RECONNAÎTRE L AVANTAGE COOPÉRATIF AU-DELÀ DU CRITÈRE FINANCIER



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Transcription:

RECONNAÎTRE L AVANTAGE COOPÉRATIF AU-DELÀ DU CRITÈRE FINANCIER Mémoire présenté à la Commission de l'aménagement du territoire Par la Fédération des coopératives d habitation intermunicipale du Montréal métropolitain (FECHIMM) Mai 2013

TABLE DES MATIÈRES LA FECHIMM : un regroupement de coopératives d habitation 3 Économie plurielle : la nécessité d un secteur public fort et d une économie sociale contrôlée par les collectivités 6 2 Au-delà de l unique quête du profit : les coopératives créent de la valeur sociale et économique 7 Recommandations spécifiques sur la loi-cadre sur l économie sociale 9 Bibliographie 11

LA FECHIMM : UN REGROUPEMENT DE COOPÉRATIVES D HABITATION 3 La Fédération des coopératives d habitation intermunicipale du Montréal métropolitain (FECHIMM) célèbre cette année son 30e anniversaire. Elle a été fondée en 1983 afin d être le porte-parole des coopératives d habitation sur l île de Montréal. Depuis 2002, la FECHIMM a étendu son action à Laval ainsi qu aux MRC de Deux-Montagnes, Mirabel et Thérèse-de-Blainville dans les Basses-Laurentides. Avec 460 coopératives membres, la FECHIMM regroupe 75 % des coopératives d habitation du territoire régional et représente au-delà de 11 000 ménages coopérants. La valeur de l actif immobilier combiné des membres de la Fédération dépasse le demi-milliard de dollars, ce qui en fait l un des plus importants acteurs immobiliers résidentiels de la grande région montréalaise. Les coopératives d habitation fédérées au sein de la FECHIMM ont une mission commune : répondre au besoin de logement du plus grand nombre de ménages, dans les meilleures conditions de salubrité et au prix le plus économique. Pour soutenir ces entreprises collectives, la FECHIMM propose une gamme étendue de services de soutien à la gestion et de soutien à la planification et aux travaux immobiliers. La Fédération œuvre également à la promotion du droit au logement et du modèle coopératif en habitation. L appui offert par la Fédération à ses membres comprend aussi des programmes de formation favorisant l autogestion, des regroupements d achats ainsi que des outils de communication et d information sur les enjeux de l heure en habitation et au sein du mouvement.

Une organisation démocratique La FECHIMM est un acteur dont le fonctionnement prend racine dans la participation démocratique de milliers de citoyennes et de citoyens, résidants des coopératives d habitation. Comme une coopérative d'habitation, la Fédération est régie par la Loi sur les coopératives. Elle est gérée par ses membres et financée en grande partie par ceux-ci. 4 L assemblée générale des membres se réunit d une à deux fois par année pour définir les orientations fondamentales de la Fédération. Le conseil d'administration, composé de 9 membres locataires des coopératives, est élu par l assemblée générale et voit à la mise en œuvre des volontés de l assemblée en collaboration avec la direction générale de la Fédération. Différents comités travaillent également sur des mandats particuliers et favorisent la participation individuelle tout au long de l année. La Fédération est elle-même membre de la Confédération québécoise des coopératives d habitation (CQCH) qui regroupe 6 fédérations régionales et près de 950 coopératives d habitation au Québec. Favoriser la prise en charge Dans ses interventions auprès de ses membres, la FECHIMM favorise la prise en charge par des centaines d administrateurs bénévoles de leurs entreprises collectives. Dans l ensemble de ses actions, la Fédération s inspire largement des principes suivants: accessibilité pour les ménages à faible revenu, non-discrimination dans le choix des membres-locataires, mixité des clientèles, appropriation de l habitat, prise en charge et responsabilisation des sociétaires, autonomie de fonctionnement des coopératives.

RECONNAÎTRE L ÉCONOMIE SOCIALE AU SEIN D UNE ÉCONOMIE PLURIELLE LES COOPÉRATIVES VONT AU-DELÀ DE L UNIQUE QUÊTE DU PROFIT FINANCIER Le projet de loi-cadre sur l économie sociale proposé par le gouvernement en place «a [notamment] pour objet de reconnaître la contribution particulière de l économie sociale au développement socioéconomique du Québec, dans tous les secteurs d activité» (art. 1). La FECHIMM accueille avec enthousiasme une loi ayant un tel objet. Une telle initiative, nous l espérons, devrait permettre aux entreprises d économie sociale d être évaluée et appréciée en fonction de critères qui lui sont pertinents, et qui sont cohérents avec sa finalité humaniste. 5 Pour la Fédération, reconnaître la contribution de l économie sociale implique une ouverture à des critères d évaluation allant au-delà du seul critère financier. En effet, tout en assurant leur viabilité financière, les entreprises d économie sociale contribuent au développement des collectivités sur les plans social et écologique. Comment se concrétise cette contribution sociale? En premier lieu, le présent mémoire introduira son propos en resituant l économie sociale dans le contexte québécois actuel, soit celui d une économie plurielle alliant un secteur public fort, un secteur d économie sociale ainsi qu un secteur privé. En second lieu, le mémoire expliquera tout particulièrement la perspective de la Fédération sur la contribution des coopératives d habitation dans la région métropolitaine de Montréal. Pour la FECHIMM, il est fondamental d aller au-delà des chiffres et de l aspect financier pour reconnaître les capacités singulières des coopératives. Certes, la coopération en habitation fournit des logements à ses membres à prix raisonnable, mais elle a également la capacité d amener des contributions qualitatives comme l intégration sociale et l apprentissage citoyen de l autogestion. Ces contributions se chiffrent difficilement, mais elles sont néanmoins bien réelles et doivent être reconnues si l on souhaite bien évaluer la valeur sociale et économique des projets coopératifs et les soutenir adéquatement. Enfin, la Fédération soumettra des recommandations plus spécifiques à la forme du projet de loi-cadre actuel.

ÉCONOMIE PLURIELLE : LA NÉCESSITÉ D UN SECTEUR PUBLIC FORT ET D UNE ÉCONOMIE SOCIALE CONTRÔLÉE PAR LES COLLECTIVITÉS Les systèmes sociaux humains entretiennent des similarités avec les écosystèmes : ils ont besoin d organisations de différentes natures pour répondre à leurs besoins. Les différents secteurs de l économie québécoise parviennent, par leur diversité, à répondre aux différents besoins de la société. En guise de mise en contexte, la Fédération croit qu il est bon de rappeler l importance de cette diversité : la mission et le modus operandi des secteurs apportent chacune une contribution au développement du Québec. Le présent mémoire s intéressera plus particulièrement au rôle de l économie publique et de l économie sociale. 6 D une part, le modèle québécois se structure autour d un secteur public fort. Celui-ci doit rester fort. L État est présent afin de répondre à des besoins fondamentaux et d assurer que les droits sociaux, économiques et culturels de chacune et chacun soient respectés. L intervention étatique dans des secteurs aussi fondamentaux que la santé, l éducation ou l habitation est présente au Québec et doit demeurer bien présente. La Fédération se réjouit certainement d une reconnaissance par l appareil gouvernemental de la contribution des entreprises d économie sociale : elle ne saurait cependant s en réjouir sans rappeler la nécessité des contributions de l économie publique au développement du Québec, notamment dans les secteurs de la santé et de l habitation. Les entreprises d économie sociale ne se substitueront pas aux organisations publiques, et doivent encore moins devenir une alternative à moindre coût aux yeux de l État: l État doit continuer d assumer ses responsabilités financières dans ces domaines. La reconnaissance de l économie sociale et de sa contribution est une bonne nouvelle, mais ne doit pas être vue comme une opportunité pour l État de déléguer ses responsabilités. Les entreprises d économie sociale initient des projets qui répondent aux besoins locaux des collectivités et obtiennent parfois le soutien financier de l État pour y parvenir. Ces projets sont légitimes et s inscrivent dans une dynamique ascendante (bottom-up) de prise en charge. Il ne faut cependant pas voir dans cette réalité une opportunité de stimuler la création d entreprises d économie sociale dans une dynamique descendante (top-down) afin de sous-traiter les responsabilités de l État. D autre part, une reconnaissance de la contribution des entreprises d économie sociale doit également induire une reconnaissance de leur modus operandi. Tout objectif de «[soutien au] développement de l économie sociale» (art. 2, al. 2) devra se faire dans le respect de l autonomie des entreprises d économie sociale. L un des avantages de la formule coopérative est précisément son indépendance et son contrôle par les acteurs locaux : la dynamique d initiative et d innovation présente au sein de ces entreprises ne pourrait que souffrir advenant l instauration de mécanismes de contrôle par un acteur externe comme l État. Si le respect de la mission et du modus operandi des organisations publiques est nécessaire pour répondre à des besoins spécifiques dont l État a la responsabilité, ce même respect est nécessaire pour la mission et le modus operandi des entreprises d économie sociale. Ces considérations contextuelles étant dites, la prochaine partie du mémoire de la Fédération visera à identifier les contributions particulières des entreprises d économie sociale, celles-ci devant faire l objet d une reconnaissance via la loi-cadre.

AU-DELÀ DE L UNIQUE QUÊTE DU PROFIT : LES COOPÉRATIVES CRÉENT DE LA VALEUR SOCIALE ET ÉCONOMIQUE Les coopératives et les entreprises d économie sociale vont plus loin que l unique quête de maximisation du profit : elles visent non seulement à créer une réponse viable aux besoins des collectivités, mais aussi à créer des lieux sociaux de rencontre, de concertation et d inclusion. Une valeur économique : les coopératives, vecteurs de régulation économique des loyers dans la grande région de Montréal 7 Les collectivités habitant la région métropolitaine de Montréal rencontrent différents défis. L exode des familles amorcé au début des années soixante ne cesse de s aggraver, touchant particulièrement les ménages avec de jeunes enfants. La part de ménages vivant sur l île de Montréal par rapport à la région métropolitaine de recensement (RMR de Montréal) est passée de 67% en 1981 à 57% en 2001. L une des principales difficultés rencontrées par les familles souhaitant demeurer à Montréal est liée à la spéculation immobilière, qui pousse les prix à des niveaux inabordables dans les zones urbanisées. Or, les immeubles achetés par des coopératives ne participent pas à ce marché spéculatif de par leur identité singulière. En effet, les membres des coopératives y adhèrent afin de faire usage et d habiter les logements, et non dans l objectif de l échanger afin d en tirer un profit. La Loi protège même ce principe clef de la coopération : on n a qu à penser à plusieurs articles de la Loi sur les coopératives dont l article 128 1 ou encore les articles 147 et 185 (balisant l impartageabilité de la réserve ainsi que la dévolution désintéressée de l actif net). Une étude de l Institut de recherche et d éducation sur les coopératives et les mutuelles de l Université de Sherbrooke (IRÉCUS, 2012) démontre également qu en nombre suffisant, les coopératives peuvent exercer une régulation des prix au sein d un secteur économique. Au Québec, les expériences passées dans les secteurs des services funéraires et des services financiers démontrent que la présence de coopératives dont le but n est pas la maximisation des profits peut avoir un impact important. Alors qu Alphonse Desjardins mettait sur pied des caisses populaires au début du siècle afin de contrer l usure, des groupes de citoyens québécois ont plus récemment racheté des entreprises privées de services funéraires afin d éviter qu elles ne se retrouvent entre les mains d une seule et unique compagnie. Le résultat net de la présence coopérative dans le marché funéraire se traduit aujourd hui par un coût moyen des funérailles de 30% moindre que celui des entreprises privées pour des services comparables (Beaucher, 2012; cité dans IRÉCUS, 2012). Du fait qu elles n aient pas pour but de maximiser des profits, les coopératives injectent dans un marché une offre pouvant attirer les prix vers le bas. Une valeur sociale : les coopératives, vecteurs d intégration des personnes défavorisées et des personnes immigrantes 1 Cet article ne peut être plus clair : «L activité d une coopérative avec ses membres ne constitue pas un moyen de profit».

Sans logements sociaux pour assurer une offre de logements abordables pour les personnes défavorisées, la capacité de ces dernières à habiter leur quartier serait compromise. Fondamentalement, c est l idée et le principe d égalité des chances d habiter la ville qui apparaît menacé. La pertinence du modèle coopératif pour favoriser la mixité sociale au sein de la ville apparaît forte, notamment grâce à son potentiel effet régulateur sur les loyers rendu notamment possible par ses partenariats avec l État pour soutenir les ménages à faibles revenus. L idée de mixité sociale va cependant plus loin qu un accès égal à la ville. Pour les coopératives, la mixité sociale se traduit à l intérieur même des immeubles et milieux de vie des citoyens. En effet, la coopérative permet la mise en relation de personnes à faible revenu avec des personnes à revenu modeste, comme le démontrent les récentes enquêtes portant sur le profil socioéconomique des habitants de coopératives d habitation (CQCH, 2013). Le modèle coopératif se distingue d autres formes de logement social sur ce point, et ne doit pas être confondu avec d autres types de logements sociaux différents sur ce critère. 8 Moins connue, la capacité des coopératives à offrir des milieux favorables à l intégration des personnes immigrantes constitue également une contribution possible des coopératives. Une étude a d ailleurs paru récemment à ce propos (CQCH, 2009). L administration collective et démocratique de la coopérative nécessite en effet l expérimentation de la communication interculturelle, processus essentiel à l intégration et défi incontournable de la gestion coopérative auquel travaillent chaque jour des milliers de coopérateurs et coopératrices de Montréal et d ailleurs. Une valeur sociale : autogestion et prise en charge citoyenne La coopérative se démarque également par la prise en charge citoyenne de la gestion des habitats. Contrairement aux HLM, la coopérative n est pas propriété d une société d État et n est pas contrairement au logement privé la propriété d un tiers non usagé du bâtiment. Cette dynamique suscite un défi majeur, mais également un développement social important : celui de la prise en charge citoyenne et de l apprentissage de l autogestion. Une valeur écologique : le mouvement coopératif, vecteur de mobilisation autour d initiatives vertes Enfin, la Fédération et plusieurs de ses coopératives membres participent de manière active et concrète au développement durable des communautés locales en promouvant l adoption de pratiques environnementales responsables. Le mouvement coopératif travaille ainsi au maintien de la valeur écologique de nos écosystèmes. Il l a notamment fait depuis 2006, avec le programme Coops efficaces, un projet d aide à l implantation de mesures d efficacité dans les coopératives d habitation qui a permis de réduire la consommation énergétique des coopératives d habitation et de leurs membres. En 2009, la FECHIMM a également adopté une politique verte et équitable visant le développement de nouvelles habitudes de consommation moins énergivores et qui favorisent l achat local. En somme, si les coopératives parviennent à créer plus qu une simple valeur financière, c est parce qu elles appartiennent à des citoyennes et citoyens dont le but n est pas la maximisation du profit, mais bien la viabilité du projet, la qualité de vie au sein de la collectivité et un souci pour la conservation de nos écosystèmes. Pour rendre justice aux projets coopératifs, la considération et l évaluation de ces projets

doivent s effectuer à partir de critères qui vont au-delà de l aspect financier et qui sont cohérents avec la finalité humaniste des entreprises d économie sociale. RECOMMANDATIONS SPÉCIFIQUES SUR LA LOI-CADRE SUR L ÉCONOMIE SOCIALE Le processus général proposé par la loi-cadre afin de mieux reconnaître la contribution de l économie sociale suscite un fort intérêt à la Fédération et constitue à ses yeux une première étape importante. La FECHIMM salue notamment la volonté d élaborer un plan d action gouvernemental ainsi que la volonté d y inclure un processus de reddition de compte. Elle salue également les objectifs de promotion et de soutien de l économie sociale, ainsi que l objectif de favoriser l accès aux mesures et programmes de l administration publique. 9 Afin de concrétiser la volonté gouvernementale exprimée par cette loi, la Fédération porte à l attention des parlementaires cinq idées qui pourraient s inscrire dans le plan d action gouvernemental et qui nous semblent pertinentes pour le mouvement de l économie sociale. Deux idées touchent le processus général de consultation du mouvement. Deux autres idées touchent la question fondamentale et névralgique de la promotion et de l éducation à la coopération et à l économie sociale. Enfin, une dernière mesure porte sur la prise en considération de l économie sociale dans les mesures et programmes gouvernementaux. Chantiers thématiques régionaux : rester près des réalités et des milieux locaux Les activités de réflexion menées par le Chantier de l économie sociale et le Conseil québécois de la coopération et de la mutualité (CQCM) en marge du dépôt du projet de loi ont permis d identifier des idées porteuses de sens pour plusieurs acteurs du mouvement. L un des constats qui a retenu l attention de la Fédération est l importance de tenir compte des particularités locales dans l élaboration de mesures efficaces et cohérentes avec les réalités terrains. L une des idées qui a retenu l attention de la Fédération est la reconnaissance dans la loi-cadre d un droit de consultation accordé à des chantiers thématiques régionaux émergeant de concertations entre les acteurs locaux. Les avantages d une telle formule sont multiples : de tels chantiers permettraient à la fois d alimenter la Table des partenaires ainsi que les instances de représentation nationale du mouvement, tout en permettant aux acteurs locaux du mouvement de mieux créer des consensus entre les composantes coopératives, mutuelles et associatives du mouvement, autre volonté exprimée lors des réflexions menées en marge du dépôt du projet de loi-cadre. Dans le même esprit, la Fédération est ouverte à l idée que la reddition de compte gouvernementale (art. 9) puisse être au moins partiellement locale et puisse impliquer les acteurs au plus près des réalités locales, que ce soit par une possibilité de réagir aux rapports ou par une participation plus importante Promotion de l économie sociale (art. 2, al 1) L un des principes clefs de la coopération est l éducation coopérative. Sans elle, les valeurs, les principes et l identité coopérative sont voués à vivre artificiellement. C est pourquoi la Fédération se réjouit que la loicadre ait pour objectif «de promouvoir l économie sociale comme levier de développement socioéconomique». La FECHIMM croit que cet énoncé doit se traduire par une plus grande place pour l éducation coopérative dans l enseignement postsecondaire et secondaire.

Concrètement, elle propose notamment l inclusion de contenu sur l économie sociale dans les cursus scolaires, mais également l incitation des établissements d enseignement à se concerter avec les entreprises d économie sociale ou leur regroupement régional afin qu ils puissent réaliser des activités d éducation à l économie sociale dans les établissements primaires et secondaires de leur région. Au niveau postsecondaire, la Fédération propose également d utiliser la formule de «délégation étudiante» au sein des cégeps et universités. Cette formule a déjà fait ses preuves avec des organismes publics comme Droit et démocratie au niveau fédéral et plusieurs ONG. Le fonctionnement de ce modèle est fort simple : via une organisation partenaire indépendante, l État finance modestement les délégations étudiantes bénévoles qui se forment au sein des universités ou cégeps afin qu elles puissent s informer sur les enjeux cibles (l économie sociale, dans le cas qui nous intéresse) et d en faire la promotion par des activités de sensibilisation. 10 Plusieurs O.N.G. comme Amnistie internationale ou encore Oxfam adoptent également ce modèle en finançant modestement des délégations au sein des établissements universitaires. En plus d être peu coûteuse, cette mesure a l avantage de permettre une promotion du modèle dans chaque région et de favoriser un accès privilégié aux étudiants à l aide d une formule d intervention «par et pour» les jeunes. Recherche en économie sociale : améliorer les connaissances (art. 6, al 3) Sans connaissance à jour sur l état du mouvement et des secteurs économiques où intervient l économie sociale, et sans recherche innovante permettant de comprendre et d améliorer continuellement les pratiques dans nos milieux, l économie sociale est privée d outils qui lui permettraient d innover encore davantage. L expertise au sein du mouvement et au sein d organisations liées au mouvement permet déjà de produire des études de qualité. Leur mise à jour est cependant rendue difficile du fait du peu de financement disponible. C est pourquoi la Fédération accueille avec enthousiasme la volonté du ministre «d améliorer les connaissances en matière d économie sociale» (art. 6, al 3). Cette volonté pourrait très bien s exprimer par une bonification du niveau de financement de la Direction des coopératives afin qu elle puisse réaliser davantage de portraits statistiques en collaboration avec les instances de représentation coopérative au niveau national. Elle pourrait également se traduire par la bonification de fonds de recherche en collaboration avec la communauté ou encore par et la création de fonds de recherche destinés à appuyer les regroupements régionaux d économie sociale dans leur programme de recherche respectif. Prise en considération de l économie sociale dans les mesures et les programmes gouvernementaux (art. 7) Enfin, la FECHIMM se réjouit qu advenant l adoption du projet de loi, tout ministre doive «[prendre] en considération l économie sociale dans les mesures et les programmes existants» (art. 7). La Fédération avait connaissance de situations où les avantages qualitatifs des entreprises d économie sociale n étaient pas reconnus par l appareil d État au moment d octroyer un contrat ou encore de privilégier l accès à une subvention. L intervention du gouvernement sur ce point était rendue logique et nécessaire, et la FECHIMM salue l action gouvernementale en la matière, qui sera bénéfique pour l ensemble du mouvement. Dans le milieu de l habitation plus spécifiquement, cette mesure pourrait se traduire par une stimulation de l utilisation des formules de l économie sociale dans le développement de l habitation et du logement social. La Fédération croit que les différentes formules traditionnellement financées par la SHQ pour la construction de logements sociaux (coopératives, OBNL et HLM) ont chacune leur pertinence. En concertation avec les partenaires du logement social, la Fédération croit qu il serait utile de déterminer les moyens appropriés afin de soutenir adéquatement chaque modèle en fonction de ses particularités et

exigences propres, et ainsi maintenir un équilibre dans la nature des logements sociaux construits. Une réponse et un soutien adapté à chaque modèle permettront ainsi de répondre à la diversité de besoins au sein de nos collectivités tout en rendant la faisabilité de chaque projet également viable pour les groupes développeurs BIBLIOGRAPHIE Beaucher, S. (2012). «Coopératives funéraires : un réseau de 150 000 propriétaires», dans Revue Ma Caisse. [En ligne : http://www.desjardins.com/fr/a propos/publications/financespersonnelles/v48-n5- cooperativement.pdf] 11 Direction de l habitation de la Ville de Montréal. (2011). Quelques données sur les besoins en logement social et communautaire et sur le marché de l habitation. [En ligne : http://www.ocpm.qc.ca/node/3597]. IRÉCUS. (2012). Impact socio-économique des coopératives et des mutuelles. [En ligne : http://www.usherbrooke.ca/irecus/fileadmin/sites/irecus/documents/impactsocioeconomiquecoopsmutuelles/irecus-impactsocio-economiquedescoopsetmutuelles.pdf].