Réflexion à partir des «Consommations cachées de cocaïne dans le Vieux- Lille» - Nathalie Lancial

Documents pareils
"La santé des étudiants en 2015"

GROUPE DE SPECIALISTES SUR UNE JUSTICE ADAPTEE AUX ENFANTS (CJ-S-CH) QUESTIONNAIRE POUR LES ENFANTS ET LES JEUNES SUR UNE JUSTICE ADAPTEE AUX ENFANTS

"La santé des étudiants en 2013"

JE NE SUIS PAS PSYCHOTIQUE!

Parent avant tout Parent malgré tout. Comment aider votre enfant si vous avez un problème d alcool dans votre famille.

6Des lunettes pour ceux qui en ont besoin

Rapport de fin de séjour Mobilité en formation :

Garth LARCEN, Directeur du Positive Vibe Cafe à Richmond (Etats Unis Virginie)

Mademoiselle J affabule et les chasseurs de rêves Ou l aventure intergalactique d un train de banlieue à l heure de pointe

Paroisses réformées de la Prévôté - Tramelan. Album de baptême

Se libérer de la drogue

Conseil Diocésain de Solidarité et de la Diaconie. 27 juin «Partager l essentiel» Le partage est un élément vital.

À propos d exercice. fiche pédagogique 1/5. Le français dans le monde n 395. FDLM N 395 Fiche d autoformation FdlM

LE DON : UN MODELE DE MANAGEMENT AU SERVICE DE LA COOPERATION

C ÉTAIT IL Y A TRÈS LONGTEMPS QUAND LE COCHON D INDE N AVAIT PAS ENCORE SES POILS.

Un autre signe est de blâmer «une colère ouverte qui débute par le mot TU».

23. Le discours rapporté au passé

LES RÉSEAUX SOCIAUX ET L ENTREPRISE

DEBAT PHILO : L HOMOSEXUALITE

Fiche de synthèse sur la PNL (Programmation Neurolinguistique)

TÉMOIGNAGES de participantes et de participants dans des groupes d alphabétisation populaire

A vertissement de l auteur

Le rapport de fin de séjour : Vienne (Autriche)

Le Programme virtuel MentorVirtuel contribue à créer de précieux liens!

Lorsqu une personne chère vit avec la SLA. Guide à l intention des enfants

Alcool : Oui, on peut dire «non» au verre de trop

N Y OU OÙ 1 Homophones grammaticaux de catégories différentes. ni n y ou où

que dois-tu savoir sur le diabète?

Quelqu un qui t attend

La transition école travail et les réseaux sociaux Monica Del Percio

La rue. > La feuille de l élève disponible à la fin de ce document

François Gremion Katja Vanini De Carlo. 5 Les besoins en matière de formation continue

Prendre des risques : besoin? danger?

MIEUX COMPRENDRE CE QU EST UN ACCIDENT VASCULAIRE CÉRÉBRAL AVC

SOYETTE, LE PETIT VER A SOIE

Indications pédagogiques E2 / 42

001_004_VIVRE.qxd 21/07/ :35 Page 1 Vivre avec soi

COMMENT PARLER DES LIVRES QUE L ON N A PAS LUS?

Louise, elle est folle

Le rapport des femmes à la beauté

JE CHLOÉ COLÈRE. PAS_GRAVE_INT4.indd 7 27/11/13 12:22

Les p'tites femmes de Paris

Je les ai entendus frapper. C était l aube. Les deux gendarmes se tenaient derrière la porte. J ai ouvert et je leur ai proposé d entrer.

Origines possibles et solutions

Rebecca Léo Thomas Gaspard

V3 - LE PASSE COMPOSE

O I L V I E V R AIME SA FM

LE DISCOURS RAPPORTÉ

PAR VOTRE MEDECIN! «FUN», LES CIGARETTES RECOMMANDÉES NOUVELLE PERCÉE MÉDICALE!

Tapori France ATD Quart Monde /5

Questionnaire 6-12 ans

L utilisation de l approche systémique dans la prévention et le traitement du jeu compulsif

Pour réduire sa consommation Ouvrons le dialogue

OLIVER L ENFANT QUI ENTENDAIT MAL

EXAMEN MODULE. «U4 Le client au cœur de la stratégie des entreprises» Jeudi 5 septembre h30 11h30. Durée 2 heures

LA MAISON DE POUPEE DE PETRONELLA DUNOIS

NOM:.. PRENOM:... CLASSE:.. STAGE EN ENTREPRISE. des élèves de...ème Du../../.. au./../.. Collège...

Un autre regard sur. Michel R. WALTHER. Directeur général de la Clinique de La Source 52 INSIDE

UNITÉ 5. Écris les noms des parties du corps indiquées dans les dessins. Bon Courage! Vol. 2

I. LE CAS CHOISI PROBLEMATIQUE

Organisation de dispositifs pour tous les apprenants : la question de l'évaluation inclusive

Que fait l Église pour le monde?

Estimations 2014 des consommations de produits psychoactifs à 17 ans

ETES-VOUS PRET.ES A ALLER MIEUX?

Préparez votre atelier Vinz et Lou : «Rencontre avec des inconnus- Pseudo / Le chat et la souris Pas de rendez-vous»

Épreuve de Compréhension orale

Avec un nouveau bébé, la vie n est pas toujours rose

Un itinéraire à suivre : Anne Consigny

LA REUSSITE DE NOS ENFANTS CONCERTATION CONDORCET DIDEROT

C est quoi C est quoi une entreprise

Comment résister à l influence du groupe? (notamment en matière de tabac, d alcool et de drogues) Le point de vue d Infor-Drogues

L enfant sensible. Un enfant trop sensible vit des sentiments d impuissance et. d échec. La pire attitude que son parent peut adopter avec lui est

Etre gestionnaire d une maison médicale

«Le Leadership en Suisse»

QU EST-CE QUI VOUS MÈNE: LA TÊTE OU LE COEUR?

Ma vie Mon plan. Cette brochure appartient à :

Les approches de réduction des méfaits trouvent un certain appui dans la population québécoise*

1. La famille d accueil de Nadja est composée de combien de personnes? 2. Un membre de la famille de Mme Millet n est pas Français. Qui est-ce?

Sondage auprès des employés du réseau de la santé et des services sociaux du Québec - Rapport sommaire -

Monsieur le Préfet, j ai porté une grande attention sur le chapitre relatif à la sauvegarde de l emploi et au développement économique.

AVERTISSEMENT. Ce texte a été téléchargé depuis le site. Ce texte est protégé par les droits d auteur.

Version 6.0 du 07/11/06. Comment décloisonner mes services et les faire travailler ensemble vers les mêmes objectifs?

Je veux apprendre! Chansons pour les Droits de l enfant. Texte de la comédie musicale. Fabien Bouvier & les petits Serruriers Magiques

Réception de Montréal Secteur des valeurs mobilières. Discours d ouverture

UNE ÉVALUATION Une évaluation c est quoi, çà sert à quoi? Evaluer mon projet et son plan d action pour le faire durer

AVERTISSEMENT. Ce texte a été téléchargé depuis le site

Toronto (Ontario) Le vendredi 26 octobre 2007 L ÉNONCÉ FAIT FOI. Pour de plus amples renseignements, s adresser à :

Un service sans égal, partout dans le monde, 24 h/24

Affirmation de soi, confiance en soi, estime de soi

Les aspects psychologiques de la paralysie cérébrale : répercussions et enjeux dans le parcours de vie.

LES RESEAUX SOCIAUX SONT-ILS UNE MODE OU UNE REELLE INVENTION MODERNE?

Kerberos mis en scène

BTS (brevet de technicien supérieur) DUT (diplôme universitaire de technologie) Filière santé (médecine, pharmacie, sage-femme, dentaire)

MME LE MAIRE : Madame OUFKIR. MME OUFKIR :

QUI ES-TU MON AMOUR?

fonctionne quoi l entreprise ... comment? développement éveloppem qu u C est «%» 8l entreprise au cœur du? entreprise entrepris fonctionne qu une?

Faire face aux addictions des jeunes Les «Consultations Jeunes Consommateurs», une ressource pour agir précocement et aider les familles et les jeunes

Comment avoir une banque sans banque. Tome 2

Assises de l Enseignement Catholique Intervention de Paul MALARTRE Paris Cité des Sciences de La Villette 8 juin 2007

Transcription:

Réflexion à partir des «Consommations cachées de cocaïne dans le Vieux- Lille» - Nathalie Lancial E lisabeth Dooghe - 21 septembre 2012 Directrice régionale, A.N.P.A.A. Nord Pas-de-Calais

J ai retenu de cette intervention qu il y avait 72% d hommes pour 38% de femmes (on est toujours dans ces ratios-là en matière de toxicomanie), que c était des jeunes entre 25 et 33 ans qui avaient commencé par consommer, dans un premier temps, des produits comme l ecstasy ; c est vraiment d avoir consommé ce premier produit qui a permis l utilisation ensuite d autres produits et de la cocaïne. Avoir expérimenté ce premier produit avec beaucoup de plaisir, avoir un souvenir très positif de cette première expérimentation avait ouvert la possibilité de rencontrer toute sorte de gens, très proches, dans les mêmes soirées. Proches qui dealaient des produits et qui du coup facilitaient cette consommation, la rendaient très aisée. Ce qui petit à petit les a amenés à consommer de la cocaïne. La cocaïne va être le produit qu ils vont choisir très ostensiblement de consommer en «vieillissant». Vers la trentaine, ils décident de consommer de la cocaïne parce que c est ce qui leur cause le moins de désagréments à la sortie de la consommation : pas de conséquence dans la vie professionnelle, pas de conséquence sur la vie familiale, avec une grande séparation entre la période festive où ils consomment de la cocaïne et tout le reste de leur vie. Tout est bien sérié, avec juste une question autour de l argent parce que finalement ils sont obligés d organiser tout le reste pour avoir l argent pour consommer la cocaïne sur la durée. Nathalie Lancial donne l exemple d une jeune fille avec qui elle est chez H&M et qui est en train de tergiverser pour savoir si elle va acheter un habit qui coûte 15 euros, alors que le soir même elle dépense 20 euros sans se poser de question pour avoir un peu de cocaïne pour sa soirée. Ces jeunes qui vieillissent, selon cette étude, organisent au fur et à mesure leur consommation de façon très insérée. Cela m a fait réfléchir à toutes ces personnes qu on ne connaît pas, et qui dans notre société consommeraient des produits ou des médicaments. J ai fait le lien avec une situation dont j ai eu connaissance de manière personnelle : des pêcheurs en Bretagne font usage de cocaïne pour tenir le temps de la pêche, c est le «capitaine» qui dirige la pêche qui fait consommer ses hommes. Tout ça est normal, intégré. Il n y a pas du tout de perception par l utilisateur de quelque chose qui serait à risque, ou qui serait décalé dans la société, ou qui serait interdit. Tout ça est complètement «normal», ordinaire et ne se remet pas en question. Cela m a amenée à m interroger sur ces publics «cachés», notamment les professionnels. Nous avions fait en 2011 une journée sur le dopage où était apparue la consommation par des professionnels de produits psychotropes, plutôt dopants, pour faire face aux exigences professionnelles exigées par l employeur, pour être sur le qui-vive et le rester sur la durée. Il y a donc toute une population que nous ne rencontrons pas, vers laquelle nous n allons pas et qui ne demande rien, puisque selon elle tout va bien, ils n ont aucun souci. Vous vous rappelez sans doute que Nathalie Lancial avait insisté sur le fait que celui qui a été rejeté du groupe, c est celui qui devenait «junky», lorsqu il a basculé dans une consommation qui n était plus festive ; il a été mis à l écart parce que le groupe ne veut surtout pas ressembler à des toxicomanes. Ce sont des jeunes qui ont la pêche, modernes, qui aiment la fête et qui ont cette consommation tout à fait régulée, sans souci, sans conséquence, avec toujours en fond l alcool et cette perception que la cocaïne permet de réguler l ivresse alcoolique (ils n avaient pas les conséquences de l ivresse alcoolique parce qu ils consommaient de la cocaïne). J ai déjà entendu un groupe de jeunes dire qu après avoir bu de l alcool ils prenaient du «speed» comme ça, en cas de contrôle, l éthylotest serait négatif, ce à quoi j ai répondu que l éthylotest n avait pas dû fonctionner, car je ne pense pas que le «speed» réduise l alcoolémie. Nathalie Lancial nous avait également dit que cette consommation se réduisait d elle-même, avec l installation dans une vie professionnelle, dans une vie de couple les fêtes diminuaient et du coup, 2

cette consommation s arrêtait. Voilà ce que j avais envie de partager avec vous aujourd hui : ce questionnement que nous pouvons avoir nous, professionnels, vis-à-vis de ces publics qui s autorégulent et en même temps qu en est-il des conséquences sur la santé? Je ne sais pas si cela fait écho avec des situations que vous connaissez, avec des consommation dont on ne parle pas, dont on n entend pas parler. Echanges Je pense à une ou deux personnes qui avaient ce profil-là, mais qui ont basculé dans des troubles psychiques sérieux, très stressés en permanence, très inquiets sur eux-mêmes, sur leur entourage, avec des côtés paranoïaques qui se sont développés. Il ne nous est pas permis de généraliser ça à un groupe social en entier ou à groupe d âge. Mais j ai rencontré deux personnes dans cette situation d avoir consommé de la cocaïne, cela s est très bien passé pendant très longtemps, ils ont effectivement abandonné, et puis ils se sont retrouvés à 40-45 ans avec de gros doutes sur euxmêmes, des questions hallucinantes qui n ont pas de rapport avec le type de vie qu ils avaient eu auparavant. - Cela me fait rebondir sur ce que nous avait dit Jean-Pascal Assailly sur les connexions du cortex préfrontal arrivant à maturité autour de 25 ans, ce serait l âge de raison dans l absolu, quand toutes les connexions se font. Du coup, n est ce pas un fonctionnement «normal», ordinaire, que de réduire sa consommation après avoir investi un peu plus dans sa vie professionnelle, sa vie de couple? - J entends très souvent des parents qui viennent pendant les consultations de jeunes consommateurs, surtout autour du cannabis. Ils viennent dire qu ils ont un enfant qui consomme du cannabis tous les jours, qui travaille, mais qui de leur point de vue doit souffrir, avoir quelque chose qui ne va pas, une rupture amoureuse? Lorsque je vois les jeunes, (souvent avec les parents), ces jeunes (entre 20-25 ans) affirment : «C est comme ça que j ai envie de vivre. La société, telle qu elle est, je n en ai pas envie. Le fric, je n en ai pas envie. Ce système, je n en ai pas envie J ai envie d avoir ma maison, j aime fumer, c est un plaisir. Je me suis défoncé avant et j étais prostré, mais je ne le suis plus. Cela va beaucoup mieux, fumer m a aidé à traverser ça, je fume tous les jours et je l affirme.» Ils disent qu ils ont envie de vivre comme ça. Je l entends très souvent. On n est pas sur la tranche de jeunes qui ont entre 25 et 30 ans, qui habitent toujours chez leurs parents, qui ont des consommations régulières, mais qui ont soit commencé des études et arrêté, soit commencé à travailler trois mois puis arrêté, qui sont restés dans une forme de situation de dépendance avec les parents. On n est pas sur une tranche de jeunes un peu plus âgée. Chez ces jeunes, il n y a pas d envie de vivre dans ce système et ils se retrouvent dans ce système-là, celui qu ils ont créé avec leurs copains. - Je suis tout à fait d accord. J ai rencontré beaucoup de jeunes de quartier qui consomment du cannabis ou d autres produits. Les personnes qui consomment de la cocaïne ou de l héroïne sont souvent des personnes qui ont une perte des liens familiaux ou qui ont des troubles psychiatriques et sont sous tutelle ou curatelle. Vous disiez jusque trente ans, je dirais même jusque 35 ans, ils consomment de manière régulière et disent que «tant qu ils n ont pas de travail» mais certains consomment même s ils travaillent. Pour eux c est aussi un tue le temps, «de toute façon le système est pourri, on est toujours accusés, c est le seul moyen pour nous de nous affilier à un groupe, de nous sentir bien et d avoir du plaisir». D autres m ont dit que cela leur permettait de réfléchir, ils réfléchissent autrement et supportent mieux la réalité. - Ça rejoint l étude de Nathalie Lancial, un des jeunes dit que ses parents consomment de l alcool et que lui, il consomme de la cocaïne. Pour lui c est pareil, quand il prend de la cocaïne, il se sent plus intelligent, plus créatif 3

Je voudrais revenir sur l aspect professionnel, parce que je ne suis pas sûre que cela soit la même chose. Dans cette journée autour du dopage, il y avait une notion d obligation de consommation pour tenir le niveau, comme les pêcheurs. La personne qui m a raconté cette situation de pêche, est quelqu un à qui c est arrivé, comme sa sœur est médecin il lui en a parlé car il a eu peur. On lui a donné de la cocaïne parce qu au bout de deux jours il ne tenait plus debout, il n avait pas le choix : soit il consommait de la cocaïne et il tenait sa semaine debout à faire son boulot, soit il ne pouvait pas physiquement tenir le rythme. La cocaïne est un moyen de ne pas sentir la fatigue, de ne pas sentir la douleur, de ne pas sentir la faim, de ne pas sentir la soif, c est quand même très pratique, vous devenez une bête de travail. J ai entendu la même chose dans une usine où soit les jeunes acceptent des amphétamines, soit ils ne tiennent pas le rythme, les cadences. Je me demande si nous avons quelque chose à en dire ou à en faire de notre place. - C est drôle cette ambivalence sur ce produit : la cocaïne. Je pense que nous ne sommes pas très clair avec ce produit, ses effets, ce qu on en a comme représentation. Il y a une vision dramatique, mais il y a aussi une vision de performance. Entre nous, je pense que nous ne sommes pas assez clairs sur ce produit «magique». Je crois que les médecins n en savent pas assez d autant qu il est souvent associé à plein d autres choses. - Ce qui m a interpellé, c est la maîtrise de ces jeunes : maîtrise des risques par rapport à la cocaïne et maîtrise de l envie. C était ça qu ils recherchaient et qu ils affirmaient réussir. Mais après certains n y parviennent pas. Cette recherche de la maîtrise semble être le moteur qui leur permettait de s affirmer, ainsi que le groupe, ce n est pas une pratique solitaire. - Pour moi il y a une différence entre ce qui a été exposé sur ces jeunes en milieu festif et les pêcheurs bretons. - J ai associé ces deux situations parce qu il s agit de populations cachées. Nous commençons tout juste à nous y intéresser. J ai entendu parler il y a 5 ans d une étude sur les milieux professionnels plutôt commerciaux dans le Midi-Pyrénées ; l OFDT y a associé ADALIS, ils sont effectivement allés voir ce qu il se passait dans les toilettes d entreprises et ils se sont rendus compte qu effectivement il y avait des employés qui y sniffaient de la cocaïne, que tout ça était admis, connu et accepté parce que le résultat était là, que cela rendait les gens plus «productifs». - Je voulais rebondir sur la question de la maîtrise, parce que je pense qu elle est vraiment propre à chacun. Nathalie Lancial a vraiment dû s immiscer dans les groupes, parce qu elle a étudié une population cachée. Je pense qu il y a quelque chose de différent avec les populations que l on peut rencontrer dans les centres. Je pense qu il y a plus d informations sur ce public-là que sur les usagers de rue qui peuvent avoir des usages compulsifs, des dépendances psychologiques marquées. Dans ces populations cachées je pense qu il commence a y avoir des petites méfiances sur la composition des produits : il y a de plus en plus de produits de coupe dans les produits de synthèse et je pense que c est un phénomène qui est en hausse. Il y a de grosses différences entre les dealers, je pense que les populations cachées qui ont leurs fournisseurs habituels ne vont pas dans les cités. - Je tiens d abord à rappeler que Nathalie Lancial a soutenu sa thèse avec succès. Elle est docteure en sociologie et a trouvé du travail. Bien évidemment on découpe la réalité pour essayer d approfondir certains aspects de la réalité, mais il serait intéressant d arriver à mettre ensemble tous ces usages différents du même produit. S agit-il vraiment du même produit? Est-ce que le produit consommé dans ces fêtes est le même que celui consommé par les marins bretons? Je n en suis pas sûre. Suivant l objectif qu on a en approchant la population : la soigner et la prendre en charge ou observer un cas exceptionnel et 4

focaliser une recherche sur quelque chose d assez particulier on va avoir bien évidemment des choses tout à fait différentes. Sur l importance du groupe, je pense que dans la discussion, il s est dit des choses assez différentes : cela dépendrait des individus et cela dépendrait du groupe. En tant que sociologue, j ai tendance à dire que cela dépend surtout du groupe. Ce qu il serait intéressant de savoir c est comment le groupe réagit. Par exemple le défilé de femmes qui vont aux toilettes se faire leur ligne de cocaïne, comment en parlent-elles en groupe d ouvrières? Comment se fontelles ou pas une culture commune? Alors il y a des recherches qui existent sur les consommations de psychotropes dans les caisses des grands magasins (comment les filles se sentent obligées d en prendre) avec des sociologues, des ethnologues, mais sur la cocaïne je n en connais pas. Mais pour moi, il est inconcevable qu il n y ait simplement qu une dimension individuelle, qu une réaction individuelle. Comment les marins pêcheurs qui sont embarqués ensemble toléreraient quelqu un qui n a pas pris une ligne de cocaïne? Quelles sont les réactions de rejet? Mais aussi comment en parlent-ils à terre? - Pour faire la liaison, Michel Hautefeuille, qui était intervenu sur la question du dopage lors de la journée Prévenir 59, avait bien insisté sur le fait que le même produit (en prenant l exemple de la cocaïne), selon l usage festif ou dopant, n était pas du tout consommé selon le même mode d emploi (dose, fréquence ), que l usager ne cherchait pas du tout les mêmes effets, et qu en thérapie, il n utilisait pas du tout les mêmes procédures, et que même la durée de la thérapie était différente. J avais trouvé intéressant que pour un même produit, il fallait tenir compte de l interaction entre le produit et la personne et le contexte (le triangle d Olivenstein). Je pense que pour l alcool, comme pour d autres produits, c est pareil. 5