RECUEIL DES PLAIDOIRIES 2015



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Transcription:

RECUEIL DES PLAIDOIRIES 2015 lycéens / élèves avocats / avocats

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18 e ÉDITION - 30 JANVIER 2015 PLAIDOIRIES DES LYCÉENS 2015 Esplanade Général Eisenhower CS 55026-14050 CAEN Cedex 4 Tél. : 02 31 06 06 44 www.memorial-plaidoiries.fr E-mail : lyceens@memorial-plaidoiries.fr 3

Le Mémorial de Caen Recueil des Plaidoiries 2015 LYCÉENS 4

Le Mémorial de Caen Recueil des Plaidoiries 2015 LYCÉENS LE 18 e CONCOURS DE PLAIDOIRIES DES LYCÉENS POUR LES DROITS DE L HOMME Vendredi 30 janvier 2015 AU MÉMORIAL DE CAEN Depuis 17 ans, le Mémorial de Caen organise, le Concours de plaidoiries des lycéens pour les droits de l homme. Soutenu par le Conseil Régional de Basse- Normandie, cet événement offre aux lycéens une tribune exceptionnelle pour défendre une cause qui leur tient à coeur. Ce concours se déroule en plusieurs étapes. Après une première sélection écrite qui a départagé plus de 1 300 plaidoiries, des jurys se sont réunis en région afin de sélectionner les équipes lauréates qui participeront à la finale au Mémorial de Caen. En présence d un jury composé de personnalités engagées dans la défense des droits de l homme, de représentants de l Éducation Nationale, de journalistes, d artistes et de lycéens, ce concours, qui se déroule devant un public de plus de 2 000 personnes, récompense les qualités oratoires et la force argumentaire des candidats. Nous remercions sincèrement nos partenaires qui, pour la plupart d entre eux, nous accompagnent depuis 17 ans : la MGEN, Amnesty International France, Reporters sans Frontières, le quotidien L Actu. Nous remercions tout particulièrement nos partenaires qui accueillent les présélections en régions et sans lesquelles le Concours de plaidoiries des lycéens pour les droits de l homme ne connaîtrait pas un tel succès. Merci au CERCIL d Orléans, au Tribunal de Grande Instance de Lille, au Musée d Aquitaine, au CRDP de Toulouse, au CRDP Aix- Marseille, au CRDP de Reims, au Midi-Libre à Montpellier, à Ouest-France à Rennes, à la MGEN à Paris, au Centre d Histoire de la Résistance et de la Déportation à Lyon et à la Cour européenne des Droits de l Homme à Strasbourg. Le Mémorial remercie également France Bleu Basse-Normandie pour son soutien. Le Barreau, la Ville et le Mémorial de Caen n entendent donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises par les candidats ; ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs. 5

Les notes de bas de page sont à attribuer aux auteurs des plaidoiries, à l exception des notes portant la mention N.d.É. (Note de l Éditeur). 6

Le Mémorial de Caen Recueil des Plaidoiries 2015 LYCÉENS TABLE DES MATIÈRES LE CONCOURS DE PLAIDOIRIES DES LYCÉENS Rana Plaza : autel du textile........................................................................ 9 Christvient Lumbu Milandu / Lycée Assomption Sainte Clotilde, Bordeaux L enfant s appelle Avenir........................................................................... 17 Gaby Da Silva / Lycée Raymond Savignac, Villefranche-de-Rouergue Pour le meilleur et surtout pour le pire... 25 Nina Bonche et Camilia Gaied / Lycée Jacob Holtzer, Firminy Les femmes sont les nègres du monde.... 33 Dalhie Tahangy / Lycée français de Tamatave, Madagascar Réformons le Conseil de sécurité et arrêtons la protection des criminels... 41 Eliška Stroehlein / École européenne de Bruxelles I, Académie de Strasbourg La révolution syrienne, une lutte, une souffrance au nom de la liberté... 49 Yamane Jaber / Lycée Saint-Jean La Croix, Saint-Quentin (02) Cette négligence est à rendre fou!.... 57 Basile Desvignes et Lucien Thommen / Lycée Hector Berlioz, Vincennes Soleil sanglant au Levant... 65 Zakaria Gati / Lycée La Trinité, Béziers Un couloir pour la vie.... 73 Juliette Latchimy / Lycée Marie Curie, Vire Pour le malheur et pour le pire.... 81 Charlotte Mabille de Poncheville et Camille Laheurte / Lycée Sacré-Cœur, Angers islave : le prix de la futilité.... 89 Alice Lefèvre / Lycée Paul Mélizan, Marseille Vivre ou ne pas vivre, telle est la question.... 99 Mathilda Salières / Lycée La Pérouse - Kerichen, Brest Parce que le syndicalisme ne va (apparemment) pas de soi... 107 Brian Bousquet / Pensionnat de Versailles, Basse-Terre, Guadeloupe Chez les bourreaux du Sinaï... 115 Bilel Miled / Lycée Catherine et Raymond Janot, Sens LE CONCOURS DE PLAIDOIRIES DES ÉLÈVES AVOCATS.... 123 LE CONCOURS DE PLAIDOIRIES DES AVOCATS... 221 7

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LA DÉFENSE DES DROITS DE L HOMME Rana Plaza : autel du textile Christvient Lumbu Milandu Lycée Assomption Sainte Clotilde, Bordeaux 9

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Le Mémorial de Caen Recueil des Plaidoiries 2015 LYCÉENS Mesdames, Messieurs, Je me tiens devant vous pour évoquer cette folie du textile, du toujours produire plus à bas coût, dans des conditions de travail immondes. Ce fléau touche de nombreux pays d Asie : Chine, Inde, Cambodge, Indonésie et Bangladesh Non sans conséquence, des autels du textile ont vu le jour comme Rana Plaza. Oui! Rana Plaza, autel du textile! Le 24 avril 2013, un immeuble du nom de Rana Plaza s est effondré. Il logeait des ateliers du textile au service de grandes marques occidentales : Nike, H&M, Zara et Gap. Parmi les 3 122 employés, 1 127 ont trouvé la mort. C était au Bangladesh. La majorité des personnes salariées sont des femmes comme Hony Chantam. Le «salaire est de cent dollars par mois pour un travail de dix à douze heures par jour, et parfois vingt-quatre heures lorsqu il y a des commandes importantes», selon ses dires rapportés à l Observatoire des multinationales. En plus de cela s ajoutent «les loyers de cinquante dollars ; l eau et l électricité coûtent vingt dollars». Comme vous l avez bien compris, ces ouvrières se saignent les veines pour nourrir leur famille. Elles se battent sans relâche pour éduquer leurs enfants. La misère, la fatigue, la pauvreté et la peur du lendemain s écrasent sur leurs épaules. Elles s endettent même pour consommer! Le site du collectif Éthique sur l étiquette révèle cette course aux salaires les plus bas en Asie de l Est. Cent soixante-quatorze euros par mois en Chine, cinquante et un euros en Inde, soixante euros au Cambodge et quatre-vingt-deux en Indonésie. 11

Le Mémorial de Caen Recueil des Plaidoiries 2015 LYCÉENS Les salaires des ouvrières ne valent pas plus que les articles vendus. Ces femmes sont «soldées»! Comment ce genre de chose a-t-il pu arriver? Qui l encourage et dans quel but? Eh bien, les premiers responsables, c est nous, les consommateurs et consommatrices! Coluche disait : «Pour qu un produit ne se vende plus, il suffit de ne plus l acheter.» Par notre envie de tout acheter sans se soucier des normes, nous avons oublié ces sacrifiés du textile. Nous avons oublié que c est à ce prix que nous avons des vêtements. Bien sûr, il est évident que les autorités locales ont aussi leur part de responsabilité. Les dirigeants préfèrent laisser continuer cet esclavage moderne et écraser toute opposition. Au Cambodge, le premier ministre Hun Sen, au pouvoir depuis 1985, broie les revendications ouvrières. Le 3 janvier 2014, la police a tiré sur les manifestants, faisant trois victimes. Ces trois révoltés morts étaient sans doute des parents qui ont laissé derrière eux femmes, maris, pères, mères, orphelins et amis. Si nos garde-robes sont tant remplies, le vide laissé par les morts demeure. Évidemment, j ai conscience de la place du textile dans le développement de ces pays ateliers. Il représente un tiers du PNB et 85 % des exportations rien qu au Cambodge! Sur les six cents mille ouvrières cambodgiennes, quatre cents mille travaillent pour des grandes marques. Il ne s agit pas de freiner la croissance de ces États souvent jeunes et sortis de la guerre. Il ne s agit pas également d interdire aux gens de travailler. Il ne s agit pas non plus d interdire la religion du libreéchange, qui le pourrait d ailleurs? Mais ces firmes transnationales jouent sur les frontières et contournent les lois habilement. Elles s engraissent alors que les salaires diminuent. 12

Le Mémorial de Caen Recueil des Plaidoiries 2015 LYCÉENS Pourtant! Devrions-nous ignorer les droits de ces travailleurs et travailleuses? «Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage», nous rappelle la Déclaration universelle des droits de l homme dans son article 23. Dans ce même article il est aussi stipulé que : «Tous ont droit sans aucune discrimination, à un salaire égal pour un travail égal. Quiconque travaille a droit à une rémunération équitable et satisfaisante, lui assurant ainsi qu à sa famille une existence conforme à la dignité humaine et complétée s il y a lieu par tous les autres moyens de protection sociale». Trouvez-vous qu être payé cent euros pour parfois vingt-quatre heures de travail est correct et digne? Toujours dans la Déclaration universelle des droits de l homme : «Toute personne a droit au repos et aux loisirs et notamment à une limitation raisonnable de la durée de travail et à des congés payés périodiques.» Cette déclaration démontre combien les droits des ouvriers et ouvrières partent en fumée sur l autel de la rentabilité. Deux semaines après le drame du Rana Plaza, une usine de pull-overs a pris feu. Cela a fait huit morts. Leurs corps calcinés sont la conséquence de cette folie qui ronge le textile d où proviennent nos jeans, nos chaussures, nos pulls et autres habits. Les inspections n ont pu fermer que vingt usines, soit moins de 1 % de tous les ateliers. Les commandes des distributeurs valent-elles plus que la vie humaine aujourd hui? J espère ne pas le croire même si des chiffres et des faits nous prouvent le contraire. À l ère du XXI e siècle, l «armée de réserve du textile» grandit et se compose d une catégorie bien plus faible et plus fragile que les adultes : les enfants. À peine plus grands que la taille des jeans qu ils produisent et souvent âgés de six à dix ans, ces enfants sont au premier front des injustices. 13

Le Mémorial de Caen Recueil des Plaidoiries 2015 LYCÉENS Leurs mains ne sont pas dédiées à l écriture alors que tout enfant a le droit à l éducation. Ces mains servent plutôt à fabriquer des ballons de foot que certains appellent, comme Neil Kearney, secrétaire général de la Fédération internationale des travailleurs du textile, de l habillement, et du cuir (FITTHC), «les ballons de la honte». Ces «victimes de la mode» sont souvent «affamées et fouettées en cas d erreur», dénonce le journal Libération. Pour ceux-là, il est encore plus difficile d échapper à la toile d araignée du textile qui les mène dans une spirale de pauvreté et de violence sans fin. Tout ceci se fait au mépris de l article 37 de la Convention internationale des droits de l enfant (CIDE) «Nul enfant [ne peut être] soumis à la torture ni même à des peines ou des traitements cruels, dégradants et inhumains». Cet article énonce aussi que «tout enfant [ ]soit traité avec humanité et avec le respect dû à la dignité de la personne humaine». Anonymes et victimes de l indifférence du monde, ces enfants connaissent le même destin que ceux de Sialkat. Dans cette ville du nord-est du Pakistan sont assurés «80 % de la production de ballons du monde», rapporte encore Libération. Des tâches ingrates «sont effectuées pour 200 roupies au lieu de 1 500» comme le demande la loi. L article 37 de la CIDE mentionne très bien «une réglementation appropriée des horaires et des conditions de travail» pour ces enfants qui travaillent quinze heures par jour. Mesdames et Messieurs, ne vous y trompez pas! Ces enfants sont aussi des esclaves modernes et leurs patrons des esclavagistes. Le mot «esclavagisme» est dur mais au fond tellement léger pour qualifier les conditions de travail de ces enfants. N auraient-ils pas droit, eux aussi, de dire avec Voltaire : «Ce qui sert à vos plaisirs est mouillé de nos larmes»? 14

Le Mémorial de Caen Recueil des Plaidoiries 2015 LYCÉENS Pour ma part, je m oppose à cette réalité et propose une autre vision. Je veux un monde plus juste où tous les pays auraient un même niveau de vie élevé. Je veux un monde où entreprises et salariés marchent ensemble vers l équité sociale, la croissance économique et la protection de l environnement. Je veux un monde où adultes et enfants puissent cohabiter en paix sans être maîtres ni esclaves. C est pour cela que je suis devant vous. Merci de votre attention. 15

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LA DÉFENSE DES DROITS DE L HOMME L enfant s appelle Avenir Gaby Da Silva Lycée Raymond Savignac, Villefranche de Rouergue 17

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Le Mémorial de Caen Recueil des Plaidoiries 2015 LYCÉENS Mesdames et Messieurs, Membres du jury J aimerais vous parler de Rosa, elle est née dans un petit village en Espagne dans les années trente Rosa a eu la chance d aller à l école pendant quelques années, elle n aurait manqué un jour d école pour rien au monde. Nous sommes en Espagne, dans un petit village au milieu des années quarante. Hélas, à quatorze ans, elle doit partir étudier dans la ville la plus proche et c est impossible. Elle n en a pas les moyens. Pour elle, le rêve s arrête. Pour moi, c est le début de ma plaidoirie. Rosa était ma grand-mère, elle a toujours défendu l école. À mon tour de le faire maintenant, pour elle, mais surtout pour nous tous, ici. Aujourd hui dans le monde, ils sont cent un millions d enfants à ne pas avoir accès à l école, dont plus de la moitié sont des filles. Le septième principe de la Déclaration des droits de l enfant énonce que tout enfant a le droit à l éducation gratuite. 2006, Afghanistan. Il s appelait Malim Abdoul Habib, il avait quarante-cinq ans ; huit ans déjà qu il est mort. Son crime? Avoir été le proviseur d une école. Pas une simple école. Il a été décapité par les talibans qui n acceptaient pas la présence de jeunes filles dans son établissement. Lui a eu le courage de dire non. L aurionsnous eu, nous? 2012, Pakistan. Une jeune fille de quinze ans veut étudier. Le 9 octobre, elle se prend une balle dans la tête mais elle sera sauvée. Vous avez tous, bien évidemment, reconnu la plus jeune Prix Nobel de la paix, Malala Yousafzai. Malala, jeune fille qui, elle aussi, se bat pour l accès à l éducation des filles. Aujourd hui elle poursuit son chemin dans d autres pays que le Pakistan pour dire et dénoncer cette situation. Elle aussi en a le courage. 19

Le Mémorial de Caen Recueil des Plaidoiries 2015 LYCÉENS 2014, Nigeria. Peut-être ne les retrouvera-t-on jamais? Qui donc? Ces deux cent vingt jeunes filles, kidnappées le 14 avril. Aujourd hui, deux cent quarante-cinq jours que nous ne savons plus et que les jours continuent de passer. L actualité passe aussi, alors les médias oublient. Pourtant ces jeunes Nigérianes méritent qu on pense à elles. Nous pourrions être l une d entre elles. Mais où sont-elles? On ne sait pas. Dans quelles conditions? On ne sait pas non plus. Sont-elles encore en vie? Selon les vidéos, oui, mais dans quel état les retrouverons-nous, si nous les retrouvons? Mais la Déclaration universelle des droits de l homme ne stipulet-elle pas dans son article 3 que «tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne»? Et moi, j ai le droit aussi de ne pas les oublier. J ai le droit de répéter les jours qui défilent, 246, 247, 248 Jusqu à quand vais-je compter? Et je compte 249, 250, 251. Et je continuerai à compter. Nous ne devons pas les oublier, il ne faut pas non plus que les politiciens oublient leurs promesses de les ramener. Bring back our girls 1. Mesdames et Messieurs, voilà un homme et des jeunes femmes qui se battent ou qui se sont battus pour leur droit. Chaque année, des personnes luttent. Des personnes anonymes qui se battent pour défendre l école. En soixante ans, qu est-ce qui a changé? Et nous, ici, en France, que faisons-nous de l école? Avons-nous oublié son importance? Nous comptons les jours de nos vacances, nous nous demandons pourquoi tant d heures de classe, nous nous réveillons mollement le lundi matin, nous ne sourions même plus. Nous n avons plus envie. Et pourtant 1 «Ramenez-nous nos filles.» (N.d.É.) 20

Le Mémorial de Caen Recueil des Plaidoiries 2015 LYCÉENS Ailleurs, en Amérique latine ou en Asie, ils comptent les jours où l école a dû être fermée, ils font des kilomètres à pied pour y accéder, ils se réjouissent de revoir leur maître d école. Ailleurs aussi, des enfants sont obligés d aider leurs parents, de réaliser des tâches ménagères, de garder leur petit frère, de travailler en oubliant leur dignité. Ailleurs encore, des petites filles sont mariées très jeunes, trop jeunes et ne peuvent plus aller à l école. Cette école qui signifie pour elles un avenir meilleur, une meilleure vie. Elles ne seraient plus esclaves de leur famille ni de leur futur mari. Grâce à l école, elles deviendront médecin, avocate, maîtresse d école ou bien infirmière Car c est l école qui forme, qui façonne l être humain. Accéder à une éducation de qualité permettra de dire non à la maltraitance, à l exploitation. Selon l article 26 de la Déclaration des droits de l homme, «toute personne a droit à l éducation. L éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l homme et des libertés fondamentales». Pour cela, l être humain, quel que soit son pays, quelle que soit sa religion, quelle que soit sa condition sociale, doit réagir. Moi, je n ai pas le pouvoir de changer le monde mais j ai le devoir de le dénoncer. Mesdames, Messieurs, nous avons tous le devoir de le dénoncer, car une Malala ne suffit pas, car un Malim Abdoul Habib ne suffit pas, car deux cent vingt jeunes filles ne suffisent pas, car nous devons être tous ensemble pour qu un changement puisse s opérer. Selon Albert Einstein, «le monde est dangereux à vivre, non pas à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et qui laissent faire». Alors arrêtons de regarder et ne laissons plus faire. Comment? En tant que citoyen, communiquons, dénonçons, partageons sur les réseaux sociaux ces images de ces jeunes filles. 21

Le Mémorial de Caen Recueil des Plaidoiries 2015 LYCÉENS Si les politiques ne bougent pas, si les signatures des pays qui ont ratifié la Déclaration des droits de l enfant ne sont que sur le papier, alors c est à nous de réagir comme nous le pouvons, avec nos petits moyens. Manifestons, exprimons-nous, écrivons notre colère. Nous sommes bien nés, ici en France, et bien sûr, on pourrait aussi se plaindre des manques de moyens à l école. Mais nous y allons, nous, à l école. «L école», qui est un mot magique pour ces cent un millions d enfants. Mesdames et Messieurs, j insiste : il est indispensable pour un être humain de savoir lire, écrire, compter, de penser, et d avancer libre et autonome. Et quand je vous dis cela, je pense à Nelson Mandela qui a dit : «L éducation est l arme la plus puissante pour changer le monde». Mesdames et Messieurs, l éducation est transmission, et c est parce qu un jour ces jeunes filles instruites deviendront à leur tour des mères qu il faut que l école soit accessible à ces jeunes filles. Ces mères de demain feront avancer le monde. Ces mères de demain feront des enfants instruits, qui traceront leur propre chemin. Ce chemin sera sûrement long et difficile mais, si aujourd hui, les jeunes filles sont chaque fois plus nombreuses à aller à l école, c est l humanité qui en profitera demain. «Il faudra peut-être du temps, de nombreuses lunes traverseront le ciel», lit-on dans le livre de Viviana Mazza qui raconte l histoire de Malala. La vie des jeunes filles changera l histoire. Les enfants qu elles mettront au monde ne seront plus jamais seuls. Ils auront le savoir avec eux, savoir qui fera d eux des hommes. Je ne peux m empêcher de penser à ma grand-mère, elle qui, dans les années quarante, s est battue pour aller à l école, puis pour que ma mère puisse y aller à son tour C est grâce à cette chaîne que je suis devant vous ce soir pour défendre la scolarisation des filles. 22

Le Mémorial de Caen Recueil des Plaidoiries 2015 LYCÉENS Enfin, pour finir, je vous laisse méditer sur ces quelques mots de Victor Hugo : «L enfant doit être notre souci. Et savez-vous pourquoi? Savez-vous son vrai nom? L enfant s appelle l avenir». 23

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LA DÉFENSE DES DROITS DE L HOMME Pour le meilleur et surtout pour le pire Nina Bonche et Camilia Gaied Lycée Jacob Holtzer, Firminy 25

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Le Mémorial de Caen Recueil des Plaidoiries 2015 LYCÉENS «Il me répétait sans cesse que j étais la femme de sa vie, qu à tout jamais nous serions liés. Je l ai cru. À notre mariage il a juré qu il me protégerait, qu il me chérirait. J ai dit oui. Mais, très vite tout a chaviré dans le silence de la nuit, j ai dit non Il ne m entendait plus.» On pourrait croire que ce cas dramatique est isolé. Que le viol conjugal n existe pas ou qu il est rare. Malheureusement, il est d une triste banalité. Sur les 75 000 femmes violées chaque année en France, 34 % d entre elles seraient victimes de leur conjoint ou de leur concubin. Ainsi, par an, en France, pays moderne et développé, on compte près de 25 000 femmes victimes de viols conjugaux. Ce chiffre vous paraît accablant? Il est pourtant sous-estimé. Selon le Collectif féministe contre le viol, elles seraient plus de 40 000 par an. Mais par peur, ou à cause de la pression de l entourage, seuls 2 % des viols conjugaux sont signalés à la police ou à la gendarmerie. C est ce que les professionnels appellent le «chiffre noir» du viol. Lorsque les victimes parviennent enfin à parler, on met en doute leur propos ; beaucoup de plaintes, faute de preuves suffisantes, aboutissent à des non-lieux ou à un classement sans suite. Trop souvent aussi, l affaire est requalifiée : de la qualification de viol, considérée comme un crime, on passe à celle d agression sexuelle considérée comme un simple délit. Le violeur échappe ainsi 27

Le Mémorial de Caen Recueil des Plaidoiries 2015 LYCÉENS aux assises et s en tire à bon compte en allant en correctionnelle. Comment, Mesdames et Messieurs, ces femmes pourraient-elles avoir confiance en la justice? Les chiffres de l année 2010 parlent d eux-mêmes : sur les 1 356 viols condamnés en cour d assises, on ne compte que 52 condamnations pour viol conjugal. 52 sur 40 000. Ce chiffre est honteusement dérisoire. Ainsi, moins de 2 % des violeurs sont condamnés et, dans la plupart des cas, les peines sont rarement lourdes : quelques mois de prison avec sursis. Voilà ce que l on encourt en France pour avoir violé sa compagne! Leurs bourreaux bénéficient d une impunité quasi-totale et les victimes ne peuvent espérer que justice leur soit rendue. Pourtant, tous les êtres humains ne naissent-ils pas libres et égaux en dignité et en droits? Tout individu n a-t-il pas droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne? Tout être humain ne doit-il pas être protégé de la torture, de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants? Le manque de sévérité dans l application de la loi constitue à nos yeux une grave atteinte aux respects des droits fondamentaux de l être humain! Les violeurs. Des psychopathes? Des alcooliques? Des anormaux? Des obsédés sexuels? Non, ce sont des personnes comme vous et moi. Parfois même au-dessus de tout soupçon. Les faire passer pour des personnes jugées déficientes, des malades, n est-ce pas leur enlever leur part de responsabilité? N est-ce pas les excuser au regard de la loi? En France, ce sujet reste tabou. Il est effrayant de constater que le «devoir conjugal» demeure très ancré dans notre société. Cette conception d un autre âge suppose que la femme est à la disposition de l homme pour satisfaire des besoins sexuels prétendument supérieurs, naturels, irrépressibles et incontrôlables. L idée de devoir conjugal justifie et, pire encore, normalise le viol au sein du couple. Et à la honte, s ajoute la culpabilité. Une épouse, qui plus est, une mère, ne doit-elle pas assurer la stabilité de son foyer? 28

Le Mémorial de Caen Recueil des Plaidoiries 2015 LYCÉENS Ne doit-elle pas pour cela céder aux «normales envies» de son conjoint? N est-ce pas là le destin des femmes : être de fidèles compagnes et de bonnes mères? Le poids des traditions dans un pays réputé machiste ne fait qu isoler encore plus ces victimes. Elles, qui sont priées de tout oublier et de pardonner, sans aucune objection. Elles, qui doivent vivre avec le sentiment continuel d avoir été salies, trahies par l homme qu elles aimaient. Elles, qui dans un nombre non négligeable de fois se retrouvent enceintes, avec toutes les conséquences humaines désastreuses que l on peut imaginer. La législation française semble pourtant très claire : elle définit le viol comme un crime, puni de quinze ans de réclusion criminelle. Il a cependant fallu attendre 1980 pour que l article 222-23 du Code pénal dispose que : «Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu elle soit, commis sur la personne d autrui par violence, contrainte ou surprise est un viol.» Concernant le viol conjugal, la législation a évolué encore plus lentement! En 1810, le Code civil introduisait l obligation de devoir conjugal entre époux et il faut attendre 1990, pour que le viol conjugal soit enfin reconnu par un arrêt de la Cour de cassation. Mais ce n est qu en 2006 que la loi reconnaît dans le Code pénal «la notion de présomption de consentement à l acte sexuel» et le viol conjugal puni de vingt ans de réclusion criminelle. Depuis 2010, c est désormais à l auteur de démontrer que sa concubine était d accord et non à la victime de prouver qu elle ne l était pas. Sur ce sujet la France, pays des droits de l homme, est donc tristement en retard! Le viol au sein du couple est punissable en Suède depuis 1965, en Autriche, en Angleterre, au pays de Galles depuis le début des années quatre-vingt-dix! Cette lenteur du législateur à reconnaître le viol conjugal et ainsi à vouloir protéger ces femmes peut expliquer pourquoi les violeurs n ont pas l impression de commettre l irréparable. Il est temps de médiatiser ce problème pour déculpabiliser les victimes et en empêcher de nouvelles. 29

Le Mémorial de Caen Recueil des Plaidoiries 2015 LYCÉENS Les plaintes de victime de viol conjugal sont en constante hausse depuis quelques années. Le tabou semble donc doucement s estomper. Mais ces progrès restent insuffisants. Il est temps que les tribunaux changent d attitude et admettent qu il peut y avoir viol entre époux. Les violeurs doivent être punis avec plus de sévérité. La loi doit être appliquée pour montrer aux violeurs que leur acte est grave, horrible, et inhumain. Une juste application de la loi aurait ainsi valeur d exemple! Les punir plus sévèrement prouverait aux victimes qu il y a une justice, qu elles ne sont pas abandonnées et en rien responsables. Un préalable nécessaire pour leur permettre enfin de se reconstruire. En apparence, la reconnaissance du viol conjugal en tant que crime semble être de plus en plus reconnue par la société. Selon un sondage réalisé par l IFOP en 2013, 86 % des Français savent que le viol conjugal est puni par la loi. Le chiffre atteint même 91 % chez les cinquante ans et plus. Cela peut paraître encourageant mais il révèle que 14 % des Français ne sont pas au fait de la législation concernant le viol conjugal. Plus inquiétant, ce chiffre atteint les 19 % chez les moins de trente-cinq ans. Et il est de 24 % chez les femmes de moins vingtcinq ans. Ainsi une jeune femme sur quatre ne connaît pas ses droits alors qu elle est potentiellement plus exposée à ce risque! Il est temps de changer les mentalités. Le combat contre le viol conjugal passe par l éducation des jeunes et la prévention. Il est temps de briser définitivement l idée communément admise de «devoir conjugal». Les pouvoirs publics doivent se saisir enfin du problème! Qu en est-il de la prévention en milieu scolaire? À quand remonte la dernière campagne de prévention sur de grands médias nationaux? Sans leur engagement total il sera difficile de briser ce tabou et de faire changer les mentalités! Il est donc de notre devoir, Mesdames et Messieurs, d exiger de nos représentants qu ils agissent pour qu enfin justice soit faite. 30

Le Mémorial de Caen Recueil des Plaidoiries 2015 LYCÉENS Pour qu enfin, lorsque deux personnes s unissent, ce soit pour le meilleur et surtout pas pour le pire. 31

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LA DÉFENSE DES DROITS DE L HOMME Les femmes sont les nègres du monde Dalhie Tahangy Lycée français de Tamatave, Madagascar 33

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Le Mémorial de Caen Recueil des Plaidoiries 2015 LYCÉENS Mesdames et Messieurs, Chers Membres du jury, les femmes sont les Nègres du monde. Connaissez-vous l histoire de Fatouma, une jeune Malgache de vingt-six ans, retrouvée le visage boursouflé et les cheveux ébouriffés à la sortie de l aéroport d Ivato, l aéroport international d Antananarivo? Ou celle de Razanamisa, vingt-trois ans, qui, après avoir vu une émission à la télévision vantant l eldorado dans les pays du Golfe, décide de partir? Je pourrais vous citer, plus de deux millions de personnes qui, selon l Organisation internationale du travail, sont victimes de travail forcé lié à la traite, interne et externe. 80 % ont des prénoms féminins. La traite des personnes a connu une très forte croissance durant les dernières années. L esclavage a été aboli dans tous les pays depuis les années 1980 en théorie. Néanmoins en pratique, l esclavage est toujours présent sous de nouvelles formes et s est adapté aux nouveaux visages de la société. À travers ma voix, écoutez Fatouma qui s est laissé convaincre par la promesse d un salaire qu elle n a jamais touché. Pour payer ses études d anglais, elle a décidé d aller travailler comme domestique en Arabie saoudite pour un salaire de deux cents dollars par mois. «Dès le début, je travaillais jour et nuit, parfois sans manger. Puis, mon patron a voulu que je couche avec son fils. J ai refusé. Et ils m ont violée. J ai fini par m enfuir lorsque je les ai aperçus en train d aiguiser des couteaux.» Et Razanamisa : «Tout n était que mensonges. On nous parlait de quinze heures de travail par jour, j en ai fait souvent vingt dans la même journée. J ai voulu m enfuir de chez mon patron. Il m a brûlée 35