. Orwell : Au même moment, un homme, qui portait sans doute un message pour un officier, bondit hors de la tranchée et courut le long du parapet, complètement exposé. Il était à demi vêtu et il retenait les pans de son pantalon des deux mains tout en courant. Je m abstins de lui tirer dessus. C est vrai que je suis un piètre tireur, et incapable d atteindre un homme qui court à une centaine de yards... Mais je ne tirais pas, en partie à cause de ce détail du pantalon. J étais venu ici pour tuer des «fascistes» ; mais un homme qui retient son pantalon n est pas un «fasciste», il est manifestement une créature pareille à vous ; et vous n avez pas envie de lui tirer dessus. (94) cité par Cora Diamond in: Le cas du soldat nu, in: L importance d être humain. Paris: PUF, 2011.
L étrangère, un film de Feo ALADAG (2010) La chasse, un film de Thomas Vinterberg (2012?)
Il n y a pas de difficulté de comprendre, pourquoi nous préférons revenir à un débat moral où le comportement d enseignant (chercheur) entre au titre d un fait à traiter comme pertinent de telle ou telle manière (en fonction des arguments pour et contre) et pas comme présence, qui peut désarçonner notre raison. (voir p. 303)
4. En quoi cela concerne les éthiques professionnelles?
Les biens spécifiques La santé (pour les médecins) La protection des droits juridiques (pour les avocats) L éducation (pour les enseignants) La recherche de la vérité (pour les scientifiques) «Lorsqu on fait appel à des professionnels, l on s attend habituellement à ce que ces spécialistes adhèrent aux valeurs fondamentales de l exercice de leur profession.» (1266) Alan H. Goldman, Ethique professionnelle, in: Dictionnaire d éthique et de philosophie morale. Paris: PUF, 1996.
Les éthiques professionnelles sont la défense d un bien particulier et non pas une expression formelle des règles. - cela peut se faire en utilisant les philosophies morales comme savoir, donc en utilisant nos capacités rationnelles - cela peut se faire en dégageant les pensées morales vécues dans les pratiques scientifiques, en montrant qui nous voulons être comme scientifique