Le paradoxe de la révolution tunisienne : renforcement démocratique et ralentissement économique



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Transcription:

Le paradoxe de la révolution tunisienne : renforcement démocratique et ralentissement économique Le sous thème : la gouvernance démocratique en vue du développement socio-économique M. Ben Aissa Mohamed Saleh 1 Dallali Rana 2 Version préliminaire Résumé La Tunisie est en train de vivre une situation paradoxale qui décrit la persistance de la crise économique depuis une année et 5 mois, malgré les changements observés au niveau des institutions politiques et l'évolution constitutionnelle depuis la Révolution du 14 Janvier 2011. En effet, cette évolution démocratique et politique ne s'est pas traduite par une amélioration de la croissance et du développement économique et social. De ce fait, la transition en Tunisie pourrait avoir un effet contraire à celui prévu en raison de la montée des revendications sociales et de la forte dépendance vis-à-vis du budget de l Etat et de la dette publique. La situation actuelle de la Tunisie montre que le processus de transition économique en Tunisie sera compliqué et porteur de risques et il est certain que ce mouvement influencera la situation politique et en sera influencé à son tour. Ce papier examine les étapes et les caractéristiques de la transition politique et économique en Tunisie tout en évoquant les principales questions permettant d instaurer un système politique démocratique capable de relever les défis économiques sur le court et le moyen terme. 1 Professeur de droit public ; Ancien doyen de la Faculté des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis Email : mohamed.salah.ben.aissa@gmail.com 2 Enseignante à l ISAEG Email rana_dallali@yahoo.fr 1

Introduction : Nombreux sont les observateurs de la révolution tunisienne du 14 janvier 2011 qui s accordent à dire, en pensant aux autres soulèvements populaires arabes, que la Tunisie «est le pays où tout a commencé» 3. Cette observation, même si elle est exacte dans une très large mesure, mérite d être complétée en lui ajoutant, peut être, que c est aussi le pays où tout reste encore à faire, s agissant notamment de son avenir constitutionnel et politique, postrévolutionnaire. La Tunisie est aujourd hui sans Constitution. Elle attend sa nouvelle Constitution, la deuxième depuis son indépendance, qui est actuellement en cours de préparation par l Assemblée constituante élue le 23Octobre 2011, date initialement fixée pour le 24juillet 2011. Le pays est donc en pleine phase de transition politique et constitutionnelle, dont nous savons qu elle a commencé réellement avec la chute de Ben Ali le 14 janvier 2011, et la mise en application de l article 56 de la constitution tunisienne du 1 er juin 1959, puis de son article 57. Il reste que, l observation de l évolution du processus de transition politique et constitutionnelle, montre que si, au départ, ce processus s est inscrit dans la continuité constitutionnelle, il a fini par prendre la voie d une rupture d avec la constitution. L on peut considérer, en effet, que c est autour de ces deux temps forts que s est articulée la transition qui a conduit à l option finale pour l élection d une Assemblée constituante : Transition et continuité constitutionnelle (I), d abord, transition et rupture constitutionnelle (II), ensuite. Le tout, se faisant sur fond de ralentissement économique et de troubles sociaux. I - Gouvernance révolutionnaire et éclatement de «l image miracle» du modèle de développement économique et social (14 janvier 2011-23 octobre 2011) 3 Cf..Par exemple : International crisis group : Soulèvements populaires en Afrique du nord et au moyen- orient (IV) : la voie tunisienne Rapport Moyen orient / Afrique du Nord n 106-28avril 2011, page i. (www. Crisis group. Org). 2

Période (14 Janvier-3Mars) «Gouvernance révolutionnaire et transition constitutionnelle» : Cela couvre la période allant du 14janvier 2011, date à laquelle le Dictateur (Président de la République) a quitté le pays jusqu au discours prononcé le 3 Mars 2011 par le Président de la République «provisoire» (qui l a remplacé) et dans lequel il a annoncé officiellement qu une Assemblée constituante sera élue le 24juillet 2011. 1- Transition et continuité constitutionnelle : La phase de la transition constitutionnelle aura duré moins de deux mois : du 14 Janvier au 3 Mars exactement ; cette dernière date est celle à laquelle le Président de la République par intérim, annonça ce que l on a pu appeler : la «feuille de route constitutionnelle», qui devait conduire à l élection de l Assemblée constituante. Rétrospectivement, on peut dire que cette période fût marquée par trois traits caractéristiques : D abord, l ancrage constitutionnel de la suprématie de l exécutif (I.1), ensuite, l éviction constitutionnelle du Parlement de l exercice du pouvoir législatif (I.2) et, enfin, l institution de trois structures d accompagnement de la transition, sous la forme d autorités publiques indépendantes appelées à préparer les réformes politiques nécessaires, faire la lumière sur les malversations et la corruption, ainsi que sur les actes de répression et les exactions commis depuis le 17 Décembre 2010 (I.3). 1-1 L ancrage constitutionnel de la suprématie de l exécutif : Cet ancrage constitutionnel s est fait en deux étapes successives : la première, fondée sur l ancien article 56 de la constitution-, très courte, n ayant duré que le temps qui a séparé la fuite de l ancien Président de la République, le14janvier au soir, du début de la deuxième étape, entamée sur le fondement de l article 57 de la constitution. Celle-ci débuta le lendemain du 14Janvier, et s est prolongée jusqu au 3Mars 2011. 3

1-1-1 L invocation de l empêchement provisoire et la convocation malencontreuse de l article 56 de la constitution : Cette première étape fut marquée par l annonce du Premier ministre en exercice, Mohamed Ghannouchi, qu il va exercer provisoirement les attributions du Président de la République sur la base de l article 56 de la Constitution qui dispose : «...En cas d empêchement provisoire, le Président de la République peut déléguer, par décret, ses attributions au Premier ministre, à l exclusion du pouvoir de dissolution de la chambre des députés. Au cours de l empêchement provisoire du Président de la République, le Gouvernement s il fait l objet d une motion de censure, reste en place jusqu à la fin de cet empêchement. Le Président de la République informe le Président de la chambre des députés et le Président de la chambre des conseillers de la délégation provisoire de ses pouvoirs». En sollicitant l article 56, sous la contrainte ou dans la précipitation, le Premier ministre a fini par laisser croire que le départ de Ben Ali n était que provisoire! Ce n était pas sans soulever des craintes et des critiques, le recours à l article 56 laissant théoriquement, tout au moins - ouverte la perspective d un retour éventuel du Président en fuite. De plus, cela a permis de nourrir une polémique sur l irrégularité du recours à l article 56. Il a été notamment soutenu, sur ce point, que l absence de délégation d attributions au Premier Ministre par Le Président en fuite, privait la sollicitation de l article 56 d un fondement constitutionnel solide. Contrairement à ce qu on a pu soutenir, cet argument ne nous semble pas décisif. Car, même si, avant de quitter le territoire, l ancien Président n avait pris aucun décret de délégation de ses attributions ce qui a été établi par le conseil constitutionnel, dans sa déclaration du 15 janvier - l absence d un décret de délégation n était pas contraire à l article 56. Car, l article 56 n impose au Président aucune obligation de déléguer. La délégation d attributions n était que facultative. Ben Ali pouvait donc quitter le territoire sans déléguer ses attributions. Il n y avait pas lieu non plus, et par voie de conséquence, à informer les 4

présidents des deux chambres, puisque la délégation n a pas été faite. Donc, le défaut de délégation ne pouvait, à notre sens, être utilement invoqué pour contester la régularité du recours à l article 56. En revanche, ce qui rendait irrégulier le recours à l article 56, c était l impossibilité juridique de soutenir que le Président de la République était dans un état d empêchement provisoire, tel que prévu par l article 56.En effet, quand un Président de la République quitte le territoire national, qui plus est, dans un contexte de révolution populaire, il se met ipso facto dans un état d empêchement absolu d exercer ses attributions. La catégorie juridique de l empêchement absolu s impose d elle-même. Car, la nature de la Révolution du 14 janvier, sa profondeur sociale et son impact sur la vie politique étaient d une intensité telle qu on pouvait bien voir dans le contexte créé par la fuite du Président, une illustration, certes inédite mais réelle, d empêchement absolu. C est ce que devait confirmer, d ailleurs, le Conseil constitutionnel, le lendemain du 14. Si bien que si le recours à l article 56 pouvait être constitutionnellement contesté, il ne pouvait l être sur la base du défaut de délégation d attributions, mais plutôt sur la considération que les circonstances de fait n étaient pas au nombre de celles qui pouvaient constituer un cas de simple empêchement provisoire ; elles étaient, au contraire, de celles qui constituaient un véritable empêchement absolu et définitif. Ceci étant, et au-delà des aspects purement juridiques, on peut dire que le recours à l article 56, si limité dans le temps qu il l ait été, est resté aussi mystérieux que le sont restées jusqu à nos jours, les conditions réelles dans lesquelles l ancien Président de la République s est trouvé contraint de quitter le territoire national. Sans oublier d ajouter que sous un angle strictement politique, l invocation de l article 56 venait braver la volonté de tout un peuple en révolution qui réclamait le départ définitif du Dictateur. S inscrire dans le cadre d un empêchement provisoire, heurtait de front la revendication principale du peuple qui était la chute irréversible de Ben Ali et de son régime. C est, vraisemblablement, pour toutes ses raisons réunies que, très rapidement, dès le 5

lendemain du 14janvier, l article56 fut abandonné au profit de l article 57. Aussi, la transition va-t-elle encore continuer à se mouvoir dans le cadre de la constitution du 1 er juin 1959. 1-1-2 Le recentrage de la transition sur l article 57 de la constitution : Dès le15janvier, le processus de la transition constitutionnelle a été fondé sur l article 57, qui, lui, se rapporte à l hypothèse d empêchement absolu à l exercice des fonctions de Président de la République. Appelé à constater la concrétisation de cette hypothèse, le conseil constitutionnel tunisien, après avoir relevé, notamment, que l ancien Président a quitté le pays sans déléguer ses pouvoirs au Premier ministre ni présenter sa démission, que son départ s est déroulé dans les circonstances qui ont prévalu dans le pays et que l absence du Président de la République de cette façon l empêche d exercer ses fonctions, a confirmé la vacance définitive au poste de Président de la République. Il ne restait plus qu à tirer les conséquences de cet état de vacance définitive, lesquelles découlent du même article 57. Les dispositions de cet article prévoient, en effet, qu en cas de décès, de démission ou d empêchement absolu dûment constaté par le Conseil constitutionnel, qui en informe le Président de la chambre des conseillers et le Président de la Chambre des représentants,ce dernier exerce alors provisoirement les fonctions de chef d Etat pour une durée de quarante cinq jours, au moins, et de soixante jours, au plus. Les mêmes dispositions prévoient qu au cours de cette période, des élections présidentielles sont organisées pour élire un nouveau Président de la République pour un mandat de cinq ans, lequel, à son tour, une fois élu, doit dissoudre la chambre des représentants et convoquer le corps électoral pour des élections législatives anticipées. C est en application de ces dispositions que Monsieur Foued M BAZÂÂ, Président de la chambre des représentants, a pris ses fonctions de Président de la République par intérim. Sitôt investi, le Président de la République devait résoudre la question de la formation du gouvernement. Sur avis du Conseil constitutionnel, sollicité sur la base de l alinéa 3 de l article 72, le Président de la République 6

par intérim a chargé Monsieur Mohamed Ghannouchi, sur la base des articles 50 et 57 ( alinéa 4) de la constitution, de former un gouvernement d unité nationale ; ce qui a été fait. Le premier gouvernement Ghannouchi fut formé le 17Janvier. Et la transition continuait à se faire sur le fondement des dispositions constitutionnelles en vigueur. Nous sommes en présence d une continuité institutionnelle adossée à la légitimité constitutionnelle. Restait en suspens la question, de plus en plus lancinante, de savoir si les dispositions, constitutionnelles, notamment celles de l article 57 de la constitution sur l organisation des élections présidentielles dans les délais prévus à cet effet, vont recevoir application.les réponses proposées variaient d un extrême à un autre : il y a eu celles qui admettaient la possibilité d organiser pareilles élections moyennant prorogation du délai maximum de soixante jours prévu par l article 57 en invoquant à l appui de cette prorogation les théories de la force majeure ou des circonstances exceptionnelles ; à l opposé, il y a eu celles, plus radicales, qui prônaient la rupture totale avec l ordre constitutionnel. 4 Tel était l ancrage constitutionnel initial du pouvoir exécutif ; ancrage qui lui assurait une prééminence par rapport au législatif incarné encore, durant cette première période, par les deux chambres du parlement tunisien qui, totalement discréditées, étaient condamnées à être marginalisées en attendant que la décision de leur dissolution soit prise (cf. Infra. II) 1-2 L éviction «constitutionnelle» du Parlement de l exercice du pouvoir législatif Cette exclusion découla de la mise à l écart des deux chambres du Parlement en les dessaisissant de leur pouvoir législatif (1-2-1). Sa nature constitutionnelle vient de ce qu elle a été opérée sur le fondement de la constitution. Par ailleurs, dans le prolongement logique de cette exclusion, il a été décidé, suite à un jugement en référé du Tribunal administratif, de suspendre le paiement de l indemnité parlementaire perçue par les membres desdites chambres (1-2-2). 4 Nous verrons que le cours des évènements conduira à faire prévaloir cette dernière option qui devait conduire à l élection d une Assemblée constituante à l effet d établir une nouvelle constitution.( cf. infra, II ème partie ). 7

1-2-1 S agissant de l exercice du Pouvoir législatif dont le Parlement fut exclu, cela résultait de la loi n 2011-5 du 9 février 2011 5 portant délégation au profit du Président provisoire de la République, et jusqu à la fin de ses fonctions, de pendre des décrets-lois sur la base de l article 28 de la constitution du 1 er juin1959, encore en vigueur, dans des matières couvrant quasiment tout le domaine de la loi : amnistie générale, droits de l homme et libertés fondamentales, régime électoral, presse, partis politiques, associations et organisations non gouvernementales, lutte contre le terrorisme et le blanchiment d argent, développement économique, progrès social, budget et fiscalité, propriété, éducation et culture, lutte contre les catastrophes naturelles, conventions internationales relatives aux engagements financiers de l Etat, conventions internationales à caractère commercial, fiscal, économique et conventions d investissements, conventions internationales relatives aux droits de l homme et les libertés fondamentales. On notera, à propos du régime de ces décrets-lois que le Président est ainsi habilité à prendre, que la loi n 2011-5précitée a prévu dans son article 2qu ils seront ratifiés conformément à l article 28 de la constitution. Pareille disposition nous semble être révélatrice de l incertitude politique qui persistait encore, à la date de cette loi, quant à l évolution future du processus constitutionnel de la transition. Prévoir la ratification législative des décrets-lois, c est, en effet, laisser entendre implicitement que le Parlement de l ancien régime pourrait continuer à siéger et à exercer son pouvoir législatif ; même s il était difficile de définir les conditions dans lesquelles il serait appelé à le faire ni la durée d exercice de ce pouvoir. Nous verrons que cette incertitude ne tardera pas à être levée, suite à la dissolution des deux chambres du Parlement tunisien, consécutive à l organisation provisoire des pouvoirs publics qui va être décidée le 23mars 2011(cf. Infra II). 5 Loi promulguée par le Président provisoire de la République et prise, comme cela découle des visas, avec l approbation des deux chambres ; Cf..Journal officiel de la République tunisienne (en langue arabe) n 10 du 10 février2011, p.174. 8

1-2-2 cette première mesure par laquelle le Parlement fut dessaisi de son pouvoir législatif, s ajoutait celle de la suspension de l indemnité parlementaire servie aux membres des deux chambres. Sur une action en référé intentée par un groupe d avocats devant le Tribunal administratif, la suspension du paiement des indemnités parlementaires et des avantages qui lui sont liés fut prononcée par un jugement en référé du Tribunal administratif du 10 Mars 2011(affaire n 711506), motivé essentiellement par la considération que, suite à la dissolution des deux chambres résultant de la nouvelle organisation provisoire des pouvoirs publics, la règle du service fait ne pouvait plus être respectée et qu en conséquence, continuer à servir les indemnités parlementaires aux députés constituerait une violation grave de cette règle fondamentale de la comptabilité publique. Parallèlement à cette mise à l écart de l ancien Parlement, totalement disqualifié dans cette phase de transition, il convient de signaler la création de trois instances nationales dont on peut penser qu elles constituaient des structures d accompagnement du processus de cette première phase de transition, bien que leurs activités se soient poursuivies bien au-delà de cette phase. 6 1-3 Les structures d accompagnement : Il s agit respectivement de la «Haute instance indépendante pour la réalisation des objectifs de la Révolution, des réformes politiques et de la transition démocratique» (décretloi n 2011-6 du 18 février2011), de la «commission nationale d investigation sur la corruption et les malversations» (décret-loi n 2011-7 du 18février2011) et de «la commission nationale sur les abus et les exactions commises depuis le 17 décembre..»(décret-loi n 8-2011 du 18février 2011). Indéniablement, c est la première 6 Ces structures sont étudiées, ici, - c'est-à-dire dans le cadre de cette première phase que nous avons placée dans le cadre de la continuité constitutionnelle, en raison de leur date de création : le 18Février 2011, date à laquelle le processus de transition continue à se faire dans le cadre des dispositions constitutionnelles. Mais nous concédons que leurs activités se poursuivront bien au-delà de cette phase, tout au long de la période où la transition continuera à se faire en rupture avec l ancienne constitution (V.infra II) 9

instance qui va avoir un rôle de premier plan dans la poursuite du processus de transition politique au cours de cette phase et même après l expiration de celle-ci. Initialement dénommée Commission des Réformes politiques, sa composition fut limitée à l origine à des experts juristes, ce qui lui a valu d être fortement critiquée 7 en raison, notamment, de son caractère technique. Elle devait, alors, être élargie à diverses catégories socio-politiques. Devenue de nature mixte, la structure de cette commission évolua pour comprendre, à côté d un comité d experts, un conseil représentant les partis politiques, les personnalités nationales, les organisations nationales et les autres composantes de la société civile issues de la capitale et des régions, ayant pris part à la révolution et l ayant soutenue (.article3 du décret-loi n 2011-6, précité). D où le changement de son appellation destiné à refléter sa vocation désormais représentative et à la mettre en harmonie avec les objectifs de la Révolution et de la transition démocratique. Suprématie de l exécutif et éviction du législatif, avec, en parallèle des institutions indépendantes destinées à accompagner le processus de transition à des niveaux différents. Telles ont été les traits caractéristiques de cette première phase de la transition qui s est déroulée sur la base de la constitution du 1 er juin 1959. Mais ce rattachement constitutionnel ne pouvait plus durer longtemps. La pression populaire sur un gouvernement comprenant un nombre important d anciens ministres de Ben Ali devenait de plus en plus forte. Sa contestation ouverte par le peuple le rendait de plus en plus fragile. Audelà du Gouvernement lui-même, c est toute la légitimité constitutionnelle qui était remise en cause. Désormais, la Transition devait se faire en dehors de toute référence à l ancienne constitution. Si la révolution a pu constater que la transition s est effectuée dans la continuité constitutionnelle il importe de souligner que le déclenchement de la révolution du 14-1-2011 a aussi montré les limites du modèle antérieur de développement souvent associé à l image miracle du modèle économique. 7 V. infra II.1la position du Conseil de protection de la Révolution. 10

2- Le dévoilement du modèle miracle de développement économique et social tunisien Depuis 1990 et jusqu à le 14 Janvier, les autorités tunisiennes ont réussi à faire croire à l image d un miracle économique qui se produit au sein du régime de Ben Ali. C est un modèle de développement qui décrit une performance économique, une croissance, une capacité de création d emploi, une amélioration du niveau de vie. Le modèle de développement se présente ainsi comme un mélange de performances passées, des décisions prises, des évolutions anticipées et des projections futures faisant du modèle tunisien un modèle de succès incontestable. Par ailleurs, les autorités tunisiennes ont réussi à présenter aux bailleurs de fonds une analyse largement surévaluée sur les plans économiques, sociaux et politiques faisant de la Tunisie l exemple d une économie émergente susceptible d être comparée aux nouveaux pays asiatiques et même avantageuse par rapport aux autres pays du Maghreb Arabe et du Moyen Orient. En se basant sur la centralité de la stabilité dans le discours de ben Ali, le modèle erroné a réussi à mettre en place une stratégie qui a facilité l attraction des flux de financement étrangers et des aides à l économie tunisienne étant donné la reconnaissance internationale du modèle tunisien durant plusieurs années. Néanmoins, étant sensibilisés par le discours de Ben Ali, l Europe n a pas accordé une grande importance aux défaillances économiques et institutionnelles du pays. 2-1 Les principales techniques d occultation des données : Les autorités tunisiennes se sont servies de plusieurs procédés et techniques de falsification des données pour faire réussir cette image «miracle» du modèle de développement économique et social. Les procédures les plus répondues sont la technique de glissement qui est fondée sur des modifications cachées dans la construction de l indicateur ainsi que dans les modalités de mesure qui n a cessé de décrire une amélioration économique continue. A titre d exemple, faire croire à une augmentation de l investissement, on confond entre les projets d investissement réellement réalisés et les projets qui sont en cours d étude 11

ou seulement acceptés. Une deuxième technique consiste à sélectionner les informations de façon à occulter celles qui ne vont pas dans le même sens du discours officiel ou au contraire mettre en scène les informations qui sont en sa faveur. Les autorités ont également procédé à la technique de réévaluation des principaux agrégats économiques (inflation, déficit budgétaire ) en fonction de la situation économique et de la conjoncture politique et pour faire montrer la primauté du social sur l économique ce qui est contredit par la réalité des politiques économiques qui ne sont pas conformes aux objectifs sociaux. La base de données est souvent soumise à la technique de désagrégation pour pouvoir faciliter sa manipulation dans le but de donner à la réalité économique une image erronée touchant les secteurs les plus sensibles comme le secteur touristique, celui du textile et de l industrie. Cette technique a abouti à des résultats contreversés concernant l industrie tunisienne du tourisme. En effet, en 2006 le bilan global a mentionné la réalisation d un nombre de touristes record (6,5 millions) et des recettes en devises très élevées. Néanmoins, selon l agence de notation de Fitch, ces chiffres ont masqué d autres réalités (chute de la durée moyenne de séjour des touristes de 6,6 à 5,2 jours durant la période (2002-2006), la baisse du taux d occupation de 50,6% à 43,5%. 8 D un autre côté, l adoption des recettes unitaires en monnaie locale pourrait renseigner sur une augmentation alors que la réalité renseigne sur une chute des recettes qui a été occultée par l impact positif exercé par la dépréciation du dinar. Par ailleurs, les autorités avaient recours à la technique de la non publication des données étant donné qu elles ne tracent pas une amélioration et ne se trouvent pas en harmonie avec le discours officiel. Les chiffres qui dévoilent les inégalités et les déséquilibres observés étaient souvent occultés par la plupart des ministères et par la Banque Centrale de 8 Ces observations sont développées dans un rapport intitulé L Industrie Touristique Tunisienne, un modèle économique à rénover librement accessible sur le site web de l agence www.fitchratings.com.tn dans la section Rapports sectoriels et commentaires» 12 décembre 2007 12

Tunisie 9 afin de tracer cette image erronée de la performance de l économie tunisienne. Cette technique a abouti à la création d une base de données désordonnée incohérente et inadéquate qui est incapable d assurer l évaluation correcte de la situation de l économie. Nous ajoutons à ces mauvaises techniques la non actualisation des données qui trompe de plus en plus la situation réelle de l économie. Prenons à titre d exemple, le taux de chômage qui est considéré parmi les principaux éléments ayant déclenché la révolution, ce taux n a pas été soumis à l actualisation. Il a été pour longtemps affiché à un taux stable égal à 15% comme étant insensible au changement de la conjoncture économique aussi bien nationale qu internationale. 2-2 Une inégalité entre les régions: La révolution tunisienne était un évènement majeur que personne n a prévu bien que tous les tunisiens l espéraient. Le discours officiel qui n a cessé de décrire la bonne image de la Tunisie cache une réalité sociale qui est plus complexe. La fuite de Ben Ali en Janvier 2011 a fait apparaître les failles du modèle de développement miracle poursuivi pendant des années. Une réalité qui s est dévoilée marquant des difficultés économiques, sociales, des inégalités remarquables entre les régions, un chômage élevé, une exclusion des jeunes, une corruption répandue dans la plupart des secteurs, un interventionnisme croissant des alliés du pouvoir dans les affaires de l économie. Le début de l année 2011 a été marqué par une conjoncture inédite dans l histoire de l économie tunisienne qui devrait affecter la trajectoire de l économie à court terme ainsi que sa stratégie à long terme. Le problème des inégalités régionales était au coeur des troubles sociaux connus dans la région du Centre-Est du pays. Globalement, la côte orientale est mieux lotie que les régions de l Ouest et du Sud. La population et l activité économique sont principalement concentrées dans le Nord-Est (gouvernorat de Tunis) et dans le Centre-Est (gouvernorat de Sfax), 75 % 9 Communiqué du conseil d administration de la BCT (réuni le 21 Mars), la BCT s est engagée à ce que les informations communiquées au public soient plus conformes aux critères d objectivité et de transparence. 13

d emplois non agricoles se trouvant dans la région côtière. Il s ensuit une importante variabilité de la consommation moyenne et de la pauvreté d une région à l autre. Les régions les plus pauvres ont par ailleurs souffert d une négligence de la part des autorités, par contre les régions côtières bénéficiant de 65 % de l investissement public. En conséquence, le Centre-Ouest est la région la plus pauvre du point de vue de la prestation des services publics (santé et éducation). Les inégalités entre les régions sont remarquables sur plusieurs plans. Pendant des années, le développement du littoral a été favorisé au détriment de l Ouest qui est resté spécialisé en agriculture, les chances de création d emploi sont restées réduites dans ces régions. L inégalité pourrait être touchée au niveau même de la vision de la politique de développement. En effet avant la révolution, le budget de l Etat a orienté 18 % des investissements vers les régions de l intérieur contre 82% vers les régions côtières 10. Après la révolution, le gouvernement transitoire a élaboré un plan complémentaire au profit des régions défavorisées (80 % du budget complémentaire a été orienté vers l intérieur ce qui traduit un redéploiement du budget de l Etat en 2011 en faveur des régions de l ouest pour assurer un meilleur développement régional). Les inégalités entre les régions apparaissent également en matière de prestation des services publics (accès à l eau, à l électricité, au réseau routier, à la santé, à l éducation et au tissu entrepreneurial). Toutefois, Etant donné l insuffisance des données permettant d évaluer la situation économique et sociale de chaque région, le taux de chômage est le critère de comparaison entre régions qui est souvent retenu. La lutte contre le chômage a certes été la plus grande priorité de la politique économique de la Tunisie pendant plusieurs années, mais le gouvernement n est pas parvenu à créer un nombre suffisant d emplois destinés aux jeunes diplômés. La situation économique du pays est caractérisée par la montée du chômage, les régions les plus touchées sont celles du Sud et du 10 De Tunis, Anouk Ledran (2011) «La Tunisie, 49 idées pour réduire la fracture entre la zone côtière et l intérieur», 15 (11) : p. 4 14

Centre et Nord Ouest. Le gouvernorat de Gafsa arrive en tête avec un taux de 28,3% (plus de 30 mille chômeurs), suivi de Tataouine (23,6%), Kasserine (20,7%), Gabès (18,1%) et Jendouba (17,7%) 11. Tunis enregistre quand même 14,2%. De même pour La Manouba avec 15,3%. Zaghouan, Monastir et Sfax enregistrent les plus faibles de chômage en Tunisie, avec respectivement 4,9%, 6,1% et 7,4%. Cependant, on note un certain changement de configuration s'agissant des diplômés chômeurs. En effet, si Gafsa occupe la première place avec 47,7%, soit plus de 9 mille chômeurs, c'est Kébili avec 42,8% qui arrive en deuxième position, suivis par Sidi Bouzid (41,0%), Jendouba (40,1%) et Gabès (39,4%). Les autres gouvernorats enregistrent des taux variables se situant au dessus de 10% (18,5% pour Sfax, 19,6% pour Sousse et 18,7% pour Monastir, régions côtières connues pour leur aptitude à attirer et absorber les investissements. Quant aux régions du sud, nord-ouest et centre, elles enregistrent des taux assez élevés. A Béja, il est de 31,3%; 27,9% au Kef, 39,9% pour Tataouine et 37,9% à Kairouan. Le taux le moins important est enregistré à Ariana (10,9%) et à Zaghouan (11,5%). La tendance à la hausse du chômage des diplômés d université est la conséquence de l explosion de la population active, du rendement élevé des universités, de l inadéquation entre la demande et l offre de main d œuvre qualifiée et de la mauvaise qualité de la formation reçue par beaucoup de diplômés il semble par ailleurs exister une inadéquation entre le domaine de spécialisation choisi et les réalités du marché du travail. Le taux de chômage qui atteignait 47,1 % en moyenne chez les jeunes détenteurs d une maîtrise en économie, en gestion ou en droit et 43,2 % pour les titulaires d une maîtrise en sciences sociales, témoigne de cette situation. En 2011, une perte d emploi a été enregistrée en raison de la paralysie économique notamment dans les entreprises publiques, la fragilité des industries qui remonte même à la période de l avant révolution. La crise touristique et le retour des émigrés de la Lybie pour s insérer sur le marché du travail tunisien ont largement 11 Webmanagercenter.com (2011) «Tunisie : chômage, d importantes disparités régionales» 16 (6) 15

participé à la montée du chômage. De ce fait, la création de l emploi décent pour les jeunes diplômés en chômage constitue l un des principaux défis que doit relever le gouvernement. 2-3 Une corruption répandue dans le système politique et économique: La corruption étendue au sein des plus hautes instances décisionnelles de la Tunisie a été un facteur déterminant du soulèvement populaire qui a conduit à la chute de l ex-président Ben Ali. Toutefois, dans le cadre de l image erronée de la Tunisie, les principaux organismes internationaux ont souvent classé le pays à niveau de corruption moyen faisant croire à sa «bonne gouvernance» mais la réalité fait que l'ancien président et ses proches s'étaient appropriés tous les secteurs de l'économie tunisienne. La famille élargie du président Ben Ali est généralement présentée comme le carrefour de la corruption en Tunisie. Ainsi, comme l a déclaré Mr Néji Baccouche, membre de la Commission et professeur de droit à l'université de Sfax «Tous les secteurs juteux de l'économie tunisienne étaient réservés à l'ancien président et à sa famille et que les entreprises étrangères ne sont pas des anges en la matière. Certaines ont été complices de pratiques injustifiables autrement que par l'argent. Malheureusement, rien n'a échappé à la corruption» Le système financier était parmi les secteurs les plus affectés par de graves pratiques de corruption et de mauvaise gestion financier. En effet, en créant de bonnes relations avec les banquiers, les riches hommes d affaire tunisiens se procurent du meilleur financement permettant la validité de leurs projets commerciaux qui ne sont pas forcément rentables. Ils utilisent également leurs liens personnels avec le pouvoir pour ne pas rembourser leurs emprunts. Cette activité bancaire fondée sur les liens personnels a abouti à un accroissement de la part créances douteuses qui a atteint un taux égal à 19% 12 qui demeure élevé bien qu il soit inférieur à 25% enregistré en 2001. En présence d une mauvaise gouvernance, le secteur bancaire a échappé au contrôle pour devenir un réservoir inépuisable de bonnes affaires. 12 En 2010, le ratio des créances douteuses a atteint 13%, le ratio (provisions/créances douteuses) est de l ordre de 58,5% 16

Selon Wikileaks 13 le gendre de Ben Ali, Marouen Mabrouk a acheté 17% des parts de l ancienne Banque du Sud (Tijari Bank aujourd hui) juste avant sa privatisation pour avoir une position de contrôle qui lui a permis par la suite de revendre ses parts à des banques étrangères et se procurer des bénéfices élevés. De ce fait, durant les 20 dernières années, il s est développé un empire financier fondé sur des biens mal acquis sans précédent en Tunisie, notamment dans les secteurs des médias, des transports, des télécommunications, du tourisme et même de l éducation. 14 Ces acquisitions douteuses se sont accélérées pendant le programme de privatisation au début de 2000, tout comme l octroi de prêts bancaires à de très faibles taux d intérêt qui ont permis la dégradation des actifs. Les autorités ont profité de leur pouvoir pour créer un monopole dans le secteur privé, dans le secteur Export-Import et dans l accès à l information alors que la population fait face à une montée de l'inflation et à un fort taux de chômage. La Global Financial Integrity Foundation a estimé le coût de la corruption dans le pays à environ 1 milliard de dollars par an 15. Cela étant, Freedom House 16 fournit des données probantes montrant que la Tunisie accuse d importantes lacunes en matière de droits politiques et de libertés civiles. Les indicateurs de Freedom House tendent en outre à indiquer que la Tunisie avait l un des pires environnements médiatiques du monde arabe en 2010, le gouvernement recourant à tout un arsenal juridique, pénal et économique pour réduire au silence les voix dissidentes. Le manque de transparence au sein du système politique tunisien 13 Le monde.fr (2011) «publication d une traduction en français d un télégramme diplomatique américain dévoilé par Wikileaks et décrivant la corruption au sein du plus haut niveau du régime du président de ben Ali.» 15 (1) 14 En 2007, Leila ben Ali a reçu gratuitement du gouvernement tunisien un terrain bien situé pour construire une institution à but lucratif «Carthage International school» accompagné par un don de la part du gouvernement de l ordre de 1,8 million de dinars (1,5 million de dollar) 15 Verdier.C, Audrey.O et Castel.V (2011) «Révolution tunisienne, enjeux et perspectives économiques» Note économique AFDB, 11 (3), p. 4 16 www.freedomhouse.org 17

s est répercuté négativement sur l économie en dégradant les conditions de l investissement dans la mesure où, en 23 ans de règne, Ben Ali avait installé et répandu la corruption dans tout le système. Période (3Mars 23 Octobre) «Gouvernance révolutionnaire sans constitution» Cela couvre la phase qui va du 3Mars 2011, et, de la formation, quelques jours après, du Gouvernement présidé par Monsieur El Béji CAÏD ESSEBSI, jusqu à l élection, le 23 Octobre, de l Assemblée constituante. 1- Transition et rupture constitutionnelle : Cela peut être analysé à un double niveau : le premier est celui de la chute des deux premiers gouvernements présidés par monsieur Ghannouchi (II.1), le second est la formation d un troisième gouvernement dirigé par monsieur Béji Caiid Essebsi (II.2) et l abandon définitif du cheminement suivi jusque-là rattaché à la constitution du 1 er juin 1959. 1-1 Légitimité révolutionnaire et chute des deux gouvernements Ghannouchi : Comme nous l avons déjà indiqué, par la formation du premier gouvernement formé le 17 Janvier, le cap choisi était clair : assurer la continuité de l Etat par une transition fondée sur la légitimité constitutionnelle, l objectif à terme étant de conduire la transition vers une élection présidentielle, conformément aux dispositions de l article 57 de la constitution pour éviter un vide politique. 17 C était sans compter avec ceux qui, se réclamant de la légitimité révolutionnaire, voyaient dans le premier gouvernement l image fidèle d un passé supposé révolu et définitivement condamné. Il suffit, en effet, de rappeler ici que sur les trente neuf (39) membres de ce premier gouvernement, quinze (15) étaient issus du Rassemblement 17 C est ainsi que Mme Jeribi Maya, secrétaire générale du PDP, soulignant cette démarche, fit observer : la phase de transition doit se faire sur la base de l actuel, c'est-à-dire dans la continuité constitutionnelle, avec une transition au niveau des institutions car cette révolution n a pas donné de direction politique. Il faut limiter les dégâts et coupler la rupture politique avec les institutions existantes (in : Entretiens de Crisis group, Maya Jeribi, Tunis le 6/2/2011, op.cit.p.15) 18

constitutionnel démocratique (RCD), 18 l ancien parti de Ben Ali. Ce qui écornait sérieusement la crédibilité, voir la légitimité, de ce Gouvernement, bien qu il associât, à sa composition des ministres représentant certains partis de l opposition légale : le parti Ettajdid, le Parti Démocratique progressiste (PDP), le parti Ettakattol et trois ministres de l Union générale tunisienne du Travail(UGTT). A peine composé, ce gouvernement a connu rapidement sa première fissure. Dès le 18 Janvier, l UGTT et le parti Ettakattol se retirent du gouvernement, protestant, selon eux, contre la procédure autoritaire de sa formation. A cette fissure, s ajouta une opposition qui, en dehors du gouvernement et s affirmant ouvertement sur la place publique, afficha une résistance farouche à ce premier gouvernement. De cette opposition, on notera particulièrement, à cet égard, la formation du front du 14 Janvier, formé le 20 Janvier, regroupant plusieurs forces politiques d obédiences diverses : nationalistes démocrates ( watad de Chokri Belaiid), unionistes, nassériens, courant bath, gauche ouvrière marxiste ( parti ouvrier communiste tunisien : POCT de Hamma Hammami), et d autres formations, ainsi que le Syndicat ouvrier, L Union générale des travailleurs tunisiens(ugtt). Les revendications du front du 14 janvier, se cristallisant dans une opposition farouche au Gouvernement de Ghannouchi, portaient notamment sur la dissolution du Parlement et du Conseil supérieur de la Magistrature ainsi que sur l élection d une Assemblée constituante. 19 L action du front du 14 Janvier était d autant plus incisive qu elle s accompagnait d un sit-in impressionnant à la Place du gouvernement, Place de la Kasba ( baptisé Kasba1) formé de centaines d occupants issus, notamment, de plusieurs gouvernorats du centre et du sud.l exacerbation de l hostilité au Gouvernement Ghannouchi devait inévitablement conduire à la chute de ce dernier, et, à la formation d un deuxième Gouvernement le 27janvier 18 Dont, particulièrement, trois des plus significatifs ; il s agit de : Kamel Morjane (affaires étrangères),ahmed Friââ(Intérieur, nommé déjà par Ben Ali, dès le12janvier!) et Mohamed Jegham. 19 V. déclaration constitutive de ce front, in : http://front du 14janvier. Net/déclaration-constitutive-du-front.html 19

2011.Ce fut, à notre sens, la première grande épreuve à laquelle fut confrontée la légitimité constitutionnelle dont le Gouvernement Ghannouchi croyait encore pouvoir se parer. Malgré la formation du deuxième Gouvernement Ghannouchi, rattaché encore à une légitimité constitutionnelle chancelante, l hostilité des Sit-ineurs continuait à croître. Leur nombre aussi. De nombreux occupants venant des gouvernorats de Sidi bouzid,tala, kasserine, siliana,tozeur,nafta, tataouine, kebili, nabeul,mahdia sont venus renforcer les rangs des sit-ineurs de la Kasba1. Cette hostilité - faut-il le noter- était aussi soutenue par une partie non négligeable de l opinion publique. C est l épreuve de la Kasba 2 que devait subir ce deuxième Gouvernement où le nombre des ministres de l ère Ben Ali a été réduit et où on a pu noter une entrée remarquée de technocrates dont certains étaient recrutés parmi des compétences tunisiennes travaillant à l étranger. Aussi, cette nouvelle configuration du deuxième Gouvernement ne répondait-elle que très partiellement aux revendications radicales de la Rue. Et, la nomination, début février, de dix neuf gouverneurs sur vingt quatre, considérés comme appartenant à l ancien parti au pouvoir sous Ben Ali (le Rassemblement constitutionnel démocratique ) n a fait qu accréditer davantage l idée que le Gouvernement Ghannouchi continuait à incarner le régime déchu. En même temps, il était manifeste que la légitimité constitutionnelle qui était la sienne devenait, au fil des jours, de plus en plus incompatible avec la nouvelle légitimité révolutionnaire. 20 Non seulement, c est le départ du premier ministre Ghannouchi qui est scandé, mais l exigence de l élection d une «Assemblée constituante» devenait, désormais, le mot d ordre capital qui allait aiguiller l évolution politique et constitutionnelle future de la Tunisie. La fragilisation de ce deuxième gouvernement va s accentuer avec la création d un Conseil national pour la protection de la révolution, dont l acte fondateur a été signé le 20 On notera que l hostilité à ce deuxième gouvernement s est accentuée avec les bavures policières commises à l occasion de l évacuation violente de la place du Gouvernement (place de la Kasba ). 20

11 Février 2011 par 28 organisations 21 ; ses membres réclament que le Conseil national de la protection de la révolution soit consacré par décret-loi et revendiquent l exercice d un pouvoir de décision et de contrôle du gouvernement, ce qui ne fut jamais accepté par ce dernier. Dans ce Conseil, l ordre des avocats et l UGTT ont été les acteurs principaux auxquels s ajoute le front démocratique pour le travail et les libertés, rejoint plus tard par le parti islamiste Ennahdha, le 15 Février. 22 Ce Conseil contestait également les instances indépendantes d accompagnement ( la Haute instance indépendante des réformes politiques.., la commission nationale d investigation sur la corruption.., la commission nationale d investigation sur les exactions et les abus (cf. Supra I.3). Et comme nous l avons déjà relevé (supra I. 3), c est particulièrement la première commission des réformes politiques qui a été la cible privilégiée des critiques du conseil national de protection de la Révolution., en ce qu elle n est pas représentative des différentes forces politiques et qu elle ne saurait constituer le cadre institutionnel approprié pour suivre et contrôler le gouvernement et garantir la réalisation des objectifs de la Révolution. C est ce qui explique que, pour répondre à cette critique, et après de longues et laborieuses négociations, la composition initiale 23 de cette haute instance indépendante des réformes politiques (v. supra I.3) a été sensiblement élargie de façon à y intégrer, notamment, la majorité des composantes du Conseil national de protection de la 21 V. Soulèvements populaires en Afrique du nord (International Crisis Goup..), op.cit. p.13 22 On notera qu à l origine de ce Conseil, se trouve l initiative de trois anciens figures marquantes de l ère de Bourguiba : M.A. Ben Salah, M. Filali eta. Mestiri,, qui préconisaient la désignation d un Président de la République à titre provisoire tout en gardant la Constitution moyennant quelques modifications ; mais le Conseil national pour la protection de la révolution ne rassemble pas toute l opposition au gouvernement Ghannouchi et il était même contesté par plusieurs composantes de la société civile, tel, le conseil national des libertés, l Association des femmes démocrates,. (V.international crisis group..ibid. ) 23 V.arrêté du Premier ministre du 14Mars 2011relatif à la désignation des membres de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la Révolution, des réformes politiques et de la transition démocratique ( JORT N 17/15MARS2011,,p.305-307) 21

Révolution et du front du 14 Janvier. Aussi, force est d admettre que ni la refonte de la commission des réformes politiques, désormais baptisée la Haute Instance de réalisation des objectifs de la Révolution, des réformes politiques et de la Transition démocratique, ni la dissolution judiciaire de l ancien parti du Rassemblement constitutionnel démocratique,n allaient suffire à sauver le deuxième Gouvernement Ghannouchi, incarnant toujours une légitimité constitutionnelle trop étroitement liée au régime déchu pour être acceptée. Tous ces facteurs, conjugués à la radicalisation du deuxième sit-in (Kasba2) et sa polarisation sur la revendication d une Assemblée constituante rendaient l ancrage de la Transition dans la constitution du 1 er juin 1959 de plus en plus problématique. Cette situation trouva son aboutissement dans la démission du Premier ministre Ghannouchi, acceptée formellement par le décret N 186 du 27 février 2011, pris sur la base des articles 50,51 et 57 de la constitution du 1 er juin 1959, encore en vigueur. Et, par le décret N 187 du 27février 2011, monsieur Béji Caid ESSEBSI est nommé Premier Ministre. La transition va continuer à se faire sur la base de la constitution du 1 er juin 1959, mais pour une très courte période au terme de laquelle elle va évoluer en dehors de la constitution. 1-2 Le gouvernement BEJI CAÏD ESSEBSI (27février 2011) : la rupture définitive avec l ancienne légitimité constitutionnelle Avec le nouveau Gouvernement, l on va assister à une rupture totale avec l ordre constitutionnel antérieur (A) qui va se traduire par une nouvelle organisation provisoire des pouvoirs publics : la première depuis le 14 janvier 2011. Cette rupture tient à ce que, désormais, le processus de transition politique se poursuivra en dehors de la constitution du 1 er juin 1959 et autour d un objectif qui n est autre que l élection d une Assemblée constituante (B) chargée d établir, à plus ou moins court terme 24, une nouvelle constitution. En attendant cette échéance (l adoption de la nouvelle constitution) l Assemblée constituante adoptera une nouvelle et deuxième organisation provisoire des pouvoirs publics (C). 24 La date à laquelle sera achevée l élaboration de la constitution n a pas encore été fixée avec précision. 22

1-2-1 Une transition en rupture avec la légitimité constitutionnelle : l adoption d une nouvelle organisation des pouvoirs publics (le décret-loi n 2011-14 du 23-3-2011) Cette deuxième phase de la Transition -qui se poursuivra jusqu à l élection d une Assemblée nationale constituante le 23Octobre 2011 - va être marquée par la «feuille de route» annoncée par le Président de la République dans son discours du 3 mars 2011. La composante essentielle de cette feuille de route est évidemment l objectif à terme qui est l élection d une Assemblée constituante annoncée d abord pour le 24juillet 2011, mais qui sera, par la suite, reportée au 23 Octobre 2011.Cette décision signifie que le processus de la transition ne peut plus se poursuivre dans le cadre des dispositions de l article 57 de la constitution du 1 er Juin 1959. Ainsi, le discours du 3Mars 2011 marque une volonté claire de rupture avec l ordre constitutionnel ancien. Juridiquement, cette rupture ne sera, toutefois, consacrée qu avec la publication du décret-loi sur l organisation provisoire des pouvoirs publics du 23 Mars 2011 25. En effet, il est significatif de relever que dans le préambule introductif des articles de ce décret-loi, il est clairement énoncé que l Etat tunisien, dans sa situation actuelle telle qu elle se présente après la vacance définitive de la Présidence de la République constatée par le conseil constitutionnel dans sa déclaration du 15Janvier 2011, ne permet plus un fonctionnement normal des pouvoirs publics,et, que l application totale 26 des dispositions constitutionnelles 25 Décret-loi N 14 du 23Mars 2011 relatif à l organisation provisoire des pouvoirs publics (JORT N 20 du 25 Mars 2011 ; pp367-369. 26 Cela signifie, a contrario, que la constitution n est désormais appliquée que partiellement. Cela est confirmé par plusieurs dispositions du décret-loi N 14 précité, telles que celles qui maintiennent le Tribunal administratif, la cour des comptes, les collectivités locales, l autorité judiciaire, sous l empire des lois et règlements en vigueur. Or, nous savons que ces lois et règlements, relatifs à des organes constitués, puisent leur fondement constitutionnel dans la constitution du 1 er juin 1959. Pour toutes ces considérations, l effet du décret n 14 s analyse, à notre avis, en une abrogation(les dispositions relatives à l organisation provisoire des pouvoirs publics sont inconciliables avec la constitution) partielle (l application totale étant devenue impossible) et implicite( aucune disposition n abroge expressément la constitution) de la constitution du 1 er juin 1959.Le tribunal administratif, lui, a estimé qu il s agit d une suspension de la constitution (cf.sa décision précitée sur la 23