Du rire biblique en très très général Il paraît que le rire est le propre de l homme. Or, le rire est persona non grata dans la Bible. Avoir mauvaise presse dans LE Livre, c est, en soi, assez curieux! La "Table pastorale de la Bible" (édition de 1974), ouvrage recommandable à tous ceux qui entendent se cultiver dans le domaine des Lettres sacrées, recense 28 utilisations du verbe "rire", et 8 du substantif. Pour le verbe, 26 citations émanent du Premier Testament, et 2 de St Luc ; pour le substantif, 7 citations proviennent du Premier Testament et une de St Jacques. Quelques unes de ces citations sont positives comme celle-ci qui est tirée du livre de Job (chapitre 8, versets 20-21) : "Vois, Dieu ne méprise pas l homme intègre, ni ne prête main-forte aux malfaiteurs. Il va remplir ta bouche de rires et tes lèvres de hourras." Mais, s il y a bien un temps pour rire, comme l écrit ce vieux désabusé de Qohélet (chapitre 3, verset 4) vous savez, celui de "Vanité des vanités, tout est vanité", le rire biblique est le plus souvent un rire de ricanement et de risée. "Et quand j ai trébuché, ils se sont attroupés pour en rire" (Psaume 34, verset 15). Si "l infidèle se rit de Dieu" (Psaume 10, verset 13), le Seigneur aussi "se rit de l impie" (Psaume 36, verset 13). Pire : Dieu semble "se rire du désespoir des innocents" (Psaume Job chapitre 9, verset 23). Que le Seigneur se rie des méchants (Psaume 58, verset 9) on peut non seulement le comprendre, mais aussi l approuver ; mais qu il rie des innocents, voilà qui semble condamner le rire à n être que 11
moquerie et dérision. "Du rire, j ai dit : folie." (Qohélet chapitre 2, verset 2) Folie puisque tout est bouleversé : "les gens se rient des prophètes de Dieu" (2 Chroniques chapitre 36, verset 16) : dès lors, comment empêcher "que les gens ne se rient pas de notre ruine"? (Esther 4, 17). Les ennemis rient de la dévastation du juste (Lamentations chapitre 1, verset 7). L homme biblique se méfie du rire. Le rire accompagne le péché : "Dans les délices du péché, (les pécheurs) rient" (Siracide chapitre 27, verset 14). Aussi le bon éducateur s abstiendra-t-il de rire : "ne ris pas avec ton fils de peur d en être attristé" (Siracide chapitre 30, verset 10). Car "Même dans le rire, le cœur peut être triste" (Proverbes chapitre 14, verset 13) ; donc, "chagrin vaut mieux que rire" (Qohélet chapitre 7, verset 3) Les rares citations du Second Testament ne font que confirmer cette pénible impression : "Heureux vous qui pleurez maintenant : vous rirez Malheureux vous qui riez maintenant : vous serez dans le deuil et vous pleurerez." (Luc chapitre 6, versets 21 + 25) Et "que votre rire se change en deuil" (Jacques chapitre 4, verset 9) Bigre : encore une fois, si le rire est le propre de l homme nous voilà mal partis! Ou plutôt non : tout dépend de notre point de vue. Si on ouvre la Bible pour passer un agréable moment, il est sûr qu on se trompe de porte. Par contre, si l on cherche un message fondamental, un enseignement sur le sens de la vie, sur la signification de la souffrance et de la mort, alors, on est sur la même longueur d onde. Tout ça, c est dans la Bible, tout ça, c est du sérieux. On ne va tout de même pas rire des malheurs de Job, du péché de David, des maladresses de Pierre ou de la mort du Christ! 12
D ailleurs, Jésus lui-même ne rit pas. Ou du moins, aucun des évangélistes ne mentionne le rire de Jésus. Il est vrai que les textes sont infiniment remplis de pudeur en ce qui concerne les sentiments de Jésus. On sait qu il aimait Marthe, Marie et leur frère Lazare ; on sait qu il a jeté un regard d amour sur l homme riche (Marc chapitre 10, verset 21) ; on nous dit qu il fut pris de pitié à la vue des foules sans berger (Matthieu chapitre 9, verset 36). Mais il faut bien avouer que les notations de ce genre sont rares. Les évangiles sont pleins de retenue en ce qui concerne les "sentiments" de Jésus et sa psychologie humaine. Nous sommes bien imprudents lorsque nous les lisons, sourcils froncés, comme si c était la seule façon de les interpréter. Comme si la respectueuse gravité avec laquelle il convient de s approcher du Christ ne pouvait qu être accompagnée de colère, de fulmination, de grondements, de tristesse, de morosité, de peur, de noir, de tremblements, d hésitations, de craintes, de jugements, de condamnations, de soufre, d enfer, de peines, de grincements de dents et autres épouvantes du même genre. Et si le christ était un homme rempli d humour? S il y avait de l humour dans son enseignement? Et si cet humour plongeait ses racines dans celui du Premier Testament? Et si on n était pas forcé de trembler en lisant la Bible? Et si on pouvait sourire en lisant la Bible? Si même il était préférable de sourire pour mieux comprendre certains passages? Alors voici mon but : aider à découvrir que le sourire n est pas absent de la Bible, et qu il n y a rien d inconvenant ni de blasphématoire à la découvrir sous ce jour-là. 13
Je n entreprends pas une étude systématique du sujet : il y faudrait beaucoup plus de connaissances que les miennes. D autre part, la poursuite exhaustive de l humour dans la Bible risquerait de ne pas être très humoristique : l humour biblique n est pas forcément le nôtre. Mais, si je parviens à vous montrer que la Bible elle-même n ignore pas l humour, sera-ce suffisant pour que nous puissions la lire sans nous retenir de sourire? Les auteurs bibliques, menés par l Esprit, n avaient pas conscience de la totalité des richesses incluses dans leurs écrits : au cours de sa vie, l Eglise, menée par le même Esprit, a pu découvrir nombre de réalités divines enchâssées dans la Sainte Ecriture. De même, il me semble que nous pouvons lire la Bible en y découvrant un humour que les auteurs bibliques ne voyaient pas, à côté de celui qu ils ont volontairement introduit. Ce livre va donc se présenter comme un florilège de passages humoristiques, tant pour les auteurs bibliques que pour nous. Il suivra, bien sûr, l ordre habituel des deux Testaments, s arrêtant tout spécialement sur Jonas et sur certaines des paraboles du Christ. Il achèvera sa route en évoquant plusieurs "introuvables bibliques", ces réalités qu on croit sorties de la Bible alors qu elles ne sont dans aucun passage. Il y a longtemps, on m a raconté une légende bouddhique que je trouve adaptée à mon propos. Bouddha s était montré à un sage en prière. L homme s émerveillait de sa vision. Car c était bien une vision : pas de bruits, pas de paroles. Bouddha se contentait de sourire. 14
Et lorsqu il commença de disparaître aux yeux de son fidèle, celui-ci cria : "Quel est ton message? Que dois-je transmettre aux hommes de ta part?" Bouddha, tout en disparaissant lentement, gardait le silence et continuait de sourire. Bientôt, dans un halo de soleil, ne demeura de lui qu un lumineux sourire qui s effaça lentement. Et le sage comprit que le sourire était le message de Bouddha. Rueil, 23 novembre 2002 15
Un De l humour dans le premier Testament
De l humour dans la Genèse Il y a autant de définitions que de formes d humour, et que de peuples à le pratiquer. Il faudrait dessiner un tableau à double entrée pour décrire, ne serait-ce qu à gros traits, la réalité. De plus, l humour d un peuple peut évoluer au cours des âges. Tout ceci pour dire que, devant certaines formes d humour du Premier Testament, nous risquons de rester de marbre. Je n en veux pour preuve que l histoire racontée par la Genèse trois fois de suite, à quelques chapitres de distance, deux fois pour Abraham, et une fois pour Isaac. Genèse, chapitre 12, versets 10-20 : "Il y eut une famine dans le pays et Abram (il ne se nommait pas encore Abraham) descendit en Egypte pour y séjourner car la famine sévissait dans le pays. Or, au moment d atteindre l Egypte, il dit à sa femme Saraï (elle non plus ne se nommait pas encore Sara) : "Vois, je sais que tu es une femme belle à voir (on était bien conservé à l époque ; Abram avait gaillardement atteint 75 ans, et Saraï avait le même âge que lui : voir chapitre 17, verset 1 et verset 17). Alors, quand les Egyptiens te verront et diront : "C est sa femme", ils me tueront et te laisseront en vie. Dis, je te prie, que tu es ma sœur pour que l on me traite bien à cause de toi et que je reste en vie grâce à toi." De fait, quand Abram atteignit l Egypte, les Egyptiens virent que cette femme était fort belle. Des officiers du Pharaon la regardèrent, chantèrent ses louanges au 19
Pharaon, et cette femme fut prise pour sa maison. A cause d elle, on traita bien Abram qui reçut petit et gros bétail, ânes, esclaves et servantes, ânesses et chameaux. Mais le Seigneur infligea de grands maux au Pharaon et à sa maison à cause de Saraï, la femme d Abram. Le Pharaon convoqua Abram pour lui dire : "Que m as-tu fait là? Pourquoi ne m as-tu pas déclaré qu elle était ta femme? Pourquoi m as-tu dit : "C est ma sœur"? Et je me la suis attribuée pour femme. Maintenant, voici ta femme, reprends-la et va-t-en!" Le Pharaon ordonna à ses gens de le renvoyer, lui, sa femme et tout ce qu il possédait " Merveilleux : le Patriarche avait bien roulé Pharaon. Non seulement, il avait su rester en vie par son astuce, mais, en plus, il ressortait du pays plus riche qu il n y était entré. Même, il récupérait sa femme! Quelle ruse : on avait dû bien rire sous les tentes, durant les "longues soirées d hiver", entre hommes. Cette histoire était si désopilante qu on la racontait à nouveau, mettant alors en présence Abraham (ayant changé de nom après sa circoncision) et Abimélek, le roi de Guérar (ville située au sud-ouest de Jérusalem). Genèse, chapitre 20, versets 1-18 : "De là, Abraham partit pour la région du Néguev, il habita entre Qadesh et Shour, puis vint séjourner à Guérar Abraham intercéda auprès de Dieu, et Dieu guérit Abimélek, sa femme et ses servantes, qui eurent des enfants. En effet, le Seigneur avait rendu stériles toutes les femmes de la maison d Abimélek à cause de Sara, la femme d Abraham." 20
Abimélek a plus de chance que Pharaon : il est prévenu directement par Dieu de ne pas toucher Sara. Mais, là aussi, quelle aubaine pour Abraham : il ressort de Guérar avec du petit et du gros bétail, et le porte-monnaie lesté de mille sicles d argent! Cette histoire est si irrésistible qu on ne peut pas ne pas la raconter encore, non plus au sujet d Abraham, mais à celui de son fils Isaac. Genèse, chapitre 26, versets 1-14 : "Il y eut une famine dans le pays, distincte de la première qui avait eu lieu au temps d Abraham. Isaac partit pour Guérar chez Abimélek, roi des Philistins Il devint propriétaire d un cheptel de petit et de gros bétail, et d une nombreuse domesticité." Vraiment, cet Abimélek, quel imbécile! Il s était déjà fait rouler par le père : le fils se joue de lui de la même façon. Il est de plus en plus obtus : la première fois, un message divin l avait averti de la supercherie. Il semble, cette fois-ci, que Dieu ne suffise plus à le convaincre : il lui faut des preuves matérielles. Seule, la vision d Isaac et de Rébecca "s amusant" lui met la puce à l oreille. Les privilèges qu il consent alors à Isaac dépassent de beaucoup ceux qu il avait accordés à Abraham : non seulement Isaac devint propriétaire de bétail, mais encore il devint un grand personnage, jusqu à occuper une place éminente. Résultat : "les Philistins en furent jaloux " (Genèse chapitre 26, verset 14). Imaginez, trente secondes, les Hébreux pliés en deux, riant aux larmes en racontant, sous une forme ou une autre, cette bonne histoire! 21